Comment méditez-vous la vacuité ?

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yudo
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Un texte de Martin Luther King
Que nous en ayons conscience ou pas, chacun de nous est endetté pour l'éternité. Nous sommes les débiteurs d'hommes et de femmes connus et inconnus. Nous ne pouvons finir de déjeuner sans nous être rendus dépendants de plus de la moitié du monde. En nous levant, le matin, nous allons à la salle de bains où nous prenons une éponge que nous a procurré un indigène du Pacifique. Nous nous servons d'un savon créé par un Français. La serviette nous vient d'un Turc. A table, nous buvons du café que nous a fourni un Sudaméricain, du thé d'un Chinois et du cacao d'un Africain. Avant même d'être partis travailler, nous sommes obligés envers plus de la moitié du monde. Dans un sens très réel, chaque vie est en interrelation avec les autres, tous les humains sont pris dans un réseau inévitable de réciprocité, entraînés dans un destin commun. Tout ce qui touche l'un, touche tous les autres, indirectement.
La responsabilité des élèves est d'empêcher le maître de se "prendre pour un maître".
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yudo
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Et ce texte aussi, même si je n'en partage pas certains des tenants et aboutissants:

POUR QUI SONNE LE GLAS
par JOHN DONNE
Méditation XVII, sur la maladie et la mort (extrait)

Sermon d'un prédicateur anglais du XVII° siècle, célèbre pour avoir été un libertin et l'auteur de plusieurs textes mis en musique par Henry Purcell. La partie finale de ce texte a aussi donné son titre à une oeuvre célèbre d'Ernest Hemingway.

Ce texte, quoique d'inspiration nettement chrétienne, porte en lui quelque chose de très parlant dans le cadre de la doctrine bouddhiste de la vacuité: lisez-le donc en ce sens, si vous n'adhérez pas plus que moi aux notions trop déistes et institutionnelles qu'il comprend.

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PEUT-ETRE celui pour qui sonne le glas est-il si malade qu'il ne sait pas que cette cloche sonne pour lui; et peut-être puis-je me croire moi-même bien mieux que je ne le suis, que ceux qui m'entourent, et constatent mon état, pourraient l'avoir fait sonner pour moi, sans que je le sache. L'Eglise est Catholique, universelle, et ainsi le sont toutes ses actions; tout ce qu'elle fait appartient à tous. Lorsqu'elle baptise un enfant, cette action me concerne; car cet enfant est par là-même relié à ce corps qui est aussi ma tête, et il se greffe à ce corps dont je suis un membre. Et lorsqu'elle enterre un homme, cette action me concerne; toute l'humanité est d'un seul auteur, et en un seul volume; lorsqu'un homme meurt, on n'arrache pas un chapitre du volume, mais on le traduit dans un langage meilleur; et il faudra que tous les chapitres soient ainsi traduits; Dieu emploie de nombreux traducteurs; certaines parties sont traduites par l'âge, d'autres par la maladie, d'autres par la guerre, d'autres par la justice; mais la main de Dieu se trouve dans toutes les traductions, et sa main reliera toutes les pages dispersées pour cette bibliothèque où tous les livres reposeront ouverts les uns pour les autres. En conséquence, la cloche qui sonne pour un sermon n'appelle pas seulement le prêcheur mais aussi toute la congrégation, de sorte que cette cloche nous appelle tous; mais combien davantage moi, qui suis amené si près de la porte par la maladie. Il y eut un litige qui alla jusqu'au procès (dans lequel autant la piété et la dignité, la religion et la considération se mêlèrent), pour savoir lequel des ordres religieux devait le premier sonner l'appel à la prière du matin; et il fut déterminé que sonneraient les premiers ceux qui les premiers se lèveraient. Si nous comprenions correctement la dignité de cette cloche qui sonne pour notre prière du soir, nous devrions être heureux de la faire nôtre en nous levant tôt,faisant en sorte qu'elle soit pour nous autant que pour lui, à qui elle appartient pourtant. Le glas sonne bien pour celui qui pense que c'est pour lui qu'il sonne; et quoiqu'il s'arrête par intermittence, dès la minute qui lui fournit cette occasion, il est uni à Dieu. Qui ne lève les yeux vers le soleil lorsqu'il se lève? Mais qui ne détourne les yeux d'une comète lorsque cela se produit? Qui ne tend l'oreille pour entendre toute cloche qui sonne pour quelqu'occasion? Mais qui peut l'enlever de ce glas qui fait passer un morceau de lui-même hors de ce monde?

