Un extrait spécial dédicace à Dharmadhatu qui ne me lit pas (sur la bonté et l'éthique artificielle, et la franchise naturelle, selon le taoisme)
L'autre extrait à Erratum qui déteste les libertaires ! (sur l'état naturel et les chevaux, selon le taoisme)
Il ne faut pas violenter la nature, même sous prétexte de la rectifier. Que le composé reste composé, et le simple simple. Que le long reste long, et le court court. Gardez-vous de vouloir allonger les pattes du canard, ou raccourcir celles de la grue. Essayer de le faire leur causerait de la souffrance, ce qui est la note caractéristique de tout ce qui est contre nature, tandis que le plaisir est la marque du naturel.
Il ressort de ces principes que la bonté et l’équité artificielles de Confucius ne sont pas des sentiments naturels à l’homme, car leur acquisition et leur exercice sont accompagnés de gêne et de souffrance.Ceux qui posent, de nos jours, pour la bonté et la justice, souffrent de voir le cours des choses, soupirent de lutter contre les passions humaines. Non, la bonté et l’équité ne sont pas des sentiments naturels ; autrement il y en aurait davantage dans le monde, lequel, depuis tantôt dix-huit siècles, n’est que lutte et bruit.Les déclamations officielles sur la bonté et l’équité destinées à influencer le cœur des hommes, tout cela est contre nature, artificiel, pure convention. La nature régit le monde. Par l’effet de cette nature, les êtres courbes sont devenus tels, sans intervention du quart de cercle ; les êtres droits, sans qu’on ait employé la ligne ;
Alors pourquoi prétendre ficeler les hommes et les attacher les uns aux autres, par des liens factices de bonté et d’équité, par les rites et la musique, cordes colle et vernis des philosophes politiciens ? Pourquoi ne pas les laisser suivre leur nature ? Pourquoi vouloir leur faire oublier cette nature ?... Depuis que l’empereur Chounn (vers l’an 2255) désorienta l’empire par sa fausse formule « bonté et équité », la nature humaine est en souffrance, étouffée par l’artificiel, par le conventionnel.Oui, depuis Chounn jusqu’à nos jours, les hommes suivent des appas divers, non leur propre nature.
Non, l’homme n’est pas bon parce qu’il pratique la bonté et l’équité artificielles ; il est bon par l’exercice de ses facultés naturelles. Fait bon usage de la vue celui qui ne regarde que soi-même. Ceux qui regardent et écoutent autrui prennent fatalement quelque chose de la manière et des jugements d’autrui, au détriment de la rectitude de leur sens naturel. Du moment qu’ils ont aberré de leur rectitude naturelle, qu’ils soient réputés brigands comme Tchee ou sages comme Pai-i, peu m’importe ; ce ne sont, à mes yeux, que des dévoyés. Car, pour moi, la règle, c’est la conformité ou la non conformité à la nature. La bonté et l’équité artificielles me sont aussi odieuses que le vice et la dépravation.
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Les chevaux ont naturellement des sabots capables de fouler la neige, et un poil impénétrable à la bise. Ils broutent l’herbe, boivent de l’eau, courent et sautent. Voilà leur véritable nature. Ils n’ont que faire de palais et de dortoirs. ... Quand Pai-lao, le premier écuyer, eut déclaré que lui seul s’entendait à traiter les chevaux ; quand il eut appris aux hommes à marquer au fer, à tondre, à ferrer, à brider, à entraver, à parquer ces pauvres bêtes, alors deux ou trois chevaux sur dix moururent prématurément, par suite de ces violences faites à leur nature. Quand le mors tourmenta leur bouche, quand la cravache cingla leur croupe ; alors, sur dix chevaux, cinq moururent prématurément, par suite de ces violences contre nature.
On loue de même, pour leur génie et leurs inventions, ceux qui imaginèrent la forme de gouvernement moderne. C’est là une erreur, à mon sens. La condition des hommes fut tout autre, sous les bons souverains de l’antiquité. Leur peuple suivait sa nature, et rien que sa nature. Tous les hommes, uniformément, se procuraient leurs vêtements par le tissage et leurs aliments par le labourage. Ils formaient un tout sans divisions, régi par la seule loi naturelle.
En ces temps de naturalisme parfait, les hommes marchaient comme il leur plaisait et laissaient errer leurs yeux en toute liberté, aucun rituel ne réglementant la démarche et les regards. L’homme ne leur faisant pas de mal, les animaux se laissaient conduire par lui sans défiance, les oiseaux ne s’inquiétaient pas qu’on regardât dans leur nid. Oui, en ces temps de naturalisme parfait, l’homme vivait en frère avec les animaux, sur le pied d’égalité avec tous les êtres. On ignorait alors heureusement la distinction rendue si fameuse par Confucius, entre le Sage et le vulgaire. Également dépourvus de science, les hommes agissaient tous selon leur nature. Également sans ambition, tous agissaient simplement. En tout la nature s’épanouissait librement.
Jadis, dans l’état de nature, les chevaux broutaient de l’herbe et buvaient de l’eau. Quand ils étaient contents, ils frottaient leur cou l’un contre l’autre. Quand ils étaient fâchés, ils faisaient demi-tour et se donnaient des ruades. N’en sachant pas plus long, ils étaient parfaitement simples et naturels. Mais quand Pai-lao les eut attelés et harnachés, ils devinrent fourbes et malins, par haine du mors et de la bride. Cet homme est coupable du crime d’avoir perverti les chevaux. — Au temps du vieil empereur Ho-su, les hommes restaient dans leurs habitations à ne rien faire, ou se promenaient sans savoir où ils allaient. Quand leur bouche était bien pleine, ils se tapaient sur le ventre en signe de contentement. N’en sachant pas plus long, ils étaient parfaitement simples et naturels. Mais quand le premier leur eut appris à faire les courbettes rituelles au son de la musique, et des contorsions sentimentales au nom de la bonté et de l’équité, alors commencèrent les compétitions pour le savoir et pour la richesse, les prétentions démesurées et les ambitions insatiables.
