Pratique des passions.

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jules
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J'ai lu quelque part, je ne sais plus où, que les Boddhisattvas, pour retarder leur entrée en Nirvana, étaient capables d'avoir recours à la pratique des passions, ceci, afin de bénéficier de l'enseignement susceptible d'aider tous les êtres. Pour ce faire, ils bénéficieraient du secours des Dévas je crois, dont l'action serait de leur permettre de faire ces "voyages" au coeur des passions.
Qu'en pensez-vous ? Est-ce exact ?

<<metta>>
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Flocon
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Je pense que tu fais allusion à un domaine difficile du Mahayana, qui touche à ce qu'on appelle, dans le tantrisme, la "transmutation des passions". :?:

N'y connaissant pas grand chose, je préfère ne pas trop m'avancer sur ce point. Je peux simplement te dire comment on traite ce thème dans le bouddhisme chinois que je connais, donc le Chan, lors de présentations traditionnelles.

On ne sépare pas vraiment le Bodhisattva et le Bouddha : donc on dit que le Bodhisattva, exhorté par son Bouddha intérieur, peut faire le "choix" (je mets volontairement le terme entre guillemets pour ne pas entraîner de confusion avec un choix de type cartésien) de renaissances douloureuses, où il lui faudra faire un usage bénéfique des passions qu'il a appris à ne plus craindre. Il peut renaître comme prostitué(e), comme bandit ou même comme animal de boucherie, entre autres exemples classiques. Il sera, dès lors qu'il aura fait ce choix, porté par l'esprit d'éveil (l'aspiration à s'éveiller complètement pour aider tous les êtres) et recevra donc naturellement l'assistance des Bouddhas.
Ces Bouddhas peuvent lui être extérieurs : en général, cela veut dire tout bêtement que confronté à une situation où il hésitera pour agir parfaitement, il recevra l'aide appropriée de son propre maître. Mais l'assistance la plus efficace, en définitive, celle qui ne lui manquera jamais, sera l'enseignement du Bouddha intérieur. Cet enseignement pourra prendre une forme violente, voire apparemment destructrice -l'exemple type est la terreur face au coup de couteau du boucher, si le Bodhisattva est né comme animal à viande : mais il le comprendra toujours, car il réalisera au moment même où il le recevra, que le Bouddha qui l'enseigne et lui-même ne sont pas séparés. Il "tuera alors le Bouddha" et atteindra l'éveil "complet et parfait" : autrement dit, il s'unifiera totalement avec son Bouddha intérieur. Ce ne sera pas nécessairement en mourant physiquement, comme dans le cas de l'animal. Toujours pour rester dans le champ des exemples traditionnels, un Bodhisattva né pour une vie de prostituée() quittera son lieu de prostitution et deviendra moine ou moniale.

Il existe aussi des formulations où le Bodhisattva reçoit l'aide des dieux, mais elles me paraissent mal transposables dans notre langage très éloigné de celui de la religion chinoise traditionnelle, donc plutôt à laisser de côté.

Je ne sais pas si ça t'éclaire un peu. :?:
Quand on sonde les choses, les connaissances s'approfondissent.
Les connaissances s'approfondissant, les désirs se purifient.
Les désirs une fois purifiés, le cœur se rectifie.
Le cœur étant rectifié, on peut réformer sa personne.

Kong Tseu
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jules
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Merci Flocon, c'est très instructif. :)

<<metta>>
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Flocon
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De rien. :)
Pour revenir sur ton premier message, je dirais que ta formule "pour retarder leur entrée dans le Nirvana" est incorrecte, car il s'agit en fait du contraire : un Bodhisattva est toujours pressé d'atteindre l'éveil pour le bien de tous les êtres, sinon ce n'est pas un Bodhisattva mais un être ordinaire qui se figure en être un (rien à voir, du moins selon les présentations traditionnelles, qui vont parfois jusqu'à dire que ce type d'illusion est la meilleure voie pour l'enfer :-( ). Le recours à ce que tu appelles la "pratique des passions" n'est en réalité qu'un moyen de hâter les choses, et non pas de les retarder : un raccourci qui a l'apparence d'un détour.

