AUCUNE INQUIETUDE...

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AUCUNE INQUIETUDE
Ajahn Liem
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Traduction française de Jeanne Schut
Titre original anglais : No worries
Couverture : Aquarelle d’Annie Merlin.

Le Dhamma de la Forêt

http://www.dhammadelaforet.org
Pour diffusion non commerciale exclusivement
Ajahn Liem Thitadhammo, moine bouddhiste das la Tradition de la
Forêt thaïlandaise, est né le 5 novembre 1941. Après avoir été
ordonné moine, à l’âge de vingt ans, il a pratiqué dans plusieurs
monastères de villages, dans sa région natale du nord-est, avant de
rejoindre la Tradition de la Forêt en 1969 sous la direction d’Ajahn
Chah, grand maître de méditation dont la réputation et l’influence se
sont répandus dans le monde entier jusqu’à ce jour.
Quand Ajahn Chah tomba gravement malade, en 1982, c’est à lui
qu’il confia la direction du monastère. Il remplit aujourd’hui la
fonction d’abbé du monastère en maintenant l’héritage du Dhamma
enseigné par Ajahn Chah et en formant, comme lui, moines, nonnes
et disciples laïcs.
Peu après son 60ème anniversaire, environ dix ans après la mort
d’Ajahn Chah, le roi de Thaïlande lui conféra le titre honorifique de
Tan Chao Khun Visuddhi-Samvara Thera.
Pour le Sangha de Wat Pah Nanachat, le monastère international
créé à l’initiative d’Ajahn Chah, Ajahn Liem n’est pas seulement un
guide et un maître aimé et respecté dans la vie monastique ; ces dix
dernières années, c’est également lui qui a été le « précepteur » pour
toutes les cérémonies d’ordination des nouveaux moines.
Ces enseignements et sessions de questions et réponses ont été
donnés par Ajahn Liem, en 2004, lors d’un séjour au monastère
Bodhinyana de Melbourne, en Australie.
Il s’adressait à un public composé de moines, de nonnes et de laïcs.
5
EXTRAITS D’ENSEIGNEMENTS
« … Ne s’inquiéter ni du passé ni de l’avenir,
laisser le présent emplir l’instant,
se poser dans cet espace de perfection totale. »
SAVOIR ADAPTER
Dans la pratique du Dhamma, les choses progressent petit à petit. Il
n’est pas possible de forcer les choses ni de les bousculer d’aucune
manière. C’est comme lorsque vous avez construit ce monastère. Si
on veut construire un monastère, il faut procéder par étapes, petit à
petit. Il faut aussi laisser la place à d’éventuelles adaptations et
évolutions pendant la durée du chantier. Nous devons avoir la même
attitude quand nous pratiquons le Dhamma. Tout accomplir en un
jour est certainement impossible ; nous devons donc avancer un pas
après l’autre.
Je ne m’attendais pas à ce que les choses soient trop différentes, ici.
L’Australie et la Thaïlande se ressemblent beaucoup dans la mesure
où, partout, les gens sont, tour à tour, soit heureux soit malheureux.
Bien entendu, la façon dont on se sent dans certaines circonstances
de vie dépend aussi du climat mais, en réalité, le climat ne nous
paraît difficile à supporter que lorsque notre corps est peu résistant.
Si nous avons développé une certaine résistance physique, il n’y a
rien de trop dur dans un climat différent. Penser qu’il fait trop chaud
ou trop froid n’est pas la question ; c’est simplement une question
d’adaptation. C’est la même chose pour la pratique : on ne peut pas
s’attendre à ce que notre pratique aille toujours bien ; il faut regarder
plus loin et considérer la pratique comme une adaptation
permanente : ce qui est insuffisant a besoin d’être corrigé, ce qui
n’est pas bon doit être abandonné.
6
Mais attention ! Si nous avons des préjugés et des idées toutes faites,
la progression n’ira pas dans le bon sens. Tant que l’on s’attache à
des opinions et des préjugés (agati dhammā), on n’est toujours pas
accompli dans le Dhamma.
Prenez l’exemple de quelqu’un qui voit un morceau de terrain inégal
et caillouteux, et décide qu’il n’est pas utilisable. Ce n’est pas vrai.
Une fois le terrain nivelé et déblayé, il peut très bien être utilisé.
Même un terrain caillouteux peut servir si on le travaille
correctement. Par contre, le terrain le plus beau et le plus lisse ne
servira à rien si on ne le travaille pas correctement.
DUKKHA
Dukkha1 peut être de deux types : kāyika dukkha, la souffrance qui
vient du corps, et cetasika dukkha, la souffrance qui vient de l’esprit.
La souffrance de l’esprit apparaît parce que notre vision des choses
est erronée ; elle apparaît à chaque fois que l’esprit se laisse
submerger par des attitudes malsaines comme la mauvaise
compréhension ou l’avidité.
Mais quand nous observons de près la souffrance du corps, nous
réalisons que c’est quelque chose que nous sommes obligés de
ressentir sans cesse. On peut dire que la souffrance physique fait
partie de la vie même. Il faut qu’elle soit présente. Le fait que
l’organisme corporel ait besoin d’uriner et d’excréter est une forme
de souffrance. Quand nous avons faim et soif, ce sont des sensations
désagréables et quand nous pouvons soulager la faim et la soif, cela
éveille des sensations agréables ; mais, en réalité, l’ensemble du
processus n’est rien d’autre que dukkha.
Le dukkha qui vient directement de l’esprit apparaît sous l’influence
du désir. Désirer, c’est être dans un état de manque. Tout comme les
grands océans dans lesquels toutes les rivières se déversent ne
déborderont jamais, le désir ne sera jamais satisfait. C’est pourquoi
le Bouddha a dit : « Il n’existe pas de rivière plus forte que le désir. »
(Dhammapada, 251)
1 Dukkha : mot pali pour exprimer toutes les formes de souffrance, depuis
l’insatisfaction jusqu’à la douleur et au désespoir.
7
QUE RESTE-T-IL ?
Quand nous pratiquons l’attention au corps, nous nous concentrons
sur le fait que le corps vieillit et meurt ; nous nous concentrons sur le
fait que le corps ne peut pas durer éternellement et qu’il ne peut pas
être ce que nous appelons « moi ».
Chaque jour, la mort nous arrive mais sous une forme cachée, pas
sous la forme évidente de la mort du corps. On la voit dans le fait
que les choses changent. Nous mourons à l’état d’enfant en devenant
adultes – cela aussi, c’est une mort. De même, entrer dans une
période de notre vie où le corps se détériore et ne peut plus être
maîtrisé aussi facilement qu’avant est une mort. Les différentes
parties qui constituent l’être vivant, les cinq khandha2, font ce
qu’elles sont censées faire et puis s’effondrent : la terre retourne à la
terre, l’eau retourne à l’eau et le feu retourne au feu. Reste-t-il quoi
que ce soit que nous pourrions appeler « moi » ?
FONDRE COMME LA NEIGE
Le temps passe sans relâche. Le Bouddha nous a comparés à des
bêtes que l’on mène à l’abattoir. Chaque jour, le temps passe. Notre
durée de vie est comme une goutte de rosée au bout d’un brin
d’herbe ou comme de la neige dont on fait des boules : si une boule
de neige est exposée au soleil, elle fond et, quand le vent se lève, elle
s’évapore et disparaît.
Le Bouddha voulait que nous réfléchissions à notre vie de cette
manière pour que nous ne soyons pas le jouet des pollutions
mentales – les aversions et les désirs –, pour que nous ne soyons pas
forcés de vivre d’une manière qui limite notre liberté et ne nous
permette pas d’être notre propre maître.
2 Les cinq khandha sont : le corps (rūpa, ou matérialité) et les quatre
composants de l’esprit (nāma) : sensations, perceptions, fabrications
mentales et conscience sensorielle.
8
LA NATURE DE L’ESPRIT
En dehors de la réalité physique, il y a la réalité de l’esprit. L’esprit
n’a pas de forme matérielle mais il a certaines caractéristiques qui
s’expriment par le bonheur, la souffrance, la confusion ou la paix. Le
Bouddha a appelé cela les nāma dhammā ou phénomènes mentaux,
mais nous ressentons ce type de vécu comme « mon esprit ».
Notre esprit est simplement une manifestation de nama dhamma.
Nous ne pouvons pas dire que notre esprit n’est pas bon ou qu’il est
« absolument mauvais ». Tout dépend de la façon dont nous
considérons les choses et de la façon dont nous réagissons aux
choses qui se présentent. C’est comme les éléments physiques que
l’on rencontre dans la nature – par exemple les pierres, les rochers, le
sable, les arbres et même les montagnes et l’eau. L’eau ne devient
une ressource utile pour notre vie que si elle est filtrée et traitée pour
être potable. Si nous faisons bon usage des traitements, des
adaptations et des développements, ces ressources seront bénéfiques
et utiles. C’est la façon dont le Bouddha voyait l’esprit humain :
comme quelque chose de naturel qui a besoin d’être développé et
corrigé.
L’esprit qui est dans un état non-développé n’est pas filtré, tout
comme l’eau qui est encore pleine de particules de poussière.
Mélangés aux nāma dhammā, il y a des polluants qui sont
dangereux, c’est pourquoi nous devons faire un effort pour nettoyer
et développer notre esprit.
LE DEVELOPPEMENT DE L’ESPRIT
Le développement de l’esprit ou le développement de nos états
d’esprit, exige que nous nous mettions dans des conditions
appropriées, des conditions qui ne donnent pas lieu à l’inquiétude.
Nous nous plaçons dans la réalité de l’instant présent, le
paccuppanna dhamma, et nous menons notre vie avec présence et
attention, de façon à ce que cela devienne une forme de protection
pour nous-mêmes.
