A la recherche du non-né

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Dharmadhatu
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lausm a écrit :Tout à fait d'accord, Jules! C'est bien de cela que je veux parler.

Mais Flocon a énoncé un point important qui revient à ce que j'exprimais plus haut : ce qu'on appelle ici "non-né", se désigne "Ajata", le a- étant un préfixe privatif, ce qui veut dire qu'il exprime plus l'idée de "sans naissance", comme l'indiquait Flocon, que l'idée de "non" naissance.
Ce n'est pas du tout la même dynamique de langage!...c'est un peu la même différence qu'entre Fu et Mu en japonais, Fu étant une négation active de type "non", et Mu exprimant quelque chose de plus privatif, comme le préfixe "a-", ou la préposition "sans".
Or en lisant cette file, il me semble que souvent le "non-né" est perçu comme opposé à ce qui naît.....mais il s'agit de ce qui se caractérise par l'absence de naissance.
Dharmadhatu, je suis ok avec ce que tu dis, juste je n'ai pas les mêmes arguments intellectuels que toi, qui sont fondés sur une connaissance du paradigme de la logique et du langage qui l'explique, donc des rapports précis entre les notions parce que tu en connais les définitions et donc comment elles peuvent s'articuler entre elles.
Moi je pars de là où j'en suis avec ce que je vois, et je fais avec cela....cela n'empèche pas de réfléchir pour autant!
Mais juste, arrèter de se prendre le chou avant que ce qui devrait nous ouvrir l'esprit devienne un nouvel encombrement!
jap_8

J'aurais tendance à assimiler "sans" et "non" parce que le privatif a- rappelle ces 2. Par exemple, on sait tous que anatman signifie "non-soi" ou "sans-soi", et c'est le même préfixe privatif: an- (ici avec un -n pour éviter un ïatus).

Voyez avec plusieurs termes sanskrits: animitta, arupadhatu, asura, Amitabha etc...

J'ai l'impression, (mais je me trompe sûrement) que c'est quand on tergiverse sur une éventuelle différence entre "sans" et "non" qu'on se prend le chou, non ? Par exemple, qu'on dise "sans fin" ou bien "non limité", pour moi c'est kif kif. Alors sûrement que chacun a ses complications et ses simplicités.

J'ajouterais seulement que la naissance est jati, et donc jata devrait être un adjectif (ou un participe passé, comme pour Sujata: la Bien-née), donc ajata correspond bien à non-né.

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Flocon
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Dharmadhatu a écrit :J'ai l'impression, (mais je me trompe sûrement) que c'est quand on tergiverse sur une éventuelle différence entre "sans" et "non" qu'on se prend le chou, non ?
Tu ne te trompes pas du tout. Ce genre de détail technique n'intéresse que les linguistes et les traducteurs professionnels (c'est mon cas :oops: ). J'ai tort de les donner dans le forum, je me fais plaisir mais c'est au détriment de la qualité de la discussion. J'ai déjà commis ce genre d'erreur : je vais essayer de ne pas recommencer.

Je te réponds juste sur le point que tu soulèves de jata-jati : j'ai supposé dans ma proposition de traduction que l'adjectif pouvait être substantivé, car c'est assez courant, mais je l'ai fait sans vérifier ses emplois, et je connais mal les règles de substantivation du Pali : donc je me suis très probablement trompée et ma proposition est mauvaise. Merci d'avoir rectifié. :)

De toute façon, la traduction par "non né" ou unborn est celle généralement admise par les bons connaisseurs des textes, et elle me paraît très satisfaisante.
Quand on sonde les choses, les connaissances s'approfondissent.
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Dharmadhatu
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Flocon a écrit :
Dharmadhatu a écrit :J'ai l'impression, (mais je me trompe sûrement) que c'est quand on tergiverse sur une éventuelle différence entre "sans" et "non" qu'on se prend le chou, non ?
Tu ne te trompes pas du tout. Ce genre de détail technique n'intéresse que les linguistes et les traducteurs professionnels (c'est mon cas :oops: ). J'ai tort de les donner dans le forum, je me fais plaisir mais c'est au détriment de la qualité de la discussion. J'ai déjà commis ce genre d'erreur : je vais essayer de ne pas recommencer.

