Faire face à quelqu'un en colère qui vous insulte

Compagnon

Un sutra très utile je trouve (site La Parole du Bouddha), on y retrouve maîtrise de soi, compassion, équanimité, interdépendance :

Sutta Piṭaka
Saṃyutta Nikāya
Brāhmaṇa Saṃyutta

Akkosa Sutta
— Le Brahmane Akkosaka Bhāradvāja —
Le Bouddha montre un exemple de maîtrise face à un individu en colère qui l'insulte, et explique comment il faut se comporter dans une telle situation.


En une occasion, le Fortuné séjournait près de Rajagaha, dans la bambouseraie, au sanctuaire des écureuils. En cette occasion-là, le brahmane Akkosala Bharadvaja avait entendu dire ceci: 'On dit qu'un brahmane du clan des Bharadvaja a quitté la vie de foyer pour la vie sans foyer en présence du renonçant Gotama'. Énervé et mécontent, il alla voir le Fortuné et l'injuria, l'invectiva avec des paroles vulgaires et acerbes. Lorsque cela fut dit, le Fortuné dit au brahmane Akkosaka Bharadvaja:

— Qu'en pensez-vous, brahmane, est-ce que vos amis et collègues, vos proches et les membres de votre famille, ainsi que des visiteurs, viennent vous voir?

— Parfois, Sieur Gotama, mes amis et collègues, mes proches et les membres de ma famille, ainsi que des visiteurs, viennent me voir.

— Qu'en pensez-vous, brahmane, est-ce que vous leur offrez de la nourriture, un repas, ou une friandise?

— Parfois, Sieur Gotama, je leur offre de la nourriture, un repas, ou une friandise.

— Et s'ils ne l'acceptent pas, brahmane, à qui appartient-elle?

— S'ils ne l'acceptent pas, Sieur Gotama, elle reste mienne.

— De la même manière, brahmane, nous n'acceptons pas [votre offrande] d'insultes à nous qui n'insultons pas, d'invectives à nous qui n'invectivons pas, d'injures à nous qui n'injurions pas. Elle reste vôtre, brahmane, elle reste vôtre.

De celui, brahmane, qui répond à l'insulte par l'insulte, qui répond à l'invective par l'invective, qui répond à l'injure par l'injure, on dit qu'il accepte un cadeau, qu'il accepte une invitation. Nous n'acceptons pas le cadeau ni l'invitation. Il reste vôtre, brahmane, il reste vôtre.

— Bien que le roi et sa cour considèrent le Sieur Gotama de la manière suivante: 'Le renonçant Gotama est un arahant', celui-ci se met en colère.

D'où viendrait la colère chez celui qui est sans colère,
Chez celui qui est maître de lui-même, vivant droitement.
Chez celui qui est libéré par la connaissance correcte,
Chez celui qui est constant, apaisé.

Il ne fait qu'empirer la situation,
Celui qui répond à la colère par la colère,
Tandis que celui qui ne répond pas à la colère par la colère
Gagne une bataille difficile à gagner.

Il œuvre au bien des deux,
Le sien propre et celui de l'autre.
Sachant que l'autre est en colère,
Il se calme [en restant] présent d'esprit.

Il soigne les deux,
Lui-même ainsi que l'autre.
Les gens qui le considèrent comme un sot
Ignorent la loi de la nature.


Lorsque cela fut dit, le brahmane Akkosaka Bharadvaja dit au Fortuné:

— C'est excellent, Sieur Gotama, excellent! Tout comme on redresserait ce qui était renversé, ou bien on révélerait ce qui était caché, ou on montrerait le chemin à quelqu'un qui se serait perdu, ou on allumerait une lampe dans l'obscurité [en pensant:] 'Ceux qui sont doués de vision verront les formes', de la même manière le Sieur Gotama a expliqué le Dhamma de diverses façons. Je vais en refuge au vénérable Gotama, ainsi qu'au Dhamma et à la communauté des bhikkhous. Puissé-je obtenir le départ du foyer en la présence du Sieur Gotama, puissé-je obtenir l'ordination monastique.

Alors le brahmane Akkosaka Bharadvaja obtint le départ du foyer auprès du Fortuné, il obtint l'ordination monastique. Et peu de temps après son ordination, le vénérable Akkosaka Bharadvaja, demeurant seul, isolé, assidu, ardent et voué à l'effort, en peu de temps, dans ce monde visible, entra et demeura, en l'ayant réalisée pour lui-même par connaissance directe, dans la suprême conclusion de la vie brahmique pour laquelle les enfants de [bonne] famille quittent à juste titre la vie de foyer pour le sans-foyer. Il réalisa: 'C'en est fini de la naissance, la vie brahmique a été menée à son but, ce qui devait être fait a été fait, il n'y aura plus aucune autre existence.' Alors le vénérable Bharadvaja devint l'un des arahants.


jap_8
ted

Remarquable ce sutta !

