La vue de la Grande Perfection (dzogchen)

Serge Zaludkowski

Dharmadhatu a écrit : ...
Pour les néophytes (et pas que), lire "vérité absolue" laisse à penser qu'il puisse y avoir quelque chose (la vérité ultime en l'occurrence) qui puisse être doué d'existence absolue, et c'est bien sûr réfuté par le 3ème sceau bouddhiste: tous les phénomènes sont vides et sans soi.
...
Excusez le manque de synchronisation ...

Sur ce point et d'autres soulevés par la discussion sur le dharmakaya, j'aimerai proposer la présentation de Dudjom Rinpoché extraite du Big Red Book, "The Nyingma School of Tibetan Buddhism - Its Fundamentals & History", traduite en anglais par Gyurmé Dorjé et Matthew Kapstein. Page 896 dans le chapitre "On the View of the Great Perfection" (Sur la vue de la Grande Perfection). Les éventuelles erreurs de traduction en français ne sont dues qu'à ma seule incompétence.

"Le Sugata tourna trois fois la roue de la doctrine. Dans le premier tour de la roue il enseigna l'infaillibilité de la cause et de l'effet en fonctions des actes vertueux et non vertueux.Cette promulgation a été établie comme étant de sens provisoire parce qu'elle a été enseignée en référence aux actes mondains. Les promulgations intermédiaire et finale sont en plein accord en ce qui concerne les caractéristiques des trois approches de libération. Elles se distinguent simplement dans la mesure où ce sont, respectivement, des enseignements profonds et extrêmement profonds de la nature permanente de la réalité qui est de sens profond et définitif. Il est bien connu, parmi les érudits savants, et prouvé que le provisionnel et le définitif se distinguent en regard du conditionné et de l'inconditionné, et que le sens exprimé [des trois promulgations] peut se différencier sur la base de l'intensité relative de celles-ci. Pour ces raisons, les préceptes intermédiaires transmis affirment, temporairement, que toutes les choses se trouvant dans la conscience sont dépourvues d'existence substantielle et, quand la signification définitive est révélée il est soutenu : '... libre de toutes activités référentielles concernant toutes choses, toute pensée discursive est abandonnée. Il n'est fait référence à rien qui doive être accepté ou rejeté ...'. En bref, parce que les caractéristiques des trois approches de libération se trouvent dans la nature permanente de la réalité, qui est inconditionnée et qui transcende véritablement les phénomènes de sujet et objets, l'adepte de la Grande Perfection, pendant la phase de la base, voit le samsara et le nirvana comme identiques et ne fait pas la distinction entre cause et effet. Pendant la phase de la voie il ne s'engage pas dans des pensées discursives et ainsi ne se conduit pas en référence aux extrêmes d'acceptation et réjection. Et pendant la phase du résultat, confiant d'être libéré d'espoir et de crainte pour le résultat, il atteint le niveau à partir duquel toutes les choses sont épuisées. Tel est le cœur de cette philosophie. ..."

Serge
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Dharmadhatu
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jap_8 On peut aussi ajouter qu'il existe plusieurs types de vue: la vue des Sutras, qui renvoie aux écoles philosophiques depuis le Vaibhashika jusqu'au Madhyamaka-prasangika, et qui renvoie à un type ou un autre de non-soi. Et la vue des Tantras, du Dzogchen et du Mahamudra, qui renvoie plutôt à ce qui fait l'expérience de tout ça: l'esprit lui-même. Cet esprit sera alors décrit dans certains Tantras comme la "vérité ultime spéciale".

Il est dit aussi que même si la vue Prasangika ne sera jamais celle du Dzogchen (c'est logique), elle peut y mener car "chercher la faille cachée de l'esprit" (comme on en trouve une occurrence dans Dzogchen et Tantra de Namkhaï Norbu Rinpotché) est une quête ultime (au sens prasangika). C'est pourquoi Sa Sainteté le Dalaï Lama, un dzogchenpa parmi d'autres, évoque l'analyse prasangika comme un excellent préliminaire au Dzogchen.

