Quelle est votre expérience concernant les Éveillés?

ardjopa

A vrai dire, je suis moi-même plutôt de tendance marxiste : donc je vois dans les rapports économiques, et non dans les rapports sociaux, la base des interractions humaines.
Etonnant pour un(e) bouddhiste d'être marxiste je trouve; Baser les "interractions humaines" seulement sur l'économie, c'est assez loin de la "compassion" fraternelle du dharma, qui se base plus sur l'aide aux autres, les qualités de coeur et esprit, plutot que sur l'argent;
Personnellement, les valeurs ou modes de vie qui me semblent les plus "justes" ou les moins pires, se rapprochent plutot de la vision libertaire-écologiste-individualiste, une forme d'anarchisme (mais avec des valeurs "socialistes" aussi, comme l'entraide,qui fait parti du "modèle de vie" de l'anarchisme socialiste, dans le sens où ce n'est pas la loi de la jungle ou du plus fort, mais liberté individuelle pour tous, et échanges basés sur "l'aide mutuelle" : ce que j'ai ou sais faire je te le propose, et en échange ce que tu as ou sais faire, tu me le proposes; une forme de troc ou de partage librement consenti et pouvant s'arreter quand on le veut) Sans ce "système économique" d'entraide, l'anarchisme a bien sur des risques de tomber dans la loi de "la jungle naturelle", mais pas forcément aussi nuisible que la loi de la jungle capitaliste, où les inégalités, l'avidité, la cupidité, les injustices sont souvent grandes aussi;

Pour rester sur le sujet des éveillés, je crois qu'une société "'éveillés" n'existerait tout simplement plus, car un éveillé s'est par définition libéré du samsara, et donc il n'a plus à "s'adapter" ou s'organiser pour vivre ou survivre sur terre, il est libre de faire ou de ne pas faire, de rester ou partir, comme un trait de lumière; D'ailleurs la plupart des "sages" (réels ou supposés) ont souvent vécu comme des "vagabonds", des solitaires, des ermites, des libertaires, des errants, et rarement en fondant famille, système de société, ni en amassant "richesses", barraques etc; Il suffit de lire la "vie" d'êtres comme Siddharta,Jesus, Lao tseu, et autres "yogis, samnaysins" et inconnus qui ne suivaient que le vent de leur esprit
Iskander

Ardjopa, sans présumer des orientations politiques de Flocon, il faut savoir qu'en sciences historiques et sociales, une approche marxiste implique justement une primauté donnée à l'économique et aux relations de classe dans l'explication des processus sociétaux et historiques. Marx était un penseur plus large que le mouvement politique qu'il a aidé à fonder. C'est un peu comme si une personne disait à l'autre, en parlant de biologie, qu'elle a une approche darwiniste, et qu'une troisième en passant l'accusait d'être eugéniste (en pensant que les deux autres parlaient de politique).

Pour ce qui est d'un groupe social dont tous les membres deviendraient éveillés, peut être qu'ils iraient chacun dans leur coin mourir de faim, je ne sais pas. Mais si on prend le Bouddha comme exemple, on voit que c'était plutôt un animal social, et qu'il maîtrisait et savait parfaitement s'adapter aux conditions et habitudes sociales de son temps. De plus, une société n'implique pas forcément l'existence de banques ou autres particularités de notre propre société. Peut être qu'une société éveillée serait justement très différente de la notre, ou peut être pas...
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Flocon
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Bah, le Dalai Lama dit couramment qu'il est marxiste, donc ça ne doit pas être si incompatible que ça avec le bouddhisme. :lol: Mais on est HS, je précisais juste ce point pour expliquer un peu à Iskander la divergence de nos points de vue en ce qui concerne la notion de "société".