Je constate cependant qu'on pourrait feindre un calme apparent tout en bouillant de colère intérieurement.

A l'inverse, un bon maître pourrait feindre de se mettre en colère pour des raisons didactiques : le Zen regorge d'histoires semblables.

Donc, dans les deux cas, les apparences peuvent être trompeuses.
Compagnon

Seul celui qui ressent sait :)

Mais je me dis que quelqu'un de profondément serein, calme et non affecté par la colère d'un autre...on sera comme un lac paisible immense, la colère de l'autre va s'y diluer. Qui peut maintenir sa colère et sa haine très longtemps contre quelqu'un qui en face ne montre aucun signe à la fois visible (et non verbal, du corps, gestuel), de réaction, de saisie ? Si on alimente pas le feu de la colère de l'autre, l'autre brûlera très vite son combustible.
Interdépendance ? La soif de meurtre d'Angulimala, sa folie, on finit pat s'épuiser au contact du Bouddha en quelques minutes et après quelques mots échangés seulement.
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jules
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Un bon maître devrait sans doute être à même de toujours voir l’ignorance cachée derrière les actes répréhensibles de son prochain, c’est probablement ce qui lui donne un avantage sur la colère et ce qui lui permettra de ne pas perdre de vue Bodaïshin (l’esprit d’éveil) se traduisant par sa détermination à honorer en toutes circonstances ses voeux de bodhisattva.

Ailleurs, Socrate en pleine lucidité de cette ignorance dit que nul n’est méchant volontairement, et Jésus de prier son Père de concéder son pardon aux hommes ignorants de ce qu’ils font.

Mais j’ose imaginer que cette détermination ne doit pas toujours être si évidente à honorer, même pour un grand bodhisattva. Cela ne fait peut-être d'ailleurs que constituer d’avantage de mérite.
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jules
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Je ne sais plus à qui est attribuée cette phrase dont le sens consiste à dire que les enseignements du Bouddha sont faciles à comprendre mais difficiles à appliquer. Peut-être serait-il une erreur de penser trop hâtivement que le maître qui a prononcé ces paroles s'excluait de cette difficulté.
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axiste
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Merci pour ce texte très parlant, je retiens plus particulièrement pour l'instant:
Il ne fait qu'empirer la situation,
Celui qui répond à la colère par la colère
,
jap_8
Cinq clefs pour la parole correcte :
- dire au bon moment, prononcer en vérité, de façon affectueuse, bénéfique et dans un esprit de bonne volonté."
Compagnon

Un document que je viens de trouver à propos de la colère, non pas subit mais ressentie (et les émotions en général) :

Psychologies.com

Le bouddhisme nie-t-il les émotions ?

Un maître bouddhiste reste-t-il toujours zen ? C’est la question que nous avons posée au moine français Matthieu Ricard, interprète et grand ami du dalaï-lama.

« Si j’ai encore des émotions ? Je suis vivant, que je sache ! Étymologiquement, l’émotion est ce qui met l’esprit en mouvement (emovere en latin). Donc, à moins d’avoir un encéphalogramme plat, tout être vivant en a !"

Les émotions constructives

Mais toute la question est de savoir de quelle façon votre esprit est “mis en mouvement”. Est-ce d’une manière constructive pour vous-même et pour autrui, ou d’une façon telle que cela nuise à votre bien-être et à celui des autres ? Le bouddhisme utilise le terme de klesha pour désigner toutes ces émotions destructrices, ou dites négatives – non pas au nom d’un jugement moral, mais parce qu’elles génèrent de la souffrance. La colère, par exemple, que l’on ressent quand notre ego est menacé, quand on nous empêche de faire ce que l’on veut ou quand on nous “prend nos jouets” : c’est la colère égocentrée, destructrice. Celle-là, il faut tout faire pour ne pas en être esclave. Cela ne veut pas dire qu’il faille l’étouffer, la réprimer comme une bombe à retardement que l’on irait cacher dans un coin de notre tête, mais la laisser s’évanouir, se défaire d’elle-même, et puis… fini ! On n’en parle plus, on passe à autre chose. C’est affaire d’entraînement de l’esprit, ce que permet entre autres la méditation.

