Dukkha, Sukkha, nibbana et l'éveil

ted

A votre avis : la fin de la souffrance, est-ce la non-souffrance ? :oops:
Compagnon a écrit :Je crois que c'est une évidence. En même temps si la souffrance existe, si dukkha existe, que ce soit comme notion intellectuelle ou expérimentation personnelle, il existe aussi forcément la non-souffrance ou non-dukkha. Et évidemment c'est cette dernière qui nous intéresse... même si le fait de fuir (aversion) l'une de manière systématique au profit de l'autre (désir) n'est pas non plus la solution.
Compagnon

De ce que j'en ai lu, tant que l'on pense de manière dual on est coincé, il faut atteindre un dépassement de toute conception duelle, y compris souffrance/non-souffrance, samasara/nirvana, ou bien/mal etc... c'est je crois un des messages possibles du Sutra du Coeur de la Perception de la Sagesse : aller toujours au delà, sans jamais s'arrêter. Dépasser toute conception.
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davi
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Répondre à cette question consiste à s'interroger sur le pourquoi de la souffrance. Nous souffrons parce que nous sommes incapables de reconnaître qui nous sommes vraiment. Quand le voile sera levé, la souffrance ne sera plus un sujet.
S'indigner, s'irriter, perdre patience, se mettre en colère, oui, dans certains cas ce serait mérité. Mais ce qui serait encore plus mérité, ce serait d'entrer en compassion.
Compagnon

ted a écrit :A votre avis : la fin de la souffrance, est-ce la non-souffrance ? :oops:
Compagnon a écrit :Je crois que c'est une évidence. En même temps si la souffrance existe, si dukkha existe, que ce soit comme notion intellectuelle ou expérimentation personnelle, il existe aussi forcément la non-souffrance ou non-dukkha. Et évidemment c'est cette dernière qui nous intéresse... même si le fait de fuir (aversion) l'une de manière systématique au profit de l'autre (désir) n'est pas non plus la solution.
Si l'on mets fin à la souffrance, la non-souffrance disparaît aussi... par le fait.

Posons nous la question. Lorsque le Bouddha a atteint l’éveil, si il avait expérimenté la totale non-souffrance, le sort des autres êtres lui aurait été totalement indifférent. Exit la compassion. Mara le tenta dans ce sens. Il lh'invita à mourir puisqu'il avait réussi à atteindre l'Eveil. Mais... non le Bouddha déclina. Il resta en vie. Pourquoi ? Pour partager sa découverte. Pourquoi ? Par compassion. Or, il y a forcément de la souffrance dans la compassion. Et un Bouddha dispose d'une compassion sans commune mesure. C'est peut être justement parce qu'il ressens la souffrance des autres êtres non-eveillés de façon aiguë (mais sans être submergée par elle) qu'il développe une compassion en proportion. Donc je doute que nibhana soit la fin de la souffrance, la non-souffrance pour celui qui expérimente l'Eveil. Je crois qu'il doit toujours être touché par elle, touché par les souffrance des autres, pour justifier la compassion. Mais l'Eveillé a appris à être empathique : il ressens la souffrance des autres mais sans être submergé. Il voit avec discernement les racines de la souffrance chez les autres et peu donc les aider efficacement... si ceux ci coopèrent à leur propre guérison évidemment.

Vous comprenez ce que je veux dire ?
ted

Compagnon a écrit :...
il y a forcément de la souffrance dans la compassion. Et un Bouddha dispose d'une compassion sans commune mesure. C'est peut être justement parce qu'il ressens la souffrance des autres êtres non-eveillés de façon aiguë (mais sans être submergée par elle) qu'il développe une compassion en proportion. Donc je doute que nibhana soit la fin de la souffrance, la non-souffrance pour celui qui expérimente l'Eveil. Je crois qu'il doit toujours être touché par elle, touché par les souffrance des autres, pour justifier la compassion.
...
Vous comprenez ce que je veux dire ?
Tirru,

Toi qui connais plutôt bien Theravada, ya t'il encore de la souffrance ressentie par un arhat qui est à sa dernière vie ?

Je pencherai pour des traces de samkhara-dukkha tant qu'il demeure des agrégats conditionnés, même non contaminés... Mais j'ai des doutes...

Je ne suis pas certain, Compagnon, que Karuna ait besoin de la souffrance pour s'élever. C'est une question intéressante... color_3
Compagnon

Je pense honnêtement que le Bouddha ressentait dukkha. Dukkha au sens large. C'est à dire non pas seulement la souffrance au sens français du mot mais toutes les facettes de dukkha. Walpola Raula conseil de ne pas traduire "dukkha" car quel que soit le mot que l'on emploi on opère aussitôt une réduction du sens qui est trompeuse. Qui induit en erreur sur le sens profond de toutes les formes/dimensions de dukkha.

