Un enseignement de Brad Warner sur l'Eveil

Répondre
Kaïkan
Messages : 147
Inscription : 21 avril 2011, 10:35

  • Image

Brad Warner (né le 5 mars 1964) est un moine Zen Sōtō, il a obtenu de Nishijima la transmission du dharma.
C'est en 2007 que Gudo Wafu Nishijima l'a désigné pour lui succéder comme dirigeant du Dôgen Sangha International.

L’Éveil et perdre son pucelage


Publié par Brad le 7 mars 2016
Éveil et dépucelage

Dimanche dernier, j'ai dirigé un atelier au Centre Zen d'Austin (Texas). J'ai eu du bon temps. Pendant l'atelier, le groupe et moi sommes entrés dans une intéressante discussion sur l’Éveil. Je n'ai pas enregistré mon discours. Je n'enregistre jamais les meilleurs. Mais je vais tenter de vous écrire de mémoire ce que je pense avoir dit.

Il existe un phénomène qu'on appelle souvent "expériences de l’Éveil," ou "satori," ou "kensho," ou "ouverture," ou "illumination" ou ce que vous voudrez. Mon maître appelait cela "résoudre les problèmes philosophiques."

C'est un moment où l'on voit avec une clarté parfaite que tout ce qu'on raconte sur l'unité avec le cosmos, sur le moi individuel identique avec le Grand Soi de l'Univers, sur la non-différence/séparation entre sujet et objet, et tout le toutim n'est pas qu'une abstraction ou une stance philosophique. Mais c'est au contraire une meilleure description de ce que sont réellement les choses que tout ce qu'ont pu nous raconter tous ceux qui nous ont jamais enseigné quelque chose, que l'histoire qu'on a crue absolument et sans le moindre doute depuis le début de notre vie.

C'est un moment important. Profond et signifiant. Qui fait tourner la tête. Un truc majeur.

Mais à bien des égards, c'est comme de perdre son pucelage. On ne peut le perdre qu'une seule fois. Et peu importe ce qu'on peut faire comme sexe après, on se rappelle toujours de sa première fois.

Parce qu'on a franchi une limite. Avant d'avoir une pour la première fois une relation sexuelle, le sexe est une abstraction. On peut avoir lu sur le sujet, regardé des vidéos ou imaginé ce à quoi cela pourrait ressembler, etc. Mais une fois qu'on l'a fait pour de vrai, on découvre des tas de trucs sur le sexe qu'aucune vidéo ne pourrait jamais nous montrer, qu'aucun écrit ne pourrait expliquer de façon adéquate, et qui ne faisaient absolument pas partie de notre version imaginaire de l'activité. Du genre, "OK, c'est ça que ça sent!"

Un de nos problèmes en tant qu'Occidentaux qui se font tout juste présenter une tradition dans laquelle ce genre d'expériences sont considérées comme possibles, c'est que nous avons tendance à nous laisser bien trop impressionner par ceux qui les ont. Par exemple, nous dirons qu'une telle personne est désormais Eveillée et nous allons créer toutes sortes de mythologies autour de ce que cela implique.

Cela n'est en rien limité à l'Occident. En Asie, il y a aussi une forte tendance à attacher toutes sortes de trucs délirants et irréalistes à une personne qui a fait cette expérience. C'est même parfois pire, parce qu'ils ont eu bien plus longtemps à leur disposition pour développer ces mythes!

Mais c'est un peu comme quand on est adolescent et qu'il y a ce garçon dans votre petit groupe de morveux qui traîne toujours à la porte de l'école avant que la cloche sonne, et qui y arrive pour la première fois. Il devient une espèce de célébrité. C'est celui qui sait. Comme Fonzie. Et tout le monde veut lui demander comment c'est et entendre les histoires salaces.

Ce qu'il y a, pourtant, c'est que c'est pas parce qu'on a baisé une fois qu'on devient illico un expert dans Tout Ce Qui Est Sexe. En fait, on est probablement un cancre là-dedans aussi. Mais vos copains ne le savent pas. Ils sont toujours hyper impressionnés.

Et de même qu'il n'y a rien à perdre son pucelage qui fait qu'on est soudain un expert en navigation de toutes les implications éthiques d'avoir des relations sexuelles, il n'y a rien à la prétendue "expérience de l'Eveil" qui enseigne tout du comportement éthique dans son ensemble. Voir clairement qu'on est littéralement un avec tout et tous peut t'apporter l'entendement du pourquoi il faut être éthique. On voit clairement que faire du tort à quelqu'un d'autre, ou voler quelqu'un d'autre, ou toute autre saloperie qu'on peut faire à quelqu'un ou quelque chose est un acte déplaisant qu'on se fait à soi-même, et vice-versa.

