Comment développer la bodhicitta, l'esprit d'éveil envers tous les êtres, si on est convaincu, ou plutôt, si on nous convainc, que certains êtres sont "plus égaux que d'autres" ?
Ben tous les êtres sensibles, et même strictement humains, ne sont pas à égalité face à la réalisation de leur vraie nature et donc face à l'éveil. Tous les êtres ne sont pas des Bouddhas ; le fait d'avoir la nature de Bouddha n'implique pas du tout que tous les êtres soient des Bouddhas. N'étant pas à égalité au regard de l'Eveil, leur position par rapport à l'autel est à considérer comme une forme de symbolisme qui signifie qu'ils (les débutants) ont un travail (de réalisation) d'autant plus long à accomplir (c'est la distance par rapport à l'autel) qu'ils viennent les "derniers" (et donc de "très loin" par rapport aux "anciens") au Dharma. Ce n'est pas comme dans le Christianisme selon lequel les "derniers seront les premiers" au paradis. Le Bouddha n'est pas le sauveur des innocents, des faibles. Sa compassion n'est pas la miséricorde christique. Il me paraît essentiel de bien comprendre ce détail pour éviter un jugement trop hâtif sur la façon dont le Bouddhisme fonctionne dans le zendo (et en fait dans toutes les salles de méditation : dans le BT, la hiérarchie est encore plus marquée). Et en poussant le bouchon encore plus loin, respecter cette distance, c'est reconnaître sa propre place sur la Voie (c'est à dire reconnaître qu'on n'est pas un Bouddha, ce qui est très dur à accepter pour certains). Mais en réalisant qu'être simplement assis sur le zafu, quelle que soit cette place dans le zendo, on est "au plus près du Bouddha" (le kôan dit : "Où que vous soyez, cette place est le zendo"). En "discutant" ce détail fondamental de la distance, cela revient à la valider en quelque sorte et donc à se considérer comme une sorte d' "exclu" alors que cette exclusion est seulement la nôtre, c'est à dire que nous nous éloignons, par notre propre ignorance (jointe à l'exigence de se considérer l'équivalent d'un Bouddha) du Bouddha, en réclamant une place "
mondaine" près de lui alors même que nous ne la méritons (à cause de notre "mauvais karma") pas.
Cela étant, cette hiérarchie, ainsi que je le disais, n'est pas toujours bien comprise par certains "anciens" qui se comportent en despotes et s'estiment, parce que justement ils sont "anciens", plus près du Bouddha que les autres (les débutants), ce qui est faux, comme l'indique le kôan : "Où que vous soyez, cette place est le zendo". Ce qui signifie que le sens premier de la distance est devenu un problème mondain. Problème mondain pas toujours dénoncé par les maîtres, il faut bien le reconnaître, parce que, d'une certaine façon, ces derniers ont besoin de "policiers" pour faire régner "l'ordre établi" (symboliquement). Le problème est que leur comportement global (des anciens) est parfois si "injuste" (comment pourrait-il en être autrement dans un espace — le zendo — devenu mondain ?) qu'ils portent sur eux la responsabilité de créer cette "fausse" distance dans l'esprit des débutants, sans leur expliquer que leur vraie place est là où ils se trouvent et que s'ils comprennent bien cela, alors ils ont résolu le kôan "Mu". Le problème est que ces "anciens" (pas tous, heureusement), se pensant plus près de l'autel, ne sont en réalité même pas entré dans le zendo.
Edit : mais il convient de modérer aussi ma critique des "anciens" (combien de fois me suis-je fait reprendre quand j'avançais mon "ancienneté" dans le Zen sur ce forum ?
) car certains débutants, qui arrivent en centre zen, se comportent un peu comme à l'université, considérant le maître comme un maître de conférence, ne reconnaissant à ce dernier qu'un savoir qu'ils paient (participer aux sesshins a un coût) pour le leur dispenser, sans forcément respecter l'homme qu'il est et le silence des lieux (il y en avait un débutant, ici, sur forum, qui doutait avec arrogance du kensho de Jyoji
, c'est dire où peut aller la bêtise de certains débutants, pas tous, heureusement.) . Quant aux anciens, ils les considèrent un peu comme des "redoublants"
, genre "tu es plus ancien que moi, mais tu ne dois pas être très intelligent — contrairement à moi — puisque tu n'as pas réussi à passer en classe supérieure"... C'est là que je suis pour de bonnes bastonnades