Peut-on être de plusieurs traditions ?

Jean

Flocon a écrit
Pour dire les choses plus clairement peut-être : je ne doute pas qu'il soit possible de vivre harmonieusement les deux traditions, puisque c'est mon cas :) . Je doute simplement qu'on puisse les combiner intellectuellement sans risque de confusion.
Prière Chrétienne et Zazen. Deux choses, si on se base sur les textes traditionnels, qui à priori semblent complétement opposées, sont impossibles à combiner intellectuellement.

mais si on prend par exemple la prière Chrétienne, qui devient prière silencieuse, élan du coeur, contemplation

et Zazen qui est ici et maintenant, ouverture du hara puis du coeur, puis pleine conscience ouverte, pleinitude. On arrive au même état de conscience.

L'explication peut être faite avec la grille, l'observation des neurosciences : activation de certains centres cérébraux, fonctionnements identiques de la respiration, sécrétion des mêmes hormones, etc

Et aussi si on se base sur certaines phrases chrétiennes du genre : Le royaume de Dieu est dans le coeur, ou "fais le vide en toi et je te remplirai". A part les moines ou une minorité de Chrétiens, peu de Chrétiens prennent en compte ces phrases et y méditent dessus.

et les concepts ouverture du coeur, pleine conscience ouverte, plénitude, ne se trouvent pas dans les textes traditionnels Zen mais dans les enseignements de maitres Zen contemporains. L'impossibilité de combienr ces deux types de pratique de vient possible, c'est un autre mode de raisonnement tout aussi logique.

dans le Bouddhisme Tibétain, il y a a eu des générations d'érudits qui se sont disputés car certains disaient qu'il y avait contradiction entre sutras, tantras et auto libération et d'autres que non

Comme certains disient qu'il y avait une différence entre état de conscience ultime dans le mahamoudra et le Dzogchen .

Et cela continue... comme la contradiction entre voie graduée et voie subitiste. L'une est à force de pratiquer on arrive à "cela", l'autre : D'abord il y a "cela", le reste est des moyens habiles au coup par coup , en fonction de la situation, Il y a aussi , le d'accord la pratique fondamentale est "cela" mais on peut utiliser les moyens habiles d'une manière graduelle.
Robi

Bonjour

Si on prend le mot zen au sens stricto sensu, comme chacun le sait ça veut dire méditation. C'est pourquoi le zen (dans cette optique) est compatible avec tous les courants bouddhistes et au-delà avec toutes les religions. Des chrétiens, des musulmans, des juifs font du zen en tant que méditation; ce n'est plus nouveau maintenant.
Dans la question de départ il est mentionné "tradition zen", je l'ai donc entendu comme "bouddhisme zen" et là on ramène forcément les concepts bouddhistes qui ne sont pas nécessairement compatibles avec les concepts des autres religions.

Pour moi entre toutes les religions (le bouddhisme étant , s'il le faut ici, entendu comme l'une d'entre elles) il y a des points communs, des rapprochements et des divergences.
Toutes ont un fondateur par exemple mais ce n'est pas le même, toutes ont une gestation primitive mais ce n'est pas la même, toutes ou presque se veulent universelles mais ce n'est pas vécu pareillement dans leur histoire, toutes ont un rapport avec le monachisme mais parfois vécu très différemment (voire oublié), toutes n'ont pas la même vue de l'autorité (l'institution, le clergé, les enseignants, etc...), leur métaphysique est différente (!), leur morale partage (différemment plus ou moins) prescriptions et liberté, on pourrait aussi en dire sur leurs sexualités, sur les mythes qui les établissent, sur les rites, etc...
Effectivement là où elles se retrouvent le plus c'est surement au niveau des mystiques. Et pour cause les mystiques abandonnent le langage et les concepts au profit d'une expérience... Difficile de comparer ce qui ne peut se mettre en mots sinon qu'en recourant (à nouveau) aux mots et revenant aux concepts et métaphysiques de chacune...