Ce qui ne veut pas dire qu'on ne va pas faire ces saloperies ou qu'on va toujours tout faire correctement. Les habitudes qu'on a prises lorsqu'on était incapable de voir cela restent fortes. On garde toutes ces pulsions inavouables et cette histoire personnelle tordue qu'on avait avant cet "Eveil." La différence, c'est qu'on a désormais une nouvelle perspective sur ses névroses. Ce qui ne les fait pas partir pour autant.

En fait, cela pourrait bien empirer les choses. Si on prend soudain conscience qu c'est tout moi, moi, moi aussi loin que porte l'horizon, on pourrait bien en conclure que tout ce qu'on fait aux autres est OK parce que -- hého! -- tout ça c'est moi et je maîtrise! Je vois tout plein de gens prétendument "éveillés" qui me paraissent agir comme si c'était ainsi qu'ils pensent. Mais ce n'est pas ça.

C'est là qu'entrent en jeu les préceptes. Dans la version de la cérémonie des préceptes du San Francisco Zen Center, on vous demande: "Pourrez-vous les garder dorénavant, même après avoir atteint l’Éveil ?" J'aime bien ça. C'est une sacrée bonne question. Mais on n'est pas censé répondre "C'est une sacrée bonne question." On est censé répondre, "Oui!"

Lors de l'atelier de dimanche, quelqu'un m'a demandé: "Etes-vous éveillé?" C'est une question licite, je suppose. J'ai écrit deux livres à propos de mon expérience de perte de virginité, Harcore Zen et "There Is No God And He Is Always With You". J'ai fait de mon mieux pour tenter de faire comprendre ce que c'était, mais j'ai parfois l'impression que j'y suis allé à la hache.

Je sais qu'il existe des personnes qui font tout le circuit spirituel et qui ont eu des expériences similaires à ma perte de pucelage, et qui vont audacieusement soutenir qu'ils sont Éveillés. Mais je me demande bien ce que cela veut dire. Qu'est ce que cela signifie pour eux et pour les gens à qui ils le disent? Est-ce que cela implique qu'ils ont franchi une sorte de ligne d'arrivée spirituelle? Parce que je n'ai pas l'impression que c'est mon cas, ni que cela le sera jamais. Donc, de ce point de vue, je ne suis pas éveillé, et n'imagine pas que je le serai jamais.

jap_8
-- Kaïkan --
- Kyo gyo sho itto
-
L’enseignement, la pratique et le satori sont unité.
ted

Publié par Brad le 7 mars 2016
...

Il existe un phénomène qu'on appelle souvent "expériences de l’Éveil," ou "satori," ou "kensho," ou "ouverture," ou "illumination" ou ce que vous voudrez. Mon maître appelait cela "résoudre les problèmes philosophiques."
Je comprends que ces fameuses "expériences d'éveil" ne sont pas l'éveil. Mais que des gens les prennent pour l'éveil. Alors que ce ne sont que des expériences, certes déterminantes, mais samsariques tout de même.
Dans le bouddhisme ancien, rien que le nom des expériences des jhanas du sans forme, est déjà une incitation au délire égotique. Voyez plutôt :

  • - La sphère de l'espace infini.
    - La sphère de la conscience infinie.
    - La sphère de ni perception ni non-perception.
    - La sphère de pas-de-chose ou pas-de-particularité
    .
C'est pas que des noms ! C'est vraiment ce qui est expérimenté.
Quand on sort de là, difficile de ne pas prendre la grosse tête si Sila n'est pas bien établi.

Est-ce que plein de gens ne font pas plein d'expériences ?
Mais l'éveil final, définitif, est irréversible. Et les "pulsions inavouables", sont déracinées dé-fi-ni-ti-ve-ment. :oops:
ted

Quand Stephane A. m'a répondu ceci, en parlant de la Voie Dzogchen :
Yungdrung Gyalpo a écrit : Plus exactement : qu'on y voit bien la nature ultime, que c'est même assez facile par une voie comme le Dzogchen — mais qu'on reste après ce qu'on était avant, moralement, etc. Aussi perdu, aussi limité, avec les mêmes préjugés, les mêmes faiblesses, les mêmes passions
il s'est sans doute simplement arrêté au stade d'une "expérience d'éveil", comme dit Brad Warner. <<metta>>

Le problème des personnes rationnelles (et je ne parle pas de S.A. là, j'en sais rien), c'est que la moindre expérience irrationnelle leur semble la découverte ultime d'une grande Vérité cosmique ! :D ... Et elles ne vont pas plus loin...

