Pourquoi il ne faut pas être fasciné par les samouraïs.

ted

En me promenant sur le forum Zen et Nous, je suis tombé sur un message de Yudo. J'ai trouvé que ce message faisait un peu écho au questionnement de Shôgen, alors j'ai souhaité le partager ici :

Si vous avez des avis à ce sujet (n'est-ce pas Flocon ? loveeeee ) :D
le Dim 12 Juin 2016 - 17:05
par Yudo, maître zen


C'est un sujet que j'ai déjà abordé, mais qui requiert d'y revenir (constamment!).

La fascination des zénistes pour les samouraïs est probablement un des éléments les plus dévastateurs pour notre pratique.

Entre les zénistes qui s'amusent à parler comme les samouraïs dans les films, l'arrogance manifestée et le manque total d'amabilité et de compassion dénoncés en permanence par tous ceux qui ont, un jour ou l'autre ouvert les yeux, on n'en finirait pas.

Jamais rien de tout cela qui puisse évoquer maître Dôgen. Toujours (et soyons clairs, ce n'est pas qu'un truc d'occidental!) l'anecdote du moine face au samouraï qui finit par décamper devant la résolution de son adversaire.

Marre.

"Il ne faut pas désespérer des imbéciles", disait Desproges. "Avec un peu d'entraînement, on peut toujours en faire des militaires". Les samouraïs étaient des militaires, que cela soit clair, une fois pour toutes. Quelle que soit la dimension romantique que l'on puisse attacher à la vie militaire, occidentale ou orientale, samouraïs ou mousquetaires, la réalité, c'est plaies et bosses, tuer ou être tué, finir sa vie mutilé et pauvre ou, dans le meilleur des cas, décapité brutalement.

Qu'y a -t-il de bouddhiste dans la vénération de l'art du traîneur de sabre? Rien. Le premier précepte est systématiquement enfreint, et il n'est pas indifférent que Musashi, lorsqu'il renonça à l'épée, se soit fait sculpteur de statuettes bouddhiques, de Kannon en particulier. Un militaire est quelqu'un qui a peut-être une excuse pour tuer autrui, mais il peut toujours y renoncer. Mais renoncer à l'adrénaline est pour certains, plus dur que n'importe quelle addiction.

Mais il ne s'agit pas ici de faire le procès des militaires, de quelque pays ou quelque époque que ce soit. Iil s'agit de faire observer que, pour quelqu'un qui prétend embrasser la voie bouddhique, la vie militaire est de toute façon absolument antinomique!!!

Sauf que le discours est bien rodé, et bien plus attirant, au plan du romantisme, que les quatre vertus du bodhisattva de maître Dôgen.

Et je pense que tant que la majorité des pratiquants de ce qu'ils croient être du Zen s'obstineront à rêver de samouraïs, la pratique restera ce qu'elle est : embryonnaire.
Compagnon

Cela m'inspire plusieurs observation.

Qui sait (savoir au sens le plus profond du terme, savoir intimement et dans son entièreté) qui était maître Dôgen ?
Qui peut juger de ce qui est ou n'est pas conforme à ce qu'était maître Dôgen ?

Samouraï est un mot, un concept, vide d'existence propre, le Katana n'est pas le samouraï, l'armure n'est pas le samouraï, le Bushido n'est pas le samouraï, l'homme qui était samouraï n'était pas le samouraï, le Wakizashi, la coupe de cheveux etc... rien de tout cela n'était le samouraï. Le concept de samouraï contient aussi des éléments non-samouraï, car la paix n'a de valeur et d'existence que parce que la guerre existe, la violence n'existe que parce que le pacifisme existe, l'absence de pitié n'a de sens que grâce à la magnanimité, la loyauté n'a de sens que parce que la trahison existe, l'obéissance n'a de valeur n'a de sens que parce que la désobéissance existe. Donc dans le samouraï il y a aussi des éléments de paix, de magnanimité, de désobéissance, de pacifisme, de trahison, etc...

Etre fasciné, admiré les samouraï n'est pas pire que les rejeter ou les dénigrer. La fascination, l'admiration, est un attachement, la condamnation est une répulsion. Verser dans l'un ou l'autre mène à dukkha.

Le Bouddha invite à ne pas porter de jugement sur qui que ce soit. Et à tourner son regard critique vers soi même avant tout.

Plutôt que de porter un regard dur vis à vis des hommes qui par le passé furent samouraï, avoir de la compassion est bien meilleur vous ne croyez pas ? Avoir aussi de la compassion pour ceux qui veulent lier Zen et Samouraï ou opposé Zen et Samouraï.

Chacun de nous a une certaine "idée" du samouraï en lui, donc chacun de nous est samouraï et chacun de nous contient aussi des élément non-samouraï. Chacun de nous a des éléments Zen et non-Zen, des éléments Dôgen et non-Dôgen.

Vouloir opposé Zen et Samouraï, Dôgen et non-Dôgen c'est aussi introduire en nous l'opposition, le conflit, dukkha ?

Sans oublier que si l'on adhère à l'idée que nous avons tous eu de nombreuses vie passées avant celle là, certain d'entre nous ont peut être bien été samouraï a une époque, qui sait...

Je ne sais pas si je me fais bien comprendre ou si ce que je dis fait sens pour vous.
ted

Oui.
Mais dans : "ni A, ni non A" il y a non A.
Compagnon

ted a écrit :Oui.
Mais dans : "ni A, ni non A" il y a non A.
"Si le Ciel me donne un avis il faut qu'il parle un peu plus clairement si il veut que je l'entende !"