Après c'est certainement à chacun selon sa sensibilité ou sa compréhension de pouvoir faire des ponts, voire d'avoir plus ou moins un pieds dans deux religions (ou plus, même si on a que deux pieds... :lol: ). Pour ma part c'est au niveau métaphysique que je vois la plus grande incompatibilité entre le bouddhisme et les religions théistes. Je ne suis pas le seul, sinon ces religions se confondraient au final. Une chance de notre époque: il y a un dialogue entres elles beaucoup plus ouvert...

Amicalement,
longchen2

Robi a écrit :(...)
Effectivement là où elles se retrouvent le plus c'est surement au niveau des mystiques. Et pour cause les mystiques abandonnent le langage et les concepts au profit d'une expérience... Difficile de comparer ce qui ne peut se mettre en mots sinon qu'en recourant (à nouveau) aux mots et revenant aux concepts et métaphysiques de chacune...(...)
C'est un peu le serpent qui se mord la queue ; mais bon... oiseau2julie
Image
lausm

C'est un peu normal, aussi : comment parler de l'ineffable? On a déjà pondu des pages entières sur le sujet.
Je rebondirai sur ce que Jules a relevé, qui m'avait interpellé aussi : peut-on être d'une tradition.
"Etre" d'une tradition, je dirai que c'est s'enfermer dans une identité, et il me semble que c'est une problématique forte maintenant : avec internet, la mondialisation, le monde à notre porte, nous pouvons percevoir de façon énormément plus aigue les conditionnements culturels de chaque tradition.
Jean parlait de karma, oui, il y a quarante ans, on se farcissait tout le kit culturel pour atteindre le noyau vide de la chose...on débroussaillait.
et maintenant, on peut avoir accès à des enseignements après débroussaillage. Que choisit-on?
Pour moi on ne peut "être" d'une tradition. On pratique dans le cadre d'une tradition.
La tradition est au service d'"être". Si on sait "être", on n'a plus besoin du cadre. Donc on peut agir dessus, le modifier, le garder, le peaufiner.
Quelle tradition n'a pas évolué? N'y a-t-il pas aujourd'hui une tendance à vouloir figer certaines traditions pour en faire un conservatoire du bouddhisme, pour certains?
Effectivement, comme dit Robi, au centre il y a le silence.

Et je pense que ce qui peut permettre de faire le lien entre les traditions, n'est pas les éléments conceptuels, culturels, mais l'expérience vécue, ressentie. Je crois vraiment que c'est de là qu'on peut partir pour discuter. Si on discute juste à partir de théorie, l'on risque de ne voir que ce qui nous sépare.
Car un bouddhiste qui parle du Bouddha, parle avec combien de siècles d'histoire, de représentations, de ce qu'il appelle Bouddha? Et encore, pour aller chez des vietnamiens, le Bouddha dont ils parlent est très différent de celui d'autres traditions bouddhistes.
Et effectivement, comme disait Jean, quelle différence entre le christianisme contemplatif d'un Eckart, de celui de l'église catholique, entre un musulman tel qu'on se le représente communément et un soufi, entre un bouddhiste d'une tradition cultuelle comme ces vietnamiens que je vois, et un pratiquant de dzogchen ou de zen?

Il y a cependant des éléments communs, et ce qui constitue la tradition, est pour moi la façon dont ils s'articulent en un discours qui est le produit d'une histoire, d'une lente évolution conditionnée par l'environnement, le pays, l'histoire, les influences proches, les échanges, le tissu social et la place de cette tradition dans la société dont elle fait partie....
Ces élements communs, comme le relevait Jean, c'est une vision du corps énergétique (kabbale, tantrisme, médecine énergétique chinoise, etc...), et une pratique d'intériorisation qui lie corps et esprit. Ainsi qu'une vision spirituelle. Dieu sera une référence, Bouddha une autre. Le Royaume des cieux pour les uns, la Vacuité ultime pour d'autre.
On peut se perdre dans les éléments conceptuels. A mon avis, ils sont un os à ronger pour le mental toujours avide de trucs à se mettre sous la dent, et quand il n'y a plus d'os, il reste simplement le silence et l'esprit libre. Si on perçoit leur caractère relatif, on peut éviter d'en faire des armes de destruction massive entre peuples et religions.
POur cela, l'expérience senti, sensible, vécue, me semble tellement plus universelle!
On peut avoir des concepts et représentations différentes.
Mais nous avons tous un corps, une respiration, un esprit.
binah