Quand nous considérons et réfléchissons sur ce qui est approprié et
ce qui ne l’est pas, nous apprenons à connaître les choses qui sont
dangereuses et défavorables parce que ces choses parlent d’elles9
mêmes. Cela nous devient tout à fait évident. Nous le constatons à
chaque instant. Prenez, par exemple, les états d’esprit négatifs ou la
mauvaise humeur. Tout le monde ne sait que trop bien comment on
se sent quand on y est plongé.
SE DIRIGER VERS UNE BONNE DESTINATION
Le Bouddha a enseigné que, tout ce que nous avons pu faire pour
développer et renforcer des sentiments de bonté entraînera prospérité
et progrès. Quand on se comporte ainsi, on peut dire que l’on se
dirige vers une bonne destination (sugati).
Cette bonne destination est un espace où l’on est dans un état d’esprit
positif. Un espace d’état d’esprit positif, c’est quand l’esprit est libre
de toute irritation, de toute attitude malsaine comme l’avidité, la
haine et l’incompréhension ; c’est un esprit qui nous permet d’être
heureux.
Tout dépend de nous. C’est pour cela que le Bouddha a dit que nous
devons savoir comment nous développer et nous corriger. Laisser les
choses suivre leur cours naturel ne nous sera pas d’un grand secours.
On peut comparer cela aux ressources matérielles et aux matières
premières : si nous ne les traitons pas et si nous ne leur donnons pas
une forme appropriée, la nature ne nous apportera pas grand-chose
de bon. Si les maisons dans lesquelles nous vivons nous abritent du
soleil et de la pluie, de la chaleur et du froid, c’est parce qu’il y a eu
construction et développement.
Les êtres humains ne sont pas parfaits à la naissance. Tout ce que
nous avons accompli n’a été possible que parce que nous l’avons
construit petit à petit, parce que nous avons développé éducation et
entraînement. Avec l’éducation et l’entraînement, nous possédons
peu à peu le potentiel pour changer de toutes sortes de manières.
C’est à nous qu’il revient de développer une meilleure
compréhension de nous-mêmes, dans une perspective plus large,
avec circonspection, sincèrement et correctement. Nous verrons alors
que nous nous dirigeons vers une bonne destination.
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VAINCRE MARA3
Il y a des périodes où nous devons faire face à des problèmes et à des
états d’esprit négatifs dans notre pratique, à cause de notre relation
au monde des sens où les trois filles de Māra – Rāga, la sensualité,
Arati, l’aversion et Tanhā, l’avidité – viennent nous tenter.
Dans ces périodes, essayez de tenir bon et posez-vous les questions
suivantes : d’où viennent ces tentations et sous quelles formes
apparaissent-elles ? Elles arrivent toutes par l’intermédiaire des
perceptions de notre propre esprit. Ce sont des nourritures mentales
créées par nous, des sankhāra4. C’est un point très important que
nous devons comprendre sinon les doutes et les inquiétudes que nous
aurons (sur nous et notre pratique) pourront devenir si forts que nous
risquons de décider de tout quitter et de mettre fin à nos efforts pour
atteindre l’Eveil.
Nous sommes tentés de tout laisser tomber mais il y a encore cette
toute petite voix au fond de nous qui dit de ne pas abandonner. Vous
connaissez la représentation du Bouddha lorsqu’il est sur le point de
vaincre Māra ? Que signifie son geste exactement ? On voit le corps
du Bouddha en train de commencer à se lever, son genou est déjà
tourné vers le haut mais sa main pousse vers le bas. C’est comme s’il
disait : « Attendons encore une seconde ! Voyons d’abord cela de
plus près. » C’est ainsi que nous devons faire face à ce genre de
situations.
DE L’EXPERIENCE A LA CONNAISSANCE
Nous devons nous connaître et savoir aussi où nous en sommes dans
notre pratique en vue de la réalisation du Dhamma. Le Bouddha luimême
n’avait pas que des disciples parfaits. Il a dû, lui aussi, investir
beaucoup de travail pour les éduquer et les corriger, pour leur
transmettre la connaissance et leur faire acquérir de nouvelles
habitudes jusqu’à ce qu’ils atteignent la perfection. Avant qu’ils ne
3 Māra est la personnification du mal.
4 Le mot sankhāra recouvre de nombreux sens. Il signifie ici les phénomènes
conditionnés par l’esprit ou proliférations mentales.
11
deviennent véritablement utiles aux autres, il a fallu beaucoup de
temps.
C’est exactement la même chose pour nous. Il faut réaliser que, dans
le passé, nous ne nous sommes jamais vraiment intéressés au monde
de notre esprit. Tout ce que nous faisions, c’était voir les choses
selon nos désirs. Ce que nous appelions « bon » était ce qui gratifiait
nos désirs et nos souhaits. Quand nous commençons à voir le monde
dans une perspective qui tient compte de nos vrais sentiments, il se
peut que nous soyons d’abord choqués, mais nous réalisons
finalement que nous avons besoin de nous améliorer de différentes
manières. Par exemple, quand nous ressentons des sentiments
désagréables qui ont des effets négatifs sur nous, nous devons
trouver le moyen d’y mettre fin.
Si nous en arrivons au point où nous pouvons arrêter les états
d’esprit négatifs, nous avons vraiment accompli quelque chose de
bénéfique. Petit à petit, nous acquérons plus de connaissances et de
compréhension que nous pouvons mettre en oeuvre dans la vie. Si la
joie ou la tristesse apparaît, nous n’éprouvons plus le besoin de
l’exprimer au point de nous y perdre et ensuite de tomber
inévitablement dans dukkha.
Nous voyons que ces expériences sont une manière de comprendre
les processus par lesquels passe notre vie intérieure. C’est cela la
véritable connaissance.
SE CONCENTRER SUR LE LACHER-PRISE
Quel que soit l’objet de méditation que nous choisissons, nous
possédons déjà le moyen de trouver la paix intérieure. Tout ce que
nous avons à faire, c’est nous concentrer sur le lâcher-prise des
attitudes qui engendrent l’attachement et l’identification, les
« j’aime ceci » et « je n’aime pas cela » et tous les dhamma du
monde (lokadhammā)5 qui risquent de nous submerger.
5 Louange et blâme, gain et perte, gloire et diffamation, bonheur et malheur.
12
UN SIMPLE RECIPIENT
Nous pouvons utiliser la méditation qui consiste à examiner la réalité
du corps en profondeur (kāyagatāsati) pour développer un sentiment
de détachement (viveka) ; en effet, cette méditation nous permet de
cesser de croire que nous sommes propriétaires de notre corps. Nous
essayons de voir le corps simplement comme une manifestation des
éléments et des agrégats (khandha) qui existent dans la nature.
Ce que nous sommes – homme, femme ou quoi que ce soit – n’est
différencié et caractérisé que par les noms et les conventions de la
société mais, en essence, le vécu des gens est le même pour tous. La
souffrance que nous ressentons est la même pour tous. Le bonheur
ou le malheur, le sentiment de satisfaction ou de déception est le
même. C’est sur cela que nous devons nous concentrer.
Si nous réalisons que notre corps et celui des autres sont semblables
dans leur essence, notre état d’esprit devient tel qu’il entraîne
l’apaisement du désir et de l’avidité. Au final, il n’y a aucune
différence entre les gens. Nous allons commencer à voir les autres
sans plus de préjugés.
Nous n’aurons plus le sentiment que quelqu’un nous est supérieur,
inférieur ou égal. Nous ne prétendrons plus être meilleurs ou pires
que les autres, ni même leur égal. En maintenant cette attitude envers
nous-mêmes, nous cultivons une claire conscience qui n’est pas
obscurcie par l’orgueil et la tendance à croire à notre propre
importance.
C’est ainsi que nous pratiquons kāyagatāsati. Si nous parvenons au
détachement, nous pouvons l’appeler kāyaviveka, le détachement par
rapport au corps.
Avoir un corps, c’est comme avoir un objet qui peut nous être utile,
comme un bol, par exemple. Le bol est simplement un récipient qui
peut contenir de la nourriture que nous utilisons au moment du repas.
C’est un simple récipient. De même, notre corps est un simple
récipient pour l’investigation, pour permettre qu’apparaisse une
compréhension de la réalité.
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LA TACHE QUI NOUS REVIENT
En parlant de détachement, il faut dire qu’en réalité, la façon plus ou
moins « détachée » dont nous vivons dépend de nous jusqu’à un
certain point. Les moines, par exemple, doivent se contenter du
logement qui leur est alloué, que celui-ci soit retiré ou pas, et
accomplir leurs tâches de moines dans la solitude. Quels que soient
les pratiques, les devoirs et la routine, ils continuent à les faire tout
seuls. Ils s’entraînent pour assumer leur propre responsabilité.
La façon dont nous nous sentons dépend entièrement de nousmêmes,
ce n’est le problème de personne d’autre. Les autres ne
peuvent pas vraiment savoir ce que nous ressentons. C’est
entièrement à nous que revient la tâche d’examiner nos traits de
caractère et nos habitudes. Sommes-nous du genre sensuel ou
colérique ? Refusons-nous de voir la réalité en face ? Parfois on
trouve un mélange de genres : une personne peut être à la fois
sensuelle et colérique ou sensuelle et irréaliste, par exemple.
Avoir un tempérament avec certaines tendances, comme cela, est
naturel. Mais l’attitude que nous devons avoir, face à ces tendances,
est de vouloir les déraciner pour y mettre fin définitivement. Pour
cela, nous devons souhaiter avoir un état d’esprit paisible et mettre
en oeuvre les différents moyens qui mènent à la paix.
S’ELOIGNER DE LA SOCIETE
Les êtres humains vivent en société et communiquent entre eux de
sorte que, inévitablement, nous sommes en contact avec toutes sortes
d’impressions provenant de la société. Il faut pouvoir affronter toutes
les situations. Pour cela, le Bouddha nous a conseillé de vivre notre
vie en pleine conscience, avec attention et claire compréhension, en
particulier à l’instant même où nous entrons en contact avec le
monde. Il y a l’oeil qui voit des formes et des couleurs, il y a l’oreille
qui entend des sons, le nez qui sent des odeurs, la langue qui goûte
des saveurs, le corps qui ressent des contacts et, enfin, il y a des
images qui apparaissent dans l’esprit du fait de ces perceptions.
