Le blog de Lausm : un moine peut-il tenir un blog ?

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Flocon
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Mon point d'interrogation indiquait que je pensais réversibles les arguments que je donnais moi-même en faveur du caractère libérateur d'une structure démocratique.
On peut tout aussi bien estimer que la participation à une structure dont on désapprouve intellectuellement, ou politiquement, les fondements (patriarcat, hiérarchie, etc.) est destructeur de nos attachements à des représentations mentales discriminantes (fussent-elles nobles et égalitaires) et donc, facteur d'éveil.

Mais d'un autre côté, je suis d'accord avec ce que tu écris : les représentations de la hiérarchie des êtres dans le bouddhisme sont en réalité, dans la plupart des cas, le masque d'un système d'exploitation social et économique éthiquement inacceptable.
C'est donc à chacun de faire la part des choses et ce n'est pas toujours facile.
ted a écrit :Comment développer la bodhicitta, l'esprit d'éveil envers tous les êtres, si on est convaincu, ou plutôt, si on nous convainc, que certains êtres sont "plus égaux que d'autres"
Il me semble que c'est une question légèrement différente : on peut développer d'autant plus d'aspiration à libérer les êtres qu'on est convaincu que certains ont un besoin immense de ce qu'on pourrait leur apporter, sans forcément les considérer comme inférieurs, simplement comme souffrant d'un manque plus marqué : hors du point de vue absolu selon lequel tous les êtres sont Bouddha, les animaux par exemple sont considérés dans le bouddhisme comme manquant davantage de sagesse que les humains. L'esprit d'éveil envers eux peut être renforcé, me semble-t-il, par une telle idée.
Quand on sonde les choses, les connaissances s'approfondissent.
Les connaissances s'approfondissant, les désirs se purifient.
Les désirs une fois purifiés, le cœur se rectifie.
Le cœur étant rectifié, on peut réformer sa personne.

Kong Tseu
Dumè Antoni

Comment développer la bodhicitta, l'esprit d'éveil envers tous les êtres, si on est convaincu, ou plutôt, si on nous convainc, que certains êtres sont "plus égaux que d'autres" ?
Ben tous les êtres sensibles, et même strictement humains, ne sont pas à égalité face à la réalisation de leur vraie nature et donc face à l'éveil. Tous les êtres ne sont pas des Bouddhas ; le fait d'avoir la nature de Bouddha n'implique pas du tout que tous les êtres soient des Bouddhas. N'étant pas à égalité au regard de l'Eveil, leur position par rapport à l'autel est à considérer comme une forme de symbolisme qui signifie qu'ils (les débutants) ont un travail (de réalisation) d'autant plus long à accomplir (c'est la distance par rapport à l'autel) qu'ils viennent les "derniers" (et donc de "très loin" par rapport aux "anciens") au Dharma. Ce n'est pas comme dans le Christianisme selon lequel les "derniers seront les premiers" au paradis. Le Bouddha n'est pas le sauveur des innocents, des faibles. Sa compassion n'est pas la miséricorde christique. Il me paraît essentiel de bien comprendre ce détail pour éviter un jugement trop hâtif sur la façon dont le Bouddhisme fonctionne dans le zendo (et en fait dans toutes les salles de méditation : dans le BT, la hiérarchie est encore plus marquée). Et en poussant le bouchon encore plus loin, respecter cette distance, c'est reconnaître sa propre place sur la Voie (c'est à dire reconnaître qu'on n'est pas un Bouddha, ce qui est très dur à accepter pour certains). Mais en réalisant qu'être simplement assis sur le zafu, quelle que soit cette place dans le zendo, on est "au plus près du Bouddha" (le kôan dit : "Où que vous soyez, cette place est le zendo"). En "discutant" ce détail fondamental de la distance, cela revient à la valider en quelque sorte et donc à se considérer comme une sorte d' "exclu" alors que cette exclusion est seulement la nôtre, c'est à dire que nous nous éloignons, par notre propre ignorance (jointe à l'exigence de se considérer l'équivalent d'un Bouddha) du Bouddha, en réclamant une place "mondaine" près de lui alors même que nous ne la méritons (à cause de notre "mauvais karma") pas.