On peut ajouter aussi que l'analyse prasangika ne sera jamais les 2 phases des Tantras, car celles-ci ne doivent pas employer de raisonnement analytique, qui à ce stade serait contre-productif. Donc l'examen prasangika doit être fait en amont aux phases tantriques, comme pour le cas du Dzogchen.

Magnifique !

FleurDeLotus
apratītya samutpanno dharmaḥ kaścin na vidyate /
yasmāt tasmād aśūnyo hi dharmaḥ kaścin na vidyate

Puisqu'il n'est rien qui ne soit dépendant,
Il n'est rien qui ne soit vide.

Ārya Nāgārjuna (Madhyamakaśhāstra; XXIV, 19).
Serge Zaludkowski

Dans la continuité du sujet, extrait d'un ouvrage à paraitre je suppose ... vers la fin de l'année :
Dans leur ordre d’apparition historique, les vues « philosophiques » sont (principalement) :

- Vaibhashika (IIème siècle)
- Sautrantika (autour de l’an 150)
- Madhyamaka (autour du IIème siècle)
- Yogachara (IVème siècle)
- Madhyamaka Prasangika (autour de 510)
- Madhyamaka Svatantrika-Sautrantika (autour de 540)
- Madhyamaka Svatantrika-Yogachara supérieur (aux environs du VI-VIIème siècle)
- Madhyamaka Svatantrika-Yogachara inférieur (début du VIIIème siècle)
- Subtil Madhyamaka interne (systématisé autour du XIème siècle)
et puis aussi ...
CLASSIFICATION EN VOIES

Voie de la renonciation (tib. Pong lam)

Voie « causal » de discrimination des caractéristiques, Hetuyana ou Hetulakshanayana (tib. Gyu tsennyi thekpa). On atteint le fruit quant le murissement des causes (skt. Hetu, tib. Gyu) rencontre les conditions secondaires (skt. Pratyaya, tib.kyen). C’est la voie correspondant aux véhicules soutriques (sutrayana), basée sur le corps. L’objet de cette voie est la réalisation de la vacuité (sunyata).
...
Les enseignements progressifs de la voie de la renonciation subdivisent le chemin en cinq « voies » progressives (Skt. Marga, tib. lam) :

- voie de l’accumulation (sambharamarga)
- voie de la préparation ou de l’application (prayogamarga)
- voie de la vision (darshanamarga)
- voie de la contemplation (bhavanamarga)
- voie de fin de l’apprentissage (ashaikshamarga).

Voie de la transformation (tib. Gyur lam)

Voie basée sur le fruit (skt. Phalayana, tib. Drabu thekpa). Le fruit est atteint si on ne transgresse pas de la vue d’un “dévoilement initial”, plutôt que d’être l’effet d’une cause. C’est la voie qui correspond au véhicule de diamant (vajrayana), véhicule du continuum (tantrayana) et du véhicule de la parole secrète sacrée (guhyamantrayana).
...

Voie de la libération spontanée (tib. Dröl lam)

Correspond aux véhicules complètement au-delà de la relation cause/effet, « atiyana ». Cette voie ne peut être entreprise qu’après une « reconnaissance » initiale (rigpa) de l’aspect de la base qui est la véritable condition de la réalité, après y avoir été introduit « directement ».
Mais rassurez-vous, les tibétains ont inventé d'autres classifications ...

Serge
Serge Zaludkowski

Dharmadhatu a écrit : ...

On peut ajouter aussi que l'analyse prasangika ne sera jamais les 2 phases des Tantras, car celles-ci ne doivent pas employer de raisonnement analytique, qui à ce stade serait contre-productif. Donc l'examen prasangika doit être fait en amont aux phases tantriques, comme pour le cas du Dzogchen.

Magnifique !

FleurDeLotus
Sur ce point, lorsque un dzogchenpa pratique (en secondaire) les deux phases/étapes tantriques, il ne les divise pas en deux phases justement. Il n'y a pas progression (c'est normal), il se transforme "immédiatement" en la déité.

