Etre bouddhiste et agnostique ?

pmh

J'ai lu avec intérêt le discours prononcé en 2006 par Stephen Batchelor (cf. http://www.vipassana.fr/Textes/StephenB ... stique.htm), qui fait d'ailleurs la différence entre athéisme et agnosticisme. La démarche agnostique qu'il revendique est originale et "souple" quant aux croyances, selon moi ; peut-elle trouver davantage sa place et son sens chez nous, en Occident? Est-elle peu à peu plus acceptée dans le bouddhisme européen et américain? J'aimerais avoir votre avis. Merci d'avance :)
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Flocon
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Un texte très intéressant, merci de l'avoir signalé. J'ai particulièrement aimé la phrase suivante, qui m'a paru belle et juste :
L'imagination est le pont entre l'expérience contemplative et l'angoisse du monde.
Et la fin, avec sa mise en garde salutaire.

Pour le reste, je n'ai pas de réponse aux questions que tu poses à propos de l'agnosticisme. La démarche agnostique est une démarche philosophique très respectable (et difficile, car il ne s'agit pas de revendiquer une ignorance molle mais au contraire d'adopter une attitude intellectuelle à la fois exigeante, dynamique et humble), mais je ne sais pas si elle a de l'avenir dans le monde actuel. :?:
Quand on sonde les choses, les connaissances s'approfondissent.
Les connaissances s'approfondissant, les désirs se purifient.
Les désirs une fois purifiés, le cœur se rectifie.
Le cœur étant rectifié, on peut réformer sa personne.

Kong Tseu
pmh

Merci Flocon. Oui, je suis d'accord, c'est une démarche intéressante mais exigeante.... Quant aux réponses...je n'en cherche pas à tout prix ! Chacun se construit les siennes au fur et à mesure. Je cherchais surtout à lancer le débat ;)
ted

Bonjour

SB résume bien quand il dit :
Nous devons reconnaître que nous vivons un moment de transition, moment dans lequel le Dharma est en crise en Asie et n'a pas encore vraiment trouvé de racines ici.
Il me semble qu'en France, les instances officielles du bouddhisme s'activent beaucoup pour le faire entrer dans la case religion.
Nous avons eu droit à des cérémonies organisées par l'UBF à la pagode de Vincennes avec des reliques du Bouddha, transférées d'Asie. http://www.bouddhisme-france.org/reliqu ... -genh.html

En 2010, 50 collectivités et centres bouddhistes, étaient adhérentes à la CAVIMAC (sécurité sociale des religieux) : http://www.bouddhisme-france.org/docume ... vimac.html

Par ailleurs, la vague New Age qui séduit les nouvelles générations, mélange allègrement le bouddhisme aux autres religions, avec un discours dominant axé sur l'universalité.

De nombreux néo-bouddhistes pratiquent sans doute encore discrètement des éléments de leur religion d'origine : soit par nécessité (respect des traditions familiales), soit par réflexe, à cause de leur conditionnement.

Les bouddhistes à tendance "agnostique profonde" (comme dit Batchelor) issus d'une souche athée ou humaniste, devront déjà trouver une école bouddhiste enseignant cette vision agnostique. Et comme l'explique bien SB, ce sera difficile. Car entre temps, le bouddhisme populaire est clairement devenu une religion. D'ailleurs, a t'il jamais cessé de l'être ? :shock: Nous connaissons les injonctions et recommandations du Bouddha. Mais que savons nous du comportement de ses disciples et de ses contemporains ? :cool: A peine 1 siècle après son parinirvana et malgré les précautions prises, des représentations physiques du Bouddha avaient fleuries, remplaçant la discrète empreinte de pas dans l'argile.

Cette idée d'un bouddhisme agnostique, n'est-elle pas un rêve occidental d'esprits légèrement sceptiques, cherchant une voie de libération épurée, débarrassée de "croyances" perçues comme primitives ? D'esprits adoptant une démarche spirituelle aussi rigoureuse que la démarche scientifique ? Le Bouddha en était certainement capable.

Mais le bouddhisme lui, peut-il y arriver ?
pmh

Merci ted. Je suis d'accord avec ton constat :
ted a écrit :Il me semble qu'en France, les instances officielles du bouddhisme s'activent beaucoup pour le faire entrer dans la case religion.