Cela étant, cette hiérarchie, ainsi que je le disais, n'est pas toujours bien comprise par certains "anciens" qui se comportent en despotes et s'estiment, parce que justement ils sont "anciens", plus près du Bouddha que les autres (les débutants), ce qui est faux, comme l'indique le kôan : "Où que vous soyez, cette place est le zendo". Ce qui signifie que le sens premier de la distance est devenu un problème mondain. Problème mondain pas toujours dénoncé par les maîtres, il faut bien le reconnaître, parce que, d'une certaine façon, ces derniers ont besoin de "policiers" pour faire régner "l'ordre établi" (symboliquement). Le problème est que leur comportement global (des anciens) est parfois si "injuste" (comment pourrait-il en être autrement dans un espace — le zendo — devenu mondain ?) qu'ils portent sur eux la responsabilité de créer cette "fausse" distance dans l'esprit des débutants, sans leur expliquer que leur vraie place est là où ils se trouvent et que s'ils comprennent bien cela, alors ils ont résolu le kôan "Mu". Le problème est que ces "anciens" (pas tous, heureusement), se pensant plus près de l'autel, ne sont en réalité même pas entré dans le zendo.

Edit : mais il convient de modérer aussi ma critique des "anciens" (combien de fois me suis-je fait reprendre quand j'avançais mon "ancienneté" dans le Zen sur ce forum ? :lol: ) car certains débutants, qui arrivent en centre zen, se comportent un peu comme à l'université, considérant le maître comme un maître de conférence, ne reconnaissant à ce dernier qu'un savoir qu'ils paient (participer aux sesshins a un coût) pour le leur dispenser, sans forcément respecter l'homme qu'il est et le silence des lieux (il y en avait un débutant, ici, sur forum, qui doutait avec arrogance du kensho de Jyoji :roll:, c'est dire où peut aller la bêtise de certains débutants, pas tous, heureusement.) . Quant aux anciens, ils les considèrent un peu comme des "redoublants" :lol:, genre "tu es plus ancien que moi, mais tu ne dois pas être très intelligent — contrairement à moi — puisque tu n'as pas réussi à passer en classe supérieure"... C'est là que je suis pour de bonnes bastonnades :mrgreen:
Robi

Dumè Antoni a écrit :Ben tous les êtres sensibles, et même strictement humains, ne sont pas à égalité face à la réalisation de leur vraie nature et donc face à l'éveil. Tous les êtres ne sont pas des Bouddhas ; le fait d'avoir la nature de Bouddha n'implique pas du tout que tous les êtres soient des Bouddhas. N'étant pas à égalité au regard de l'Eveil, leur position par rapport à l'autel est à considérer comme une forme de symbolisme qui signifie qu'ils (les débutants) ont un travail (de réalisation) d'autant plus long à accomplir (c'est la distance par rapport à l'autel) qu'ils viennent les "derniers" (et donc de "très loin" par rapport aux "anciens") au Dharma. Ce n'est pas comme dans le Christianisme selon lequel les "derniers seront les premiers" au paradis. Le Bouddha n'est pas le sauveur des innocents, des faibles. Sa compassion n'est pas la miséricorde christique.
Je ne comprends pas trop pourquoi tu fais cette comparaison. Qui irait croire que la formule "les derniers seront les premiers" du christianisme pourrait à voir avec le système des places par rapport à l'autel dans le bouddhisme?

(Si récemment j'ai fait allusion à cette formule, ce n'est pas par rapport aux places de débutants en fonction de l'autel mais parce S. Suzuki à travers sa formule "Esprit zen, esprit neuf" qui a aussi été rapportée sous la forme "Esprit zen, esprit de débutant" fait montre que l'esprit de débutant est l'esprit juste dans le zen; et non la place de débutant par rapport à l'autel)

"Esprit neuf de débutant. L’esprit du débutant contient beaucoup de possibilités, mais celui de l’expert en contient peu." Shunryu Suzuki
Dumè Antoni

