Présents ou absorbés ?

sur_le_chemin

Il m'est plus facile de parler en disant "on" :oops:

On sait ou on devrait savoir :) que nous devons être présents à tout ce que nous faisons (manger, se laver les mains, etc).
Mais, présents ou absorbés ?

Pour faire court: sommes nous réellement présents à ce que nous sommes en train de faire lorsque nous sommes absorbés par notre tâche ?

Un exemple: Je ne sais pas si vous faites des sudokus (ou des mots croisés). Quand vous êtes pris par le jeu (des chiffres à placer, tout simplement) vous êtes uniquement à ça et vous devez vous concentrer au maximum pour (dans le cas du sudoku) le résoudre le plus rapidement possible et surtout sans erreur. La moindre déconcentration se traduira par l'impossibilité à le finir.

Même chose (ou presque) pour l'art ou l'artisanat. Dessiner, peindre, jouer de la musique classique ou improviser en jazz, faire du théâtre, danser avec des mouvements complexes, etc

On est absorbés. Mais sommes nous présents ?

Je ne le pense pas.

Donc, si nous ne sommes pas présents il me semble que tout occupation "absorbante" est futile du point de vue de l'éveil ou du moins de la présence à soi.

Qu'en pensez vous ? J'attends vos remarques avec beaucoup d'intérêt. :)
Dernière modification par sur_le_chemin le 11 février 2014, 14:27, modifié 2 fois.
lausm

C'est un équilibre entre une présence globale, et une concentration focalisée.
le sudoku, c'est de l'attention focalisée dans une direction.
Cela peut avoir une utilité, ça dépend des moments, des circonstance du quotidien : un geste à risque requiert cette concentration focalisée, parfois.
Mais quand on devient familier avec cela, on voit aussi qu'on peut en même temps, avoir une présence à tout ce qui nous entoure : on est en relation.

Et jouer avec ces deux modalités de fonctionnement.

et on peut travailler sur l'une, ou sur l'autre, ou les deux en même temps aussi.

Je pense que l'absorption dont on parle au sens bouddhiste (dhyana, la méditation), est en fait un retour à la présence à soi-même, et se dégageant des investissements extérieurs, en ne se laissant pas happer par les objets externes. Mais l'on peut aussi se faire happer par le retour à soi et se fermer sur un mouvement d'introspection.
En fait, certaines formulation disent qu'il n'y a plus d'intérieur ni extérieur : en fait on devient un être de relation, et pour ce faire, quoi d'autre qu'être présent, sans même avoir plus besoin de nommer qui est présent, ou de savoir par quel moyen on arrive à être présent, mais juste d'être présent à la présence, dans la présence, sans plus de justification, parce que simplement on est là, en vie?
longchen2

Je pense que dans la méditation il s’agit de faire un avec, mais aussi d’être conscient que l’on fait un avec.
Je comprends qu’il s’agit d’être absorbé mais également d'être conscient que l’on est absorbé, donc présent aussi, cela ne s’exclut pas nécessairement, il me semble.
Toutefois il peut arriver de faire un avec ceci ou cela et de ne pas en être conscient, dans ce cas il manquerait la conscience je pense.

La Pleine Conscience serait une réponse :roll:
FleurDeLotus
Katly

On peut percevoir cela lorsqu'on est assis à méditer.
On peut être absorbé dans la concentration, avec sa respiration, tout en étant conscient de ce qui se passe autour, le soleil dans la fenêtre, un chant d'oiseau, un bruit de voiture et tout en étant conscient que l'on médite, de son corps, tout cela simultanément.
Lorsqu'on marche en forêt, on est concentré sur ses pas, la respiration, tout en étant conscient du sol, conscient du bruissement des feuilles, d'un insecte, d'un oiseau furtif, sans être distrait par l'extérieur ou dans l'oubli par trop de concentration forcée. Conscient simultanément d'être là, tout entier avec la forêt. Conscient d'être conscient est le grand bien-être.
On peut aussi avoir un peu ces instants quand on cuisine en épluchant les légumes en silence et l'eau qui boue à côté. Quand on balaie, nettoie, et qu'il y a le mouvement du corps et la course du soleil qui se déplace sur le sol.Ou en écrivant un poème, ou une histoire sur une feuille de papier, avec l'aube à la fenêtre. En pleine conscience simultanée, totale, c'est à ce moment qu'on est vraiment présent et là, c'est pas tout le temps, c'est pour ça qu'on s'entraine.
tongra

Attention à la nuance capitale : entre être conscient et penser que l'on est conscient.

Ça n'a l'air de rien mais combien de fois on pense être conscient, ce qui n'a rien à voir être conscient.

Et puis même pour ce que l'on croit ne pas avoir été conscient, c'est une pensée qui vient dans un deuxième temps et ce n'est pas parce qu'il n'y pas de souvenir que c'est avoir été in-conscient.