J'imagine le nombre de personnes qui ont du s'arrêter au premier jhana, persuadées d'avoir rencontré la présence de Jesus ou le St Esprit. :roll:
Quoique, j'en sais rien. Mais ça me parait plausible...
Dumè Antoni

Le kensho, comme le satori, ne sont pas exactement une expérience, au sens commun du terme. Bien sûr, dans le langage courant, on parle d'expérimenter sa vraie nature. Mais dans les faits, ce n'est pas simplement une expérience. Comment expliquer cela ? Une expérience est reproductible indéfiniment. Par exemple, avec une certaine maîtrise de la concentration, on entre assez facilement en samadhi. Et plus on expérimente cet état, plus facilement on y entre. Ce qui distingue un samadhi d'un autre samadhi n'est pas exactement sa profondeur, mais la facilité avec laquelle on reproduira l'expérience. Quelqu'un comme Ramakhrisna entrait régulièrement en samadhi. St François d'Assise ou Ste Thérèse de Lisieux faisaient la même chose. Et des maîtres soufi ou des derbich tourneurs, idem. C'est pourquoi le samadhi n'est pas une véritable expérience zen ou bouddhique, parce que l'on y entre (ou sort) que l'on soit chrétien ou musulman ou hindouiste. Le Bouddha, avant son éveil, expérimentait cette pratique régulièrement et, fort heureusement pour le Dharma et pour nous qui marchons sur ses traces, il a réalisé qu'il était, en fait, dans ce qu'Hakuin appelait "la caverne des démons". C'est d'ailleurs à cause de cette particularité du samadhi — qui se retrouve dans toutes les pratiques quiétistes — que le new age prend racine comme une vue erronée, faisant du Bouddhisme l'équivalent de n'importe quelle autre religion éternaliste à cause de l'expérience samadhique prise à tort pour une expérience d'éveil.

Donc, contrairement au samadhi qui est reproductible, le kensho ou le satori ne le sont pas. On peut avoir "plusieurs kensho", mais ça ne sera jamais le même kensho/satori. Pourquoi ce ne sera pas le même ? Parce que le kensho s'accompagne d'une dimension sapientiale, contrairement au samadhi. Une dimension sapientiale, cela signifie bien évidemment que Prajna (Sapience) éclaire la conscience en l'illuminant d'une véritable réalisation. Cette réalisation est une et définitive. Elle n'est pas nécessairement libératrice, mais il est impossible de la contredire, de la mettre en défaut. Bien sûr, il y aura toujours des gens pour douter du kensho de X ou Y, mais ces doutes n'existent que chez ceux qui n'ont jamais eu le kensho. Quelqu'un qui a le kensho, sait qui l'a et qui ne l'a pas, sans trop de risques de se tromper (en particulier s'il y a un contact direct). C'est comme si vous vous trouviez dans une assemblée de personnes parlant plusieurs langues. Si vous rencontrez une personne qui parle français, elle n'a pas besoin de vous dire qu'elle parle français ; vous l'entendez immédiatement, sans difficulté. En revanche, si quelqu'un vous parle en yaourt en vous disant que c'est du français, vous verrez immédiatement que c'est du yaourt. Avec le kensho, c'est la même chose.

Le kensho ou le satori, c'est un peu comme un feu qui consume les vues erronées. Et de la même façon qu'on ne peut pas faire repartir un feu sur des cendres, on ne peut pas refaire deux kensho ou satori identiques. Hakuin parlait de petits ou grands satori, ce qui laissait supposer qu'il en existerait plusieurs. En fait, si c'est un (vrai) kensho ou un (vrai) satori, il est unique et la pratique ne consistera pas à multiplier cette "expérience" mais à l'aiguiser, la mûrir, pour au final l'oublier jusqu'à la libération complète et définitive. Un kensho différera d'un autre kensho en s'effaçant au profit d'un autre, plus profond, qui sera de plus en plus établi jusqu'à la libération. Huieneng avait dit-on eu l'éveil en écoutant une nonne réciter le sutra du diamant. Ce kensho lui permis d'exprimer sa célèbre gatha. Par la suite, quand Hung jen, le 5ème patriarche, lui dit qu'il fallait à présent faire émerger la pensée du vide, il en connut un second, plus pénétrant encore, et sans doute libérateur. Le kensho est un hiatus dans la pratique ; on procède donc par paliers, et c'est pourquoi le Zen (Rinzaï) est autant une pratique subitiste que graduelle.
Robi

