antodume a écrit :quand un maître zen rinzaï (je m'efforcerai de le préciser car les protocoles ne sont pas les mêmes dans le sôtô) est en sanzen (entretien individuel) avec son élève, il va lui parler le "langage de l'éveil" (c'est d'ailleurs très bien que tu aies utilisé cet exemple du langage). Si l'élève comprend ce langage, alors, il est considéré comme éveillé ou, tout du moins, avoir fait une expérience zen suffisante pour comprendre le sens général du langage. Par voie de conséquence, celui qui ne parle pas ce langage ou qui ne le comprend pas est considéré comme non éveillé du point de vue du Zen Rinzaï. Note que l'élève qui a fait une expérience zen profonde (de type kensho) va parler d'emblée le langage de l'éveil. Le maître le comprend immédiatement. Si le maître ne le comprend pas, cela signifie que l'élève a dépassé le maître. Le cas s'est trouvé avec Bankei, par exemple (qui fut un grand maître zen rinzaï) qui eut d'énormes difficultés pour trouver un maître zen qui comprenne son langage (le langage de l'éveil). Mais d'autres exemples aussi sont connus.
Ok, c'est beaucoup plus clair, avec ces explications!
Alors, quel est ce langage de l'éveil ? Dans le Zen Rinzaï, depuis Hakuin, ce langage a été officialisé, en quelque sorte. C'est le protocole de passage des kôans. Les kôans sont des textes courts qui mettent en avant des problèmes insolubles par la logique. On parle d'aporie, mais ce n'est pas exactement ça. Le kôan est l'expression du langage de l'éveil. Il existe plusieurs kôans ; on en dénombre quelques 1700. Mais dans le Rinzaï, on utilise essentiellement deux recueils : le Pi-en-lou (Recueil de la Falaise Verte - en fait bleue mais peu importe) qui comporte 100 "cas" et le Ou-mêm-kouan qui en comporte 48.
Donc le but du kôan me rappelle l'utilisation que fait Nagarjuna du tétralemme pour forcer son interlocuteur à abandonner les concepts, pour le rendre perceptif à la vacuité des choses. Les koans sont donc une autre méthode pour sortir l'esprit de ses circuits de pensée habituels. Et j'imagine qu'un esprit qui ne fonctionne plus comme ça s'exprime d'une façon reconnaissable à celle d'un autre qui a la même capacité, d'où le langage éveillé
Un exemple de "langage de l'éveil" (cas 63 et 64 du Pi-en-lou) :
63) Dans un monastère, sous l'autorité du maître Nansen, les bonzes se disputaient la propriété d'un chat. Le maître ayant eu vent de cette dispute saisit le chat et brandit une épée. Il dit aux moines : "dites quelque chose (de Zen) sinon je coupe ce chat en deux". Les moines restant muets, le maître pourfendit le chat.
64) Joshu, disciple de Nansen, était absent lors de cette histoire. Quand il rejoignit le maître dans le monastère, quelques temps plus tard, ce dernier lui conta l'histoire du chat pourfendu. Joshu alors s'inclina, mit ses sandales sur sa tête et sortit. Nansen dit alors : "Si vous aviez été là, le chat aurait été sauvé".
Le "langage de l'éveil", ici, est la "réponse de Joshu" (le sandales sur la tête). Si on analyse ce cas à la lumière de la logique, on voit bien que Nansen viole les préceptes puisqu'il tue le chat. Mais c'est, bien évidemment, un cas exprimé dans la langage de l'éveil et non dans le langage dualiste et logique.
A partir de ce cas, le maître peut, en sanzen, interroger son élève en lui demandant pourquoi Joshu met les sandales sur sa tête. Hakuin (autre grand maître zen, réformateur du Rinzaï), qui commente le cas juge que Nansen a mal agit. Tout le monde est d'accord ? Eh bien il dit qu'il aurait du tuer le chat tout de suite sans demander aux moines de dire quoi que ce soit. Etes-vous toujours d'accord avec Hakuin ? Pourquoi ?...
Je pense, comme dit précédemment, que sans doute Hakuin reprochait à Nansen la faiblesse de ne pas voir ce qui est: que les deux moines étaient incapables de parler le langage éveillé. Au vu de cette histoire, je pense que ce serait une mauvaise idée de laisser les maîtres zen militaristes dans une pièce en compagnie d'un Hakuin armé d'une épée.
Le Non-né est, par essence, libre de souillure (il est "pur" si tu préfères) ; Si on le réalise et qu'on "s'installe" en Lui, que ce soit dans le monde duel ou en samadhi, durant zazen, on est libéré du samsara. Samsara et Nirvana sont les deux côtés d'une même pièce. On agit donc en toute liberté. Mais cela n'est compréhensible que pour le sage, pas pour celui qui n'a pas réalisé le Non-né. Aussi, il ne faudrait pas se prendre pour quelqu'un de libéré et s'amuser à pourfendre les chats, par exemple.
Compris.
Qui a formé les soldats japonais au Bushido ? Les maîtres zen. Qui les a formés à se battre jusqu'au bout (face à la maladie de la guerre) et à accepter leur sort sereinement (la mort) ? Les maîtres zen... En peu de temps, ces maîtres zen ont réussi à faire en sorte que des millions de soldats se présentent au combat comme nous voudrions nous, personnellement, affronter l'agonie d'une maladie mortel. Pensez-vous toujours que ces maîtres étaient des individus infâmes et sans coeur ? Pensez-vous qu'ils violaient les préceptes ? C'est une question difficile qui requiert peut-être le langage de l'éveil pour y répondre... En tout cas, il faut y réfléchir avant de condamner (je sais bien que ce n'est pas ton cas, mais, en général, cet épisode a démoli plus d'un zeniste).
Comme dit, je réserve mon jugement, car visiblement je n'en connais pas assez. Il faudra visiblement que j'en apprenne d'avantage sur le zen, comme par exemple la nature de l'Éveil. Tu parles de plusieurs niveaux d'Éveil, ce que j'ignorais (et l'histoire du boeuf aussi?). En tout cas au moins maintenant je sais qu'il y a des choses que je ne connaissais pas.