Prenons la motivation, la motivation c'est ce qui, littéralement, nous "met en mouvement", nous incite à agir. (Et que dit-on du Bouddha justement ? Il "met en mouvement" la roue du Dharma !)
Qu'est ce qui incite Siddharta Gautama à tout quitter pour devenir ascète ? L'empathie/la compassion. Déjà il constate autour de lui l'omni-présence de la souffrance/insatisfaction au moins physique : on nait dans la douleur, on vit en connaissant les maladie, la vieillesse et la mort, la vie est courte. Et ce constat est terriblement douloureux pour lui, c'est une question existentielle, comment vivre, accepter de vivre, en sachant tout cela ? Comment être heureux dans cette vie en sachant tout cela ? Surtout quand comme lui on a père, femme, enfant et une mère biologique morte très jeune.
Donc il quitte tout pour trouver une réponse avec une détermination farouche, il est prêt à risquer une mort prématurée pour cela (cela lui arrivera presque d'ailleurs). Et il le fait par compassion pour lui et pour les autres. Il cherche la réponse pour lui même autant que pour sa famille et tous. C'est à la fois égoïste et altruiste. Et ni l'un ni l'autre indépendamment.

Et une fois l'Eveil atteint, si il n'avait plus perçu la moindre souffrance en lui ni autour de lui, si il était devenu insensible, "froid", comme le comprennent souvent mal les non-pratiquant, qu'est ce qui aurait pu le motiver pour rester en vie ? Rien.
Donc l'Eveil ne l'a pas rendu insensible. Au contraire.
Donc je pense qu'il ressentait forcément dukkha au moins chez autrui et que cela le dérangeait. Si il n'a pas céder à l'ultime tentation de Mara c'est que mourir immédiatement après son Eveil était une conclusion insatisfaisante, était dukkha. Et il n'a pu arriver à ce constat que si il ressentait encore dukkha en lui et autour de lui. Il avait d'ailleurs toujours un corps physique, il ressentait donc forcément les formes physiques de dukkha. Besoin de s'alimenter, d’exécrer, vieillesse, maladie, sensibilité au intempéries, besoin de sommeil etc...

D'ailleurs il a hésité à propager son message craignant de ne pas être compris malgré toute sa sagesse, il doutait qu'il y ai des personne susceptibles de comprendre. Et si il a hésité c'est par un constat insatisfaisant : risque de trop peu de gens susceptibles de comprendre. Il y a si peu de gens capable de comprendre, il le dit d'ailleurs lui même ouvertement il me semble, c'est un constat insatisfaisant, amer. Il est aussi peut être amer quand il cède aux femmes proches de lui en créant un ordre féminin, et en avertissant qu'a cause de cela, d'avoir voulu brusquer les choses car la société n'était pas prête, le Dharma sera oublié plus tôt que prévu. Guère satisfaisant vous ne croyez pas ?

Est ce que la trahison de Devadatta l'a laissé totalement impassible et indifférent croyez vous ?

Je ne vois pas comment on peut parler de la compassion du Bouddha si celui ci ne ressent plus la moindre dukkha.
Par contre il l'a maîtrise. Ou du moins il fait le choix d'accepter d'en ressentir. Sans se faire dominer.

Regarder l'idéal du bodhisattva, avec la légende de Kannon/Guanyin/Tchenrézi/Avalokiteshvara, ou une princesse incarnation de bodhisattva de la compassion meurt martyr et alors qu'elle s'élève au Ciel sujette à l'Eveil tourne son regard vers la terre, voit toute la souffrance et se refuse à abandonner les êtres restant à leur souffrance, elle renonce à sa propre libération pour revenir vers les êtres (et donc souffrir encore elle-même) pour les guider ? Cela n'est possible que si l'on est sensible à la souffrance d'autrui : que la souffrance d'autrui nous fait souffrir. Cum patior : souffrir avec en latin, à donner compassion. C'est précisément ce que fit le Bouddha lui même après l'Eveil. Il resta parmi les vivants. (PS : Jésus fit de même au passage... pas étonnant que certains bouddhistes fassent de lui un bodhisattva).

Donc bien sûre que oui selon moi le Bouddha ressentait dukkha, par choix, mais la puissance de sa volonté, de sa sagesse, lui permettait de n'être ni dominé ni abattu par elle mais au contraire d'y trouver une puissante motivation a sa compassion.



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The Spirit of Compassion by Raynor Hoff (1894–1937), carved from marble on the South Australian National War Memorial, unveiled in 1931.