ted a écrit :J'imagine le nombre de personnes qui ont du s'arrêter au premier jhana, persuadées d'avoir rencontré la présence de Jesus ou le St Esprit. :roll:
Je me demande pourquoi tu fais de telles allusions dans un forum bouddhiste. Tu ne fais montre ici ni d'une compréhension des jhanas, ni de ce que signifie rencontrer Jésus ou le St Esprit pour un chrétien.
Dumè Antoni a écrit :Le kensho, comme le satori, ne sont pas exactement une expérience, au sens commun du terme. Bien sûr, dans le langage courant, on parle d'expérimenter sa vraie nature. Mais dans les faits, ce n'est pas simplement une expérience. Comment expliquer cela ? Une expérience est reproductible indéfiniment. Par exemple, avec une certaine maîtrise de la concentration, on entre assez facilement en samadhi. Et plus on expérimente cet état, plus facilement on y entre. Ce qui distingue un samadhi d'un autre samadhi n'est pas exactement sa profondeur, mais la facilité avec laquelle on reproduira l'expérience. Quelqu'un comme Ramakhrisna entrait régulièrement en samadhi. St François d'Assise ou Ste Thérèse de Lisieux faisaient la même chose. Et des maîtres soufi ou des derbich tourneurs, idem. C'est pourquoi le samadhi n'est pas une véritable expérience zen ou bouddhique, parce que l'on y entre (ou sort) que l'on soit chrétien ou musulman ou hindouiste.
C'est certainement encore moins une expérience chrétienne ou musulmane. Tout simplement parce que samadhi n'est pas dans le langage chrétien ou musulman. Le mot concentration ne sied pas dans une expérience spirituelle chrétienne (pour ne pas parler de musulmane), car c'est toujours un abandon (à Dieu), un lâcher-prise; et non une maîtrise de la concentration.
Alors de grâce, ne mélangez pas tout.
ted

Robi a écrit :
ted a écrit :J'imagine le nombre de personnes qui ont du s'arrêter au premier jhana, persuadées d'avoir rencontré la présence de Jesus ou le St Esprit. :roll:
Je me demande pourquoi tu fais de telles allusions dans un forum bouddhiste. Tu ne fais montre ici ni d'une compréhension des jhanas, ni de ce que signifie rencontrer Jésus ou le St Esprit pour un chrétien.
Baaaaahhhh... tu penses ce que tu veux... <<metta>>
Robi

ted a écrit :
Robi a écrit :
ted a écrit :J'imagine le nombre de personnes qui ont du s'arrêter au premier jhana, persuadées d'avoir rencontré la présence de Jesus ou le St Esprit. :roll:
Je me demande pourquoi tu fais de telles allusions dans un forum bouddhiste. Tu ne fais montre ici ni d'une compréhension des jhanas, ni de ce que signifie rencontrer Jésus ou le St Esprit pour un chrétien.
Baaaaahhhh... tu penses ce que tu veux... <<metta>>
Ben je pense que tu as tort de tout mélanger.
ted

Il n'y a pas de mélange. Je dis simplement que des expériences décrites par le bouddhisme, peuvent être interprétées à tort, pour autre chose.
T'es pas d'accord ?
Robi

ted a écrit :Il n'y a pas de mélange. Je dis simplement que des expériences décrites par le bouddhisme, peuvent être interprétées à tort, pour autre chose.
T'es pas d'accord ?
C'est toi qui les interprètes à tort en les mettant en parrallèle avec ce que tu nommes rencontre avec Jésus ou le St Esprit.
ted

Tu as très bien compris ce que j'ai voulu dire. Fais pas semblant...
Robi a écrit : Le mot concentration ne sied pas dans une expérience spirituelle chrétienne (...), car c'est toujours un abandon (à Dieu), un lâcher-prise; et non une maîtrise de la concentration.
On dirait que t'as jamais prié ni récité un chapelet...
Ni visité un monastère (chrétien)... <<metta>>
Répondre