A la recherche du non-né

ted

Flocon,
Il y a des traductions où on ne parle pas de non-né, mais "d'issue", de "liberté" pour ce qui est né :
Par exemple dans le lien que tu as donné tout à l'heure, un intervenant a posté cette traduction :
  • "This said by the Blessed One, the Worthy One, was heard by me in this way:

    "Monks, there is freedom from birth, freedom from
    becoming, freedom from making, freedom from conditioning.
    For, monks if there were not this freedom from birth, freedom from
    becoming, freedom from making, freedom from conditioning,
    then escape from that which is birth, becoming, making,
    conditioning, would not be known here.

    But, monks, because there is freedom from birth, freedom from becoming, freedom from
    making, freedom from conditioning, therefore the escape from that
    which is birth, becoming, making, conditioning is known.""
Afin d'éviter la réification, ne serait-il pas préférable de dire : "Il y a une issue pour ce qui est né", plutôt que : "Il y a un non-né" ?
Une "issue", ça donne une idée de mouvement, de direction, vers... vers quoi au fait... bé justement, on s'abstient de le nommer... <<metta>>

Et merci pour la traduction Pali et les liens très instructifs. loveeeee
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Flocon
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Je comprends mieux.
Je ne suis pas spécialiste du pali donc je ne peux pas répondre avec certitude à ta question. Mais j'ai l'impression que traduire ajata par freedom from birth est exagéré, car c'est forcer et charger beaucoup le sens du préfixe privatif a-. qui signifie dans son acception la plus courante "sans".

Ta proposition "une issue pour ce qui est né" pose le même problème : elle fait porter l'essentiel du sens de l'expression (l'"issue") sur le préfixe, alors qu'elle porte forcément sur le substantif, jata, et elle conduit à un sens qui me paraît loin de celui du texte original.

Comme Jata signifie "naissance", la meilleure traduction serait peut-être "sans-naissance", au sens de "ce qui est étranger à la naissance".

Mais bon... Ce ne sont que des spéculations un peu stériles. Il te faudrait l'avis de quelqu'un qui connaisse bien le pali.
Quand on sonde les choses, les connaissances s'approfondissent.
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Kong Tseu
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jules
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Je voudrais reprendre une chose que dit Lausm et qui me semble intéressante :
N'oublions pas l'essentiel : le bouddhisme c'est avant tout la paix de l'esprit dans ce monde agité....tout le reste c'est des outils pour nous y aider.
C'est pour cette raison qu'à mon sens, les seuls mots susceptibles d'être corrects concernant le non né, lorsque la problématique posée est le non né lui-même, ce serait des mots capables de faire disparaître le non né, de sorte qu'il ne soit plus une problématique et que précisément il cesse de troubler la paix.
Et, si on connaît l'objectif, qui est de faire disparaître la notion de non né en tant que problématique, cela donne déjà une direction claire et consciente à nos propos...C'est déjà pas mal...mais encore faut-il trouver ces mots qui vont, par leur efficacité, remplir tout à fait cette exigence.

Lorsque Nagarjuna parle des incurables, il me semble que ce qu'il désigne par là, ce sont les gens qui font du but, qui est la paix comme tu le dis, désignée tel le "non né" par exemple, mais qui pourrait aussi s'appeler "3+1", la source même d'une problématique. Cela veut dire que leur confusion mentale se sert d'un mot désignant le repos du mental, la paix, pour se confondre encore d'avantage dans une rumination mentale. C'est souvent ce qu'on dit : Ils prennent le doigt pour la lune.

Tous les moyens habiles abruptes qu'on rencontre dans le zen entre autre, n'ont d'autre but il me semble que de faire taire les éternelles ratiocinations. Que ces dernières concernent les problématiques du non né, le chapeau de ma voisine, la couleur de l'univers ou la forme des dix mille perceptions, ce qui est recherché par ces moyens habiles, c'est, je pense, une seule et même chose, à savoir, l'extinction du doute, un doute prenant appuie de manière circonstancielle, sur un concept ou sur un autre. Ainsi, la difficulté pour le sage qui montre la lune, donc l'extinction du doute, serait de faire en sorte que son doigt ne soit pas pris pour la lune. Les moyens habiles pour éviter que cela ne se produise sont extrêmement variés : Le silence du maître lorsqu'une question est posée par son disciple, les baffes, les coups de bâton, montrer une fleur etc...Mais ici, sur un forum, étant donné que seul l'usage des mots est permis, le challenge pour un maître consisterait en conséquence à trouver les mots justes, qui aient ce même impact obtenu par la baffe par exemple, et qui ferait taire cette ratiocination. <<metta>>