Toutes ces expériences ont besoin d’être filtrées. Il faut les
considérer avec attention, de telle sorte que l’on puisse comprendre
14
toutes les impressions qui arrivent. Si on voit les choses clairement,
tous ces objets perçus perdront d’eux-mêmes leur intérêt.
Ce processus ressemble à ce qui se passe quand nous sommes avec
des enfants. Les enfants s’amusent beaucoup à leurs jeux mais, si
nous regardons un jouet d’enfant – une marionnette, par exemple –
nous serons d’accord pour dire qu’il n’a rien de foncièrement drôle
ou intéressant.
Si nous jetons un regard sur nos expériences passées, nous
constatons que, au bout de quelque temps, nous commençons à les
considérer comme un tas de détritus, comme quelque chose qui ne
sert plus à rien. Nous n’accordons plus d’importance à ces choses-là,
qu’il s’agisse de colère, d’avidité ou d’erreurs de compréhension, de
désir, d’aversion ou d’ignorance. Tout cela nous apparaît comme un
tas de détritus. Les détritus ne sont désirables pour personne, ils ne
présentent aucun intérêt, de sorte qu’ils s’effacent doucement de
notre conscience. L’état d’esprit colérique s’efface, l’état d’esprit
d’aversion s’efface et, finalement, apparaît le détachement par
rapport à ces états d’esprit. Le détachement des liens que nous
entretenons avec la société apparaît : il s’agit du détachement des
liens avec ce que les yeux voient, ce que les oreilles entendent et ce
que le nez sent.
Quand le sentiment de détachement apparaît, nous nous sentons
comme au frais, à l’ombre ; nous savons ce que signifie avoir un
« refuge ». Avoir un refuge c’est être libre de tout souci, c’est
comme vivre dans une maison qui nous protège du soleil et de la
pluie, de la chaleur et du froid. Rien ne peut nous perturber.
OFFRIR L’OCCASION DE S’EXPRIMER
Le Bouddha a suggéré que les gens qui pratiquent en groupe et
souhaitent l’harmonie de leur communauté s’invitent mutuellement à
la critique. Il a appelé cela pavārana6, littéralement « offrir
l’occasion ». Dans le cadre monastique conventionnel, pavārana est
un devoir formel de la communauté.
6 La cérémonie de pavārana a lieu le jour de la fin de la retraite des pluies
dans tout monastère où ont résidé au moins cinq moines.
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Le but de cette cérémonie est de donner à chacun l’occasion d’offrir
des remarques et des commentaires critiques constructifs. La critique
n’est pas basée sur des prises de position étroites, des opinions ou un
sentiment de supériorité. Elle a simplement pour but de souligner des
situations qui se sont présentées et de mettre en garde contre des
problèmes potentiels. Ceci est fait sans arrogance ni prétention car
aucun de nous n’est parfait tandis que nous avançons sur la voie.
Parfois, nous nous contentons de regarder devant et nous oublions ce
qui traîne derrière nous. Peut-être avons-nous des points faibles et, à
cette occasion, nous comptons sur les autres pour nous les révéler. Ils
peuvent tenir un miroir où nous nous verrons plus clairement et nous
aider ainsi à concentrer notre attention sur des domaines où nous
avons besoin de grandir. C’est la raison pour laquelle nous nous
offrons cette occasion de libre expression. Ainsi, tout le monde peut
grandir et se développer.
Quand quelqu’un nous montre une faute que nous avons commise ou
nous signale une chose que nous n’avons pas bien faite, nous
l’acceptons simplement, avec confiance, sans croire que cela part
d’un mauvais sentiment chez l’autre.
A chaque fois que nous agissons mus par des émotions fortes comme
la colère ou même la violence physique, nous devons reconnaître
qu’il s’agit là d’un comportement laid et sale. Si nous offrons aux
autres l’occasion de s’exprimer à notre propos, cela nous aide à
redevenir plus conscients de ce que nous faisons. Les comportements
que nous n’aimons pas ne plaisent certainement pas aux autres non
plus. De tels actes sont inacceptables en société. Si nous les faisons,
cela a tendance à déranger les autres et nous sommes perçus comme
des personnes ayant un mauvais comportement.
Le Sangha pratique pavārana en tant que cérémonie formelle de la
communauté monastique. Celle-ci doit se dérouler sans qu’il soit
tenu compte du rang, du statut ou de l’âge des participants ;
indépendamment aussi de l’expérience et du niveau de chacun.
LA SOCIETE DES ARBRES
Quand on vit ensemble, on s’appuie les uns sur les autres. Nous
pouvons comparer cela à la « vie sociale » d’une forêt. Dans la
16
« société des arbres », tous les arbres ne se ressemblent pas, il y en a
des gros et des petits. Mais les gros arbres ont besoin de s’appuyer
sur les petits et les petits sur les gros pour assurer la sécurité de
chacun. Il est faux de croire qu’un arbre est à l’abri de tout danger
sous prétexte qu’il est gros. Quand l’orage survient, ce sont les gros
arbres qui tombent. De même, les petits arbres ont besoin de
s’appuyer sur les gros ; s’il n’y avait pas de gros arbres sur lesquels
s’appuyer, ils se casseraient.
Toute société a besoin de coopérer de cette manière. Suivre les
principes établis par le Bouddha peut alléger les problèmes qui se
présentent quand des situations déplaisantes surviennent. Les êtres
humains devraient utiliser leur intelligence, leurs capacités
d’attention et de sagesse, et s’élever au-dessus du comportement du
règne animal. C’est pourquoi le Bouddha a vanté les qualités de
l’attention et de la sagesse.
ABSOLUMENT NORMAL
Si nous considérons la souffrance inhérente à la vie en société
comme quelque chose de très lourd, elle devient effectivement très
lourde. Si nous la voyons comme quelque chose de naturel, elle
devient simplement naturelle.
C’est comme quand nous regardons un arbre : si nous le voyons
grand, il devient grand ; si nous le voyons petit, il devient petit. Mais
si nous ne considérons l’arbre ni grand ni petit, il n’y a pas grandchose
à en dire. Il devient absolument normal tel qu’il est.
LE BARRAGE
Parfois, du fait que nous vivions dans une société dont les limites
sont très vastes – cette vie communautaire dans le monde que nous
pourrions appeler notre « grande famille » – nous avons besoin de
beaucoup de patience et d’endurance. Dans certaines situations où
nous avons l’impression de ne plus savoir où nous en sommes, nous
risquons de mal agir par manque de présence attentive. C’est
pourquoi, de manière générale, nous devons être capables d’avoir un
minimum de retenue et de patience.
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L’endurance doublée de patience est une forme d’énergie, tout à fait
comme l’énergie générée par le barrage d’un réservoir qui retient
l’eau. C’est un potentiel prêt à nous rendre service.
Nous endurons patiemment les situations où nous sommes en contact
avec les émotions des gens qui nous entourent. Que nous recevions
ce que nous désirons ou pas, nous l’endurons avec patience. Si nous
sommes effectivement en mesure de lâcher prise et de poser les
choses, l’endurance et la patience deviennent une forme de
renoncement en soi. C’est une grande qualité pour nous soutenir
mutuellement dans la société et pour avoir une meilleure
compréhension de la vie.
DES PERSONNES MALADES
Le fait que nous soyons parfois mécontents, quand nous sommes
confrontés à la société, est dû au contact avec les dhamma du monde,
à la peur des autres. Si les gens sont contents de nous, ils nous
encensent ; s’ils sont mécontents, ils nous font des reproches. Quand
on nous fait des reproches, nous nous sentons vexés et abattus. Mais
si nous voyions tout cela dans une perspective d’attention et de
sagesse, nous réaliserions que ceux qui nous font des reproches sont
eux-mêmes dans un état de souffrance, qu’ils sont certainement
malheureux. On peut les comparer à des malades dont la santé se
détériore. Ceux qui s’occupent des malades, infirmiers et médecins,
savent bien que les malades se comportent souvent de manière
agressive et irritable. Infirmiers et médecins ne tiennent pas compte
de ces attitudes qu’ils considèrent normales pour des personnes
malades.
Notre situation est semblable. Nous devons considérer les personnes
qui nous critiquent de telle sorte que cela éveille en nous amitié
bienveillante, bonne volonté et compassion car ceux qui critiquent
ont certainement le coeur affligé et ne savent plus où ils en sont. Si
nous pouvons éveiller de tels sentiments de bienveillance en nous,
nous ne réagirons pas à leurs propos mais exprimerons, au contraire,
amitié et soutien. Nous donnons ainsi à leurs émotions une occasion
de se calmer et de s’apaiser.
18
ILS N’EN VEULENT PAS
Quand le Bouddha s’est libéré de toutes les pollutions mentales liées
à l’avidité, à la haine et à l’ignorance, il a pu mener une vie sans
négativité ni colère. Son esprit était plein de bienveillance et de
compassion. Mais pas le type de compassion qui est encore associé
au désir. Quand la compassion va de pair avec le désir, elle est
encore insuffisante, pas encore purifiée.
Le Bouddha a simplement proposé de regarder le monde à la lumière
de la vacuité ; de voir, au travers du monde, sa vacuité. Il n’a pas dit
que nous devrions penser que nous sommes censés aider et soutenir
toute personne que nous rencontrons pour peu qu’elle soit dans la
peine ou la souffrance. Ce n’est pas ainsi que le Bouddha voyait le
monde.
Le Bouddha a dit : « Le monde est dirigé par le karma7 ».