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Spirit of Compassion (Doctor), one of the twelve life-size statues "Spirits of America" flanking either side of the 1,000 seat theatre in The American Adventure pavilion at Epcot theme park.

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Guan Yin of the south Sea of Sanya

Toutes trois des femmes au passage... (sexisme inversé, comme si la compassion ne pouvait être incarnée que par une femme XD) - curieux, Jésus, le Bouddha... 2 hommes.

PS : la dernière représentation m'en bouche un coin a chaque fois que je la vois, vous verriez le décors... stupéfiant !
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tirru...
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Bonjour,

À ma connaissance, un être ayant atteint le stade de Bouddha ou d'arahanta est totalement libéré de dukkha et ne ressent plus de sensations non plus car il n'y a personne pour sentir, c'est nibbana, le non est, la flamme est définitivement éteinte, l'extinction totale. Par contre, je n'ai pas connaissance du terme non dukkha, ni du fait que Bouddha ressent du dukkha dans la compassion !

Bhante Gunaratana a écrit :Le Vénérable Sariputta, tel que mis par écrit dans le Anguttara Nikaya, dit dans un de ses dialogues: “Ce nibbâna est le bonheur” [sukham idam avuso nibbanam]. Alors, un des moines qui écoutait demanda: “Ami Sariputta, quel est ce bonheur expérimenté quand rien n'est ressenti dans ce [nibbana]?” [kim pan avuso Sariputta sukham, yad natti vedayitam ti?"] Répondant à cette question Sariputta dit: “Cette absence même de sensations c'est le bonheur même.” [etad eva khv avuso sukham, yad ettha natthi vedayitam.]
jap_8
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Circé
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tirru... a écrit :Bonjour,

À ma connaissance, un être ayant atteint le stade de Bouddha ou d'arahanta est totalement libéré de dukkha et ne ressent plus de sensations non plus car il n'y a personne pour sentir, c'est nibbana, le non est, la flamme est définitivement éteinte, l'extinction totale. Par contre, je n'ai pas connaissance du terme non dukkha, ni du fait que Bouddha ressent du dukkha dans la compassion !

jap_8
J'espère bien!!!;Bon, sérieusement- les êtres ayant atteint la bouddhéité(,?) ne connaissent certainement PLUS dhukka mais ils savent qu'elle existe, ils la connaissent sans nécessairement la ressentir.C'est ce qui rend leur enseignement et leur compassion magnifiques: ils sont totalement désinteressés.

je ne comprends pas le terme " non-souffrance", l'absence d'une chose n'en crée pas une autre.
ted

Circé a écrit : je ne comprends pas le terme " non-souffrance"
C'est un terme que Compagnon a utilisé et qui m'a d'abord interpellé je le reconnais. Puis, j'ai compris son approche (enfin je crois) : il accepte les choses en reconnaissant que leur opposé existe et que les paires d'opposés sont indispensables pour construire un monde duel et que cette dualité est elle même un enchaînement à l'ignorance.

Donc, ce que Compagnon appelle "non-souffrance", je pense que le bouddhisme l'appelle sukkha. C'est pourquoi j'ai mis sukkha dans le titre.

Je pense aussi que nibbana est la fin de toute souffrance.

Est-ce que la compassion bouddhiste est une empathie empreinte de pitié ? Je ne crois pas... N'est elle pas plutôt un jugement raisonné ? Un chirurgien qui demande une anesthésie croit que c'est préférable parce qu'il sait que ça va faire mal. Il n'a pas besoin de ressentir la douleur pour prescrire un antidouleur, non ?
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davi
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Un bouddha ne peut ressentir une quelconque insatisfaction, c'est tout simplement contre-nature. Quand un bodhisattva atteint l'illumination, il ne disparaît pas tout de suite; il est "bouddha avec résidu". A ce moment, à l'aide de sa compassion, il enseigne aux êtres sensibles la dharma. Puis quand vient la mort physique, il entre en parinirvana. A ce moment le bouddha n'est plus personne mais peut se manifester en une personne, un animal, un objet inanimé, par compassion, afin de venir en aide aux êtres sensibles. Pour que le bouddha apparaisse à un être sensible, ce dernier doit avoir accumulé du mérite. Il s'agit d'une rencontre, entre la capacité d'un bouddha à se manifester, sa compassion naturelle, la souffrance de l'être sensible et le mérite de celui-ci.
S'indigner, s'irriter, perdre patience, se mettre en colère, oui, dans certains cas ce serait mérité. Mais ce qui serait encore plus mérité, ce serait d'entrer en compassion.
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