Les 4 pensées qui détournent du samsara

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Dharmadhatu
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jap_8

Précieuse existence humaine

Une tortue aveugle au fond des océans,
Qui ne prendrait l'air qu'une fois tous les cent ans,
Mettrait sa tête dans un joug à la dérive
Plus souvent que pour nous renaître humain n'arrive !

Pour prendre l'autre exemple du mur vertical
Contre lequel on lance un petit pois banal,
Quel taux de chance a-t-il d'adhérer à la pierre ?
Naître ailleurs vaut pour nous chaque chute par terre !

Naître ici moins fréquent qu'une étoile en plein jour ?
On peut, pour s'en convaincre, observer alentour,
Recenser d'un coup d'oeil l'existence animale
Pour voir que l'être humain, loin s'en faut, ne l'égale.

Ayant donc pour un jour foulé l'Ile au Trésor,
Sa Cité de Joyaux et ses rues pavées d'or,
Allons-nous tout gâcher et être assez stupides
Pour finir bredouilles * en partant les mains vides ?

(ou "brecouilles" comme on dit dans le bouchonnois ! ::mr yellow:: )

Impermanence et mort

Et le vent porte au loin l'écho sempiternel
Des clameurs qu'un mourant, se voulant éternel,
Adresse à la volée de ses regrettés proches
Qui ne pensent déjà qu'à lui faire les poches !

Ce qui est élevé, est un jour rabaissé;
Ce qui est réuni, est un jour séparé;
Tout ce qui s'amplifie, lentement s'amenuise;
Tout ce qui s'accumule, dispersé, s'épuise...

En effet, bienheureux ceux qui, après l'expir,
Sont absolument sûrs d'avoir un autre inspir !
Demain peut être une autre journée bien remplie,
Demain peut être la venue d'une autre vie.

Le corps est si chétif qu'à défaut ou excès,
Même les remèdes sont causes de décès !
Allons, le temps défile à un rythme critique !,
Fi des atermoiements, l'heure est à la pratique !


Défauts du cycle

Pourquoi pratiquer dans le but inavoué
D'accéder plus tard à un état élevé ?,
On ne trouve ici pas plus de joie qui pétille
Que de graine de moutarde au bout d'une aiguille !

L'excellent Chemin de la Grande Perfection
De Patrül Rimpoché pousse à la réflexion
Quant à la souffrance des tortures immondes
Que contient par nature chacun des six mondes.

Quel que soit le royaume, le cycle en entier
Est un vaste charnier, un immense brasier !
Désir, Forme ou Non-forme, fuyons les trois sphères
Qui depuis toujours ne sont que noeuds de vipères !

S'il n'est que d'évoquer notre "noble vaisseau",
L'humaine condition est bien vite un fardeau
Et constitue plutôt un radeau de fortune
Qui se mesure à l'aune de notre infortune.

Pour l'Eveil, il est vrai, pas de meilleurs paliers;
Cessons cependant de dormir sur nos lauriers:
Naître et tomber malade, vieillir et s'éteindre
Sont là quatre raisons pour ne cesser de geindre.

Des quantités de larmes sont notre magot,
Nos cris sont quotidiens, l'affliction notre lot !
Loin de ce qu'on aime et près de ce qu'on déteste,
A-t-on ce qu'on voulait ? On se plaint qu'il en reste !

En bref, de ces trois plaies qui font notre malheur,
La première est angoisse, misère et douleur;
L'autre est un fait de la nature impermanente
Qui retire au plaisir sa jouissance "inhérente";

Et la dernière enfin est d'ordre plus subtil:
Chacun ne sentant pas la présence d'un cil
De la même façon dans l'oeil ou sur la paume,
Etouffe peu ou prou quel que soit son royaume.


La loi karmique

Pour tenter d'échapper au siècle et son filet,
Il faut aborder la loi de cause à effet,
Et c'est pourquoi, des Trois Entraînements, l'Ethique
Est la juste conduite, ordonnée ou laïque.

Dans le Tripitaka, la section Vinaya
Aide à traiter avec l'implacable karma
Et incite à avoir l'attitude correcte
Pour apporter secours, serait-ce à un insecte.

La Précieuse guirlande de conseils au roi
Du grand Nagarjuna enseigne que, pour soi,
Il est bon d'éviter toute action puérile
Et que, pour autrui, mieux vaut tenter d'être utile.

S'abstenir du mauvais est déjà important,
Mais son aide apporter est un pas en avant.
Par le corps, la parole et l'esprit, tout se compte,
Alors quoi qu'on fasse, dise ou pense, on se dompte:

Au lieu d'ôter la vie, sachons la préserver;
Au lieu de dérober, apprenons à donner;
Evitons l'inconduite charnelle adultère,
Et soyons garants d'une dignité entière;

Evitant de mentir, nos propos restent blancs;
Pas de diffamations, nos rapports restent francs;
Préférons aux mots durs la douceur langagière;
Et aux vains caquets le silence ou la prière;

Transformons la colère et la vile aversion
En amour bienveillant et grande compassion;
Transformons l'obsession du désir insatiable
En le contentement d'une paix véritable;

Il faut surtout briser cette loi de l'erreur
Où l'ego se fait roi, vautré dans la torpeur !,
Il nie les vérités, figé dans sa croyance,
Mais ne peut tenir tête à l'interdépendance...