Jean a écrit :je ne peux pas en discuter car je ne connais rien à la religion Juive.

mais je sais que de nombreux juifs sont considérés comme des experts en Bouddhisme, ont écrits des livres très importants sur ce sujet et ont trouvés des points communs entre la Kabbale et le Bouddhisme ésotérique (corps subtil, chakras, utilisation de lettres ressemblant aux syllabes germes du Bouddhisme tantrique. La notion de Dieu est différente dans la Kabbale et dans la religion juive telle qu'elle est pratiquée par le plus grand nombre. En tout cas ces auteurs juifs ont trouvé un moyen de vivre harmonieusement avec ces 2 approches spirituelles.

As-tu lu "Le rabbin dans le Lotus"? je ne l'ai pas lu, mais qu'en penses-tu?

Entre religion juive et kabbale, il me semble que la différence est un peu comme celle d'entre religion Musulmane et Soufisme, entre religion Hindouiste et les aphorisme de Patanjali ou le yoga Civaîste, entre religion Chrétienne et pratiques et expériences des moines contemplatifs.

Une même expérience spirituelle ou mystique est exprimée d'une certaine manière dans une culture et d'une autre manière dans une autre culture et cela peut varier aussi dans une même culture en fonction de l'individu.
Merci pour votre ouverture... La Kabbale de la religion juive, c'est un courant relevant du caractère mystique, une sorte de dérivé de la religion juive. Quant au soufisme, idem, un courant mystique de l'Islam, ils sont dispersés dans le monde en communautés.
Robi

lausm a écrit :Et je pense que ce qui peut permettre de faire le lien entre les traditions, n'est pas les éléments conceptuels, culturels, mais l'expérience vécue, ressentie. Je crois vraiment que c'est de là qu'on peut partir pour discuter. Si on discute juste à partir de théorie, l'on risque de ne voir que ce qui nous sépare.
Parler de son ressenti ça peut être très prétentieux, voire impudique. Si je vous dis (c'est un exemple de bonheur parmi d'autres que Dieu me donne) que grâce à Dieu les enfants dans la rue me sourient en me considérant (c'est ce que je ressens) comme l'un des leurs, c'est très prétentieux. Si je vous dis que j'ai été enflammé quand j'ai compris que Dieu m'aimait avec le même bonheur que lorsqu'une femme vous reconnait à elle et vous rend vivant en vous disant "je t'aime", c'est aussi prétentieux et impudique.
Pour un chrétien les grâces que Dieu lui donne c'est très intime. La relation qu'il a avec Lui au quotidien aussi est très intime car personnelle.
C'est le Royaume de Dieu où il est.
lausm

C'est vrai.
C'est vrai que c'est intime.
Mais comme dans toute société, on a des médias pour parler de l'intime : on parle de choses extérieures, ce sont nos rituels...on parle de manière indirecte.

C'est pour ça qu'on débattra du cadre, des concepts de la pratique, des points communs et différences, on parlera en usant des formes comme prétexte.
Mais on exprime son intime au travers de tout ça.

Meme ici, on se cache derrière les mots.
Mais ce qui fait notre expérience intime, on le laisse transpirer comme l'on veut.
Parfois c'est bien d'en parler, de le montrer.
Parfois c'est mieux de le cacher.
Jean

Dans le Hatha Yoga, le ressenti a une très grande importance, on explore les ressentis de la posture. et on se concentre dessus

Dans le tantrisme les visualisations sont accompagnées de ressentis. Ce n'est pas un film que l'on voit défiler et les ressentis sont aussi importants que la visualisation.