Personne n'est une île, entière en elle-même; tout homme est un morceau de continent, une partie du tout. Si une motte de terre est emportée par la mer, l'Europe en est amoindrie, tout autant que s'il s'agissait d'un promontoire, ou que s'il s'agissait du manoir d'un de tes amis ou le tien propre: la mort de chaque être humain me diminue, parce que je fais partie de l'humanité, et donc, n'envoie jamais demander pour qui sonne le glas; il sonne pour toi. On ne peut pas non plus appeler cela mendier la misère, ou emprunter la misère, comme si nous n'étions pas déjà assez misérables ainsi, mais qu'il fallait qu'en plus nous allions en chercher dans la maison d'à côté, en prenant en plus sur nous la misère de nos voisins. En vérité, il s'agirait d'une avidité bien excusable si nous le faisions, car l'affliction est un trésor, et peu d'humains en ont assez. Aucun humain n'a assez d'affliction qu'il ne soit mûri, assaisonné et amélioré par Dieu par le moyen de cette affliction. Si l'on transporte un trésor en métal, ou sous forme de lingots d'or, et qu'on ne le fait pas frapper sous forme de bonne monnaie, ce trésor ne nous défraiera pas au cours de notre voyage. Les tribulations sont un trésor de par leur propre nature, mais ce n'est pas une monnaie d'usage courant, à moins que nous nous rapprochions toujours plus près de notre domicile, le ciel, grâce à lui; mais cette cloche, qui m'avertit de son affliction, récupère et applique cet or sur moi: si en considération du danger encouru par un autre je me mets à considérer le mien propre, et que de la sorte je m'assure, en ayant recours à mon Dieu, qui est notre seule sécurité.
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davi
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Zopa2 a écrit :
02 février 2018, 12:39
En lisant attentivement ce fil, j'ai repensé à cette phrase : ce qui se conçoit bien, s' énonce clairement.

C'est pourquoi tout essai pour clarifier des notions fondamentales, telle que la vacuité, n'est pas faire preuve de dispersion. Cela me semble au contraire bon et juste.
De plus, la notion de logique ne doit pas nécessairement être rattachée à l'insensibilité. Pas plus que l'analyse.
On pourrait multiplier les citations des maitres indiens et tibétains pour souligner le rôle de l'analyse dans la réalisation de la vacuité. Par exemple : Nagarjuna, Chandrakirti, Shantidéva, Aryadeva, Bhavaviveka,Tsongkhapa.... et même le Bouddha Shakyamuni dans les Sutras suivants : Samadhiraja Sutra (Sutra de la Reine des stabilisations méditatives), Ratnamegha Sutra (Sutra des Nuages des Joyaux) , ou encore le sutra des Questions de Brahma qui dit : " L'intelligent est celui qui analyse correctement les phénomènes individuellement." ( toutes les autres citations disponibles si cela intéresse)

Je suis donc proche de penser comme Julien.
La vacuité est-elle rationnelle ? Je dirais qu'elle n'est ni rationnelle ni non rationnelle. Tout comme elle ne se caractérise pas en termes de dimensionnel et de temporel, elle ne se caractérise pas en termes de rationnel. Par contre un esprit rationnel peut venir à bout de lui-même, c'est-à-dire qu'un raisonnement à la Nagarjuna aboutit à la suspension du raisonnement, et ainsi l'esprit rationnel peut être le moyen pour faire apparaître cette fameuse vacuité qui n'est ni rationnelle ni non rationnelle, étant la nature même de l'esprit.
S'indigner, s'irriter, perdre patience, se mettre en colère, oui, dans certains cas ce serait mérité. Mais ce qui serait encore plus mérité, ce serait d'entrer en compassion.
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Dharmadhatu
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JULIEN44 a écrit :
31 janvier 2018, 11:24
Bonjour à tous,

Tout le monde à beaucoup de chose à dire, ou à dire de ne pas dire au sujet de la vacuité.

Après l'étape initiale consistant à comprendre intellectuellement les tenants et aboutissants du sujet, la mise en pratique est le véritable enjeux. Cette mise en pratique peut être effectuée en activité ou en méditation.

Est-ce qu'il y aurait parmi vous des personnes qui pourraient, par altruisme, nous "dévoiler" des techniques personnelles pour avancer (même modestement) sur le chemin qui mène à la réalisation de la vacuité des deux "sois".

Merci d'avance youpi_333
color_3 Bonjour les copains !

Joli travail de relooking, bravo à vous.

Quelques éléments de réponse pour toi Julien:

1) ne pas se satisfaire de la compréhension intellectuelle qu'on a de la vacuité, dans le sens où il est important de tout remettre à plat à chaque examen analytique: qu'est-ce qui est vide ? (la personne, les autres phénomènes dont les agrégats etc.) et surtout vide de quoi ? (s'assurer d'avoir à l'esprit l'objet de négation, en commençant par le plus grossier pour aller jusqu'au plus subtil, tel que l'enseignent Arya Nagarjuna et ses héritiers comme Aryadeva, Chandrakirti, Shatideva etc.).