Quant aux esprits occidentaux et sceptiques, c'est vrai également...cependant, je crois que nous sommes toujours dans une période de transition et que le bouddhisme à l'occidentale se cherche. Pour info, le lien vers un article de wikipedia sur le "bouddhisme séculaire" : http://en.wikipedia.org/wiki/Secular_Buddhism
lausm

Le problème est toujours le même : l'être humain aime bien avoir des casiers, du prèt à penser, et pouvoir enfin prendre sa retraite de se penser dans le monde (ceci n'étant pas pour moi du mental ratiocinant, mais l'introspection que la méditation nous invite à avoir dans son essence la plus dépouillée, nue).
Donc rien de plus facile que de créer une nouvelle église : c'est un peu l'impression que toute cette activité se donne.
Et les méditants, les chercheurs isolés, quand ils pratiquent, parfois seuls, ne sont-ils pas aussi les acteurs de ce bouddhisme qui se cherche, sauf que souvent ils sont seuls et pas forcément écoutés par les instances officielles, quand ce n'est pas en rupture avec les logiques de système où l'humain se dilue dans la masse? Où la structure prend le pas sur ce qu'elle est censée contenir, transmettre, et témoigner-enseigner?
Le bouddhisme se cherche, mais il n'est pas autre chose que la somme de ses pratiquants et personnes intéressées qui interrogent ce que c'est.
Le bouddhisme en soi n'existe pas, ou sinon il est un nouvel "-isme", une catégorie mentale, un concept, un truc à penser qui n'est pas la réalité mais une tentative de la saisir en mots et pensées.
La seule chose du bouddhisme qui puisse exister, c'est la pratique, et même quand j'écris cela, le piège d'en faire un objet conceptuel qui s'opposerait à un -isme est toujours là....mais quand même, c'est la définition la plus approchante que je puisse donner avec ces outils relatifs que sont les mots.
On a vu de tout : on veut faire du bouddhisme contemporain, ou alors traditionnel, et plein de trucs.
Mais que fait-on avec la vie humaine dans ce monde, qu'entreprend-on pour faire tourner la roue du dharma d'aider le monde à se porter lui-même en devenant plus sage et compatissant, sans devenir d'une intelligence sèche ou d'une bonté mièvre sans sagesse?
La case "religion" servira-t-elle la cause d'une vie spirituelle intégrée socialement et accessible à tous?
Effectivement, quand on regarde, le bouddhisme n'a jamais supplanté une religion autochtone : soit il en a intégré des aspects, soit il a coexisté avec celles qui étaient là. Suffit de voir le Tibet, la Chine, le Japon....et pourtant, s'il y a pu avoir syncrétismes, il y a eu aussi perpétuation du discours premier du Bouddha : l'humain qui cherche à se connaître lui-même, et ce faisant, le monde où il vit, et ce faisant, à améliorer la vie à partir de la reconnaissance de ce qui est.
On pourrait dire que ce noyau dur qui en même temps est vide, est agnostique : il s'agit effectivement d'une connaissance au-delà de la connaissance, d'une appréhension des objets au-delà des objets. Mais en même temps liée à ces objets : il s'agit de voir le processus de relation au monde.
Le danger de la case "religion", à mon sens, serait de solidifier le bouddhisme en un nouvel agrégat conceptuel, et d'en retirer toute la dynamique profonde, qui pour moi est la capacité à interroger la source même du questionnement, à pouvoir mettre l'observateur au sein même du regard qui observe, à pouvoir mettre en cause le cadre et en montrer le caractère relatif, à pouvoir rester dans la capacité de ne pas saisir quoi que ce soit tout en vivant incarné dans le monde.
Je pense justement que si on veut garder l'esprit premier de la découverte du Bouddha en vie, c'est justement en réalisant que nous sommes toujours, de tout temps, dans une période de transition, car tout change, car l'impermanence est là, sans cesse, et que souvent notre souffrance est liée au fait qu'on nie cette impermanence.
On n'échappera jamais au fait que les déviances et interprétations de tout bord qui ont eu lieu du temps même du Bouddha, puissent se reproduire : c'est la nature humaine qui s'exprime...on aura toujours la velléité d'expressions dévotionnelles, celles d'expressions radicalement abruptes, celles d'expressions attachées aux règles de comportement, etc etc.......
Mais ne pas oublier qu'au final, tout cela s'exprime dans la relativité, dans le monde karmique.
Aujourd'hui, le monde est centré sur l'individu, le libéralisme, la réussite individuelle et l'épanouissement personnel.

Et si la libération, devenait une nouvelle prison???
Et si l'éveil, devenait une nouvelle illusion?
Et si le Bouddha, contenait Mara et servait sa cause??

