La pensée de Nagarjuna

Compagnon

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Nagarjuna est un des grands philosophes et métaphysiciens du bouddhisme Mahāyāna et le fondateur de l'école Madhyamaka. Il est également compté parmi les quatre-vingt-quatre mahāsiddhas, les « grands accomplis » du bouddhisme tantrique tibétain. La tradition du bouddhisme Shingon, quant à elle, voit en lui son troisième patriarche - il aurait reçu directement l'enseignement ésotérique de Vajrasattva -, celle du Zen le considère comme son quatorzième patriarche et il serait aussi à l'origine, voire le fondateur, de l'école Tiantai en Chine. Sa pensée eut un impact majeur sur tout le Vajrayāna: toutes les branches du Bouddhisme tibétain se considèrent comme relevant du Madhyamaka. En particulier, l'œuvre de Nagarjuna telle qu'elle fut comprise et commentée par le maître indien Candrakîrti (viie siècle) puis par le maître tibétain Tsongkhapa (1357-1419), fondateur de la branche gelugpa du bouddhisme tibétain, eut un impact considérable sur la doctrine bouddhiste au Tibet surtout à partir de l'arrivée au pouvoir des gelugpa au xviie siècle. Selon la tradition tibétaine, c'est Nagarjuna qui transmit le Guhyagarbha tantra à Padmasambhava (le fondateur du bouddhisme tibétain) et Vimalamitra, un tantra fondamental de la première diffusion du Bouddhisme au Tibet.

L'ouvrage le plus célèbre de Nāgārjuna est la Prajñānāma mūla madhyamaka kārikā, « Les stances-racine de la voie du milieu ». Ce livre est aussi connu sous le nom plus simple de Madhyamaka shastra, le « Traité du Milieu ». La tradition lui attribue par ailleurs un grand nombre d'autres textes.

Il faut surtout noter son apport essentiel à la logique, par l'usage systématique qu'il fit du tétralemme, sa réfutation de la logique indienne, en particulier des thèses du Nyâya sûtra le conduisit à utiliser trois types de réfutation : l'impossibilité logique (na yujyate), l'impossibilité réelle (nopapadyate), le constat d'inexistence (na vidyate).

Sa renommée s'est étendue dans tout le monde bouddhiste où il est vénéré sous différents noms : chinois : Long Shu 龍樹, Long Meng 龍猛, Long Sheng 龍勝 ; japonais : Ryûju, Ryûmyô bosatsu ; tibétain : Klu-sgrub ; mongol : Naganchuna Bakshi

Toute la pensée logique de Nāgārjuna tend à prouver la vacuité d'existence propre (Śūnyatā) des phénomènes à partir de l'enseignement central du Bouddha de la production codépendante ou coproduction conditionnée (pratîtya samutpada).

En effet, Nāgārjuna déclare:

« C'est la Coproduction conditionnée que nous entendons sous le nom de vacuité. C'est là une désignation métaphorique, ce n'est rien d'autre que la voie du milieu [le Madhyamaka]. »

La vacuité s'oppose frontalement à la conception née de nos habitudes mentales qui suppose une existence réelle aux choses et qui s'exprime intellectuellement dans un concept clef de la métaphysique traditionnelle de l'Inde : svabhāva [être propre, existence propre] et que Nagarjuna bat en brèche dans ses textes philosophiques. Nagarjuna prouve en effet à longueur de ses écrits l'absurdité de ce concept d'existence propre qui se surajoute au réel. L'existence propre des phénomènes comme l'existence propre du « je » est illusoire, un mirage, un songe. Si sur le plan de la vérité absolue, Nagarjuna professe la vacuité, Śūnyatā, sur le plan de la vérité relative, il déclare que tous les phénomènes sont illusoires.

Nāgārjuna dit, en effet:

« Passions, actes, agents, fruits ressemblent à une ville de génies célestes, sont pareils à un mirage, à un songe. »

Nagarjuna va même plus loin : le mouvement et donc le changement sont vides d'une existence propre; le temps est également vide d'une existence propre; le nirvâna est vide d'une existence propre; et même le Bouddha en personne est vide d'une existence propre, une illusion, un songe, un rêve. Il prouve l'impossibilité de saisir rationnellement la causalité elle-même: il nie l'efficience même de la cause dans l'acte causal lui-même (Démonstration des éclats de diamant) 14. Il dit, en effet:

« Jamais, nulle part, rien qui surgisse, ni de soi-même, ni d'autre chose, ni des deux à la fois, ni sans cause. »

Pour autant, tout n'est-il qu'un vaste néant aux yeux de Nagarjuna ? Non, pas du tout ! Les choses sont vides, mais elles apparaissent en dépendance d'autres phénomènes, de la même manière que le rêve n'est bien sûr pas réel, mais pourtant s'est produit, troublant le dormeur de ses charmes et apparences. C'est pourquoi Nagarjuna prétend se situer au milieu entre l'extrême de l'existence et l'extrême de la non-existence ou néant.

