Kensho ou Satori ?

ted

Dans l'exemple ci-dessous, Chia Chan a t'il eu le kensho ? Ou le satori ?
:oops:
Un moine Chan vivait à Hua ting, sur le bord de la rivière. On savait peu de choses sur lui, sauf qu'il se nommait Te Cheng et qu'il possédait une petite barque. La barque était arrimée sur le bord de la rivière et Te Cheng somnolait comme un bienheureux.

Un jour, un fonctionnaire de province passa par là et l'interpella d'un ton ironique :
"Que fait donc le vénérable maître ?"
Te Cheng lui montra sa rame :
"Comprenez-vous le sens de cela ?"
Le fonctionnaire un instant interdit, répondit ;
"Non je ne comprends pas du tout !"
Te Cheng ajouta :
"J'ai ramé encore et encore. J'ai brassé tellement d'eau. Il est si difficile de trouver le Poisson d'Or !"

Quelque temps après cette mystérieuse discussion, un maître Chan, Chia Chan, vint consulter Te Cheng qui le reçut avec considération.
"Bon pratiquant, de quel monastère venez-vous ?"
Chia Chan avança alors tout son savoir et donna fièrement une réponse qui était une vitrine de ses connaissances :
"Ce qui est comme cela n'est pas immuable, et ce qui est immuable n'est pas comme cela !"
Te Cheng enchaîna :
"Si l'on ne peut pas décrire cet endroit, à quoi ressemble-t'il ?"
Chia Chan s'avança fièrement :
"Les mots ne peuvent décrire la forme, et la forme est vide. Maître je ne puis vous répondre.
- Ainsi, tu ne sais pas d'où tu viens, répliqua Te Cheng d'un air entendu. Et çà tu sais ce que c'est ?
Te Cheng lui montra la fameuse rame. Et sans laisser le temps à Chia Chan une chance de répondre il lui en balança un coup sur la tête.

On raconte que Chia Chan connut alors l'éveil subit et qu'il laissa définitivement tomber la dialectique
Dumè Antoni

Le kensho, comme le satori, sont une seule et même expérience qui est la vue dans sa vraie nature. Cela étant, le kansho n'est pas libérateur, alors que le satori l'est. Pour le cas que tu sites, on ne peut pas se prononcer car l'histoire ne dit pas si son éveil est libérateur ou pas (le fait de laisser tomber la dialectique n'est pas suffisant). Pourquoi le kensho n'est-il pas libérateur ? Parce que les forces karmiques ne sont pas épuisées et l'éveil est inconstant. Lorsqu'une personne a eu le kensho, elle sait reconnaître un éveillé d'un ignorant (sur la base de la Vue) ; elle ne se fait plus abuser par les opinions erronées et les vues fausses. Mais elle continue d'être en proie aux passions parce que son éveil n'est pas constant. N'étant pas constant, elle ne vit pas en permanence dans l'Etat Naturel. Ne vivant pas en permanence dans l'Etat Naturel elle n'est pas libérée. Le satori, en revanche est l'éveil permanent et donc l'équivalent de la libération (l'éveillé vit dans l'état naturel ; c'est un "Bouddha vivant").

Nota : l'Etat Naturel est une expression empruntée au Dzogchen. Le Zen utilise souvent l'expression "esprit ordinaire" ("l'esprit ordinaire est la Voie", disait Joshu), mais en raison des risques de confusion entre l'esprit ordinaire et l'éveillé et de celui de l'ignorant, je préfère l'expression "Etat Naturel" parce qu'elle renvoie à la "nature du Bouddha". Bankei disait "le non-né", ce qui est bien aussi.
ted

Concrètement, pourquoi un choc sur la tête provoque t'il un kensho ? :oops:
Le Zen regorge d'histoires de ce genre. Le moine qui tombe dans l'eau glacée... Celui qui se prend un coup de baton etc...
Voire même un claquement de mains.

Est-ce que l'état d'hébétude qui suit un éternuement est une occasion de s'éveiller ? :)
Dumè Antoni

Ted a écrit :Concrètement, pourquoi un choc sur la tête provoque t'il un kensho ? :oops:
Le kensho n'est pas provoqué par un choc sur la tête, mais peut arriver à n'importe quel moment et c'est vrai que l'on raconte souvent des histoires de ce genre. Je pense que c'est pour insister sur l'aspect immédiat, abrupte et impossible à prévoir et à cause de la coïncidence entre l'esprit analytique, dualiste, et la douleur fulgurante, transfixiante, provoquée par le coup, mais uniquement quand le pratiquant est prêt (ou mûr). Mais le plus souvent, (bien qu'aucune statistique n'ait été faite sur la question :lol: ) le kensho arrive pendant zazen ou lors d'une concentration intense (en particulier quand le pratiquant est plongé dans le "doute").

Le doute est une concentration spéciale de l'esprit, généralement générée par les kôans, quand le mental du pratiquant est "figé" ou comme "surgelé" (dans le sens "entropique" du terme) par une situation inextricable intellectuellement. Mais on peut avoir le kensho sans l'usage des kôans, bien sûr.
Est-ce que l'état d'hébétude qui suit un éternuement est une occasion de s'éveiller ? :)
Si le pratiquant est mûr, pourquoi pas ? Mais ce n'est pas la cause du kensho. Quand le pratiquant est mûr, n'importe quelle situation provoquant la coïncidence entre l'esprit dualiste et l'esprit de Bouddha est l'occasion du kensho.
ted

Si quand on a le kensho il n'y a plus de doute possible (tu disais que si ton maître ne l'avait pas reconnu chez toi, tu aurais douté de son Kensho à lui), pourquoi le faire certifier ?
tongra

Peut-être un acte spontané et essentiel d'humilité et de gratitude (autant envers l'esprit de bouddha qu'envers celui qui l'a représenté et présenté sur le chemin) ?
Dumè Antoni

Ted a écrit :Si quand on a le kensho il n'y a plus de doute possible (tu disais que si ton maître ne l'avait pas reconnu chez toi, tu aurais douté de son Kensho à lui), pourquoi le faire certifier ?
Tongra a écrit :Peut-être un acte spontané et essentiel d'humilité et de gratitude (autant envers l'esprit de bouddha qu'envers celui qui l'a représenté et présenté sur le chemin) ?
La réponse de Tongra est la bonne réponse. Après kensho, on reconnaît le Bouddha et on se retrouve immédiatement sur le Pic du Vautour, avec le Bouddha qui montre la fleur. La certification, c'est le silence de Kashyapa et le sourire du Bouddha.
Répondre