Tout TWR est basé sur la prise de conscience de certains ressentis et sur la concentration sur certains d'entre eux

Il y a cette vidéo de Lama Guendune ou il parle de la méditation sur la compassion et où celle ci devient comme un incendie qui purifie tout. C'est du ressenti. Et quel ressenti!

Mirarépa parlait du corps comme d'une montagne, de l'esprit calme comme un lac et vaste comme le ciel, c'est du ressenti.

Dans Zazen le ressenti physique est très important. Il s'agit de se sentir assis sur le coussin, assis dans son Hara, assis dans son coeur. Il y a même un livre sur le Zen ou l'auteur parle du ressenti de ne plus avoir de tête!

Idem pour Ki hin et pour les différentes marches méditatives. Sentir le sol sous les pieds, marcher sur la Terre. Il y a des jours où on le ressent, ce sont les "bons" jours, d'autres jours où on ne le ressent pas, c'est les "mauvais" jours et le travail consiste à essayer de le ressentir, à ramener son esprit dessus.

Le ressenti permet de sortir du bavardage mental.

En plus; il est enseigné de gouter, de se nourrir de ces ressentis.

la "présence " est un ressenti.

Souvent la poésie des pratiquants est constituée de ressentis que le pratiquant essaie de faire partager avec les autres.

L'important c'est : qu'est ce que l'on fait de tout cela dans la vie courante? C'est excellent de se ressentir comme une montagne, l'esprit calme comme un lac et l'esprit vaste comme le ciel mais bon, alors quoi? Si ça n'apporte rien dans la vie courante, aucune amélioration de comportement. Un pastis ferait autant l'affaire où 2 où 3 où la bouteille! :D

Il y a aussi des ressentis qui sont des traumatismes positifs qui changent définitivement une vie comme la rencontre avec une personne très évoluée spirituellement. rencontres avec des saints, rencontre avec des maîtres spirituels.

Un ressenti peut âtre tout à fait ordinaire mais extraordinaire compte tenu du contexte. Ressentir le calme en soi après une journée éreintante constituée que d'une succession d'ennuis, de problèmes et de tracas est une expérience extraordinaire.

Trés souvent pour promouvoir la méditation, on parle de calme, de sérénité, de paix, de joie; de plénitude et cela constitue pour la plupart la motivation à la pratiquer, en tout cas plus que la capacité de voir l'absence d'existence inhérente en toute chose.

Finalement parler de ses ressentis n'est pas un mal en soi, c'est la motivation qui est derrière qui est importante.
Dernière modification par Jean le 04 avril 2014, 08:34, modifié 1 fois.
tongra

René Guénon : Que faut-il entendre par tradition ?

Dans ce qui précède, il nous est arrivé à chaque instant de parler de tradition, de doctrines ou de conceptions traditionnelles, et même de langues traditionnelles, et il est d'ailleurs impossible de faire autrement lorsqu'on veut désigner ce qui constitue vraiment tout l'essentiel de la pensée orientale sous ses divers modes ; mais qu'est-ce, plus précisément, que la tradition ? ... Pour nous, la tradition, dans une acception beaucoup plus générale, peut être écrite aussi bien qu'orale, quoique, habituellement, sinon toujours, elle ait dû être avant tout orale à son origine, comme nous l'avons expliqué; mais, dans l'état actuel des choses, la partie écrite et la partie orale forment partout deux branches complémentaires d'une même tradition, qu'elle soit religieuse ou autre, et nous n'avons aucune hésitation à parler d' « écritures traditionnelles », ce qui serait évidemment contradictoire si nous ne donnions au mot « tradition » que sa signification la plus spéciale ; du reste, étymologiquement, la tradition est simplement « ce qui se transmet » d'une manière ou d'une autre. En outre, il faut encore comprendre dans la tradition, à titre d'éléments secondaires et dérivés, mais néanmoins importants pour en avoir une notion complète, tout l'ensemble des institutions de différents ordres qui ont leur principe dans la doctrine traditionnelle elle-même.



