Généralités et instances

Avatar de l’utilisateur
Dharmadhatu
Messages : 3690
Inscription : 02 juillet 2008, 18:07

:D Voici un extrait qui peut aider à comprendre que le "je" de l'existence passée n'est pas le même "je" de l'existence actuelle, mais qu'il y a une correlation entre ces "je":

Généralités et instances

Introduction

Les effets sont liés à leurs causes par le fait d'être issus d'elles; les instances et leurs généralités sont liées par la même essence. Les suivants de Dignāga et Dharmakīrti affirment seulement deux types de relation: les phénomènes liés par la même essence (bdag gcig 'brel, tādātmya-saṃbandha) et les phénomènes liés en tant que "ceci issu de cela" (de byung 'brel, tadutpatti-saṃbandha). Par exemple, un pot d'argile est relié à sa cause substantielle, l'argile, par le fait d'être issu d'elle. Il est l'effet de l'argile. Et un pot d'argile est relié à ses généralités, telles que "chose produite", en tant que même essence.
Les causes et leurs effets ne sont pas liés par la même essence, et les unes ne sont ni les instances ni les généralités des autres. Ceci est l'une des façons dont les généralités et les instances sont distinguées des causes et des effets. En effet, le processus d'établissement d'un phénomène en tant qu'instance de sa généralité implique de l'établir comme étant lié à cette généralité par la même essence, et cela exclut la relation causale.

La définition d'une généralité (spyi, sāmānya) est:

un phénomène qui imprègne ses manifestations (rang gi gsal ba la rjes su 'gro ba'i chos, *svavyakti-anvaya-dharma).

Une généralité doit être un existant, et elle peut être soit un phénomène permanent soit un phénomène impermanent. Un exemple est "connaissable" qui englobe ses manifestations (c.-à-d. ses instances) dans le sens où chaque connaissable est du même type - chacun d'eux est un connaissable approprié. Les instances de "connaissable" sont ses manifestations car elles manifestent la qualité d'un connaissable. Le terme "manifestation" (gsal ba, vyakti) est repris d'une tradition non-bouddhiste. Le Compendium de débats de Ra-teu dit:

Au moment du débat, la définition d'une généralité [devrait être déclarée comme étant] un phénomène qui a des manifestations (gsal ldan gyi chos).

Le Compendium de débats de Shartsé donne la définition suivante:

un imprégnateur (khyab byed).

Une généralité est un imprégnateur de ses manifestations; elle les englobe et les accompagne. Par exemple, où existe une manifestation de "chose produite" existe nécessairement "chose produite".

Une instance (bye brag, visheṣha) est définie comme étant:

un phénomène ayant une catégorie qui s'engage en lui par imprégnation (khyab byed du 'jug pa'i rang gi rigs yod pa can gyi chos).

ou bien, selon le Compendium de débats de Shartsé, comme étant:

l'imprégné (khyab bya).

Un exemple est une chose produite, parce qu'elle est une instance de "connaissable", une catégorie qui imprègne toutes les choses produites.
Les suivants du système de raisonnement fondé par Dignāga et Dharmakīrti soutiennent qu'aucune généralité n'est une entité séparée de ses instances, et qu'une généralité et ses instances sont d'une même essence. Cependant, certains non-bouddhistes disent qu'il y a une généralité par-delà et en deçà de ses instances, et qu'elle est d'essence différente de ses instances. Dans son Commentaire au Compendium de cognition valide (de Dignāga), Dharmakīrti réfute la notion selon laquelle il pourrait y avoir une généralité qui existerait en tant qu'entité séparée de ses instances.

Par exemple, chaque homme, chaque femme et chaque enfant est une instance de la généralité "humain" qui imprègne chaque humain. (…) Il n'en demeure pas moins que les deux, un humain qui est l'instance d'"humain" et l'"humain" qui est une généralité, sont mutuellement exclusifs. Il n'y a aucune base commune entre les deux, mais malgré tout, ils ne sont pas des entités différentes; ils sont la même entité. Puisque toutes les instances sont des hommes, des femmes et des enfants, et que la généralité "humain" est déclarée par les non-bouddhistes comme une entité différente de ses instances, étant une chose produite, la généralité devrait aussi être d'entité substantielle différente de ses instances. Puisque c'est une chose produite, elle devrait être objet d'une perception directe et devrait être perçue comme étant d'entité substantielle différente de ses instances, mais tel n'est pas le cas.

Une réfutation quant à la différence d'entité entre une généralité et ses instances est aussi faite en termes d'objets grossiers. Par exemple, au sein d'une table, il y a de nombreuses particules subtiles, et l'on détermine le grossier et le subtil comme étant séparés. A la pensée, il apparaît que, d'une part il y a la table grossière, et d'autre part toutes les particules subtiles. Malgré tout, ce ne sont pas des entités séparées car elles sont d'une même entité. Si elles étaient vraiment des entités séparées, alors de la même façon qu'on peut séparer une table d'une autre, on devrait pouvoir poser toutes les particules subtiles quelque part ailleurs et avoir quand-même la table grossière. Une table grossière et ses particules subtiles ou minuscules peuvent être séparées pour (…) la conscience conceptuelle en ce sens qu'il est possible d'évoquer verbalement et conceptuellement les particules subtiles séparément de la table grossière. Cependant, si elles étaient effectivement des entités différentes, elles devraient être des entités simultanées, différentes, car une table grossière et les particules subtiles qui la composent ne peuvent exister en des temps différents mais doivent exister en même temps. Si elles étaient des entités simultanées, différentes, alors on devrait pouvoir les séparer car elles seraient sans lien, puisqu'elles ne seraient pas causalement liées du fait d'être simultanées; et elles ne seraient pas liées par la même essence du fait d'être des entités différentes. Si elles étaient des entités différentes sans relation, on devrait pouvoir ôter les particules subtiles et avoir toujours la table, ou bien retirer la table et avoir encore les particules subtiles. On peut séparer le grossier du subtil en termes de ce qui apparaît à la pensée, mais en fait les deux - la table grossière et les particules subtiles de la table - sont indistinctement entremêlées. Elles sont différentes pour la pensée, mais ne sont pas des entités différentes.

De la même manière, les généralités ne sont pas des entités séparées de leurs instances. Puisqu'elles ne sont pas causalement liées, si elles étaient aussi des entités séparées, elles seraient des phénomènes sans aucun rapport mutuel, mais à l'évidence elles ne sont pas ainsi. Au contraire, une généralité est désignée sur la base de ses instances. Hormis des hommes, des femmes et des enfants, il n'y a pas d'humains. Afin de comprendre l'absence d'existence inhérente (rang bzhin gyis ma grub pa) de tous les phénomènes tel qu'elle est présentée dans la Voie médiane conséquentialiste (dbu ma thal 'gyur pa, Prāsaṅgika-madhyamaka) une compréhension de ce type de sujet est un début essentiel.

Debate in Tibetan Buddhism (Daniel Perdue, Snow Lion p. 617-21).

Image

FleurDeLotus
apratītya samutpanno dharmaḥ kaścin na vidyate /
yasmāt tasmād aśūnyo hi dharmaḥ kaścin na vidyate

Puisqu'il n'est rien qui ne soit dépendant,
Il n'est rien qui ne soit vide.

Ārya Nāgārjuna (Madhyamakaśhāstra; XXIV, 19).
Répondre