J'ai retrouvé le passage du livre auquel je pensais : apparemment, Sheng Yen était d'accord avec toi, Iskander, il pensait que si le nombre des personnes sinon éveillées, du moins très avancées sur la voie bouddhique, augmentait, il serait possible de changer la société. Je cite quelques phrases du passage en question (c'est aux pages 54-56 de l'édition de poche des entretiens).
Cette purification de notre esprit et de nos actions est une condition préalable à notre purification de plus grands domaines du monde dans son ensemble. Je suis couramment impliqué dans un mouvement social, "Construire une terre pure dans le monde". Nous souhaitons manifester la Terre de Bouddha dans le monde humain. Pour que cette vision se réalise, nous devons d'abord purifier notre esprit et nos actions. Cela fait, nous serons capable d'influencer autrui profondément, de permettre à son esprit et à ses actions d'être purs. De cette manière notre monde pourra devenir une Terre Pure.
La pureté indique un état libre de la saisie illusoire du soi. Il est effectivement très difficile de purifier l'esprit. Une authentique réalisation de l'esprit pur, libéré des émotions négatives, commence lorsque l'on a experimenté la sagesse de la vacuité. Bien que ce soit un chemin difficile, nous ne devons pas nous décourager ni perdre espoir. Le début de la pratique consiste toujours à être une personne ordinaire. (...) Lorsque nous développerons tous la foi dans cette vérité (la possibilité pour tous les êtres de devenir des Bouddhas, selon un processus qu'il décrit dans les termes du Chan, dans le passage que j'ai coupé), la bonté découlera de nos actions. Notre monde deviendra une Terre Pure.
Bon, mieux vaut faire confiance à Sheng Yen qu'à moi, il en savait davantage sur le sujet :lol: :oops: . Le mouvement auquel il faisait allusion est sans doute Dharma Drum Mountain, dont il était le fondateur et sur lequel on peut trouver des informations ici.
Quand on sonde les choses, les connaissances s'approfondissent.
Les connaissances s'approfondissant, les désirs se purifient.
Les désirs une fois purifiés, le cœur se rectifie.
Le cœur étant rectifié, on peut réformer sa personne.

Kong Tseu
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Dharmadhatu
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jap_8 Rebonjour les amis,

Alors voilà, Iskander, quand je parle des Maîtres comme étant d'une grande humanité, il s'agit des qualités dont certaines sont évoquées dans les textes traditionnels, comme les 10 qualités d'un Maître du Mahayana par exemple.

En plus de ça, il y a chez eux de l'écoute, de l'espace sincèrement accordé aux gens, de la chaleur bienveillante et sans mièvrerie, de l'humour, de sourires, de profondes et véritables connaissances du Dharma, une éthique incomparable, beaucoup de modestie... Ceci n'est qu'un échantillon des nombreuses autres qualités humaines qui rayonnent de ces Maîtres à tel point que nombre de gens sentent les larmes couler quand ils les approchent.

Je ne sais pas quoi dire d'autre...

Amitié FleurDeLotus
apratītya samutpanno dharmaḥ kaścin na vidyate /
yasmāt tasmād aśūnyo hi dharmaḥ kaścin na vidyate

Puisqu'il n'est rien qui ne soit dépendant,
Il n'est rien qui ne soit vide.

Ārya Nāgārjuna (Madhyamakaśhāstra; XXIV, 19).
Iskander

Merci d'avoir pris la peine de rechercher et recopier ces références. Tu as tout a fait raison, la terre pure est bien le modèle bouddhiste d'une société Éveillée, J'avais complètement négligé ce point là.Le seul problème est qu'il me semble que dans la terre pure, les êtres sont si immatériels que la situation est tout de même bien différente de celle sur Terre. La société est différente, lorsqu'on ne doit pas manger, ou qu'on n'a pas de genre, ni de capacité reproductive.Il n'en reste pas moins que c'est une société, et donc il y a des rapports sociaux, il y aurait donc du potentiel à penser au cas de la Terre Pure.

Lorsque j'ai entendu pour la première fois parler de Terre Pure, j'ai été quelque peu rebuté, car cela me semblait être une énième version du jardin d'Éden. Mais j'avais oublié de prendre en compte que c'est un monde habité par des êtres proches de l'Éveil, et pas simplement un plan supérieur (comme celui des dévas). Je me demande si la Terre Pure est aussi peu détaillée que le paradis chrétien, ou s'il y a plus de matériel concret sur elle.