Lorsqu'il dit que les phénomènes sont vides d'existence intrinsèque, Nāgārjuna dit précisément qu'« ils sont libres de permanence et de non-existence». En effet, il dit:

« Dire « il y a » c'est prendre les choses comme éternelles [c'est-à-dire qu'elles durent], dire « il n'y a pas pas » c'est ne voir que leur anéantissement [c'est-à-dire qu'elles n'existent pas]. »


C'est pourquoi il a appelé son école, l'école du Milieu, le Madhyamaka, référence implicite au tout premier enseignement du Bouddha aux cinq disciples de Bénarès où le Bouddha décrit sa doctrine comme Voie du Milieu (ou voie moyenne).


Toute l'œuvre de Nagarjuna a pour but de déconstruire l'esprit ordinaire, conceptuel pour qu'apparaisse « la connaissance principielle (Prajñā dans un premier temps puis Jñāna) » qui seule peut donner accès à la compréhension de la réalité.

La connaissance directe de la vacuité (Prajna) à l'aide de cette « sagesse transcendante » (Jñāna) est omniprésente, en arrière plan, dans deuxième roue du Dharma et donc chez Nagarjuna puisque la plupart des textes de cette deuxième roue du Dharma qui ont été redécouverts par Nagarjuna s'appellent justement les Prajnaparamita sutra. La version tibétaine du Sūtra du Cœur commence d'ailleurs par un hommage à cette prajñā:

« Inconcevable et inexprimable,
la prajnaparamita non née et sans cessation
a une nature semblable au ciel
et ne peut être éprouvée que par la sagesse du discernement:
Hommage à la Mère des Bouddhas des trois temps. »


Dans son œuvre le Catuhstava, Nagarjuna rend directement hommage à la Réalité ultime telle qu'elle ne peut être comprise que par cette sagesse transcendante. Le Catuhstava est, en effet, une suite de quatre hymnes en son honneur. Ces hymnes révèlent bien l'objectif ultime de Nagarjuna et pourquoi il ne fait que très rarement référence direct à cette « Réalité ultime » car elle est justement au-delà de toute formulation par la logique et le langage:

« 1. Comment Te louerais-je, Seigneur, Toi qui sans naissance, sans demeure, surpasses toute connaissance mondaine et dont le domaine échappe aux cheminements de la parole.
2. Pourtant, tel que Tu es, accessible au [seul] sens d'Ainséité [la Nature absolue], avec amour je [Te] louerai, ô Maître, en recourant aux conventions mondaines.
3. Puisque, par essence, Tu ne sais pas, en Toi, point de naissance, point d'allée ni de venue. Hommage à Toi, Seigneur, à Toi le Sans-nature-propre !
4. Tu n'es ni être ni non-être, ni permanent ni impermanent, ni éternel. Hommage à Toi, le Sans-dualité ! »


Lilian Silburn conclut:

« Nagarjuna n'est nullement un nihiliste, un sceptique ou un relativiste. Sa dialectique n'a de sens qu'en fonction de l'expérience ineffable de la Réalité absolue. Et cette Réalité, on ne peut la suggérer qu'au moyen de paradoxes ou encore en affirmant hautement ce qu'elle n'est pas ; telle est justement l'œuvre de la dialectique de Nagarjuna. Selon la belle formule de Candrakîrti :« La Réalité absolue est le silence des mystiques. Dès lors comment pourrait-on en discourir avec eux?»

D'autre part, il y a un lien très profond entre la notion de vacuité centrale pour Nagarjuna et celle de Bodhisattva. Toute la pensée de Nagarjuna est totalement liée à la compassion universelle et au vœu du Bodhisattva. Le Bodhisattva est celui qui « renonce à entrer dans l'état de nirvāna et se destine à devenir un Bouddha en œuvrant pour le bien d'autrui et qui développe la Bodhicitta.»

La pensée de Nagarjuna non seulement n'a rien à voir avec le nihilisme mais, réellement comprise dans son lien profond avec l'interdépendance, elle mène à la responsabilité universelle et au respect non seulement de tous les êtres sensibles mais aussi de notre environnement.


PS : sur la page wikipédia il y a une liste de références bibliographiques abondantes que je n'ai pas reproduit.

jap_8
ted

Merci beaucoup pour ce rappel.
jap_8
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