Si nous commençons à donner des conseils aux gens qui sont encore
sous l’influence de leurs dispositions karmiques, ils ne vont pas
apprécier nos conseils, ils ne vont pas accepter notre aide. Ils n’en
veulent pas.
Vous pouvez comparer cela à donner à des animaux, des vaches, par
exemple, de la nourriture pour humains. Elles n’en veulent pas. Ce
qu’elles veulent, c’est de l’herbe !
EBLOUIS PAR LE MONDE
Le Bouddha a enseigné que les êtres du monde – le monde de l’esprit
– se retrouvent constamment au royaume du désir des sens. Nous
constatons que la sensualité nous emporte. Nous voyageons sans
cesse au royaume des désirs où tous les objets sont désirables.
Le mot « objets désirables » se réfère en réalité à ce « moi » et aux
choses matérielles qui y sont liées. Elles nous donnent le sentiment
d’être obsédés, éblouis et captifs. C’est pourquoi le Bouddha nous a
appris à faire un effort pour reconnaître ces processus, à l’oeuvre tant
7 Karma (ou kamma en pāli) : la loi de cause à effet qui régit toute action
commise intentionnellement.
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dans le monde qu’en nous, au moyen d’une vision pénétrante. Si
nous nous concentrons sur ces processus pour les voir dans leur vraie
nature, nous verrons que ce sont des expériences très loin d’être
parfaites et, de toute évidence, inadéquates.
Nous devons prendre conscience du fait qu’être ébloui par le monde
est un état d’imperfection qui nous conduit au mal-être et à toutes
sortes de chagrins et de deuils. Aussi bien la douleur que le plaisir, le
bon que le mal, finissent par occasionner le sentiment d’être
prisonniers d’un état de souffrance qui nous brûle de l’intérieur.
Nous devons faire un effort pour voir cela, de façon à réagir et à
changer d’attitude, en prenant pleinement conscience du danger
inhérent à la ronde de l’existence. Ainsi, nous devenons vigilants et
attentifs quand nous sommes en relation avec le monde ; nous
voyons l’attrait pour le monde comme quelque chose dont il faut se
libérer, de même que tous les attachements et les pièges qui y sont
associés. Peu à peu, nous aspirons à la Libération, nous échappons à
notre identification au « moi ».
BIEN EQUIPES
Si on divise les dhamma qui mènent à l’Eveil, comme cela se fait
généralement dans les Ecritures bouddhistes, on voit qu’ils
comprennent :
- les quatre efforts justes
- les quatre fondements de l’attention
- les quatre bases d’énergie
- les cinq facultés
- les cinq forces
- les sept facteurs d’Eveil
- le Noble Octuple Sentier
Si on voulait résumer tous ces facteurs en un seul, ce serait
certainement le facteur de l’Attention. Nous sommes tous ici déjà
bien équipés, d’une manière ou d’une autre, pour pratiquer les quatre
fondements de l’attention puisque ceux-ci sont basés sur le corps, les
sensations, l’esprit et les dhamma ou phénomènes mentaux. Nous
avons un corps et nous avons des sensations et des sentiments, qu’ils
soient de bonheur ou de malheur, d’appréciation ou d’aversion.
Notre mémoire et notre conscience sont bien développées. Nous
20
ressentons des sankhara – toutes ces proliférations mentales, bonnes
ou mauvaises –, et nous avons une conscience sensorielle (viññanā),
c’est-à-dire la faculté de recevoir des informations qui arrivent par
les organes des sens. Nous devons donc vraiment mettre en pratique
cet enseignement sur l’attention.
L’attention doit être établie en lien avec toutes les situations de notre
vie et dans l’instant même où elles se présentent. C’est pourquoi le
Bouddha a enseigné que nous devions mener notre vie en pleine
conscience et avec une claire compréhension, en nous concentrant
avec attention, en observant et en investiguant.
Ce que nous devons faire en premier, c’est essayer de poser notre
esprit dans l’instant présent, sans nous préoccuper du passé ni de
l’avenir. Ainsi l’instant présent apparaît (dans notre esprit) et nous
nous plaçons dans cet espace de perfection absolue. L’instant présent
est à la fois cause et effet dans la mesure où c’est dans l’instant
présent que nous créons des causes, bonnes ou mauvaises, dont les
effets se manifesteront dans l’avenir. C’est pour cette raison que le
Bouddha a enseigné que nous devions mener notre vie dans la
présence consciente.
Donc, ces dhamma qui mènent à l’Eveil, nous les possédons déjà.
Quand nous nous retrouvons pour pratiquer et nous entraider, en
particulier quand nous vivons dans un endroit comme ce monastère,
nous n’avons pas besoin de ressentir tous les liens qui nous attachent
au monde extérieur ni tout le chaos et les difficultés de la société.
Tout ce qu’il nous reste à faire, c’est nous étudier, nous observer de
manière plus attentive et plus pondérée. Observer les choses avec
attention et pondération fera émerger la vision juste (sammā ditthi) et
la vision juste est, elle-même, synonyme de paix.
Que voit-on quand on a la vision juste ? On voit dukkha comme
quelque chose qu’il faut reconnaître ; on voit la cause de dukkha
comme quelque chose qu’il faut abandonner ; et on voit la cessation
des trois caractéristiques de l’existence8 comme quelque chose qu’il
8 Les Trois Caractéristiques de l’existence telles que révélées par le Bouddha
sont : anicca, l’impermanence ; dukkha, la souffrance ; et anattā, le non-soi
ou impersonnalité de tous les phénomènes.
21
faut réaliser. On voit aussi que notre relation à la vie peut être
empreinte de réserve et de modération. Ce sont les Quatre Nobles
Vérités : dukkha, son origine, sa cessation et la voie. Vivre sa vie
selon ces vérités, c’est le bodhipakkhiya dhamma, le dhamma qui
mène à l’Eveil. La vision juste nous apporte une claire
compréhension des choses, la paix, la fraîcheur. Elle nous conduit à
la pureté de l’esprit.
Ces dhamma sont des qualités qu’il est bon que nous développions et
utilisions au quotidien. Tout le monde en est capable pour peu que
l’on investisse de l’effort, que l’on y mette son coeur, que l’on y
accorde de l’importance et que l’on persévère, que l’on n’abandonne
pas. Cela s’appelle avancer sans trêve jusqu’au bout du chemin,
jusqu’au succès.
« Viriyena dukkham accenti » :
dukkha peut être surmonté par l’effort.
Cette phrase du Bouddha est très claire. Nous devons donc nous
comporter en conséquence et pratiquer pour y parvenir. Ne tombez
pas sous l’influence des obstacles que sont la paresse et le
relâchement. Le laisser-aller et la léthargie nous affaiblissent, nous
drainent de nos forces et nous encouragent à l’endormissement. Ce
dont nous avons besoin c’est de détermination. Avez-vous déjà
entendu ces paroles de détermination du Bouddha ?
« Je m’engage, même s’il ne me reste que la peau sur
les os, même si la chair et le sang de mon corps se
dessèchent, à ne pas relâcher mon énergie ni cesser
mes efforts, à ne pas bouger d’ici jusqu’à ce que j’aie
atteint l’Eveil. »
Ce voeu du Bouddha montre à quel point était grande la force de sa
détermination. C’était un être réellement noble. On pourrait dire que
c’était un être idéal, parfait, un « héros » à la force d’esprit
exceptionnelle, inégalable. A aucun moment, il ne s’est dit : « Je n’y
arriverai pas » car le Dhamma est une chose que les êtres humains
sont capables de réaliser et de mettre en pratique. Nous sommes tous
des êtres humains et cela devrait nous suffire pour comprendre qu’il
doit y avoir au moins une manière de faire apparaître ce qui est
vraiment bénéfique.
22
AUCUN CONFLIT
Dans un certain sens, ce que l’on appelle « l’entrée dans le courant »
(sotāpatti) dans les Ecritures, signifie une diminution la « force
ajoutée » que nous investissons dans la façon dont nous vivons notre
vie ; on devient quelqu’un qui est possédé par la paix. Celui qui est
entré dans le courant a moins d’avidité, de désir, de haine, de colère
et moins d’ignorance de la réalité des choses. Cela signifie qu’il vit
sa vie moins violemment. Toutes les formes de conflits deviennent
de moins en moins importantes et finissent par se dissoudre.
Une vie sans aucun conflit est une vie où l’on se sent vraiment
heureux. Cette forme de bonheur arrive lorsqu’il n’y a plus aucun
trait de caractère négatif. Il n’y a rien qui puisse engendrer l’anxiété
d’aucune sorte. C’est vraiment une bonne façon d’exister.
A l’époque du Bouddha, il y avait beaucoup de gens qui vivaient
ainsi parce que les disciples du Bouddha menaient généralement leur
vie de manière vertueuse, attentive et éveillée. Si une personne a
développé cette capacité à être constamment présent et conscient de
ce qui est, sa vie spirituelle et émotionnelle est généralement très
saine. Elle a le sentiment d’être sur une voie sans obstacles et sans
dangers.
Mener sa vie ainsi n’est pas réservé aux moines et aux nonnes. Toute
personne vivante a le devoir de vivre avec une attitude d’esprit qui
n’engendre pas les conflits.
AUCUNE INQUIETUDE
Une fois que l’on est détaché des plaisirs sensoriels et des états
d’esprit négatifs dans la pratique, toutes sortes de choses cessent
d’arriver à l’esprit et d’y proliférer, même les pensées (vitakka). Il ne
reste que l’attention et la claire compréhension de ce qui est. Tout
l’éventail des pensées malsaines a été abandonné.
Dans « les pensées malsaines », il faut inclure le désir d’avoir
toujours davantage de plaisir dans la vie. Comme nous le savons, se
délecter des plaisirs des sens est considéré comme un danger, dans
les enseignements du Bouddha, de même que le désir d’en avoir
23
toujours plus à l’avenir. Toutes ces pensées doivent absolument être
coupées à la racine.