Mais la colère s’accompagne aussi d’une grande clarté. Un réveil. Je viens encore d’apprendre qu’une jeune Pakistanaise a été tuée à l’acide par ses parents parce qu’elle avait regardé deux fois un garçon qui passait sur une motocyclette. Comment ne pas être indigné ? en colère ? Cette colère-là, tant qu’elle n’est pas entachée de la moindre haine, mène directement à la compassion et à l’altruisme. Qui, lorsque c’est possible, se concrétisent par l’action : vous pouvez voir s’il n’y a pas des situations à peu près semblables sur lesquelles vous pourriez intervenir, tenter de contribuer à un changement dans les idées, etc.

L’objectif du bouddhisme n’est pas de réprimer les émotions, même négatives. D’ailleurs, qui le pourrait ? Une fois que l’émotion surgit, inutile de souhaiter qu’elle ne soit pas là : elle y est ! Vous n’avez d’autre choix que de reconnaître sa présence. Simplement, il s’agit de savoir ce que vous faites d’elle : est-ce que vous la laissez passer dans le ciel comme un oiseau qui passe sans laisser de trace ? Auquel cas, elle ne fera de mal à personne, et dix, cent ou mille autres peuvent bien venir, le ciel restera toujours le même. Ou est-ce que vous vous y agrippez et la laissez envahir votre esprit ? Alors vous en devenez l’esclave. Toutes les études en neurosciences confirment que si vous laissez exploser une émotion à chaque fois qu’elle vient, vous renforcez votre tendance à cette émotion, c’est-à-dire que vous la ressentirez plus facilement et plus souvent. Et cela vaut tout autant pour la colère que pour la compassion !

Ne plus être esclave de ses émotions

Ce qui marque votre progrès sur le chemin, c’est votre capacité à ne plus être l’esclave de vos pensées et émotions comme avant. Vous êtes de plus en plus libre. Mais encore faut-il s’entendre sur cette notion de liberté. Le marin expérimenté, par exemple, est libre d’aller où il souhaite sans dériver sur les récifs, car il maîtrise son bateau. En revanche, celui qui lâche la barre, au nom de ce qu’il croit être la liberté, affirmant : “Moi, je laisse faire !”, celui-là finira sur les rochers. Cela n’est pas la liberté, c’est la dérive ! Et le lâcher-prise ne doit pas être confondu avec la dérive. Il s’agit de lâcher prise sur ses attachements, sur ses émotions nuisibles, mais pas sur sa vigilance et sa présence d’esprit.

L’entraînement de l’esprit par la méditation permet de développer une sorte de méta-attention, une attention toujours présente et dominante. Ainsi, si vous savez, par expérience, que la colère malveillante ou la jalousie obsédante sont des points faibles chez vous, dès que ces émotions surviennent, vous les repérez, les observez et les laissez passer sans qu’elles vous envahissent. La forêt ne prend feu que si vous n’avez pas repéré l’étincelle.

L'amour altruiste

Mais il ne faudrait pas confondre l’attention, ou l’observation de ses pensées et émotions, avec la rumination : c’est encore un attachement. Et puis, à quoi bon se demander pourquoi telle ou telle émotion me revient sans cesse ? Dans le bouddhisme, vous avez une cinquantaine d’existences passées ; vous avez eu l’occasion d’en faire des vertes et des pas mûres ! Inutile d’aller fouiller dans les archives. L’important, c’est de garder à l’esprit que vous êtes un point de départ. Être lucide sur ce que vous êtes maintenant, gérer chaque émotion au moment où elle survient, cela suffit.

Contrôler ses émotions, c’est aussi, pour le bouddhiste, s’efforcer de faire naître et de cultiver en lui les émotions positives. Comme l’amour altruiste. Soit cela vous est facile, et vous laissez votre esprit se remplir d’un amour inconditionnel. Soit, pour déclencher cet état d’esprit, vous pouvez penser, par exemple, à un enfant qui vient vers vous plein de confiance, et n’avoir pour lui d’autre souhait qu’il grandisse en sécurité, en bonne santé, qu’il s’épanouisse… Partant de là, vous aurez reconnu ce goût particulier de l’altruisme, vous pourrez le laisser envahir votre esprit, et ce, pendant dix minutes, puis quinze, puis une heure, puis toute la journée. Au lieu de ne durer que dix secondes, une émotion positive vous aura porté tout ce temps !