C'est peut-être, au fond, le point essentiel à bien comprendre, dans ces récits un peu compliqués d' "aventures intérieures" des êtres d'éveil. Le reste, bof... :lol:
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Kong Tseu
Jean

Il y a 3 moyens de se débarrasser d'une passion

La méthode soutra : Le renoncement, le lâcher prise. Il peut y avoir un coté castration, ou un coté refoulement si cela est mal fait avec le danger qu'un jour cela peut exploser.

La méthode tantra : La transformation. L'exemple du paon qui se nourrit de poison, ce qui fait devenir son plumage encore plus beau. On utilise l'énergie de la passion

La méthode auto libération : La vue profonde, la pleine conscience, le cygne qui se désaltère d'eau pure en buvant de l'eau boueuse. L'énergie de la passion s'auto-libère, du coup, plus de passion. Elle se dégonfle.

Dans ces deux méthodes, il y a le piège de croire que le problème est définitivement réglé.

Si l'une des méthodes ne marche pas, on peut essayer tour à tour les deux autres.

Si on y arrive pas, on peut toujours gérer plus ou moins bien sa passion mais continuer à s'améliorer dans d'autres domaines. Cette amélioration va donner plus de "pouvoir" ce qui permettra de mieux gérer par l'un ou les 3 moyens et même de se débarrasser de la passion qui empoisonnait la vie.

La passion n'est pas un mal en soi, l'inconvénient est qu'elle complique la vie, amène des problèmes, détruit la paix de l'esprit....

Le jour où on éprouve plus de plaisir dans la paix de l'esprit que dans la recherche de la satisfaction ou dans la satisfaction de la passion. C'est pratiquement gagné. On laisse juste tomber la passion pour un plaisir supérieur. mais il est quand même prudent de rester bien attentif. Il peut y avoir aussi des rechutes. Les vieilles habitudes que l'on a abandonnées pendant des années peuvent peu à peu revenir à la surface.

Il peut arriver aussi que l'on paye si cher une passion que l'on en est dégouté pour le reste de sa vie. le mauvais karma de la passion a été en fait un très bon karma et même peut-être une bénédiction.

Il y a aussi des passions qui peuvent s'avérer fatales. Mais peut être que cela est un tel traumatisme que dans la vie suivante on s'en méfie instinctivement.
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Dharmadhatu
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:D Je crois que dans le Guhyasamaja il est dit que la pratique des passions sur la voie est la méthode du xylophage: le bois nourrit un insecte qui finit par le dévorer entièrement.

Take care !

FleurDeLotus
apratītya samutpanno dharmaḥ kaścin na vidyate /
yasmāt tasmād aśūnyo hi dharmaḥ kaścin na vidyate

Puisqu'il n'est rien qui ne soit dépendant,
Il n'est rien qui ne soit vide.

Ārya Nāgārjuna (Madhyamakaśhāstra; XXIV, 19).
ted

Flocon a écrit :
jules a écrit :J'ai lu quelque part, je ne sais plus où, que les Boddhisattvas, pour retarder leur entrée en Nirvana, étaient capables d'avoir recours à la pratique des passions, ceci, afin de bénéficier de l'enseignement susceptible d'aider tous les êtres.

...ta formule "pour retarder leur entrée dans le Nirvana" est incorrecte, car il s'agit en fait du contraire : un Bodhisattva est toujours pressé d'atteindre l'éveil pour le bien de tous les êtres, sinon ce n'est pas un Bodhisattva mais un être ordinaire qui se figure en être un.
    • Shigu seigan mon - Les quatre voeux du bodhisattva