Quand les états d’esprit malsains disparaissent, il demeure un
sentiment de joie quasi-extatique (pīti) et un grand bonheur (sukha).
Tout de suite après la joie vient le ressenti de cet immense bonheur.
Mais, si on y regarde de près, ce bonheur lui-même a ses
inconvénients. Il peut se transformer en une distorsion de la
perception appelée vipallāsa. Vipallāsa est le contraire de vipassanā.
Vipassanā est la révélation de la clarté, une expérience de
compréhension totale. Ainsi, quand ces sentiments de joie extatique
se présentent, ce que nous devons faire, c’est continuer à maintenir
l’attention de manière soutenue de sorte qu’au moment où cet
immense bonheur arrive, nous ne perdions pas notre chemin.
Ne tombez pas dans l’erreur de croire que vous avez atteint ceci ou
cela. Il faut être capable de lâcher tout cela et d’arriver au niveau de
l’équanimité (upekkhā). Autrement dit, cessez de spéculer et de vous
inquiéter, soyez simplement vigilants. Restez dans la réalité du
moment présent, le paccuppanna dhamma. N’ayez aucune
inquiétude à propos de quoi que ce soit.
Si on pratique ainsi, un véritable bonheur apparaît, dépourvu de tout
souci par rapport aux choses extérieures : on ne s’inquiète plus de ses
conditions de vie, que l’on mange ou pas n’a pas d’importance. Le
Bouddha nous l’a prouvé par son Eveil. Avez-vous remarqué
qu’après avoir finalement mangé le riz au lait offert par Sujāta (le
jour de son Eveil), tout ce qu’il a fait c’est engager toute son énergie
dans la méditation ? Il ne s’est pas préoccupé le moins du monde de
ce dont il avait besoin pour vivre. Tout ce que le Bouddha a
consommé a été l’extase du détachement qui résultait du fait qu’il
avait déraciné ses désirs et ses impuretés mentales.
Cette expérience change tout de manière radicale. Il n’y a plus de
bon et de mauvais, tout devient bon, c’est une loi de la nature. Ce
changement se produit automatiquement, régulé par la nature. A ce
moment-là, on a le sentiment de ne rien désirer, de ne pas aimer ou
détester les choses comme le font les gens ordinaires. On utilise
toujours les organes des sens, mais de telle sorte qu’ils ne donnent
pas lieu à la création d’une image déformante de la réalité. L’oreille
entend toujours des sons mais pas leur contexte trompeur. Les yeux
24
voient des choses, des hommes et des femmes, par exemple, mais
sans fabrications mentales attachées.
C’est une expérience différente de ce que vivent les êtres ordinaires
non éveillés, lesquels se disent aussitôt : « C’est bon » quand ils
voient quelque chose ou : « Ce n’est pas bon » quand ils voient autre
chose. La différence tient au fait que la personne éveillée n’a pas de
réactions d’acceptation ou de refus. C’est en cela que l’Eveillé se
distingue de la personne ordinaire. Telle est la nature du changement
qui s’opère dans l’Eveil.
Avez-vous jamais ressenti cela ? Tout le monde peut le ressentir !
[Rires]
25
QUESTIONS ET REPONSES
Question : Quand on utilise le mot « Bouddho » pour pratiquer la
méditation, doit-on le prononcer à voix haute ?
Cela n’a pas d’importance. Si on est seul, on peut le dire à voix haute
mais, en groupe, ce n’est pas nécessaire.
Quand on inspire, on répète la syllabe « boud- » et quand on expire,
« -dho ». Ce que l’on répète, c’est un nom dans une langue que les
gens respectent (le pāli) et cela engendre des sentiments positifs.
« Bouddho » signifie : « Ce qui sait et qui est éveillé ». Ce mot se
réfère à un réveil, comme lorsqu’on a fini de dormir. Quand on
reprend conscience, que l’on se lève et que l’on commence à avoir
toutes sortes d’impressions sur ce qui nous entoure, on utilise la
faculté de connaissance et d’éveil.
On peut aussi choisir une autre méthode : concentrer son esprit avec
une pleine conscience et être attentif aux états mentaux qui se
présentent, les observer de façon à développer une certaine
compréhension de sa propre activité mentale. Le Bouddha a dit
qu’observer son esprit est gage de sécurité. On l’observe pour se
libérer des pièges de Māra. Dans ce contexte, « Māra » fait référence
à certains sentiments que nous ressentons dans notre esprit et que
nous appelons nos « humeurs ». Le Bouddha a dit :
Ye cittam saññamessanti mokkhanti mārabandhanā
Celui qui est attentif à son esprit est libre des pièges de Māra.
(Dhammapada 37)
Q : J’ai entendu dire que vous aviez assisté à des crémations au
crématorium de Melbourne. Quelles réflexions pourraient nous être
utiles à ce propos ?
On peut prendre ce que l’on voit dans un crématorium comme thème
d’auto-questionnement. Par exemple : « Aujourd’hui on a brûlé cette
personne mais nul ne sait qui on brûlera demain. Peut-être moi ? »
26
Ce sont de bonnes questions parce qu’elles nous apprennent à faire
face aux réalités de la vie. Quand surgiront les événements
inévitables que la vie nous apporte, nous ne serons pas perturbés.
Le Bouddha a dit qu’il était bon de visiter des lieux de crémation
pour ne pas s’égarer dans les plaisirs et les distractions au point
d’être victime de la passion. Nous regardons ce qui peut aider à
diminuer la force de nos désirs et de nos aversions. Nous regardons
les crémations pour amenuiser l’illusion de notre propre importance :
« C’est moi, c’est à moi », etc. Se remettre ainsi en question peut
apporter un certain degré de paix à l’esprit.
Q : Est-il possible que de telles réflexions sur la mort nous
dépriment ? A-t-on besoin d’être guidé par un maître pour le faire ?
Sinon comment éviter de tomber dans la dépression ?
Au début, il est possible que de telles réactions apparaissent mais,
une fois que l’on s’est habitué à pratiquer cette contemplation sur
une longue période de temps, les choses changent.
Cela me rappelle l’époque où, jeune homme, je retrouvais mes amis.
Tout le monde avait l’air de bien s’amuser comme le font les jeunes
gens mais, s’il m’arrivait d’aborder le sujet de la mort, il était évident
que personne ne voulait en parler. Ils s’enfuyaient tous pour éviter le
sujet !
Les gens ne veulent pas regarder en face les choses comme la mort.
Ils ne veulent pas se sentir concernés ; c’est comme si cela portait
malheur. Mais quand je soulevais le sujet, c’était pour le leur
rappeler, pour les rendre conscients de la mort. Dans la province de
l’Isan d’où je viens, au nord-est de la Thaïlande, on organise une
cérémonie pour les défunts qui s’appelle « la fête de la bonne
maison ». Cette cérémonie a pour but de nous rappeler à la réalité de
la vie.
Q : Je vous vois assis là, souriant, détendu, de bonne humeur mais si
je tourne mon regard vers moi, je vois que je suis toujours dans la
souffrance et que je n’arrive pas à sourire. Est-ce parce que je n’ai
pas encore pratiqué le Dhamma correctement ?
27
Vous seul pouvez le savoir … Cependant, la pratique a probablement
besoin d’être soutenue pour se raffermir. Ensuite, s’il y a plus de
force, les choses se dénouent d’elles-mêmes.
Q : Peut-on dire qu’une partie de la pratique est comme escalader
une montagne – ce qui est fatigant, bien sûr – mais une fois que l’on
a atteint le sommet, toute la lassitude disparaît ?
Oui, c’est probablement comme cela. Ajahn Chah citait souvent un
proverbe local : « Si vous grimpez à un arbre, ne traînez pas,
n’hésitez pas, ne faites pas marche arrière. Si vous escaladez une
montagne, avancez lentement et progressivement. »
Q : Y a-t-il moyen de ressentir toujours de la joie quand on pratique
ou faut-il qu’il y ait aussi de la souffrance ?
Si on prend un repas, le but est d’être rassasié. Si nous ne nous
arrêtons pas de manger, nous sommes sûrs d’être rassasiés. Pendant
que nous mangeons, nous avons encore le désir de nous libérer de la
faim mais si nous continuons à manger, la faim disparaîtra.
Q : Même si nous souffrons encore pendant que nous pratiquons,
nous développons aussi certainement de bonnes qualités. Que
conseillez-vous ? Quelles qualités devrions-nous développer ?
Il y a toutes sortes de qualités mais, quelle que soit la forme qu’elles
prennent, elles doivent avoir un seul et unique but : nous soutenir
afin que nous n’ayons pas à souffrir. Le Bouddha a appelé cette vertu
puñña9.
Quelles sont les qualités comprises dans puñña ? Entre autres :
soutenir et aider les autres. Par exemple, si nous sommes témoins
d’un accident, en voyage, nous pouvons apporter de l’aide. En aidant
les autres, nous développons mettā
10. Ainsi on offre aussi quelque
chose aux autres. De nos jours, en Thaïlande, les gens ont peur de
porter secours lors d’un accident. Autrefois les gens étaient honnêtes
9 Puñña : mérite, vertu, karma positif.
10 Mettā : souhait de bienveillance envers tous les êtres.
28
et on pouvait leur faire confiance mais ce n’est plus le cas
aujourd’hui. Maintenant, si quelqu’un porte secours à un accidenté
sans réfléchir et s’il n’y a pas de témoins, il peut se retrouver accusé
d’avoir lui-même causé l’accident. C’est pourquoi les gens sont
devenus méfiants. C’est le symptôme d’une société en mutation où
les gens ne font plus confiance à leurs voisins. Mais aider les autres
est une façon de développer la bonté et le soutien mutuel.