Je te réponds juste sur le point que tu soulèves de jata-jati : j'ai supposé dans ma proposition de traduction que l'adjectif pouvait être substantivé, car c'est assez courant, mais je l'ai fait sans vérifier ses emplois, et je connais mal les règles de substantivation du Pali : donc je me suis très probablement trompée et ma proposition est mauvaise. Merci d'avoir rectifié. :)

De toute façon, la traduction par "non né" ou unborn est celle généralement admise par les bons connaisseurs des textes, et elle me paraît très satisfaisante.
jap_8 Ca m'intéresse aussi, d'autant que l'adj. substantivé (qui peut couvrir toute une proposition, voire plusieurs) existe beaucoup dans ces langues indo-tibétaines, comme avec l'exemple de Sujata.

J'ai la chance d'exercer dans le même domaine que toi, et lors d'enseignements bouddhistes, dans les formulations, on trouve les deux ("non" et "sans"), comme interchangeables. Par exemple dans la maxime Tous les phénomènes sont vides et sans soi ou dans une phrase du genre La sagesse qui réalise le non-soi. C'est pour ça que j'ai l'impression que la différence est minime entre "sans-naissance" et "non-né". Les Tibétains diront que c'est deun tchik (le même sens): synonyme. Donc, différence (dans les termes) il y a, c'est vrai, mais pas exclusion mutuelle quant au sens (bon, on le savait déjà que je me prends le chou aussi !! :lol: ).

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Flocon
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Dharmadhatu a écrit :C'est pour ça que j'ai l'impression que la différence est minime entre "sans-naissance" et "non-né".
Je partage ton impression. :) Pour le reste de ton message, je n'y connais rien et je ne peux donc pas avoir d'avis : je te crois sur parole.
Quand on sonde les choses, les connaissances s'approfondissent.
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ted

Dharmadhatu a écrit :C'est pour ça que j'ai l'impression que la différence est minime entre "sans-naissance" et "non-né".
Suis pas linguiste mais je rejoins un peu Lausm :

- quand on dit "sans-naissance", il me semble qu'on parle d'un attribut. On ne désigne pas vraiment "ce" qui est sans-naissance, mais on met le projecteur sur un de ses attributs.
- quand on dit "non né", ça donne un sentiment de définition principale. On peut utiliser l'expression "non-né" pour "désigner" la chose.

C'est juste un ressenti que j'essaie de partager. Mais bon, si le mot pali c'est ajata, je crois que c'est clair. :D
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Dharmadhatu
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ted a écrit :
Dharmadhatu a écrit :C'est pour ça que j'ai l'impression que la différence est minime entre "sans-naissance" et "non-né".
Suis pas linguiste mais je rejoins un peu Lausm :

- quand on dit "sans-naissance", il me semble qu'on parle d'un attribut. On ne désigne pas vraiment "ce" qui est sans-naissance, mais on met le projecteur sur un de ses attributs.
- quand on dit "non né", ça donne un sentiment de définition principale. On peut utiliser l'expression "non-né" pour "désigner" la chose.

C'est juste un ressenti que j'essaie de partager. Mais bon, si le mot pali c'est ajata, je crois que c'est clair. :D
:D En fait, ce que tu dis rejoins beaucoup cette notion de différence sans exclusion mutuelle. En philo bouddhiste, on parlera des 8 portes de subsomption (tib. khyap; angl. pervasion) entre un definiendum (le terme, à l'absolutif [ce dernier renvoie à l'infinitif pour les verbes]) et sa définition.

Par exemple,

1) terme: impermanent (skt. anitya)
2) définition: instantané (kshanika).

Les 8 portes sont:

s'il y a 1, il y a 2
s'il y a 2, il y a 1
s'il n'y a pas 1, il n'y a pas 2
s'il n'y a pas 2, il n'y a pas 1

si c'est 1, c'est 2
si c'est 2, c'est 1
si ce n'est pas 1, ce n'est pas 2
si ce n'est pas 2, ce n'est pas 1

Dans ce cas, il y a une subsomption parfaite entre impermanent et instantané. On pourrait dire aussi entre sans-naissance et non-né.

Sauf qu'il peut y avoir subsomption entre 2 trucs sans qu'ils entretiennent forcément une relation de definiendum/définition. Ca peut seulement être dans le sens de synonymie. C'est pourquoi en effet, la différence est minime car uniquement dans les termes, le sens renvoie à la même généralité d'absence de production dans le cas de "sans-naissance/non-né". Mais comme disent Laum et Ted, non-né serait plutôt dans le sens anglais de "ascribe" et sans-naissance serait dans le sens "describe". Why not ?