Don Juan - Molière.

:p
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Flocon
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Je suis d'accord avec Yudo : les tendances à associer bouddhisme et militarisme, sur la base d'une fascination romantique pour certains aspects de la vie militaire japonaise, témoignent d'une naïveté dangereuse, chez les zénistes ou chez n'importe qui d'autre.
C'est d'autant plus dommage que le Zen peut être associé à bien des aspects plus pacifiques de la culture japonaise comme l'art du thé, l'ikebana, la peinture, etc.

Ce que je me demande, c'est si cette erreur ne prospère pas, en France, sur un terreau spécifique de culte de la violence militaire : combien de gens sont encore, consciemment ou non, fascinés par Napoléon et la Grande Armée? Derrière les sabres des samouraïs, n'y a-t-il pas dans les têtes les sabres des hussards? Ou les épées des Templiers, pour remonter encore plus haut?
Sans compter l'effet Star Wars, naturellement... (J'adore Star Wars :shock: :oops: ).
Quand on sonde les choses, les connaissances s'approfondissent.
Les connaissances s'approfondissant, les désirs se purifient.
Les désirs une fois purifiés, le cœur se rectifie.
Le cœur étant rectifié, on peut réformer sa personne.

Kong Tseu
Compagnon

@Shôgen : je la connais aussi mais dans une version légèrement différente. Dans la version que je connais (je ne retrouve plus la source exacte) , un guerrier (on ne précise pas que c'est un samouraï), vient voir un maître et lui demande ce que sont l'Enfer et le Paradis. Pour commencer en effet le maître commence par accumuler les insultes vis à vis du guerrier, mettant en doute aussi bien son intelligence que son apparence, il se moque de lui ouvertement en lui faisant remarqué que stupide comme il est il n'a aucune chance de comprendre. Evidemment le guerrier entre dans une rage folle et s'apprête a tuer le maître qui reste parfaitement impassible. Le guerrier est décrit rouge de colère, les veines de son cou saillantes, les yeux exorbités. Le maître dit alors : ceci est l'Enfer. Le guerrier retient son geste comprend alors que le maître à risqué sa propre existence pour lui donner cette leçon. Devant tant de sollicitude et de compassion de la part du maître, il lâche son arme, et fond en larme , éperdu de reconnaissance et d'amour pour le maître. Et le maître dit alors : ceci est le Paradis.

@Flocon : J'ai découvert récemment a ma grande surprise qu'un partie du "clergé" Zen japonais s'était compromis et avait soutenu la violence du gouvernement impérial nippon pendant la seconde guerre mondiale, justifiant les atrocité commise et soutenant pleinement l'effort de guerre. Plus on avance sur la Voie plus les démons sont puissants et tentateurs, plus les pièges sont sournois.

Quand à Star Wars, Spielberg et Lucas furent très malins car dans les années 70 les philosophies et religions orientales n'étaient pas bien connues en Occident. Ils ont donc pu faire un savant mélange de philosophies orientale et de seconde guerre mondiale en donnant une apparence de profonde originalité. Alors qu'en fait il n'y a aucune originalité ou presque dans Star Wars. Nazisme, Bataille d'Angleterre, Bataille de l'Atlantique, mélange de Tao et de bouddhisme, films de samouraï, Résistance, parcours initiatique ou le maître meurt en donnant l'ultime leçon à l'élève.

D'ailleurs cela me fait penser à un documentaire que j'ai vu il y a peu sur la vie du maître Zen Taisen Deshimaru. A la fin de sa vie, lui qui s'est rendu en Europe et surtout en France dans les années 70 pour faire découvrir le Zen, à la fin de sa vie donc, il était souffrant et s'est rendu au Japon pour être soigné. Avant de partir il laissa ses disciples en France, quelque jours avant sa mort il semblait aller mieux, il appela son principal disciple et lui indiqua qu'a son retour l'entrainement deviendrait encore plus rude (il disait aussi cela en plaisantant). Quelques jours plus tard il décéda. Son disciple qui d'habitude l'attendait à l'aéroport en France, cette fois ci alla réceptionner ses cendres dans une petite boite convoyée par une dame. Il comprit alors le sens profond des derniers propos de son maître au téléphone qui visiblement avait compris qu'il allait mourir. Et le disciple compris alors ceci : même par delà la mort, mon maître continu a m'enseigner. Et cela l'ému profondément.
Cela ne vous rappelle pas un certain Obiwan Kenobi qui donne sa vie pour Luke, qui "lâché prise" sur sa propre existence, et transcende la mort pour réapparaître sous une autre forme et continuer à prodiguer des conseils ? Un peu comme le vœu du bodhisattva qui renonce à l'Eveil pour renaître parmi les être souffrant afin de les aider ?
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Flocon
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Je plaisantais (un peu...). Je crois que la mythologie de Star Wars est essentiellement calquée sur les théories de Joseph Campbell (Les masques de Dieu et Le héros aux mille visages), ce qui explique que tout un chacun puisse y retrouver les bases de sa propre religion et s'identifier facilement aux personnages : les rapports de la saga avec Zen et bouddhisme sont donc très flous. Je pensais en fait surtout au sabre laser, une invention cinématographique qui a marqué plusieurs générations, et à l'influence du chanbara sur les chorégraphies des combats. Mais je connais trop mal la mentalité des zénistes français pour savoir si cet imaginaire-là est très présent chez eux ou non.
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Kong Tseu
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