Dans les pas des Bouddhas effacés de Bamiyan

Compagnon

Le monde des religions

Par Olivier Germain-Thomas - publié le 13/12/2016

À l’occasion de l’exposition « Sites éternels. De Bamiyan à Palmyre, voyage au cœur des sites du patrimoine universel » au Grand Palais*, l’écrivain voyageur Olivier Germain-Thomas est allé sur les traces des Bouddhas géants d’Afghanistan, aujourd’hui détruits.

La destruction des Bouddhas géants de Bamiyan (Afghanistan), il y a quinze ans, a rappelé au monde effaré combien une religion dévoyée pouvait éprouver de la rage pour la beauté des autres. Depuis, l’élan se poursuit en Syrie, en Irak et ailleurs. Il faut être bien misérable pour demander à la haine de nous rassurer…

En juin dernier, j’ai vu à Bamiyan les niches vides creusées face à la ligne enneigée de la chaîne de montagnes Hindou Kouch. Autour des Bouddhas absents, de nombreuses cavités abritaient des cellules de méditation et des chapelles reliées entre elles par de sombres couloirs et escaliers qui circulaient dans la pierre. La voûte d’une de ces chapelles conservait des peintures bouddhiques que les talibans ont détruites, y lançant avec des rires rageurs leurs chaussures couvertes de la poussière du site.


Un dialogue avec la Grèce antique

Dans la vallée fertile de Bamiyan passait l’une des routes de la soie reliant l’Inde à la Chine et, vers l’ouest, la Méditerranée. Passage pour conquérants, marchandises, cultures, parfois rêves de terres inconnues…

Ces Bouddhas rappelaient l’aventure méconnue du bouddhisme à l’ouest de l’Inde après le règne de l’empereur Ashoka, au IIIe siècle avant notre ère : plus d’un millénaire de présence dans le nord du Pakistan actuel, en Afghanistan, et jusqu’en Perse. Rappelons combien la statuaire bouddhique de cette partie de l’Asie centrale, particulièrement au Gandhara, a été marquée par un dialogue fécond avec la Grèce qui a donné naissance à l’art « gréco-bouddhique », le visage du Bouddha étant à rapprocher de celui d’Apollon. Avide des métamorphoses, André Malraux (dont on vient de fêter le 40e anniversaire de la mort, le 23 novembre 1976) s’est particulièrement intéressé à cet art. Dans Les Voix du silence (1951), il écrit : « La Grèce était ennemie des signes abstraits, et il sembla naturel aux sculpteurs qu’elle inspirait de figurer d’abord la suprême sagesse par la suprême beauté. »

Remontons à la source. En 329-327 avant notre ère, Alexandre le Grand se dirige vers l’Inde à travers l’Empire perse qu’il a vaincu. Arrêté par sa propre armée devant l’Indus, il fait demi-tour avant de mourir à Babylone en 323 avant notre ère. Rêvant d’un empire universel, il avait fondé des villes, laissé troupes et dirigeants dans les vallées autour de l’Hindou Kouch. Pendant sa longue marche du retour, abandonnant à regret l’Inde comme un mirage, Alexandre se fait accompagner d’un sannyasin, un renonçant qui mendie sa nourriture. Plus tard, on signalera des moines bouddhistes ou des sages hindous à Alexandrie tandis qu’Arrien rédige, au IIe siècle de notre ère, une description de l’Inde.


Des réponses à tout

Du côté indien, il nous est resté un texte unique dans son genre : Les questions de Milinda (Milindapanha), un dialogue écrit en pali entre un roi indo-grec et un moine bouddhiste. Milinda (Ménandre) régnait au IIe siècle avant notre ère dans un des royaumes autour de Bamiyan. Il ne trouvait personne capable de répondre aux multiples questions qu’en bon descendant des Grecs, il se posait et posait à son peuple. Issu d’une famille de brahmanes, le moine bouddhiste Nagasena est convoqué par le roi informé de sa sagesse. Écrit par un bouddhiste, le texte est un admirable viatique à l’usage de celui qui veut comprendre les principaux points de la doctrine. On ne s’étonnera pas qu’oubliant sa Grèce lointaine et ses lumières tranchantes, le roi en sorte convaincu. « J’ai bien demandé tout et le révérend a bien répondu à tout. » Parmi les questions abordées, la plus importante est celle de la substance du moi. D’un côté une personne, de l’autre une absence de réalité fixe, une série d’assemblages provisoires.

Arpenter les montagnes de l’Afghanistan où tant de sites ont été marqués par la Grèce permet une méditation sur la richesse d'un « dialogue racines contre racines » (Malraux). Le christianisme n’est-il pas le mariage de la prophétie juive et de la pensée grecque ? Morale de ces esquisses : ne pas craindre les rencontres de civilisations malgré les troubles qu’elles suscitent au premier choc. Elles sont capables de générer un renouveau du génie créateur.



(*) Sites éternels. De Bamiyan à Palmyre, voyage au cœur des sites du patrimoine universel. Au Grand Palais (Paris) du 14 décembre 2016 au 9 janvier 2017. Entrée libre tous les jours, sauf le mardi, de 10 h à 20 h et en nocturne jusqu’à 22 h le mercredi.
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