antodume a écrit :
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Deshimaru par exemple, disait tout le temps ce que nombre de ses disciples ont transformé en mantra : inconsciemment naturellement automatiquement.
Cela ne veut pas dire passivement, endormi sur ses certitudes et son coussin, endormi par les discours de son maître.
Cela veut dire de cette manière, avec en arrière plan évidemment le fait d'essayer d'interroger le réel en permanence, de ne pas saisir la pratique et ses résultats, de s'ancrer dans une base tout en restant en mouvement et éveillé à ce qu'il se passe, ne pas se reposer sur un enseignement et l'absorber bètement sans chercher à le mettre en question à l'épreuve du réel.
Interroger le réel en permanence, c'est ce qu'on appelle "douter" dans le Rinzaï. Il y a donc une démarche similaire qui consiste à ne pas attendre que les choses tombent avec la pluie du ciel. Cela me rassure. Si tous les zenistes sôtô sont dans ce cas, alors la pratique sôtô ne diffère en rien de la pratique Rinzaï. Mais c'est la première fois que je lis que la pratique sôtô consiste à interroger le réel en permanence. J'imaginais une attitude plus passive qui consiste à se dire que l'éveil est entièrement contenu dans la posture et qu'il n'y a rien d'autre à faire qu'à laisser les choses aller. Ça, c'est ok quand on a le kensho pour le Rinzaï. Pas avant. Si c'est pareil pour le Sôtô, alors nous sommes fondamentalement d'accord.
...
Voilà.
J'avais dit que je voulais répondre sur ce point à Dume. Préciser en tous cas pour qui lire.
la plupart des pratiquants soto ne diront pas ce que je dis, non pas parce qu'ils ne sont pas capables, mais parce qu'on ne leur a jamais vraiment invités à penser par eux-même. Interroger le réel, veut dire interroger aussi la réalité de l'enseignant, la réalité de l'enseignement. et donc des pratiquants qui nous entourent. Certains n'ont absolument pas envie de disciples qui aient cette attitude. où alors selon un code et un cadre qu'ils auront bien déterminé à l'avance.
Comme certains le savent, et désolé pour ceux que ça ennuient que je le répète, c'est me faire virer d'un groupe de zen au nom de raisons fort subjectives du responsable (et propriétaire des lieux, raison qu'il a invoquée très fort pour nous dire qu'il accueillait qui il veut), qui a précipité ce questionnement.
Parce qu'un groupe, un enseignant, un cadre, c'est confortable, quelque part. On ne décide pas complètement par soi-même. Il y a toujours une carotte et un baton. Or, seul, il n'y a plus rien que sa propre décision, à renouveler en permanence. "Pourquoi je pratique?" "Comment je pratique?"
"qu'est-ce que je pratique?" on est seul avec ces questions, sans plus personne que soi-même pour y répondre.
Et aussi s'asseoir, au propre comme au figuré, sur ces questions, avec ces questions, dans ces questions.
Surtout quand zazen nous rappelle la mémoire physique des conditions précédant une exclusion dite définitive. Dur dur alors.
On est face à une décision sans cesse à renouveler, au fait qu'il n'y a rien d'acquis, même si il y a une expérience.
Donc la pratique, c'est pour moi basiquement l'expérience de la conscience. Zazen n'est rien d'autre que l'outil pour la faire au plus proche de soi.
Mais c'est interroger la relation entre ce qu'on vit en zazen et en dehors de zazen qui est porteur d'éveil.
La question de s'asseoir et laisser faire, ça marche peut-être pour ceux qui dorment assis, et il y en a qui se satisfont de cela.
Mais ce discours du zen soto ne doit pas être mépris : il s'agit simplement de la description du cadre de l'expérience, du préalable.
Le rinzai parlera plus du contenu, je suppose.
De toute façon, mon expérience est que rester assis des heures sans rien faire, c'est insupportable.
Donc on doit faire quelque chose de cette énergie psycho physique brute qui est là assise, qui ne peut fuir dans l'action. Qui peut éventuellement fuir dans l'inaction, mais assis c'est moins facile que couché.
Donc quelle porte de sortir reste-t-il?
