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Bonté et chevaux (taoisme)

Publié : 13 janvier 2013, 01:43
par ardjopa
Deux extraits des oeuvres de Tchouang tseu, que je lis plus completement en ce moment;

Un extrait spécial dédicace à Dharmadhatu qui ne me lit pas (sur la bonté et l'éthique artificielle, et la franchise naturelle, selon le taoisme)
L'autre extrait à Erratum qui déteste les libertaires ! (sur l'état naturel et les chevaux, selon le taoisme)

Il ne faut pas violenter la nature, même sous prétexte de la rectifier. Que le composé reste composé, et le simple simple. Que le long reste long, et le court court. Gardez-vous de vouloir allonger les pattes du canard, ou raccourcir celles de la grue. Essayer de le faire leur causerait de la souffrance, ce qui est la note caractéristique de tout ce qui est contre nature, tandis que le plaisir est la marque du naturel.
Il ressort de ces principes que la bonté et l’équité artificielles de Confucius ne sont pas des sentiments naturels à l’homme, car leur acquisition et leur exercice sont accompagnés de gêne et de souffrance.Ceux qui posent, de nos jours, pour la bonté et la justice, souffrent de voir le cours des choses, soupirent de lutter contre les passions humaines. Non, la bonté et l’équité ne sont pas des sentiments naturels ; autrement il y en aurait davantage dans le monde, lequel, depuis tantôt dix-huit siècles, n’est que lutte et bruit.Les déclamations officielles sur la bonté et l’équité destinées à influencer le cœur des hommes, tout cela est contre nature, artificiel, pure convention. La nature régit le monde. Par l’effet de cette nature, les êtres courbes sont devenus tels, sans intervention du quart de cercle ; les êtres droits, sans qu’on ait employé la ligne ;
Alors pourquoi prétendre ficeler les hommes et les attacher les uns aux autres, par des liens factices de bonté et d’équité, par les rites et la musique, cordes colle et vernis des philosophes politiciens ? Pourquoi ne pas les laisser suivre leur nature ? Pourquoi vouloir leur faire oublier cette nature ?... Depuis que l’empereur Chounn (vers l’an 2255) désorienta l’empire par sa fausse formule « bonté et équité », la nature humaine est en souffrance, étouffée par l’artificiel, par le conventionnel.Oui, depuis Chounn jusqu’à nos jours, les hommes suivent des appas divers, non leur propre nature.
Non, l’homme n’est pas bon parce qu’il pratique la bonté et l’équité artificielles ; il est bon par l’exercice de ses facultés naturelles. Fait bon usage de la vue celui qui ne regarde que soi-même. Ceux qui regardent et écoutent autrui prennent fatalement quelque chose de la manière et des jugements d’autrui, au détriment de la rectitude de leur sens naturel. Du moment qu’ils ont aberré de leur rectitude naturelle, qu’ils soient réputés brigands comme Tchee ou sages comme Pai-i, peu m’importe ; ce ne sont, à mes yeux, que des dévoyés. Car, pour moi, la règle, c’est la conformité ou la non conformité à la nature. La bonté et l’équité artificielles me sont aussi odieuses que le vice et la dépravation.

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Les chevaux ont naturellement des sabots capables de fouler la neige, et un poil impénétrable à la bise. Ils broutent l’herbe, boivent de l’eau, courent et sautent. Voilà leur véritable nature. Ils n’ont que faire de palais et de dortoirs. ... Quand Pai-lao, le premier écuyer, eut déclaré que lui seul s’entendait à traiter les chevaux ; quand il eut appris aux hommes à marquer au fer, à tondre, à ferrer, à brider, à entraver, à parquer ces pauvres bêtes, alors deux ou trois chevaux sur dix moururent prématurément, par suite de ces violences faites à leur nature. Quand le mors tourmenta leur bouche, quand la cravache cingla leur croupe ; alors, sur dix chevaux, cinq moururent prématurément, par suite de ces violences contre nature.
On loue de même, pour leur génie et leurs inventions, ceux qui imaginèrent la forme de gouvernement moderne. C’est là une erreur, à mon sens. La condition des hommes fut tout autre, sous les bons souverains de l’antiquité. Leur peuple suivait sa nature, et rien que sa nature. Tous les hommes, uniformément, se procuraient leurs vêtements par le tissage et leurs aliments par le labourage. Ils formaient un tout sans divisions, régi par la seule loi naturelle.
En ces temps de naturalisme parfait, les hommes marchaient comme il leur plaisait et laissaient errer leurs yeux en toute liberté, aucun rituel ne réglementant la démarche et les regards. L’homme ne leur faisant pas de mal, les animaux se laissaient conduire par lui sans défiance, les oiseaux ne s’inquiétaient pas qu’on regardât dans leur nid. Oui, en ces temps de naturalisme parfait, l’homme vivait en frère avec les animaux, sur le pied d’égalité avec tous les êtres. On ignorait alors heureusement la distinction rendue si fameuse par Confucius, entre le Sage et le vulgaire. Également dépourvus de science, les hommes agissaient tous selon leur nature. Également sans ambition, tous agissaient simplement. En tout la nature s’épanouissait librement.
Jadis, dans l’état de nature, les chevaux broutaient de l’herbe et buvaient de l’eau. Quand ils étaient contents, ils frottaient leur cou l’un contre l’autre. Quand ils étaient fâchés, ils faisaient demi-tour et se donnaient des ruades. N’en sachant pas plus long, ils étaient parfaitement simples et naturels. Mais quand Pai-lao les eut attelés et harnachés, ils devinrent fourbes et malins, par haine du mors et de la bride. Cet homme est coupable du crime d’avoir perverti les chevaux. — Au temps du vieil empereur Ho-su, les hommes restaient dans leurs habitations à ne rien faire, ou se promenaient sans savoir où ils allaient. Quand leur bouche était bien pleine, ils se tapaient sur le ventre en signe de contentement. N’en sachant pas plus long, ils étaient parfaitement simples et naturels. Mais quand le premier leur eut appris à faire les courbettes rituelles au son de la musique, et des contorsions sentimentales au nom de la bonté et de l’équité, alors commencèrent les compétitions pour le savoir et pour la richesse, les prétentions démesurées et les ambitions insatiables.