PS : Ha! j'oubliais, sur un forum, on peut mettre des images, et de la musique aussi, pas que des mots... Butterfly_tenryu
Dernière modification par jules le 15 octobre 2013, 23:13, modifié 2 fois.
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Dharmadhatu
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Lorsque Nagarjuna parle des incurables, il me semble que ce qu'il désigne par là, ce sont les gens qui font du but, qui est la paix comme tu le dis, désignée tel le "non né" par exemple, mais qui pourrait aussi s'appeler "3+1", la source même d'une problématique. Cela veut dire que leur confusion mentale se sert d'un mot désignant le repos du mental, la paix, pour se confondre encore d'avantage dans une rumination mentale. C'est souvent ce qu'on dit : Ils prennent le doigt pour la lune.
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apratītya samutpanno dharmaḥ kaścin na vidyate /
yasmāt tasmād aśūnyo hi dharmaḥ kaścin na vidyate

Puisqu'il n'est rien qui ne soit dépendant,
Il n'est rien qui ne soit vide.

Ārya Nāgārjuna (Madhyamakaśhāstra; XXIV, 19).
lausm

Tout à fait d'accord, Jules! C'est bien de cela que je veux parler.

Mais Flocon a énoncé un point important qui revient à ce que j'exprimais plus haut : ce qu'on appelle ici "non-né", se désigne "Ajata", le a- étant un préfixe privatif, ce qui veut dire qu'il exprime plus l'idée de "sans naissance", comme l'indiquait Flocon, que l'idée de "non" naissance.
Ce n'est pas du tout la même dynamique de langage!...c'est un peu la même différence qu'entre Fu et Mu en japonais, Fu étant une négation active de type "non", et Mu exprimant quelque chose de plus privatif, comme le préfixe "a-", ou la préposition "sans".
Or en lisant cette file, il me semble que souvent le "non-né" est perçu comme opposé à ce qui naît.....mais il s'agit de ce qui se caractérise par l'absence de naissance.
Dharmadhatu, je suis ok avec ce que tu dis, juste je n'ai pas les mêmes arguments intellectuels que toi, qui sont fondés sur une connaissance du paradigme de la logique et du langage qui l'explique, donc des rapports précis entre les notions parce que tu en connais les définitions et donc comment elles peuvent s'articuler entre elles.
Moi je pars de là où j'en suis avec ce que je vois, et je fais avec cela....cela n'empèche pas de réfléchir pour autant!
Mais juste, arrèter de se prendre le chou avant que ce qui devrait nous ouvrir l'esprit devienne un nouvel encombrement!
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Dharmadhatu
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lausm a écrit :Tout à fait d'accord, Jules! C'est bien de cela que je veux parler.

Mais Flocon a énoncé un point important qui revient à ce que j'exprimais plus haut : ce qu'on appelle ici "non-né", se désigne "Ajata", le a- étant un préfixe privatif, ce qui veut dire qu'il exprime plus l'idée de "sans naissance", comme l'indiquait Flocon, que l'idée de "non" naissance.
Ce n'est pas du tout la même dynamique de langage!...c'est un peu la même différence qu'entre Fu et Mu en japonais, Fu étant une négation active de type "non", et Mu exprimant quelque chose de plus privatif, comme le préfixe "a-", ou la préposition "sans".
Or en lisant cette file, il me semble que souvent le "non-né" est perçu comme opposé à ce qui naît.....mais il s'agit de ce qui se caractérise par l'absence de naissance.
Dharmadhatu, je suis ok avec ce que tu dis, juste je n'ai pas les mêmes arguments intellectuels que toi, qui sont fondés sur une connaissance du paradigme de la logique et du langage qui l'explique, donc des rapports précis entre les notions parce que tu en connais les définitions et donc comment elles peuvent s'articuler entre elles.
Moi je pars de là où j'en suis avec ce que je vois, et je fais avec cela....cela n'empèche pas de réfléchir pour autant!
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jap_8

J'aurais tendance à assimiler "sans" et "non" parce que le privatif a- rappelle ces 2. Par exemple, on sait tous que anatman signifie "non-soi" ou "sans-soi", et c'est le même préfixe privatif: an- (ici avec un -n pour éviter un ïatus).

Voyez avec plusieurs termes sanskrits: animitta, arupadhatu, asura, Amitabha etc...