Il y a toujours conscience mais simplement pas forcément en rapport avec ce que nous voudrions, donc c'est une conscience occultée.

Et, au final, tout cela se déroule dans la conscience qui n'a rien à voir avec le fait d'être conscient ou pas.
Katly

C'est plus un ressenti qu'une pensée.
Mais merci Tongra, j'observerai cette nuance.
Robi

C'est un beau fil qui débute là il me semble. Qui essaie de creuser ce qu'il se passe en profondeur dans la méditation (ou la contemplation pour d'autres traditions).
On peut voir il me semble que si le moi s'efface un peu (il arrête ses ruminations) il reste un petit peu là: ça serait le "je suis conscient que je fait un avec" dont parle longchen2. (à creuser?...)
Pour ma part je dirai que si la conscience du "je" de l'ego s'estompe, les ou la conscience des sens (audition, vue, toucher, etc) tournent en roue libre. C'est ce que tu décris si bien Katly étant dans ta cuisine en train d'éplucher des légumes ou te promenant en forêt. Tournent en roue libre et font le contraire de s'estomper, ils s'avivent.
Enfin, on sort de la méditation rafraichi, renouvelé, plus lucide, joyeux peut-être, avec un autre regard, plus tourné vers le monde et les autres (la liste pourrait être assez longue). Il s'est donc passé quelque chose dans notre conscience durant la méditation. Est-il possible, opportun d'essayer de voir ce qu'il s'est passé et de connaître un peu mieux notre esprit qui aurait de telle ressource? Qu'est-ce en nous qui opère ce revirement puisque ce n'est pas le "je" ou l'ego?...
ted

sur_le_chemin a écrit :Pour faire court: sommes nous réellement présents à ce que ne sommes en train de faire lorsque nous sommes absorbés par notre tâche ?
Pour faire court : pour moi, l'absorption, c'est samatha. Et la vigilance, c'est vipassana.
Les deux combinés débouchent sur l'observation attentive, vigilante et détendue du moment présent.
Il y a deux formes de méditation. L'une est le développement de la concentration mentale (samatha ou samādhi), de la fixation unificatrice de l'esprit (cittekaggatā, en Sanskrit cittaikāgratā) qui, par des méthodes variées décrites dans les textes, conduit aux plus hauts états mystiques comme « la Sphère du Néant » ou « Sphère de ni-Perception-ni-non-Perception ». Tous ces états mystiques sont, selon le Bouddha, des créations et des productions mentales (samkhata). Ceux-ci n'ont rien à voir avec la Réalité, la Vérité, le Nirvāna. Cette sorte de méditation existait déjà avant lui. Elle n'est donc pas purement bouddhiste, mais elle n'est pas exclue du domaine de la méditation bouddhiste. Elle n'est cependant pas essentielle pour la réalisation du Nirvana. Le Bouddha lui-même, avant son Eveil, avait étudié ces exercices yogiques sous la direction de différents instructeurs et il avait atteint les plus hauts états mystiques ; mais ceux-ci ne l'avaient pas satisfait, car ils ne procuraient pas la libération complète, ne donnaient pas la vision de la Réalité Ultime. Il considérait seulement ces états mystiques comme une manière de « demeurer heureux en cette existence » (ditthadhammasukhavihāra), et rien de plus.

Il découvrit alors l'autre forme de « méditation » connue sous le nom de vipassana (Sanskrit : vipaśyanā ou vidarśanā), «vision» dans la nature des choses, qui conduit à la complète libération de l'esprit, à la réalisation de la Vérité Ultime, au Nirvàna. C'est essentiellement la « méditation », la culture mentale bouddhiste. C'est une méthode analytique basée sur l'attention, la prise de conscience, la vigilance, l'observation.

Vénérable Walpola Rahula
Attention ou prise de conscience ne signifie pas que vous devez penser et être conscient : « Je fais ceci » ou « Je fais cela ». Non, c'est justement le contraire. Dès que vous pensez « je fais ceci », vous devenez conscient de vous-même, et alors vous ne vivez pas dans votre acte mais dans l'idée « Je suis ». En conséquence, votre travail est gâché. Vous devez vous oublier complètement et vous perdre dans ce que vous faites. Dès qu'un orateur devient conscient de lui-même et pense « je m'adresse à un auditoire », son discours est troublé et le cours de ses pensées rompues, mais quand il se perd dans son discours, dans son sujet, c'est alors qu'il est le meilleur, il parle bien et s'exprime clairement. Toute grande oeuvre artistique, poétique, intellectuelle ou spirituelle est accomplie dans le moment où son créateur est complètement absorbé dans son action, où il s'oublie absolument, où il est débarrassé de la conscience de soi.