Butterfly_tenryu

Re: Bonté et chevaux (taoisme)

Publié : 13 janvier 2013, 06:44
par Flocon
Très beaux textes. Lire Tchouang Tseu, c'est comme prendre un bain frais, ou respirer l'air du matin... :)

Re: Bonté et chevaux (taoisme)

Publié : 13 janvier 2013, 10:13
par Erratum
Merci pour ce texte...
Comment pourrais je détester les libertaires, quand la liberté n'est qu'une vue de l'esprit... :roll:
Tu ne veux pas entendre ce que j'essaie de dire... Merci de ne pas chercher à en rajouter une couche...
Mes propres chevaux vivent le plus naturellement possible au pré, loin des contraintes sans être monté, de la gamine effectivement cavalière de club mon cheminement s'est fait, en étant autant que possible à leur écouté et avec mes maigres moyens... cela me regarde, et à l'instar de ce que tu me reproches, tu ne laisses aucun doute à la différence et continue lourdement tes rengaines...
Ciao :arrow:

Re: Bonté et chevaux (taoisme)

Publié : 13 janvier 2013, 10:44
par Flocon
Ce sont des textes que personnellement j'adore, mais je ne crois pas qu'il faille prendre leur propos sur les animaux trop au pied de la lettre. On sent bien la virulence politique contre le confucianisme, et le cheval, comme la grue dont il est à un moment question de "raccourcir les pattes" :shock: est un symbole aussi important que cette dernière dans la pensée chinoise : mieux vaut, je crois, en tenir compte. De même le thème de l'homme qui "vit sur un pied d'égalité avec tous les êtres" ne correspond pas à une réalité dans l'esprit de l'auteur, c'est un mythe philosophique chinois (la fameuse "grande égalité" que le taoïsme suppose à l'aube des temps, un peu comme le paradis terrestre dans la Bible ou l'âge d'or chez les Grecs).

On pourrait lire ailleurs, dans Tchouang Tseu, un éloge de l'art du boucher, ce qui serait en contradiction avec ce type de texte pris comme une défense des animaux selon les critères modernes.

Je ne dis pas ça pour imposer ma propre lecture des taoïstes, chacun peut en tirer ce qu'il veut : simplement parce que ce serait dommage de partir sur une polémique à propos de ces textes si beaux.

Re: Bonté et chevaux (taoisme)

Publié : 13 janvier 2013, 12:41
par ardjopa
Pas mal d'accord avec Flocon, j'en suis au chapitre 12; Il me semble que les "vrais écrits" supposés de Zhuangzi s'arretent aux 7 premiers et aux 15 suivants; mais les autres sont surement interessant;
Tout ça respire la nature, la simplicité, limpide;
Mon but n'est pas de créer une polémique ou de défendre mes propres avis, mais de montrer "d'autres visions" ou versions des choses
Cela dit on peut faire beaucoup de comparaisons et voir de similitudes entre taoisme et bouddhisme; Au moins avec le chan chinois ou le zen japonais;




Tien-kenn errant au sud du mont Yinn vers la rivière Leao, rencontra Ou-ming-jenn et lui demanda à brûle-pourpoint : comment faire pour gouverner l’empire ? — Ou-ming-jenn lui dit : tu es un malappris, de poser pareille question d’une pareille manière. D’ailleurs pourquoi me soucierais-je du gouvernement de l’empire, moi qui, dégoûté du monde, vis dans la contemplation du Principe, me promène dans l’espace comme les oiseaux, et m’élève jusqu’au vide par-delà l’espace. — T’ien-kenn insista. Alors Ou-ming-jenn lui dit : Reste dans la simplicité, tiens toi dans le vague, laisse aller toutes choses, ne désire rien pour toi, et l’empire sera bien gouverné, car tout suivra son cours naturel.