Celle de s'asseoir consciemment, totalement consciemment. D'assumer ce qu'on fait : rien assis!!
Je pense que ce que Dogen a signifié par abandonner corps et esprit n'est rien d'autre que ça.
Mais le zen soto est allusif : il parle de tout ce qu'il y a autour, pour laisser à l'expérience toute sa liberté et ne pas lui attacher les ailes. On a la pudeur de ne pas nommer l'ineffable, car les mots sont toujours une impasse, une limite, pour décrire ce qui n'a pas à l'être.
Le zen soto ne nomme pas l'objet de sa quète.
Donc quand on parle de posture assise, il ne faut pas se méprendre : ce n'est pas simplement une posture assise. Sinon ça conduit à des déviances graves comme des responsables de dojo qui vont aller répondre qu'un handicapé ne peut connaître l'éveil! Quelle im-posture!!
Deshimaru parlait de Muso, au-delà de la forme de la posture assise. Il disait que zazen était aussi cela. Ca rejoint exactement ce que Yudo disait du zazen et du bouddhisme, je ne sais plus comment.
En fait, zazen est le bouddhisme...une posture où l'expression et l'objet à exprimer sont uns. Ce corps karmique et ce corps de Bouddha sont uns.
L'esprit et le corps sont uns.
après, je prend acte de ce que tu dis sur le kensho, et le fait de pratiquer sans rien faire.
Dans le zen soto, on ne gradue pas les stades comme il est fait dans le rinzai.
Mon vécu, est qu'il faut parfois laisser faire, et parfois longtemps. et que parfois, il faut reprendre les rènes de la concentration observation en main.
Disons qu'on ne détermine pas un moment particulier pour cela. Cela peut être même aussi les deux dans la même séance. Pas de règle pour ça.
MAis il faut avoir éprouvé une certaine habitude de pratique, une certaine expérience.
a moment donné pour moi, ça s'est manifesté par le fait que quand j'essayais de me concentrer, ça me tendait plus qu'autre chose.
Alors la seule sortie fût de ne rien faire, consciemment. Où alors on observe, car rien d'autre à faire. Voir.
Peut-être cela a-t-il une similitude avec le kensho. Je ne voudrais surtout pas prétendre cela. D('autant plus que Deshimaru martelait que la pratique la plus ultime, c'était mushotoku : sans but, sans volonté d'obtention même d'un éveil.
Donc les zenistes soto sont un peu autistiques sur la description d'expérience. Car on les invite à ne pas stagner dessus, et plus à les intégrer directement dans un quotidien très concret. Peut-être aussi pour éviter des errements psychiques liés à la non intégration d'expérience psychiques pouvant déstabiliser une structure de personnalité fragile. Un éveil très terrien.
Voilà, je ne sais si l'on est d'accord. Je ne peux croire que fondamentalement nos pratiques ne se rejoignent pas. J'en ai toujours été persuadé, et ce n'est pas de l'ordre de la croyance pour moi. Parfois on va dire les choses pas des biais très différents, mais c'est parce qu'on ne rejoint pas le même sommet par la même voie.
De toutes façons, si on pratique en oubliant le désir d'éveil qui nous a amené sur le coussin, on risque fortement de ne faire que s'endormir sur des convictions. Bien sûr, on l'oublie sans s'en rendre compte, en général. Mais on peut décider de s'en rappeler. C'est une responsabilité individuelle que même un maître ne peut accomplir à notre place.
Après, beaucoup s'endorment dans le cadre, mais dans le zen soto en France, je pense qu'il s'est développé une mécompréhension du cadre, qu'on a érigé comme objet formel saisissable de pratique. C'est confortable, identifiable, mais encore une prison dharmique, une illusion bouddhique. Pourtant quand je lis Deshimaru, et à synthétiser ce qu'en disent ses disciples, il avait pourtant montré tout sauf ça : il voulait d'un zazen vivant et éveillé. et d'un zazen non attaché à lui-même en tant que forme. Mais attaché à la forme de zazen en tant que pratique d'être Bouddha vivant.
De toutes façon j'ai toujours eu besoin de comprendre. Donc je cherche. Je crois que suivre la Voie c'est aussi simple que ça. Mais pas forcément facile.