C'est l'humain qui est en crise, que ce soit en Asie ou en Occident, et pour en sortir, il doit trouver sa vraie racine, la racine de son coeur.
On peut toujours gamberger sur ce qui différencie l'Occident de l'Orient, chercher des solutions en créant des systèmes.
Mais la solution que le Bouddha nous proposait, qui en fait est commune à toutes les traditions, mais aussi à tant d'autres religions, voies spirituelles, et aussi aux agnostiques, c'est regarder dans son coeur esprit, apprendre à exister en étant conscient de comment on existe.
Deshimaru a la fin de sa vie, avait dit à ses disciples qu'il y aurait des troubles dans l'avenir...il devait sentir le coeur de l'humain....y a t il pour cela besoin d'ête bouddhiste ou pas? Sa pratique avait probablement fait qu'il avait appris à ouvrir les yeux.

Quand on regarde, nos yeux ne peuvent se regarder eux-mêmes.
Alors que le bouddhisme se cherche lui-même, peut-il parvenir à se trouver??
boudiiii !

lausm a écrit : Et les méditants, les chercheurs isolés, quand ils pratiquent, parfois seuls, ne sont-ils pas aussi les acteurs de ce bouddhisme qui se cherche, sauf que souvent ils sont seuls et pas forcément écoutés par les instances officielles,
eh ! franchement , qu'est ce que ça peut bien faire d'être écoutés par les instances officielles ? Quelle est ta motivation Lausm ? delphinus
lausm

Disons qu'il m'est arrivé un jour de faire appels à des gens avec des fonctions ayant un certain niveau élevé de responsabilité, pour règler un problème interne.
Ces gens-là ont en fait fermé les yeux sur ce qu'il y avait à règler, et j'ai vu que rester au pouvoir, rester en place au sein des places "importantes", devenait plus important que le sort des pratiquants sur le terrain, quitte même à ce qu'ils ne puissent plus pratiquer....problème qui leur était bien lointain.
La motivation d'être écouté, pour moi, est juste d'être écouté. Pas plus. Mais pas moins.

Si quand on se prétend pratiquant du dharma, et le représenter, on ne se rappelle pas que le bodhisattva de la Compassion signifie "celui qui entend les sons du monde", et qu'on entend de manière sélective, alors je ne pense pas pouvoir dire, et là je le dis très clairement, que ceux qui représentent le bouddhisme pratiquent vraiment complètement l'enseignement qu'ils sont censés représenter.

Donc personnellement, je n'ai plus aucun lien avec tout ça, si tant est que j'en avais eu vraiment.

Mais je trouve injuste que leurs voix soient plus écoutées car ils ont les moyens de les faire porter loin, que celles de pratiquants inconnus et pourtant de valeur.

Car je pense qu'ils sont aujourd'hui pris dans une logique de système, politique et financière, que ça pervertit la simplicité première de l'esprit de la pratique, et qu'il y a derrière surtout comme enjeu pour certains qui y sont en place, de créer un système dans lequel les enseignants pourront en faire un job rémunéré avec retraite et sécu.....et que cela leur importe bien plus que ce que deviennent les pratiquants.
et que ce discours voile souvent le discours des pratiquants lambda dont personne n'a cure.

Mais bon, c'est ce constat que je fais dans le monde du zen, dix ans qu'on y répète les mêmes choses, et qu'on y entend de moins en moins ce que les pratiquants ont à dire de leur vie et leurs aspirations.
boudiiii !

J'ai l'impression d'avoir à faire à un type qui vient de prendre sa carte au parti pour changer le monde et qui découvre que les pontes ne sont que des bouffeurs de canapés .
Rien de nouveau sous le soleil donc . Butterfly_tenryu


Hasta la desillusion ! color_3
lausm

excuse moi d'être si naif, ô grand sage Boudii.

Je sais bien ce que l'humain peut exprimer, dans le meilleur comme dans le pire.
disons que ce que j'ai vécu là dedans, était d'une grande violence, et j'ai pu entendre ou lire des choses que je trouve spirituellement graves.
Et ça me pose question quand je vois une clique s'emparer d'un discours et d'une légitimité concernant le dharma, alors que souvent ils sont aux antipodes des valeurs qu'ils prétendent représenter.
Moi je j'ai jamais pris une carte pour un parti.
Mais par contre j'avais une certaine foi dans le fait que certains pratiquaient cette révolution intérieure dont parlais Deshimaru, le fait de tourner le regard vers l'intérieur.
et effectivement, ce qui me chagrine, c'est de voir que beaucoup croient que le bouddhisme aujourd'hui, c'est d'arriver à transformer son zafu en canapé! Même dans des petites structures.
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