    Si nombreux que soient les êtres sensibles, je fais le voeu de les libérer tous.
    Si nombreux que soient les illusions, je fais le voeu de les vaincre toutes.
    Si nombreux que soient les Dharmas, je fais le voeu de les acquérir tous.
    Si parfaite que soit la voie du Bouddha, je fais le voeu de la réaliser.
Je suppose que ce qui est retardé, c'est le départ définitif, le parinibbana.
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Flocon
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ted a écrit :Je suppose que ce qui est retardé, c'est le départ définitif, le parinibbana.
Je ne crois pas. Parce que dans la formulation du Chan/Zen, une fois que l'éveil complet est atteint, que le Bodhisattva et le Bouddha ne font plus qu'un, le Parinirvana (au sens de la mort physique, de la destruction naturelle du Nirmanakaya) n'a plus d'importance. Il peut survenir n'importe quand, c'est égal.

C'est dans les formulations des suttas d'origine du canon pali qu'on trouve cette idée du "Parinirvana retardé pour le bien des êtres" : le Bouddha historique, à qui Mara propose d'entrer dans le Parinirvana, de "rompre les liens" dès son éveil, refuse au nom de la nécessité d'enseigner la loi et de fonder le Sangha, c'est-à-dire au nom de la promesse qu'il a faite à Brahma (le Dieu suprême, qui l'a exhorté à enseigner par compassion). Aussi meurt-il âgé, après de longs voyages et de longues épreuves physiques, et explique-t-il à Ananda qu'il a repoussé sa propre mort bien des fois. Mais dans ce cas, il ne s'agit pas d'une présentation de la "voie du Bodhisattva", du moins, pas selon l'optique du Mahayana.

Tout ça est un peu complexe et je doute de parvenir à être bien claire. :oops:
Quand on sonde les choses, les connaissances s'approfondissent.
Les connaissances s'approfondissant, les désirs se purifient.
Les désirs une fois purifiés, le cœur se rectifie.
Le cœur étant rectifié, on peut réformer sa personne.

Kong Tseu
ted

Flocon a écrit : C'est dans les formulations des suttas d'origine du canon pali qu'on trouve cette idée du "Parinirvana retardé pour le bien des êtres"
(...)
Mais dans ce cas, il ne s'agit pas d'une présentation de la "voie du Bodhisattva", du moins, pas selon l'optique du Mahayana.
Je ne vois pas la différence Flocon... :oops:
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Dharmadhatu
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ted a écrit :
Flocon a écrit : C'est dans les formulations des suttas d'origine du canon pali qu'on trouve cette idée du "Parinirvana retardé pour le bien des êtres"
(...)
Mais dans ce cas, il ne s'agit pas d'une présentation de la "voie du Bodhisattva", du moins, pas selon l'optique du Mahayana.
Je ne vois pas la différence Flocon... :oops:
jap_8 Dans la prière en 7 branches du Mahayana, il y a la requête au(x) Maître(s) de ne pas passer en (para-)nirvana:
41
Bien que votre corps adamantin ne soit soumis ni à la naissance, ni à la mort, il est un vaisseau du puissant roi de l'union; je vous supplie de demeurer pour toujours tel que je vous le demande avec dévotion, et de ne pas rejoindre l'au-delà des peines avant la fin du samsara.

(Lama Tcheupa)
Pour le Mahayana, les sambhogakayas se manifestent aux Aryas depuis depuis Dharmakaya sans s'y résorber jusqu'à la fin totale du samsara, c'est pour ça que des Bouddhas comme Amitabha/Amitayus sont aussi désignés Vie Infinie.

Mais les nirmanakayas (comme le Para- du Bienheureux Shakyamuni) ne se manifestent qu'aux individus qui adhèrent au fait de naître et mourir, alors l'apparence qu'ils donnent à voir est celle d'apparaître et de disparaître. C'est pourquoi, à mon avis, en tant que moyen habile (ou roue de secours tant qu'on n'a pas réalisé la non-production et la non-cessation), il est nécessaire d'engendrer des actes vertueux et des intentions sincères dédiés à la longue vie de son Maître pour que tous les êtres en bénéficient selon leurs souhaits.

FleurDeLotus
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