2) pour ce qui est du soi personnel, il est important d'avoir un vrai feeling sur sa présence fantomatique: comment apparaît l'ego quand des gens me critiquent, relèvent une erreur que j'ai faite, me regardent de travers ou me complimentent ?

3) quand on a cette sensation bien présente, on examine si ce "soi" existe dans les agrégats (en gros le corps et l'esprit) ou en dehors, parce que si quelque chose existe, c'est soit à l'intérieur, soit à l'extérieur: si ce n'est ni l'un ni l'autre, alors ça n'existe tout simplement pas.

4) on reste ainsi absorbé dans ce constat d'une simple absence: le référent de la conception qu'on a de soi-même de manière innée n'existe tout simplement pas. On reste sur cette absence.

5) une fois qu'on a terminé de méditer, on peut à nouveau entrer dans la danse des interactions conventionnelles en gardant à l'esprit qu'elles ne sont que conventionnelles.

-> Puis, comme Nagarjuna l'indique dans le Ratnavali, tant qu'on a la conception des agrégats comme existant de manière inhérente, on aura toujours celle de la personne comme existant de manière inhérente, il est nécessaire de méditer régulièrement sur la vacuité des agrégats eux-mêmes; on peut choisir l'un ou l'autre, sachant que, comme l'indique Sa Sainteté le Dalaï Lama dans L'Art de la sagesse, méditer sur la vacuité de l'esprit est plus spectaculaire pour le pratiquant (car on peut avoir tendance à associer le soi personnel à la conscience ou à sa continuité sans début ni fin).

On dissèque alors les agrégats pour voir qu'ils n'existent pas non plus sans devoir dépendre d'une simple désignation effectuée sur la base de ce qu'ils ne sont pas (leurs parties, directionnelles ou temporelles etc.)

De la même façon, on reste sur une simple absence, une méditation semblable à l'espace (qui, lui, n'est qu'absence d'obstruction matérielle).

Si la méditation sur l'aspect concave de la cuillère est corroborée par la relativité de l'aspect convexe, alors on a peu de chance de sombrer dans un extrême ou dans l'autre, parce que la vacuité implique les conventions, en particulier la causalité et surtout la causalité karmique, tout comme les conventions, causales etc. impliquent la vacuité (ne pourraient fonctionner si elles n'étaient pas vides de soi inhérent).

Si on est sur la voie mahayaniste, on est sur la Perfection de sagesse quand on médite la vacuité, avec pour motivation première l'esprit d'Eveil, et quand on est en post-méditation, on poursuit l'application des autres Perfections avec la notion que celui qui les pratique, les actes eux-mêmes et les êtres qui en sont les destinataires, sont relatifs et donc n'existent pas de manière absolue ou inhérente.

C'est une façon d'associer les deux niveaux de réalité.

Si on pratique en plus le yoga de la déité (Vajrayana), on a là une manière unique et magistrale de comprendre l'indivision des deux niveaux de réalité.

En espérant que cette réponse fleuve aura été utile.

Bibiz à tou-te-s.

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apratītya samutpanno dharmaḥ kaścin na vidyate /
yasmāt tasmād aśūnyo hi dharmaḥ kaścin na vidyate

Puisqu'il n'est rien qui ne soit dépendant,
Il n'est rien qui ne soit vide.

Ārya Nāgārjuna (Madhyamakaśhāstra; XXIV, 19).
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tirru...
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Merci Dharmadhatu pour ta réponse précise et de nous avoir donné de ton temps sachant que tu es assez occupé. Finalement le mérite de ton retour revient à Julien.

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jules
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Moi, dans le domaine du Dharma talk (salut chercheur), je ne déroule le tapis rouge pour personne, puisque comme le dit Tango, nous ne pouvons dire que des bêtises.

Néanmoins, content de te lire Darmadhatu, toi qui m'a fait RÊVER bien des fois. loveeeee

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jules
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Ce n'est pas parce que nous avons perfectionné notre art d'énoncer des bêtises, que ce n'en sont pas des bêtises pour autant. :lol: love2
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tirru...
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Bonsoir Jules,
jules a écrit :
03 février 2018, 16:35
Ce n'est pas parce que nous avons perfectionné notre art d'énoncer des bêtises, que ce n'en sont pas des bêtises pour autant. :lol: love2
Curieuse appréciation ! D’autant que des enseignements sont la plupart du temps énoncés !
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jules
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Tirru : Curieuse appréciation ! D’autant que des enseignements sont la plupart du temps énoncés !
Oui, c'est vrai, je me dis pourtant que ces enseignements sont le radeau pour aider tous les êtres à rejoindre l'autre rive.
Mais ultimement, j'ai l'impression que le maître de l'autre et le mien, ne peuvent véritablement se rencontrer qu'au travers d'un silence réciproque.
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jules
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Ils peuvent aussi se rencontrer dans l'humour :D

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