Pour ce qui est de l'avènement de la Terre Pure sur terre, c'est en effet une des hypothèses possibles d'un éveil de la société
Iskander

Dharmadhatu a écrit :Je ne sais pas quoi dire d'autre...
C'est déjà largement suffisant jap_8

Ceci étant dit, après une courte recherche, je n'ai pas pu trouver de détails sur les dix qualités que tu mentionnes. Est-ce que tu aurais un lien ou un extrait qui les détaillent?
ardjopa

Pour Flocon, vu qu'apparemment tu aimes bien les cyniques grecs dont Diogène, on a au moins ça en commun, mais peut-être pas autant que moi :lol: , il est d'après moi, au-delà des apparences et provocations, une sorte de "renonçant libre, bouddhistico-free style", un sage et surement un éveillé, un des seuls philosophes qui mettait en pratique ce qu'il prêchait, sa franchise (le "parler-vrai" ) et son détachement envers le confort, les richesses, les possessions, les honneurs, l'hypocrisie et les conventions sociales, il le vivait à chaque instant; Son modèle de société : plus de société, et retour à la nature, la liberté pour chacun, et la vertu pour tous, "le souverain bien", ce qui en fait à la fois un sage et un anarchiste, mais au-delà des anecdotes, possédant un grand sens de la justice

Je t'envoie son programme d'éveil ;-)

«Ce n'est pas pour rien que les gens de Sinope t'ont condamné à l'exilÉ» il rétorqua : «Eh bien moi, je les ai assignés à résidence !»
Si cette mésaventure contraignit notre futur philosophe à l'état de vagabond, elle eut l'avantage de le rendre plus modeste dans ses ambitions, moins crédule et plus circonspect dans ses croyances.
Peu de temps après son arrivée dans la capitale, se reposant dans une grange, Diogène surprit le secret de la vie en observant le comportement d'une vulgaire souris grise. Il constata que l'animal allait et venait en toute liberté mangeant ce qu'il trouvait sur son chemin, dormant n'importe où et n'importe quand, selon sa nature et son bon plaisir. Voilà donc, se dit-il, comment il pourrait lui aussi demeurer libre et se suffire à lui-même, sans adhérer aux conventions de la civilisation ou se soumettre aux volontés des puissants.
Suivre les cours de Platon était considéré comme une "perte de temps". Quant aux Mystères sacrés en l'honneur de Dionysos, il les appelait avec irrévérence «spectacles pour démagogues cinglés et valets de la populace !»
Il s'étonnait de voir les musiciens accorder les cordes de leur lyre, mais de laisser désaccordées les dispositions de leur âmes; les mathématiciens fixer leurs regards sur le soleil et la lune, mais ne pas remarquer ce qui se passe à leur pieds ; les orateurs mettre tout leur zèle à parler de la justice, mais ne point la pratiquer; et encore les philosophes mépriser l'argent dans leurs péroraisons publiques, mais le chérir par dessus tout dans leur vie privée.

Diogène tenait pour seule vraie la constitution qui régit l'univers.
«N'aie qu'un ami : toi ! L'homme se suffit à lui-même».
«La vertu est le souverain bien ; la beauté son reflet».
«La science, les honneurs, les richesses sont de faux biens qu'il faut mépriser».
«Ne t'engage à rien, ne souscris à rien, ne t'encombre de rien, un homme libre n'a ni femme, ni maître, ni obligation, aucun de ces fardeaux qui pourrissent la vie et l'enlaidissent».
«Moque-toi des conventions sociales et oppose-leur la nature; affranchis-toi du désir, réduis tes besoins au minimum et tu seras le plus heureux des hommes !» tels étaient les bases de sa philosophie.

Son programme tenait en quelques mots : «Je m'efforce de faire dans ma vie le contraire de tout le monde». Il justifiait sa conduite en affirmant que les hommes s'imposent des efforts démesurés oubliant de vivre simplement et sainement selon la nature.
Pour Diogène la liberté de penser, la liberté intérieure et la liberté sociale forment un tout indissociable.
Deux mille ans avant Nietzsche, Diogène «s'est employé à renverser tous les tabous et à déconstruire la société dans ses fondementsÉ»
Refusant la civilisation, le progrès, la compétition; dénonçant sans relâche la vanité et l'hypocrisie, il est l'apôtre de la simplicité, du courage et de la vertu naturelle et spontanée
«Nécoute pas les radoteurs qui te disent : "Ne fais pas ceci, ne fais pas cela»!" ou affirment : "Quand on est jeune il est trop tôt, quand on est vieux il est trop tard !" Fais ce qui te plaît, quand il te plaît, où il te plaît !»
«Pour vivre heureux, dispose dÕune raison droite ou dÕune corde pour te pendre. Construis ta vie comme une œuvre d'art, forte, unique et parfaite. Érige en toi ta propre loi, à la fois inébranlable et vivante.»
«Les bêtes sauvages et libres sont plus heureuses que les hommes. L''homme qui n'est pourtant qu'une bête trahit sa nature profonde en se conformant aux opinions de la foule.»
«Homme, tu es le seul dieu assez puissant pour te rendre heureux. Sois à toi-même ton propre maître et ton esclave. Entraîne-toi à tout surmonter, c'est de la boue et de la souffrance que naissent les âmes fortes.»
A un autre qui lui demandait quelle était sa patrie, il répondit fièrement : «Je suis un citoyen du monde !»