S’abstenir de faire le mal, ne pas s’aventurer sur ce que l’on appelle
« la voie des désastres de l’enfer » est aussi une façon de créer des
sentiments positifs. En réalité, toutes les choses que les êtres
humains ont inventées et créées sont censées apporter de bonnes
choses mais si elles sont mal utilisées, elles deviennent dangereuses
et peuvent faire du mal. Des drogues comme la morphine ou la
caféine, par exemple, sont très répandues. Si elles sont utilisées à
mauvais escient, les gens peuvent devenir fous et leur système
nerveux être déséquilibré. Il est important que nous fassions la
différence entre ce qui est bon et ce qui ne l’est pas. Le Bouddha
avait certainement de bonnes raisons quand il nous a demandé de
nous abstenir des choses qui engendrent le conflit ou l’agressivité, et
d’être déterminés à bien agir. C’est une question d’intention.
Le tout début de l’entraînement sur la Voie du Bouddha est la
pratique de sīla11. Ensuite, on développe la pratique de la méditation
en maintenant une attention continue, notamment en étant attentif à
toutes les postures du corps. Enfin, il faut mener sa vie avec
discernement et sagesse.
L’autre jour, j’ai parlé du fait que nous dépendions de l’énergie
électrique dans notre vie quotidienne. Quand nous utilisons la
lumière électrique, nous devons être attentifs et conscients de ce que
nous faisons (car l’électricité peut être dangereuse). Si elle est
utilisée avec sagesse et discernement, l’énergie électrique est très
bénéfique et très utile ; nous pouvons en retirer des bienfaits et
l’utiliser comme nous le souhaitons. Mais cela dépend d’une pratique
correcte.
11 Sīla : bonne conduite morale, comportement éthique.
29
Q : Je voudrais poser une question sur mettā en tant que pratique de
méditation. Je crois savoir que les maîtres de Thaïlande n’en parlent
pas beaucoup alors qu’elle est très populaire en Occident. Qu’en
pensez-vous ?
La raison pour laquelle les maîtres de Thaïlande ne parlent pas de
mettā en tant que pratique spécifique de méditation vient du fait que
l’on considère que la perfection de sīla entraîne automatiquement la
pratique de mettā. Bienveillance et comportement moral vont de
paire parce qu’un comportement juste et bon nous amène tout
naturellement sur une voie sans conflits.
Par ailleurs, il ne faut pas oublier d’ajouter uppekkhā, l’équanimité, à
mettā. Si la bienveillance manque d’équanimité, elle n’est pas
complète, et il se peut qu’elle ne se développe pas correctement dans
la pratique.
Attention aussi à ne pas confondre mettā avec « amour » et à ne pas
faire un amalgame des deux. Vous souvenez-vous de ce moine
anglais qui était resté près de 20 ans disciple d’Ajahn Chah et qui a
eu trop de « mettā » pour une amie handicapée ? Il a quitté la
communauté monastique pour l’épouser … et aujourd’hui ils sont
séparés, je crois, n’est-ce pas ?
Q : Puis-je vous demander des conseils pour diminuer le désir
sensuel ?
Au niveau le plus grossier, le désir sensuel est stimulé par la
nourriture. Si on peut agir sur ce facteur, le désir sera moins fort
mais pas au point de disparaître complètement. Par contre, il aura
suffisamment diminué pour que l’on puisse l’observer et l’étudier.
Mais si je poursuis sur ce terrain, je vais me mettre à dos toutes les
grandes chaînes d’alimentation ! [Ajahn Liem rit.]
Q : La nourriture thaïlandaise est-elle particulièrement dangereuse ?
Quelle que soit la nourriture, si on mange trop, il y a danger. Les
principes donnés par le Bouddha sont : connaître le juste équilibre et
la quantité appropriée. On appelle cela bhojhane mattaññutā :
connaître la juste quantité de nourriture.
30
Q : Est-ce que réfléchir à l’impermanence, à la souffrance et au nonsoi
selon la technique qui éveille la véritable sagesse est différent de
notre compréhension ordinaire ?
Oui, c’est différent. Si la réflexion est assez profonde, tout s’arrêtera.
Même si elle n’est pas aussi profonde que cela pour le moment, elle
est tout de même utile pour stimuler notre mémoire (saññā) et
permettre d’approcher la véritable sagesse.
Q : Mais si notre connaissance est seulement liée à la mémoire … ?
C’est utile aussi. C’est comme quand nous connaissons bien une
carte. Connaître une carte est utile.
Q : Je voudrais parler des sankhāra qui apparaissent et disparaissent
dans l’esprit – la colère, par exemple. La vue d’une certaine
personne peut suffire à éveiller ma colère. Quand cette personne
s’en va, la colère disparaît mais si, des années plus tard, je la revois,
la colère revient – et puis elle cesse à nouveau. Que faire dans des
situations comme celle-ci où la colère revient régulièrement ? On
dirait qu’elle reste présente dans le coeur …
En réalité, nous n’avons pas à maîtriser ou à essayer d’empêcher
quoi que ce soit d’apparaître. Nous devons seulement demeurer
conscients de nous-mêmes en permanence.
Les émotions comme celle-ci sont des visiteurs qui s’arrêtent au
passage pour nous voir. Mais elles peuvent être dangereuses, c’est
pourquoi nous devons y faire attention. Mais, comme l’a dit le
Bouddha, les choses qui apparaissent finissent aussi par disparaître.
Q : Il n’est donc pas nécessaire de chercher à comprendre pourquoi
nous nous mettons en colère ou d’y penser trop ? Est-ce que nous
devons seulement observer que la colère, après être apparue, finit
par disparaître ?
Enfin … il faut tout de même nous appliquer un peu à pratiquer la
méditation !
C’est comme quand on travaille – on a aussi besoin de se reposer de
temps en temps. Si le travail se combine avec le repos, on crée un
31
bon équilibre. Nous ne devons pas manquer d’attention dans nos
activités. Nous devons nous entraîner à développer la paix de
l’esprit, de temps en temps, pour être de plus en plus capables de
nous détendre. Mais le fondement de votre méditation ne doit pas
être le désir ni le besoin. Continuez à pratiquer la méditation
régulièrement jusqu’à ce qu’elle fasse partie de vos habitudes.
Q : Il m’arrive d’avoir des rêves très précis d’événements futurs,
comme des accidents ou autres mauvaises nouvelles. Devrais-je
m’en préoccuper, en parler ou garder cela pour moi ?
Il faut garder ce genre de choses pour soi. Si d’autres personnes sont
concernées, il n’est pas bon de leur en parler, notamment parce que
même si les messages sont parfois très clairs, d’autres fois ils
peuvent ne pas l’être.
Les rêves font partie des sankhāra, ils sont un débordement de
l’esprit. Peut-être parlent-ils de l’avenir ; parfois ils sont exacts,
parfois non. Il y a des erreurs. Nous pouvons les considérer comme
une forme de connaissance et les observer, mais nous ne devons pas
trop nous y attacher.
Q : J’ai entendu des gens parler de leurs visions de deva et de toutes
sortes de choses quand ils méditent. Pour quelqu’un qui est nouveau
dans la pratique et n’a pas beaucoup d’expérience, est-il important
de croire à ces visions ?
Ces phénomènes sont un obstacle au développement du samādhi ; il
faut en être bien conscient.
La façon correcte de pratiquer est, bien entendu, de pratiquer la
méditation samādhi où que vous soyez, mais sans pousser trop loin.
Il faut laisser assez d’espace pour que les sensations extérieures
continuent à être perçues et pratiquer en développant la modération.
Cette pratique doit être soutenue par certains facteurs que le
Bouddha a appelés « accomplissement des qualités du Dhamma »
(gunasamāpatti). Le premier facteur de soutien est la modération
grâce à sīla, un comportement sain et honnête ; le second est la
motivation ou l’intention. Motivation ou intention signifie être animé
32
d’un sentiment honnête et pur lié à une aspiration et une
détermination sans faille.
Le premier facteur, la modération de sīla, est lié à notre relation aux
« portes des sens » car c’est aux portes des sens que tanhā, le désir,
apparaît et c’est également là qu’il disparaît. Le désir apparaît en
fonction des choses agréables et attirantes que les yeux voient, que
les oreilles entendent, que le nez sent, que la langue goûte, ou que le
corps touche. Nous pratiquons la modération par rapport aux
réactions d’attirance ou d’aversion qui apparaissent dans notre esprit
au moment de ces contacts, de façon à ne pas les laisser prendre le
contrôle de l’esprit.
Il faut, à ce moment-là, déployer une détermination particulière car,
une fois que le plaisir et l’aversion sont apparus dans l’esprit, ils s’y
installent et on ne peut plus les arrêter. Ils deviennent des états
d’esprit à part entière et tout ce que nous pouvons encore faire, c’est
les observer jusqu’à ce qu’ils disparaissent. Le fait d’aimer quelque
chose est une forme de kāmatanhā, de désir sensuel, tandis que
l’aversion est une forme de vibhavatanhā, le désir de ne pas exister
ou de ne pas posséder. Nous devons observer sur quels chemins ces
sentiments nous mènent. Les attirances sont trompeuses, illusions, et
nous nous laissons emporter par le plaisir ou l’amusement qu’elles
engendrent. Elles stimulent le désir et les envies mais nous pouvons
les maîtriser quand nous modérons nos actions physiques. Nous
pouvons les mettre de côté.
L’autre facteur est également dangereux. Motivation et intention de
pratiquer peuvent devenir un véritable obstacle. Au départ, nous
venons tous à la pratique avec un esprit plein de foi et le sentiment
que nos aspirations sont satisfaites. Mais, à un certain moment, cette
satisfaction diminuera et, automatiquement, l’insatisfaction grandira
jusqu’au jour où nous serons découragés, fatigués et dégoûtés. Il est
normal qu’il y ait des moments de découragement dans la pratique.
C’est comme au travail : quand nous nous sentons forts, nous disons
que nous sommes capables d’accomplir notre tâche mais, quand nous
sommes fatigués, nous disons que nous n’en pouvons plus. Ainsi
vont les choses.