Cette attention, cette conscience vigilante de nos activités, que le Bouddha enseigna, consiste à vivre dans le présent, dans l'acte même. (C'est aussi la voie du Zen qui est essentiellement fondé sur cet enseignement). Ici, dans cette forme de méditation, vous n'avez rien de particulier à faire pour développer votre attention, vous n'avez qu'à être vigilant et attentif, quoi que vous soyez en train de faire. Vous n'avez pas à perdre une seconde de votre temps précieux à cette « méditation » particulière, mais vous devez cultiver l'attention, la prise de conscience, tout le temps, jour et nuit, à l'égard de toutes les activités de votre existence quotidienne. Les deux formes de « méditation » dont nous venons de parler concernent notre corps.

Vénérable Walpola Rahula
Un document précieux, capital et inestimable : http://www.dhammadelaforet.org/sommaire ... ation.html
sur_le_chemin

Merci à tous.
Merci Ted, très intéressant:

"Attention ou prise de conscience ne signifie pas que vous devez penser et être conscient : « Je fais ceci » ou « Je fais cela ». Non, c'est justement le contraire. Dès que vous pensez « je fais ceci », vous devenez conscient de vous-même, et alors vous ne vivez pas dans votre acte mais dans l'idée « Je suis »"

Pour ma part quand je fais quelque chose, je n'emploie jamais le "je". J'observe et je me dis le verbe à l'infinitif de ce que je fais: non pas "je fais la vaisselle" mais "laver assiette" "frotter davantage" "rincer encore" etc.

D'autres traditions non bouddhistes ne font pas tant de distinctions par rapport au "je". Ramana Maharshi nous demande de nous poser la question "Qui suis je?" à tout moment, quoi que nous soyons en train de faire.

Peut être que trop vouloir intellectualiser notre quête ne serait qu'une forme de fuite...
Jingshen

A mon sens, l'important, comme le dit "Sur le chemin", en parlant de Ramana maharshi, ce n'est pas de "porter attention à tous les faits et gestes" (souvent multiples, rapides et éphémères), mais c'est surtout "porter une attention et présence" 'à soi" globale, et à la réalité, que l'on soit en action ou au repos; sans la verbaliser (car les pensées sont aussi des "actions éphémères, des volitions du mental, comme il y a des actions du corps)
Porter son attention et être conscient de chaque actes, ou actions personnelles, c'est possible, et même pratiqué dans certains courants bouddhistes, comme dans le theravada des moines avec vipassana, ou chez Thich nhat hanh parfois avec la pleine conscience a chaque geste et activités quotidienne; Cela dit, c'est souvent réalisé et facilité par un contexte "contemplatif et d'actions lentes," un lieu et mode de vie calme (monastères, retraites de laics ponctuelles etc), et je pense que ca reste plus difficile d'appliquer cette présence à chaque acte dans une vie "laique" ou "moderne", du genre "métro boulot dodo etc";
De plus, les actes étant tous éphémères, le plus essentiel reste à mon sens de développer "la présence à soi même et globale" , sans devoir "être conscient" de chaque acte etc; Donc axer sa pratique surtout sur un "recentrage interieur", sans porter attention a tous nos gestes;
D'ailleurs un gars comme Ramana maharshi dit quelquechose d'assez vrai à mon sens : que vous soyez conscient ou non de vos actions, elles se dérouleront quand même, avec ou sans "vous", de même que lorsque vous marchez, la marche se déroulera, sans pour autant être conscient de chaque pas,ni volonté d'actionner chaque pas, idem pour la respiration d'ailleurs qui poursuit son cours, que l'on y porte son attention ou pas;
Et lui conseille plutôt de "revenir à la conscience de "soi", de l'être ou la source qui produit ces actions ou qui en est témoin;
Qui agit ? Qui travaille ? Qui lit ou écrit, Qui mange, Qui parle ? etc ;
Que l'on adopte ou non la vision "atman" ou anatman, n'est pas le problème, car ce rappel "à soi", a avant tout pour but de reprendre conscience, de se réveiller à soi et revenir à l'instant présent; et cela peut se faire en action, au repos, partout, toujours; Quelque soit la méthode utilisée, certains usent d'un mantra, d'un koan (le "Qui suis je" en est un), d'anapanasati ou autres, le but est le rappel à soi ou au "non soi" (pas d'égo), indépendamment des activités quotidiennes;
Je dirais donc pour répondre à la question initiale, qu'il faudrait dans l'idéal être "absorbé et présent" à soi, et à l'existence, avant tout;
Et d'ailleurs être "absorbé" dans ses gestes ou actions, de même que dans nos pensées, peut aussi être "se perdre" dans les actions et s'y attacher-embourber, et ne plus être présent à notre vraie nature, ne plus être conscient et libre, ce qui est la base à developper il me semble dans une voie spirituelle, comme dans le dharma entre autre
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