Diogène ne fut pas homme de compromis. Anarchiste dans l'âme mais vertueux à sa façon, chantre de la liberté et du libertinage, il est cohérent avec lui-même de même qu'entre ses actes et ses paroles. Il souhaite vivre dans la simplicité selon l'ordre naturel, prenant les animaux comme modèles plutôt que les propos des sophistes.
Ainsi, Socrate le rencontrant un jour dans une rue d'Athènes, vers midi, une lanterne allumée à la main, marchant dans la foule sous un soleil éblouissant, lui demande : «Que cherches-tu, Diogène, avec ta lanterne, en plein jour ?» «Un homme, répondit-il, un homme véritable, qui ait de la superbe !»
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Dharmadhatu
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jap_8 Rebonjour Iskander,

J'ai retrouvé une citation du Mahayanasutralamkara dans le Lam Rim Chenmo de Djé Tsongkhapa, section The Defining Caracteristic of the Teacher to Be Relied Upon:

... With respect to this, Maitreya says in his Ornament for the Mahayana Sutras (Mahayana-sutralamkara):

Rely on a Mahayana teacher who is disciplined, serene, thoroughly pacified;
Has good qualities surpassing those of the students; is energetic; has a wealth of scriptural knowledge;
Possesses loving concern; has thorough knowledge of reality and skill in instructing disciples;
And has abandoned dispiritedness.

...


Amitié FleurDeLotus
Dernière modification par Dharmadhatu le 28 février 2012, 12:02, modifié 1 fois.
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Puisqu'il n'est rien qui ne soit dépendant,
Il n'est rien qui ne soit vide.

Ārya Nāgārjuna (Madhyamakaśhāstra; XXIV, 19).
ardjopa

De l'auditeur disciple au guide, il y a une troisième voie
Du troupeau au "dieu qui décide", l'aube est d'être son propre roi

Quand le chameau des méharées, s'éloigne et suit son chemin
Il devient ce lion libéré, rugissant, rival du divin
Lorsque ce même lion enfin, compatit pour ses compagnons
Il s'assagit, juste et serein, sans plus d'entraves, ni rebellion

Il retourne parmi les êtres, y semer le sage elixir
Qu'en troupeaux on peut bien y naitre, mais non y vivre et y mourir
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Flocon
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Ardjopa, nous avons déjà discuté des cyniques, qui étaient très différents des bouddhistes. Je ne pense pas qu'on puisse qualifier Diogène, Cratès et compagnie d'"éveillés" au sens bouddhiste et donc pour moi, le point que tu soulèves est hors sujet. Désolée. :oops: loveeeee

Iskander, la notion de "terre pure" est en effet une notion bouddhiste un peu difficile à appréhender. J'ai moi-même eu beaucoup de mal avec, et je crois que je suis encore assez loin de bien la maîtriser :oops: . Elle n'a rien à voir avec ce que le judaïsme et le christianisme appellent l'Eden, en tout cas, c'est certain. Et pas davantage avec la "cité céleste" de ces deux religions, pas plus qu'avec le paradis islamique. Il existe énormément de textes à ce sujet : si je le comprends bien, Sheng Yen dans le passage que j'ai cité parle d'une Terre Pure de "résidence commune", qui accueillerait tous les êtres ayant simplement passé le seuil de la foi dans le Dharma. Il ne pense pas à une Terre Pure comme celle d'Amida, qui est une Terre "de lumière" qui accueille les êtres parvenus à la dernière étape avant l'éveil. Du moins si l'on se réfère à la typologie des Terres Pures de l'école chinoise Tiantai, à laquelle il fait allusion dans le passage que j'ai coupé.
Mais bon, tout cela est compliqué.
Quand on sonde les choses, les connaissances s'approfondissent.
Les connaissances s'approfondissant, les désirs se purifient.
Les désirs une fois purifiés, le cœur se rectifie.
Le cœur étant rectifié, on peut réformer sa personne.

Kong Tseu
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