Ainsi envisagé, la tradition peut paraître se confondre avec la civilisation même, qui est, suivant certains sociologues, « l'ensemble des techniques, des institutions et des croyances communes à un groupe d'hommes pendant un certain temps » ; mais que vaut au juste cette dernière définition ? Nous ne croyons pas, à vrai dire, que la civilisation soit susceptible de se caractériser généralement dans une formule de ce genre, qui sera toujours trop large ou, trop restreinte par certains côtés, risquant de laisser en dehors d'elle des éléments communs à toute civilisation, et de comprendre par contre d'autres éléments qui n'appartiennent proprement qu'à quelques civilisations particulières. Ainsi, la définition précédente ne tient aucun compte de ce qu'il y a d'essentiellement intellectuel en toute civilisation, car c'est là quelque chose qu'on ne saurait faire rentrer dans ce qu'on appelle les « techniques », qu'on nous dit être « des ensembles de pratiques spécialement destinées à modifier le milieu physique »; d'autre part, quand on parle de « croyances », en ajoutant d’ailleurs que ce mot doit être « pris dans son sens habituel », il y a là quelque chose qui suppose manifestement la présence de l'élément religieux, lequel est en réalité spécial à certaines civilisations et ne se retrouve pas dans les autres. C'est pour éviter tout inconvénient de ce genre que nous nous sommes contenté, au début, de dire simplement qu'une civilisation est le produit et l'expression d'une certaine mentalité commune à un groupe d'hommes ou moins étendu, réservant pour chaque cas particulier la détermination précise de ses éléments constitutifs.



Quoi qu'il en soit, il n'en est pas moins vrai que, en ce qui concerne l'Orient, l'identification de la tradition et de la civilisation tout entière est au fond justifiée: toute civilisation orientale, prise dans son ensemble, nous apparaît comme essentiellement traditionnelle, et ceci résulte immédiatement des explications que nous avons données dans le chapitre précédent. Quant à la civilisation, occidentale, nous avons dit qu'elle est au à contraire dépourvue de tout caractère traditionnel, à exception de son élément religieux, qui est le seul à y avoir conservé ce caractère. C'est que les institutions sociales, pour pouvoir être dites traditionnelles, doivent être effectivement rattachés, comme à leur principe, à une doctrine qui le soit elle-même, que cette doctrine soit d'ailleurs métaphysique, ou religieuse, ou de toute autre sorte convenable. En d'autres termes, les institutions traditionnelles, qui communiquent ce caractère à tout l'ensemble d'une civilisation, sont celles qui ont leur raison d'être profonde dans leur dépendance plus ou moins directe, mais toujours voulue et consciente, par rapport à une doctrine dont la nature fondamentale est, dans tous les cas, d'ordre intellectuel ; mais l'intellectualité peut y être à l'état pur, et on a alors affaire à une doctrine proprement métaphysique, ou bien s'y trouver mélangée à divers éléments hétérogènes, ce qui donne naissance au mode religieux et aux autres modes dont peut être susceptible une doctrine traditionnelle.



Dans l'Islam, avons-nous, dit, la tradition présente deux aspects distincts, dont l'un est religieux, et c'est celui auquel se rattache directement l'ensemble des institutions sociales, tandis que l'autre, celui qui est purement oriental, est véritablement métaphysique. Dans une certaine mesure, il y a eu quelque chose de ce genre dans l'Europe du moyen âge, avec la doctrine scolastique, où l'influence arabe s'est d'ailleurs exercée assez fortement ; mais il faut ajouter, pour ne pas pousser trop loin les analogies, que la métaphysique n'y a jamais été dégagée aussi nettement qu'elle devrait l'être de la théologie, c'est-à-dire, en somme, de son application spéciale à la pensée religieuse, et que, d'autre part, ce qui s'y trouve de proprement métaphysique n'est pas complet, demeurant soumis à certaines limitations qui semblent inhérentes à toute l'intellectualité occidentale ; sans doute faut-il voir dans ces deux imperfections une conséquence du double héritage de la mentalité judaïque et de la mentalité grecque.