J'ai l'impression, (mais je me trompe sûrement) que c'est quand on tergiverse sur une éventuelle différence entre "sans" et "non" qu'on se prend le chou, non ? Par exemple, qu'on dise "sans fin" ou bien "non limité", pour moi c'est kif kif. Alors sûrement que chacun a ses complications et ses simplicités.

J'ajouterais seulement que la naissance est jati, et donc jata devrait être un adjectif (ou un participe passé, comme pour Sujata: la Bien-née), donc ajata correspond bien à non-né.

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Flocon
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Dharmadhatu a écrit :J'ai l'impression, (mais je me trompe sûrement) que c'est quand on tergiverse sur une éventuelle différence entre "sans" et "non" qu'on se prend le chou, non ?
Tu ne te trompes pas du tout. Ce genre de détail technique n'intéresse que les linguistes et les traducteurs professionnels (c'est mon cas :oops: ). J'ai tort de les donner dans le forum, je me fais plaisir mais c'est au détriment de la qualité de la discussion. J'ai déjà commis ce genre d'erreur : je vais essayer de ne pas recommencer.

Je te réponds juste sur le point que tu soulèves de jata-jati : j'ai supposé dans ma proposition de traduction que l'adjectif pouvait être substantivé, car c'est assez courant, mais je l'ai fait sans vérifier ses emplois, et je connais mal les règles de substantivation du Pali : donc je me suis très probablement trompée et ma proposition est mauvaise. Merci d'avoir rectifié. :)

De toute façon, la traduction par "non né" ou unborn est celle généralement admise par les bons connaisseurs des textes, et elle me paraît très satisfaisante.
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Dharmadhatu
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Flocon a écrit :
Dharmadhatu a écrit :J'ai l'impression, (mais je me trompe sûrement) que c'est quand on tergiverse sur une éventuelle différence entre "sans" et "non" qu'on se prend le chou, non ?
Tu ne te trompes pas du tout. Ce genre de détail technique n'intéresse que les linguistes et les traducteurs professionnels (c'est mon cas :oops: ). J'ai tort de les donner dans le forum, je me fais plaisir mais c'est au détriment de la qualité de la discussion. J'ai déjà commis ce genre d'erreur : je vais essayer de ne pas recommencer.

Je te réponds juste sur le point que tu soulèves de jata-jati : j'ai supposé dans ma proposition de traduction que l'adjectif pouvait être substantivé, car c'est assez courant, mais je l'ai fait sans vérifier ses emplois, et je connais mal les règles de substantivation du Pali : donc je me suis très probablement trompée et ma proposition est mauvaise. Merci d'avoir rectifié. :)

De toute façon, la traduction par "non né" ou unborn est celle généralement admise par les bons connaisseurs des textes, et elle me paraît très satisfaisante.
jap_8 Ca m'intéresse aussi, d'autant que l'adj. substantivé (qui peut couvrir toute une proposition, voire plusieurs) existe beaucoup dans ces langues indo-tibétaines, comme avec l'exemple de Sujata.

J'ai la chance d'exercer dans le même domaine que toi, et lors d'enseignements bouddhistes, dans les formulations, on trouve les deux ("non" et "sans"), comme interchangeables. Par exemple dans la maxime Tous les phénomènes sont vides et sans soi ou dans une phrase du genre La sagesse qui réalise le non-soi. C'est pour ça que j'ai l'impression que la différence est minime entre "sans-naissance" et "non-né". Les Tibétains diront que c'est deun tchik (le même sens): synonyme. Donc, différence (dans les termes) il y a, c'est vrai, mais pas exclusion mutuelle quant au sens (bon, on le savait déjà que je me prends le chou aussi !! :lol: ).

FleurDeLotus
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Flocon
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Dharmadhatu a écrit :C'est pour ça que j'ai l'impression que la différence est minime entre "sans-naissance" et "non-né".
Je partage ton impression. :) Pour le reste de ton message, je n'y connais rien et je ne peux donc pas avoir d'avis : je te crois sur parole.
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Dharmadhatu a écrit :C'est pour ça que j'ai l'impression que la différence est minime entre "sans-naissance" et "non-né".
Suis pas linguiste mais je rejoins un peu Lausm :

- quand on dit "sans-naissance", il me semble qu'on parle d'un attribut. On ne désigne pas vraiment "ce" qui est sans-naissance, mais on met le projecteur sur un de ses attributs.
- quand on dit "non né", ça donne un sentiment de définition principale. On peut utiliser l'expression "non-né" pour "désigner" la chose.

C'est juste un ressenti que j'essaie de partager. Mais bon, si le mot pali c'est ajata, je crois que c'est clair. :D
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