Dans notre pratique, nous devons constamment être attentifs,
observer et nous poser des questions : « Pourquoi ces états d’esprit
33
arrivent-ils ? » Peut-être ne serons-nous pas en mesure de les arrêter
mais ce que nous pouvons faire, c’est concentrer notre attention
dessus quand ils se présentent. Ainsi nous pratiquons au moins la
vigilance par rapport à ces facteurs qui nous mènent à l’erreur et au
danger. De cette manière, le sentiment d’être étouffé, déprimé ou
prisonnier dans un espace étriqué qui ne nous laisse aucune liberté
diminuera et nous serons détendus dans la modération.
Le troisième facteur de soutien de la pratique est bhojhane
mattaññutā, c’est-à-dire connaître la juste quantité de nourriture à
consommer. En fait, c’est dans tous les aspects de notre vie que nous
devons être capables d’évaluer la juste quantité des choses. Si nous
avions l’habitude de vivre dans un environnement où nous pouvions
satisfaire tous nos désirs, la situation dans laquelle nous nous
retrouvons ici pour pratiquer [dans un monastère] doit certainement
paraître étriquée. Nous allons ressentir toutes sortes de sensations
désagréables, notamment la faim et la soif, mais de telles expériences
nous permettent de connaître et de comprendre ces choses. Certaines
fois, ce que nous ressentons est tout à fait normal pour le corps : il
produit de l’urine et des excréments, donc il a des réactions de soif et
de faim ; il n’y a là rien d’inquiétant. Bien sûr, tout ce à quoi nous ne
sommes pas habitués nécessite une certaine adaptation qui peut
prendre du temps mais c’est faisable. Quand le corps finit par
s’habituer à un nouveau mode de vie, celui-ci n’a plus rien
d’inquiétant.
Cependant, ces doutes et ces inquiétudes sur les conditions de vie au
monastère sont souvent un gros problème pour les moines
nouvellement ordonnés. C’est pourquoi dans « les quatre dangers
pour les nouveaux moines », le Bouddha nous met en garde : ne
soyez pas quelqu’un qui est obnubilé par la pensée de son estomac et
ne soyez pas quelqu’un qui ne supporte pas les difficultés.
Le quatrième facteur de soutien de la pratique est jāgariyānuyoga, la
dévotion à l’état de veille. Ce facteur est lié au maintien de la
vigilance : on suit l’esprit et on maintient la clarté de l’esprit. Cela
signifie être attentif, ne pas laisser les mauvaises tendances se
manifester. Le mot « mauvais » se réfère à toutes ces choses en nous
qui obscurcissent et salissent l’esprit, et que nous ne connaissons que
trop bien. Le Bouddha a enseigné ce principe de dévotion à l’état de
34
veille pour que nous prenions conscience de tous les éléments
malsains qui agitent l’esprit. En même temps, il faut que nous
développions délibérément les qualités saines de l’esprit – et nous
savions certainement très bien ce que sont ces qualités.
Les qualités saines de l’esprit doivent être soutenues de toutes sortes
de manières pour éviter que n’apparaissent des sentiments de
découragement, de fatigue ou de résignation. Ceux-ci apparaîtront
peut-être quand même. Quand le manque de motivation et le
découragement surgissent, il faut leur faire face, les affronter et les
repousser. Nous devons nous en protéger. Vous n’êtes pas les seuls.
J’ai moi-même dû en passer par là et, pour être bref, je vous dirais
simplement que j’ai failli tout abandonner ! Mais nous devons nous
souvenir que nous sommes dans une étape d’apprentissage, que nous
avons encore besoin de nous entraîner et que tout cela prend du
temps. On ne s’adapte pas à de nouvelles conditions de vie en
quelques secondes. Il est naturel qu’il faille du temps pour tout.
Les deux derniers « dangers pour un nouveau moine » (après « être
obnubilé par son estomac » et « être incapable d’affronter les
difficultés ») sont : l’engouement pour les plaisirs sensoriels ou
rechercher toujours plus de bonheur et, enfin, le danger dont nous
devons tous être conscients, quel que soit notre sexe : les relations
hommes-femmes.


37
Q : Au moment où l’on a une sensation agréable, saññā12 apparaît
et nous dit que cette sensation agréable est désirable. C’est un
mécanisme automatique tant que nous ne sommes pas capables de
porter notre attention à temps sur les contacts sensoriels. Est-ce
bien saññā qui nous dit que cette sensation est désirable ?
Il faut arriver à vous mettre dans une situation qui ne soit pas
contrôlée par la force du désir. Nous pratiquons pour pratiquer, pas
parce que nous désirons quelque chose.
Examinons les choses liées à la pratique que nous pouvons voir par
nous-mêmes. Cela nous ramènera peut-être en arrière dans le temps
mais nous en tirerons des indications pour notre pratique. Prenez le
Vénérable Ananda, par exemple, le compagnon et serviteur du
Bouddha. Vos études vous ont certainement appris ce qui s’est passé
une fois que le Bouddha a quitté son corps. Le Vénérable Ananda a
évoqué une image, un souvenir (saññā ārammana) qui lui venait du
Bouddha lui-même. Le Bouddha lui avait dit qu’il serait capable
d’atteindre le bout de la pratique dans cette vie. Lorsque le premier
Concile fut prêt à se réunir, le Vénérable Ananda, se souvenant
parfaitement de cela, multiplia ses efforts. Il ne cessait de marcher en
méditation, s’épuisant complètement à la poursuite de son désir
d’Eveil jusqu’à ce que, finalement il se résigne et abandonne tout
espoir d’obtenir ce qu’il désirait. Il se dit que le Bouddha avait
seulement voulu l’encourager par bonté. Mais, à l’instant même où il
se détendit et abandonna son désir, il tomba naturellement dans un
état où il n’y avait plus de désir de quoi que ce soit. Ce fut une
expérience de paix et de silence et, finalement, il fut libéré de toute
impureté de l’esprit.
Quel que soit l’activité que nous entreprenons poussés par le désir et
l’envie, elle sera insatisfaisante par certains côtés. Dans notre travail,
nos instructions nous viennent de notre activité elle-même. C’est
comme quand nous plantons un arbre : notre tâche consiste
simplement à creuser un trou, planter l’arbre, recouvrir les racines de
terre, donner de l’engrais et arroser. Le développement de l’arbre et
12 Saññā : mémoire ou perception.
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sa croissance, ce sont ses affaires ; nous n’y avons aucune part. Il y a
une limite à notre responsabilité.
Ainsi, dans notre pratique, quand nous disons qu’il faut « tout
donner », cela signifie laisser les choses être telles qu’elles sont.
Nous ne souhaitons pas que quelque chose soit comme ceci ou ne
soit pas comme cela. La pratique concerne le cours naturel des
choses. Progrès ou accomplissement – ces choses-là arrivent
automatiquement. Penser que l’on est génial ou le meilleur, ou avoir
n’importe quelle perception de soi, signifie que quelque chose ne va
pas dans la pratique.
N’oublions pas qu’il existe une règle selon laquelle le Bouddha
interdit aux moines de proclamer qu’ils ont atteint des états de
conscience élevés même si c’est vrai. Le Bouddha ne voulait pas que
les choses évoluent dans une direction qui ne soit pas juste. Ces
proclamations sont la porte ouverte à des ennuis tout à fait déplacés.
Pourquoi ne pas voir les choses différemment pour une fois ? Ditesvous
que là où se trouve la saleté, se trouve aussi la propreté. Si on
retire la saleté d’un endroit, il devient propre. De même, là où se
trouve la souffrance, se trouve aussi l’absence de souffrance.
En 1971, j’ai passé la saison des pluies avec Ajahn Sumedho. Les
jours de lessive, les moines lavent leurs vêtements dans de l’eau où
ont bouilli des morceaux de bois de Jaca. Ajahn Sumedho n’avait pas
encore l’habitude de laver ses vêtements de cette façon. Tout en
lavant, il demanda : « Mais où va la saleté ? La saleté est encore là. »
[Ajahn Liem rit]13. Bien que le vêtement soit encore sale, sa couleur
devient très belle !
C’est précisément là où nous sentons se manifester le désir que nous
trouverons le non-désir. Il faut simplement observer très
attentivement.
13 Cette façon traditionnelle qu’ont les moines de laver leurs vêtements
consiste à les faire tremper dans de l’eau bouillante colorée par le marron du
bois de Jaca. Il s’agit en fait d’une nouvelle teinture du vêtement à chaque
lavage. On ne rince pas d’eau sale et on n’essore pas avant d’étendre.
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Q : Est-ce ce que le Bouddha veut dire quand il dit que nous avons en
nous tout ce dont nous avons besoin pour pratiquer et pour voir le
Dhamma ? Devons-nous seulement faire l’effort d’essayer de
pratiquer pour voir ?
Le développement doit suivre un principe que le Bouddha a donné
comme ligne directrice, principe qu’il a trouvé approprié pour voir la
vérité : le principe de l’ariyavamsa, « la lignée des Nobles Etres ».
Le Bouddha définit les membres de l’ariyavamsa comme ceux qui
sont toujours satisfaits de ce qu’ils ont ou de ce qu’ils reçoivent. Ils
sont heureux et aisément satisfaits.
Nous savons tous ce que signifie « se contenter de peu » : il est
inutile de trop se charger. Etre aisément satisfait signifie avoir une
juste appréciation de ce qu’il y a et de ce qui se présente. Un membre
de l’ariyavamsa vit dans la modération et la retenue car tel est le
principe de base du moine. A l’époque du Bouddha, le Vénérable
Assaji personnifiait ce comportement : nous pouvons le prendre
comme maître et modèle pour le principe de la modération14.
J’utilise moi-même ce principe. Je le trouve très bénéfique. Il nous
aide à développer de nouvelles habitudes qui empêchent les actions
erronées et les défauts de se manifester. De plus, le principe de
retenue et de modération nous évite de désirer tout ce qui risquerait
de nous piéger et de nous asservir.