Dans l'Inde, on est en présence d'une tradition purement métaphysique dans son essence, à laquelle viennent s'adjoindre, comme autant de dépendances et de prolongements, des applications diverses, soit dans certaines branches secondaires de la doctrine elle-même, comme celle qui se rapporte à la cosmologie par exemple, soit dans l'ordre social, qui est d'ailleurs déterminé strictement par la correspondance analogique s'établissant entre les formes respectives de l'existence cosmique et de l'existence humaine. Ce qui apparait ici beaucoup plus clairement que dans la tradition islamique, surtout en raison de l'absence du point de vue religieux et des éléments extra-intellectuels qu'il implique essentiellement, c'est la totale subordination des divers ordres particuliers à l'égard, de la métaphysique, c'est-à-dire du domaine des principes universels.



En Chine, la séparation très nette dont nous avons parlé nous montre, d'une part, une tradition métaphysique, et, d'autre part, une tradition sociale, qui peuvent sembler au premier abord, non seulement distinctes comme elles le sont en effet, mais même relativement indépendantes l'une de l'autre, d'autant mieux que la tradition métaphysique est toujours demeurée l'apanage à peu près exclusif d'une élite intellectuelle, tandis que la tradition sociale, en raison de sa nature propre, s'impose également à tous et exige au même degré leur participation effective. Seulement, ce à quoi il faut bien prendre garde, c'est que la tradition métaphysique, telle qu'elle est constituée sous la forme du « Taoïsme », est le développement des principes d'une tradition plus primordiale, contenue notamment dans le Yi-king, et que c'est de cette même tradition primordiale que découle entièrement, bien que d'une façon moins immédiate et seulement en tant qu'application à un ordre contingent, tout l'ensemble d'institutions sociales qui est habituellement connu sous le nom de « Confucianisme ». Ainsi se trouve rétablie, avec l'ordre de leurs rapports réels, la continuité essentielle des deux aspects principaux de la civilisation extrême-orientale, continuité que l'on s'exposerait à méconnaitre presque inévitablement si l'on ne savait remonter jusqu'à leur source commune, c'est-à-dire jusqu'à cette tradition primordiale dont l'expression idéographique, fixée dès l'époque de Fo-hi, s'est maintenue intacte à travers une durée de prés de cinquante siècles.



Nous devons maintenant, après cette vue d'ensemble, marquer d'une façon plus précise ce qui constitue proprement cette forme traditionnelle spéciale que nous appelons la forme religieuse, puis ce qui distingue la pensée métaphysique pure de la pensée théologique, c'est-à-dire des conceptions en mode religieux, et aussi, d'autre part, ce qui la distingue de la pensée philosophique au sens occidental de ce mot. C'est dans ces distinctions profondes que nous trouverons vraiment, par opposition aux principaux genres de conceptions intellectuelles, ou plutôt semi-intellectuelles, habituels au monde occidental, les caractères fondamentaux des modes généraux et essentiels de l'intellectualité orientale.



(René Guénon, Introduction générale à l'étude des doctrines hindoues – Deuxième partie, Chapitre III : Que faut il entendre par tradition ? Guy Trédaniel, p. 75-79)
longchen2

Pour moi la façon dont on s’oriente dans la religion est affaire de ressenti ou d’intuition (de foi ?). Le langage avec son côté logique n’est pas exclu évidemment, pour autant doit-on lui accorder toute notre attention ?

C’est un peu comme cette affaire de disparition du Boeing 777 ; personne ne sait… alors on suppose et des tas de théories arrivent, raisonnables moins raisonnables, farfelues.
Dans la religion on a aussi des tas de théories, peut être trop (c’est mon point de vue) mais elles sont utiles pour les êtres pensants que nous sommes. Du bardo de la mort personne n’est vraiment revenu pour nous dire : oui oui c’est bien ainsi, vous aviez raison !!

La question de la foi est un peu tabou dans le bouddhisme, on parle plutôt de confiance et évite le premier terme. A qui ou à quoi fait-on confiance et pourquoi ? Je ne suis pas certain que le ressenti n'ait pas un rôle essentiel dans le processus...
FleurDeLotus
Répondre