(Extraits de Dharmakarika, C. Humblot)

FleurDeLotus
apratītya samutpanno dharmaḥ kaścin na vidyate /
yasmāt tasmād aśūnyo hi dharmaḥ kaścin na vidyate

Puisqu'il n'est rien qui ne soit dépendant,
Il n'est rien qui ne soit vide.

Ārya Nāgārjuna (Madhyamakaśhāstra; XXIV, 19).
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Longchen
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jap_8 Merci pour cette traduction, sous cette forme poétique c’est également agréable à lire.
A graver dans la pierre tout cela !
FleurDeLotus
L’instant présent 🙏
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Dharmadhatu
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Longchen a écrit : A graver dans la pierre tout cela !
FleurDeLotus
Je l'ai mis sur internet, il paraît que c'est encore plus durable que dans la pierre. :lol:

C'est vrai que l'alexandrin est pas mal comme moyen mnémotechnique.

http://dharmadhatu.bloguez.com/

FleurDeLotus
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longchen2

Dharmadhatu a écrit :Ayant donc pour un jour foulé l'Ile au Trésor,
Sa Cité de Joyaux et ses rues pavées d'or,
Allons-nous tout gâcher et être assez stupides
Pour finir bredouilles * en partant les mains vides ?
(...)
Et la dernière enfin est d'ordre plus subtil:
Chacun ne sentant pas la présence d'un cil
De la même façon dans l'oeil ou sur la paume,
Etouffe peu ou prou quel que soit son royaume.
Je ne comprends pas très bien le sens de ces deux strophes que je reprends ci-dessus.

Dans la première strophe, l'Ile au Trésor, Sa Cité de Joyaux et ses rues pavées d'or, : est-ce une référence au fait de renaître dans le royaume humain ou alors est-ce une référence au fait de devenir éventuellement riche dans le royaume humain (et de se laisser tourner la tête par la richesse par exemple) ?
§ je penche pour la première proposition mais ??

Dans la seconde strophe, je ne comprends pas bien à quoi fait référence le cil dont il est question. Certes un cil dans l’œil fait mal et dans la main on ne s’aperçoit pas de sa présence, mais je ne vois pas bien en quoi ce serait la dernière des trois plaies qui amènerait peu ou prou à ce qu’on étouffe quel que soit son royaume.

jap_8 grand merci pour si tu pouvais m’éclairer
FleurDeLotus
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Dharmadhatu
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jap_8 Coucou Longchen,

En effet, la 1ère strophe fait référence à la précieuse existence humaine, semblable à l'Île au trésor, qu'il serait dommage de quitter bredouille.

La seconde fait référence à la souffrance inhérente aux conditionnés. Seuls les êtres qui ont cultivé un réel renoncement la ressentent (le cil dans l'oeil), alors que nous ressentons plutôt les 2 types grossiers de souffrance.

FleurDeLotus
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longchen2

Merci beaucoup Dharmadhatu cela s’éclaire, je suis content.
Qu’entends-tu exactement par "la souffrance inhérente aux conditionnés" ?
FleurDeLotus
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Dharmadhatu
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:D Il s'agit de la souffrance qui cause les autres. Elle est enseignée par le Bouddha comme étant la nature même de nos agrégats karmiquement contaminés. Comme ils sont par nature le fruit de nos afflictions et de nos karmas correspondants, ils sont la base de devoir souffrir tant les conditions seront rencontrées. Par exemple, c'est à cause d'elle que nous éprouvons la souffrance du changement: c'est super de s'asseoir devant un pc, mais si on y reste des heures, nos fesses ne vont pas tarder à nous inviter pour une balade.

On va apprécier de se détendre les jambes, mais si on marche toute la journée, elles aussi nous inviterons à nous poser quelque part.

Ca veut dire que dès l'instant où une situation est karmiquement contaminée, même si elle est d'abord agréable, elle porte en elle le germe de la souffrance.

C'est pourquoi le véritable bonheur est d'être débarrassé de ces agrégats contaminés (et d'en obtenir des non contaminés) pour être définitivement soulagés du samsara.

FleurDeLotus
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longchen2

C’est effectivement un type de souffrance d’un ordre très subtil, je n’avais pas du tout compris cette strophe en fait.

De ce que tu dis, je comprends que cette souffrance est celle de nos traces karmiques, traces qu’un renonçant veut effacer définitivement.

Pourrait-on dire que tout ce qui ne correspond pas à une accumulation de mérite et de Sagesse dans la vie d’un disciple (ou d’un renonçant) est à l’origine d’agrégats contaminés et correspondra donc à ce type de souffrance dont parle cette strophe ?
Ai-je correctement compris ?
FleurDeLotus
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Dharmadhatu
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:D On peut parler de traces karmiques, c'est vrai. Ce type de souffrance semble impliquer avant tout la notion du soi à laquelle on s'agrippe continuellement: http://en.wikipedia.org/wiki/Dukkha#Three_patterns
Longchen a écrit :Pourrait-on dire que tout ce qui ne correspond pas à une accumulation de mérite et de Sagesse dans la vie d’un disciple (ou d’un renonçant) est à l’origine d’agrégats contaminés et correspondra donc à ce type de souffrance dont parle cette strophe ?
Ca correspond à la vue bouddhiste. Les Aryas Bodhisattvas qui sont sur les bhumis purs n'ont plus de karmas contaminés et donc plus d'agrégats contaminés: ils sont semblables aux Arhats par rapport à leur niveau de sagesse.

FleurDeLotus
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Puisqu'il n'est rien qui ne soit dépendant,
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longchen2

D'accord, alors j'ai compris la strophe :D
FleurDeLotus
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