Avoir retenue et modération est quelque chose de très beau. Cela
dénote de bonnes manières qui sont agréables à voir. Quand on y
réfléchit, il est dit que le Bouddha est né dans la caste des rois et des
guerriers, un monde où les bonnes manières et l’étiquette sont très
importantes. Ce qu’un roi ou un guerrier faisait était censé être
impeccable.
En réalité, tout cela revient toujours à l’attention et à la présence
consciente, à être capable de discerner immédiatement les choses qui
se présentent dans la vie. En général, les gens jugent les choses de
manière globale ; ils appellent « bon » tout ce qui leur paraît agréable
et le reste est « mauvais ». Nous ressentons tous de l’attirance pour
14 C’est le comportement paisible et mesuré du Vénérable Assaji qui a
inspiré Sariputta à devenir, à son tour, disciple du Bouddha.
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certaines choses. Parfois on accepte même de faire quelque chose de
mal ou qui va causer du tort aux autres pour les obtenir. Est-ce
vraiment une bonne manière de se conduire ? Il faut réfléchir à ces
choses-là.
Notre comportement dépend de notre état d’esprit et de nos
émotions. Cela devient très évident à certaines occasions ; par
exemple quand on ressent du désir et de l’amour ou bien de la
jalousie, de la colère et de l’aversion. Si ces émotions sont
clairement perçues, elles sont l’outil parfait pour nous permettre
d’étudier, d’observer et d’apprendre. Si nous nous laissons
submerger par ces émotions, où sera notre outil de travail pour y
mettre fin, pour les déraciner et les empêcher de réapparaître ? Nous
devons utiliser une méthode pour travailler sur les émotions et, en
fait, tout cela revient à kammatthāna (les techniques classiques de
méditation), la pratique qui consiste à se connaître et à connaître ses
états d’esprit. Quand nous utilisons les méthodes kammatthāna,
aucun sentiment malsain n’apparaît.
Par exemple, dans la contemplation des différentes parties du corps,
nous utilisons « asubha » – ce qui n’est pas beau ou qui répugne –
comme outil. Peut-être que cette pratique ne nous plaît pas au début
mais, au bout d’un certain temps, nous constatons que c’est une
méthode très utile pour se libérer des problèmes liés à la sexualité et
au désir. C’est un processus de changement et d’ajustement – comme
quand on lave un tissu sale avec du détergent et qu’on le rend dans
l’état où on veut qu’il soit. Voilà pourquoi on a besoin des méthodes
de kammatthāna.
La pratique peut se faire dans toutes les postures : debout, assis, en
marchant ou allongé. A chaque fois qu’un certain ressenti apparaît,
nous appliquons notre objet de méditation pour l’observer et
l’étudier en profondeur. C’est comme quand quelque chose n’est pas
égal ou pas droit et qu’il faut l’égaliser ; ou comme quand on utilise
des matériaux bruts pour construire une maison : les matériaux bruts
ne sont pas parfaits au départ, il faut les mettre un peu en forme
d’abord.
Donner forme à notre pratique et l’ajuster de cette manière jusqu’à
ce que nous atteignions le but visé est parfois difficile et compliqué.
41
Mais ce n’est pas au-delà de nos possibilités. Si c’était au-delà de
nos possibilités, le Bouddha ne l’aurait pas enseigné.
Le Dhamma est un enseignement que les êtres humains sont censés
voir, censés comprendre. Quels sont les êtres qui trouvent l’Eveil ?
Les humains. Quels sont les êtres qui mettent fin à la souffrance ?
Les humains. Voilà ce qu’il faut se dire.
Là où se trouve le bonheur, se trouve la souffrance ; là où se trouve
la souffrance, juste là, se trouve la paix. C’est ainsi. Nous devons
observer longuement, faire un effort pour le comprendre. En fait, je
dirais que simplement observer suffit. Si vous l’avez vu, il n’y a rien
à voir. Si vous le regardez, cela va de soi. Tout ce qui se produit aura
pour fonction de nous donner l’occasion de développer la
compréhension.
Nous devons observer les choses à la manière dont on observe les
animaux sauvages dans la jungle pour voir comment ils vivent et
comment ils se comportent. Comme ils sont très timides et
facilement effarouchés, les animaux de la jungle essaient
généralement de se cacher ; ils ne tiennent pas à ce que les humains
connaissent leurs habitudes et leur mode de vie. De ce fait, quand
nous pénétrons dans la jungle, nous devons faire très attention à ne
pas effrayer ces animaux. Nous devons faire en sorte qu’ils ne nous
voient pas. Si nous comprenons comment il faut aborder la situation,
les animaux finiront par nous montrer leur nature et leurs habitudes.
Dans notre pratique de kammatthāna, c’est le même processus : nous
devons observer constamment et ce que nous avons observé finira
par révéler sa nature de lui-même. Nous finirons par voir nos
faiblesses. Nous serons capables de lâcher ce qui doit être lâché,
comme le Bouddha l’a dit. Nous devons focaliser notre attention sur
dukkha et finir par vraiment connaître sa nature.
Q : Luang Por, cette jeune fille, là, a une tumeur cancéreuse au
cerveau. Le médecin dit qu’elle va guérir mais le cancer est toujours
là. Comment doit-elle vivre avec cela ?
Tous les êtres humains ont un « cancer » – nous tous, ici ! [Ajahn
Liem rit.] Tout le monde a le « cancer », une maladie que l’on ne
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peut pas guérir : la mort. Même si l’on traite ce « cancer », il ne
partira pas. Vous comprenez ?
Nous ne pouvons pas passer notre vie à croire que nous allons
échapper à tous les problèmes. Le corps humain est un nid de
maladies – c’est dans sa nature. Ne pas s’inquiéter … c’est tout.
Prenez ce que vous avez et faites-en bon usage. Etre angoissé et se
faire beaucoup de souci ne fait qu’accroître l’inquiétude et cela
empêche le système physique de fonctionner correctement.
Moi aussi j’ai le « cancer ». J’ai consulté un médecin et, après
examen, il m’a dit que mon rythme cardiaque était irrégulier :
« C’est un peu anormal », a-t-il dit. J’ai répondu : « Non, c’est
normal. Ce coeur fonctionne depuis longtemps ; il est épuisé, c’est
tout. »
Au cours de la vie d’un être humain, il y a un moment où le corps
s’effondre. Tout doit suivre les lois de la nature – aucune inquiétude.
Quand le moment est venu, les choses font automatiquement ce
qu’elles sont supposées faire. [Il rit gentiment.] Détendez-vous. Si
votre coeur est en paix, vous pourrez ressentir du bonheur.
Quoi que nous ayons à vivre, le Bouddha voulait que nous soyons
« ce qui sait » et que notre relation à la vie soit telle que nous
puissions lâcher prise et laissez les choses suivre leur cours. Si nous
pouvons lâcher, rien ne pèse lourd. Ce n’est que quand on porte les
choses qu’elles sont lourdes. Porter les choses, c’est s’y attacher
comme si elles étaient nôtres alors qu’en réalité rien ne nous
appartient dans ce monde.
Il y a le monde extérieur – la surface de la planète terre – et il y a le
monde intérieur. Dans le monde intérieur, il y a les éléments qui font
partie du corps et qui constituent l’animal que nous appelons
« nous ». Mais on ne peut pas dire que l’ensemble de tous ces
éléments soit « à nous » parce qu’ils vont tous s’effondrer un jour.
Tout ce qui existe doit se désintégrer. Au bout du compte, tout
change pour se retrouver dans un état où rien ne nous appartient plus.
Le Bouddha voulait donc que nous voyions notre vie dans cette
perspective qui nous permet de ne pas mal percevoir les choses.
Quand nous les percevons mal, nous commençons à nous en saisir et
à nous y attacher ; nous nous faisons tant de souci que nous avons
43
l’impression d’être emprisonnés et attachés par toutes sortes de liens
– qu’il ne nous reste aucune liberté.
Quel que soit le type de maladie que nous ayons, je vous en prie, ne
croyez pas que c’est un énorme problème. Tout cela, c’est la nature.
Tout ce qui est apparu doit continuer à se transformer. C’est normal.
La maladie est quelque chose de tout à fait normal et naturel. Le
Bouddha nous a donc suggéré d’en faire un terrain d’étude et
d’investigation, et de trouver des méthodes pour la comprendre.
Ainsi nous pouvons guider notre ressenti vers une voie qui mène à la
libération de tous les obstacles. Il est possible que la paix, la
fraîcheur et le refuge arrivent du fait d’une maladie.
Par contre, si nous nous attachons aux choses, d’autres facteurs
s’attacherons à nous, comme la colère par exemple, ou encore la
convoitise et l’ignorance. Le désir, l’aversion et les concepts erronés
sont les principaux responsables des problèmes qui nous accablent.
Le Bouddha nous a enseigné à pratiquer et à approfondir les choses
précisément pour que ces états de mal-être n’apparaissent pas. Tous
les enseignements du Bouddha sont centrés sur dukkha et la façon
d’y mettre fin. Si on veut résumer les enseignements, on peut dire
que c’est là tout ce que le Bouddha a enseigné.
Dukkha existe à cause du désir. Il se renforce quand nous lui
permettons de s’installer mais il diminue si nous savons comment
l’arrêter et comprenons pourquoi. Nous sommes libres de dukkha si
nous savons comment lâcher prise. Nous avons donc besoin des
méthodes de lâcher-prise pour laisser aller les attachements. Nous
développons des manières de nous concentrer sur ce qui diminue le
sentiment de soi, la saisie de ce que le Bouddha appelait
attavādupādāna : l’attachement au soi.


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http://www.dhammadelaforet.org/sommaire ... ietude.pdf

avec metta
gigi
Ici et Maintenant pleine attention à la pleine conscience
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