Robi a écrit :Je ne comprends pas trop pourquoi tu fais cette comparaison. Qui irait croire que la formule "les derniers seront les premiers" du christianisme pourrait à voir avec le système des places par rapport à l'autel dans le bouddhisme?
Parce que je pense (mais je peux me tromper) que le dénie d'une hiérarchie, associée à un jugement de valeur (Ted parlait de "plus égaux que d'autres"), est intimement lié à notre culture (chrétienne) qui voudrait que nous sommes tous égaux aux "yeux" de Dieu (ou de son fils). J'espère que tu ne t'es pas senti blessé, une fois de plus, par mes propos. Il peut être aussi rattaché à un point de vue "laïc" relativement à la démocratie, par exemple, où tous les hommes "naissent libres et égaux en droits". Quoi qu'il en soit, ce n'est pas transposable au Zen (et au Bouddhisme, par extension).
(Si récemment j'ai fait allusion à cette formule, ce n'est pas par rapport aux places de débutants en fonction de l'autel mais parce S. Suzuki à travers sa formule "Esprit zen, esprit de débutant" fait montre que l'esprit de débutant est l'esprit juste dans le zen; et non la place de débutant par rapport à l'autel)
Ce passage (de toi) m'a échappé, désolé :neutral: . J'avoue ne pas avoir le temps de lire tous les posts sur Nangpa.
Dumè Antoni

Robi a écrit :l'esprit de débutant est l'esprit juste dans le zen
C'est une formule appartient qu'à Shunryu Suzuki et fait directement référence à la Prajna qui n'est — par nature — pas polluée par l'analyse critique des "experts". Mais dans les faits, les débutants sont ignorants de leur vraie nature. Il ne faudrait quand même pas qu'ils s'imaginent que parce que leur esprit/coeur est "vierge" qu'il est à l'abri d'erreur. Les débutants ont ceci de commun entre eux qu'ils le demeurent très peu, débutants, en sorte que leur esprit est très vite encombré.
Robi

Dumè Antoni a écrit :
Robi a écrit :Je ne comprends pas trop pourquoi tu fais cette comparaison. Qui irait croire que la formule "les derniers seront les premiers" du christianisme pourrait à voir avec le système des places par rapport à l'autel dans le bouddhisme?
Parce que je pense (mais je peux me tromper) que le dénie d'une hiérarchie, associée à un jugement de valeur (Ted parlait de "plus égaux que d'autres"), est intimement lié à notre culture (chrétienne) qui voudrait que nous sommes tous égaux aux "yeux" de Dieu (ou de son fils). J'espère que tu ne t'es pas senti blessé, une fois de plus, par mes propos. Il peut être aussi rattaché à un point de vue "laïc" relativement à la démocratie, par exemple, où tous les hommes "naissent libres et égaux en droits". Quoi qu'il en soit, ce n'est pas transposable au Zen (et au Bouddhisme, par extension).
Ben la formule "plus égaux que d'autres" ne veut pas dire que tout le monde est égaux, ça veut dire le contraire. La formule complète c'est "Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits ...mais certains sont plus égaux que d'autres " (Coluche)

Enfin penser que parce que dans la société nous serions (ou nous voudrions être) tous socialement égaux je ne vois toujours pas qui irait faire la liaison avec les places dans le zendo. Tout le monde je pense s'imagine bien que ce placement dans le zendo n'a rien à voir avec le social.

Enfin oui je trouve toujours un peu déplacé de reprendre à l'emporte pièce (excuse de l'expression je n'en trouve pas de meilleure pour le moment) des brefs passages évangéliques qui peuvent tellement avoir de sens. Ici "derniers" peut tout aussi bien vouloir dire le plus humble, ou même celui qui a le moins d'ego (!). Donc n'interprétons pas trop vite à notre guise...

ce qui est dur et fort est serviteur de la mort;
ce qui est doux et faible est serviteur de la vie.
La dureté et la rigidité sont inférieures;
la souplesse et la faiblesse sont supérieures.

Tao te King

Dumè Antoni a écrit :
Robi a écrit :l'esprit de débutant est l'esprit juste dans le zen
C'est une formule appartient qu'à Shunryu Suzuki et fait directement référence à la Prajna qui n'est — par nature — pas polluée par l'analyse critique des "experts". Mais dans les faits, les débutants sont ignorants de leur vraie nature. Il ne faudrait quand même pas qu'ils s'imaginent que parce que leur esprit/coeur est "vierge" qu'il est à l'abri d'erreur. Les débutants ont ceci de commun entre eux qu'ils le demeurent très peu, débutants, en sorte que leur esprit est très vite encombré.
Oui elle appartient à Shunryu Suzuki et c'est dans le sens qu'il lui donnait que je l'ai reformulée. C'était juste comme ça dans la conversation, pas dans un débat précis sur la théorie ou des opinions...
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