Faites du non-agir votre gloire, votre ambition, votre métier, votre science. Le non-agir n’use pas. Il est impersonnel. Il rend ce qu’il a reçu du ciel, sans rien garder pour lui. Il est essentiellement un vide. — Le sur-homme n’exerce son intelligence qu’à la manière d’un miroir. Il sait et connaît, sans qu’il s’ensuive ni attraction ni répulsion, sans qu’aucune empreinte persiste. Cela étant, il est supérieur à toutes choses, et neutre à leur égard.

Il faut laisser tous les êtres dans leur état fruste naturel, sans chercher à les perfectionner artificiellement, autrement ils cessent d’être ce qu’ils étaient et devaient rester.

Qu’ils donnent leur confiance aux hommes transcendants ; à ceux qui, libres de tout intérêt terrestre, vont et viennent dans l’espace, se promènent dans les neuf régions, sont citoyens non d’un pays mais de l’univers. Ces hommes-là sont les plus nobles de tous les hommes[4]. L’estime des hommes vulgaires s’attache à eux, aussi infailliblement que l’ombre suit le corps opaque, que l’écho suit le son. Quand il est consulté, par sa réponse l’homme transcendant épuise la question et comble les vœux du consultant. Il est le recours de tout l’empire. Son séjour est calme et silencieux, ses sorties n’ont pas de but déterminé. Il mène et ramène ses interlocuteurs, sans secousse, par une influence impalpable. Ses mouvements n’ont pas de règles fixes. Comme le soleil, il luit toujours. L’éloge substantiel de cet homme, se résume en ces mots, qu’il est un avec le grand tout. Il est le grand tout, et n’est plus lui-même. N’ayant plus d’existence particulière, il n’a plus aucune propriété. Les anciens empereurs avaient encore quelque propriété. Il faut n’en plus avoir du tout, pour devenir l’ami du ciel et de la terre.

Re: Bonté et chevaux (taoisme)

Publié : 13 janvier 2013, 13:43
par Dharmadhatu
Ardjopa a écrit :Un extrait spécial dédicace à Dharmadhatu qui ne me lit pas
:cool: Non, je ne te lis pas toujours. Nuance.

Quant à cet extrait qui m'est spécialement adressé, c'est très amusant de voir énoncées des lois complètement fabriquées sur la nature qui est sensée être dénuée de toute fabrication ! Si les humains ne devaient pas se "ficeler" l'un à l'autre, alors l'auteur de ces lignes est venu au monde comment ? Par le pouvoir du Saint Esprit ? Ses parents ont peut-être été obligés, le couteau sous la gorge, de faire l'amour, de fonder un foyer, de lui donner une éducation qui lui permette un jour d'écrire tout ces mots.... why not ? Perso, je n'y crois pas une seconde (et ne pense pas être le seul).

A travers l'histoire, il y a toujours eu des philosophes qui ont écrit sous le coup de leurs émotions plus que sous le coup de la raison. Il suffit que la situation sociale ou historique de leur bled soit peu engageante pour que la seule solution qui vaille soit: Bombe H et on recommence tout... ou pas.

Bon, n'ayant lu en tout et pour tout qu'un seul texte clairement identifiable comme étant taoïste, je n'en connais pas grand-chose et ne disserterai pas plus avant sur ses tenants et aboutissants. Qu'il me soit seulement permis de faire une mise en garde contre des apparents rapprochements avec le Bouddhisme sur certaines questions simplement parce que des termes similaires y seraient employés (comme le "vide" en particulier).

FleurDeLotus

Re: Bonté et chevaux (taoisme)

Publié : 13 janvier 2013, 14:47
par ardjopa
Si les humains ne devaient pas se "ficeler" l'un à l'autre, alors l'auteur de ces lignes est venu au monde comment ? Par le pouvoir du Saint Esprit ? Ses parents ont peut-être été obligés, le couteau sous la gorge, de faire l'amour, de fonder un foyer, de lui donner une éducation qui lui permette un jour d'écrire tout ces mots.... why not ? Perso, je n'y crois pas une seconde
Les êtres naissent et meurent
Mais l'essence demeure
Vacuité ou tao
Peu importe les mots

Les parents ne sont rien
Que d'humbles transmetteurs
Chaque être a son chemin
Un esprit et un coeur

Semblables à l'univers
Libre est leur vraie nature
Comme l'aigle solitaire
Qui plane vers l'azur

Bouddhisme, taoisme ?
Encore des illusions
Sur terre les séismes
Sur la mer les typhons

Emotions ou raisons ?
Aller bien au-delà
Là où seul l'horizon
Voit le monde ici-bas