La société birmane sous tension

Lupka

La chef de l'opposition birmane, Aung San Suu Kyi, entame mercredi un voyage aux allures de tournée triomphale en Europe, où elle prononcera enfin son discours de récipiendaire du prix Nobel de la paix (reçu en 1991 !) et affinera son image d'icône mondiale de la démocratie. Un parcours de plus de quinze jours dans des capitales qui l'ont fidèlement soutenue depuis son premier discours militant en 1988. Cependant les événements se déroulant actuellement à l'ouest de Birmanie terniront certainement ce voyage.

La situation semblait calme de prime abord dans la ville de Sittwe, capitale de l'État de Rakhine. Mais les restes calcinés d'habitations témoignaient des violences des jours précédents. Des camions militaires étaient déployés à l'aéroport, et des forces de l'ordre, en nombre limité, étaient visibles autour des mosquées et des pagodes.

État d'urgence

Tôt dimanche, les autorités ont imposé un couvre-feu dans quatre villes de l'État de Rakhine, à la frontière du Bangladesh. Ces violences confessionnelles entre bouddhistes et musulmans font suite au lynchage de dix pèlerins musulmans la semaine dernière par une foule de bouddhistes en colère, prétendument en réponse au viol collectif et au meurtre d'une femme de 26 ans par trois hommes musulmans fin mai.

Ces violences confessionnelles ayant déjà fait huit morts et dix-sept blessés pourraient perturber la transition démocratique, expliquait le président birman, Thein Sein. Si ces troubles se multiplient et s'étendent au-delà de l'État de Rakhine, "la stabilité du pays, la paix, le processus de démocratisation et de développement pourraient être terriblement affectés, et beaucoup serait perdu", a expliqué lors d'un discours à la nation celui que l'on crédite de nombreuses réformes politiques.

Les tensions raciales et religieuses ne sont pas nouvelles dans cette région et sont aggravées par les persécutions que les deux parties ont subies par les autorités birmanes. La propagande anti-musulmane fait rage, les discriminations et l'intolérance ne cessent d'augmenter. C'est en tout cas ce qu'affirment de nombreuses ONG. Tous les musulmans sont fréquemment assimilés, dans le discours dominant, à un même groupe étranger et dangereux.

Toutefois, depuis son arrivée au pouvoir l'année dernière, c'est la première fois que le président impose un état d'urgence, autorisant l'armée à prendre le contrôle administratif d'une région. Le gouvernement pourrait tirer profit de cette agitation, qui détourne l'attention des attaques faites par l'armée sur d'autres groupes ethniques, comme à l'encontre des Rohingya.

Éternelles discriminations

Cette minorité musulmane apatride est considérée par l'ONU comme l'une des plus persécutées au monde. Des Rohingya "ont été tués par balle par les forces de sécurité, certains ont été tués au couteau par des Rakhine", a répliqué de son côté Abu Tahay, un responsable du Parti pour le développement démocratique national, qui représente les Rohingya. Plus de 300 000 Rohingya avaient déjà fui au Bangladesh pour échapper aux violences et aux discriminations. Il s'agit de la seule minorité contrainte à la politique des "deux enfants" et à de sévères limitations des voyages.

Dans un pays où, soulignent les experts, être birman signifie généralement être bouddhiste, les tensions religieuses sous-jacentes demeurent une donnée essentielle. Ces violences, qui pourraient déstabiliser le fragile processus de réforme birman, trouvent bel et bien leur origine dans un sectarisme perpétuel, obstacle majeur à tout processus de démocratisation.

http://www.lepoint.fr/monde/la-societe- ... 085_24.php
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