Outre la méditation, cette progression dans la gestion de ses émotions tient à l’expérience, à la connaissance de ses échecs et réussites passés, mais aussi à des modèles. Si vous avez, en mémoire ou sous les yeux, une personne qui, en toutes circonstances, a montré sa capacité à gérer ses émotions et à faire preuve d’un amour altruiste, d’une compassion sans fin, c’est un formidable point de repère !

Compassion et force d'âme

J’ai la chance d’avoir, entre autres points de repère, le dalaï-lama… Dont j’ai pu constater qu’il verse souvent des larmes ; je l’ai entendu dire que, depuis une vingtaine d’années, il pleure presque chaque matin durant sa méditation, en pensant à la souffrance des êtres. Voilà, pour le bouddhiste, l’émotion positive par excellence : la compassion. Et voilà la fin de l’ego. Pleurer sur soi, quel intérêt ? Lorsque je suis auprès de lui, ou même seul dans mon ermitage avec, face à moi, l’Himalaya, je me dis que ce n’est pas concevable d’avoir des émotions négatives. Se laisser prendre par la haine, par l’envie, par la jalousie… tout cela est tellement loin de la présence éveillée ! Mais cela ne signifie pas que la sérénité de l’esprit ne se cultive que sur les hauteurs de l’Himalaya ! Si vous faites des retraites, ce n’est pas pour fuir tout ce qui pourrait générer des émotions négatives : c’est pour engendrer les ressources intérieures qui permettent de gérer tout cela avec compassion et altruisme. Vous méditez pour essayer de mieux connaître le fonctionnement de votre esprit, de cultiver des états mentaux positifs, constructifs, une liberté par rapport à vos émotions qui vous permettra, lorsque vous serez confronté à la réalité ordinaire, de ne pas être emporté comme plume au vent.

À travers l’association que j’ai fondée, Karuna-Shéchèn, qui a déjà accompli plus de cent projets humanitaires – écoles, cliniques… –, nous sommes sans cesse confrontés à la corruption, aux conflits d’ego… Certains suggèrent que, pour y faire face, soient mises en place des formations à l’action humanitaire. Certes, mais il me semble que la meilleure des formations, c’est de passer des mois à développer la compassion et une force d’âme telle que vous ne soyez pas vulnérable aux obstacles rencontrés, aux tempéraments difficiles, aux frictions humaines, au manque de gratitude… Le bouddhiste ne vit pas hors du réel et des émotions. D’ailleurs, à quoi pense-t-il lorsqu’il veut développer l’amour altruiste et la compassion ? À la souffrance des êtres ! Et il n’a pas besoin de la télé pour se la représenter avec force ! »

Confidences de Matthieu Ricard

Qu’est-ce qui vous trouble, Matthieu Ricard ?

L’émotion qui vous saisit le plus facilement : Je les ai toutes ! Parce que je suis loin d'avoir atteint l'éveil...

Ce qui vous met en colère : Ce n'est pas une émotion que je connais tellement...

Ce qui vous met en joie : Etre témoin du bel aspect de la nature humaine, quand je vois s'exprimer la bonté, la gratitude, la compassion... Alors, même si ce n'est pas encore parfait, il faut s'en réjouir, célébrer ! La libération d'Aung San Suu Kyi, par exemple, a été une grande joie.

Vos émotions d’enfant : Je n'étais pas très émotif, il paraît que j'étais plutôt grognon. Je lisais beaucoup, je passais mon temps libre à m'émerveiller de la nature, à faire de l'ornithologie, de la photographie...

Une rencontre : Celle de Kyabjé Kangyour Rinpoché, mon premier maître spirituel, en 1967. Avant, j'avais eu la chance de fréquenter de grands génies, dans les sciences, les arts, l'exploration. J'avais pu envier leurs capacités, mais sans ressentir l'envie d'être ce qu'ils étaient. Face à lui, soudain, peu m'importaient ses connaissances, je n'ai eu qu'un souhait : devenir un jour un tout petit peu comme lui, apprendre à cultiver cette même manière d'être. Il m'a enfin donné une direction claire dans l'existence.

Ce qu’il vous manque pour être tout à fait maître de vos émotions : Tout ce qu'il manque à celui qui n'a pas atteint l'éveil ! Mais l'important, c'est d'être sur le chemin. Quand vous marchez dans les montagnes, parfois, vous vous apercevez qu'il faut descendre de deux mille mètres pour remonter ensuite de mille cinq cents, alors qu'à vol d'oiseau votre objectif est à un kilomètre. Parfois le temps est sublime, parfois il grêle. Mais toujours, vous avez la joie, en forme d'effort, qui est de poursuivre le but que vous vous êtes fixé et qui vous inspire à chaque pas.
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