D'ailleurs je viens de me rendre compte que ça correspond aussi tout à fait à la nuance employée dans les 8 portes: entre il y a/il n'y a pas et c'est/ce n'est pas, bref, en tibétain entre yeu et yin. On pourrait dire tout aussi bien: c'est le non-né et c'est sans naissance, ou c'est le sans-naissance et c'est non né (car au final, s'il y a attribut, il y a qualité attribuée, et inversement, s'il y a qualité attribuée, il y a l'objet de cette attribution).

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jules
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DDT :
Dans ce cas, il y a une subsomption parfaite entre impermanent et instantané. On pourrait dire aussi entre sans-naissance et non-né.
Quand tu parles de subsomption parfaite, désignes-tu par là également ce qu'on appelle la subsomption mutuelle ?

Du genre : le 1 comprend le 2, et le 2 comprend le 1

Ou le oui comprend le non et le non comprend le oui ?

<<metta>>
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jules
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Dans cette subsomption exprimant le fait que "le oui comprend le non", on peut entendre que le non est l'une des potentialités du oui qu'il est possible d'actualiser ou non, laissant le choix de ne pas le faire grâce à l'infinité d'autres potentialités subsumées par le oui et qu'on pourrait nommer le "non -non-".
La conscience que le "non" et que le "non -non-" sont subsumés par le oui, implique donc le choix de tomber dans la contradiction, ainsi qu'une infinité de choix de ne pas y tomber.

On pourra faire le même raisonnement au sujet de la subsomption consistant à dire que le "non comprend le oui", ce pour quoi précisément, on peut parler de subsomption mutuelle entre "le oui comprend le non et le non comprend le oui", mais en considérant cette fois que le oui est la potentialité contradictoire du non. En conséquence, la potentialité non contradictoire subsumée par le non, devra s'appeler, le "non -oui-" <<metta>>

Merci Dharmadhatu de nous ouvrir cette porte sur la méditation analytique love_3

Merci également, d'avoir mis un nom : "méditation analytique", sur cette pratique de la fluidité du mental prenant appuie sur des concepts. love3
ted

Je pensais avoir compris le principe de la "négation non affirmative", mais je m'aperçois que j'ai encore des lacunes.
Quand on parle d'un objet en disant ce qu'il n'est pas, on ne désigne pas cet objet, on est bien d'accord ?
On évoque ses absences : absence de ceci, absence de cela. Mais on ne dit jamais ce qu'il est.

Ca me rappelle l'image postée récemment par Jean :

Image
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Dharmadhatu
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jules a écrit :
DDT :
Dans ce cas, il y a une subsomption parfaite entre impermanent et instantané. On pourrait dire aussi entre sans-naissance et non-né.
Quand tu parles de subsomption parfaite, désignes-tu par là également ce qu'on appelle la subsomption mutuelle ?

Du genre : le 1 comprend le 2, et le 2 comprend le 1

Ou le oui comprend le non et le non comprend le oui ?

<<metta>>
:D En fait si on parle de subsomption, ça veut dire que 2 éléments s'interpénètrent parfaitement. Pour le oui et le non, ça voudrait dire que l'un renvoie exactement à la même chose que l'autre. Ce serait dangereux parce qu'un violeur prendrait les "non" de sa victime pour des "oui" et on lui donnerait raison.

Si on reste dans le domaine purement conventionnel, on dira en philo bouddhiste que oui et non s'excluent mutuellement, ou plutôt qu'ils sont l'opposé l'un de l'autre (car deux phénomènes peuvent d'exclure mutuellement sans être opposés, comme du thé et une tasse).

Si on vadrouille dans le domaine ultime, on dira qu'en effet l'essence du oui comprend le non (et inversement) puisque le oui n'est désigné qu'en dépendance du non (plus précisément, en dépendance de l'exclusion du non). Le oui pour une pomme renvoie au non pour tous les objets non-pommes: les poires, les fraises, les bananes etc. (Dans ce cas-là, avec l'affirmation on gagne pas mal de temps ! :lol: ) Donc ontologiquement, le oui et le non possèdent une existence mutuellement dépendante, comme le haut et le bas, le grand et le petit, le chaud et le froid etc...

FleurDeLotus
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