Et sur le sujet il y a encore beaucoup à dire ... youpi_333
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Dharmadhatu
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Sönam a écrit : Mais rassurez-vous, les tibétains ont inventé d'autres classifications ...
:lol: jap_8
Sur ce point, lorsque un dzogchenpa pratique (en secondaire) les deux phases/étapes tantriques, il ne les divise pas en deux phases justement. Il n'y a pas progression (c'est normal), il se transforme "immédiatement" en la déité.
C'est juste, et dans les sadhanas brèves guéloukpas, il y a aussi l'apparition soudaine de la déité, comme une bulle dans l'eau. Cette division existe au début de la pratique, mais l'idéal est quelles finissent pas ne plus être indivises.

Dans les phases secondaires du Dzogchen, on comprend qu'elles soient d'emblée indivises, c'est une des marques de ce système "rapide".

FleurDeLotus
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davi
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Serge Zaludkowski a écrit :l'adepte de la Grande Perfection, pendant la phase de la base, voit le samsara et le nirvana comme identiques et ne fait pas la distinction entre cause et effet.
En quoi consiste "la phase de la base" ? Pourquoi l'adepte voit-il "samsara et nirvana comme identiques" ? Parce que les deux sont une vue tout comme cause et effet et qu'il n'y a pas de vue durant cette phase ?

Merci. fleuuurrr_8
S'indigner, s'irriter, perdre patience, se mettre en colère, oui, dans certains cas ce serait mérité. Mais ce qui serait encore plus mérité, ce serait d'entrer en compassion.
Serge Zaludkowski

davi a écrit :
Serge Zaludkowski a écrit :l'adepte de la Grande Perfection, pendant la phase de la base, voit le samsara et le nirvana comme identiques et ne fait pas la distinction entre cause et effet.
En quoi consiste "la phase de la base" ?
Quand "il" se trouve dans l'état "base" ... mais on voit bien que dit comme cela, ça ne reflète pas ce qui se passe véritablement.
Pourquoi l'adepte voit-il "samsara et nirvana comme identiques" ?
parce que, du point de vue de sa nature, il ne perçoit pas les phénomènes comme "autre", samsara ou nirvana ...



Merci. fleuuurrr_8
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Dharmadhatu
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Davi a écrit :Pourquoi l'adepte voit-il "samsara et nirvana comme identiques" ?
:D Parce que tout ce qui existe, tout se qui se passe, n'est que le reflet grisâtre ou arc-en-ciel de la base. C'est pour ça qu'elle est désignée "base": elle est le fondement de tout ce qui existe. C'est le roi qui crée tout. Pas comme un Dieu créateur unique car il y a autant de rois que d'êtres. La pratique de Guhyasamaja symbolise cela par le fait que tous les êtres sont transformés en la syllabe Hum puis en Vajradhara.

C'est grisâtre pour un être ordinaire et c'est arc-en-ciel pour un être réalisé. Et comme dit Serge, pour un être réalisé, rien de tout ça n'est autre: ça n'a aucune existence objective. Cette absence d'existence objective est l'unique saveur de tout ce qui est, samsara et nirvana. C'est aussi à ce titre qu'ils ne sont pas différents.

FleurDeLotus
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Serge Zaludkowski

Il faut préciser que dans dzogchen, lorsque le pratiquant à reçu et réalisé la présentation de l'introduction directe, "l'être réalisé" n'est pas un objectif à long terme, résultat d'un long processus de renaissance. La libération/bouddhéité se réalise en une vie. Pendant la vie pour les pratiquants les plus zélés, au moment du bardo pour les autres.
On ne doit pas s’imaginer que le mode de libération de la bonté universelle [Kun-Tu bZang-Po, le bouddha primordial] concerne une libération qui a été atteinte dans des temps anciens. Parce qu’au moment précis où nous parlons, il y a de nombreux êtres qui, dupés à partir de la base, sont libérés et confus à la frontière entre libération et illusion.
- Pema Ledrel Tsal -
Le Dzogpa chenpo donne simplement la désignation de réalisation de la bouddhéité à la libération de la conscience intrinsèque dans son propre état naturel. Mais il ne désire pas ni ne recherche la bouddhéité à partir d’une autre source. Ainsi les bouddhas des trois temps sont réalisés dans l’état de la conscience intrinsèque naturelle, dépourvu d’appréhendé et de celui qui appréhende.
- Jigmed Lingpa - Yon-Tan Rin-Po-Ch’e’i mDzod-Las -
Encore une remarque. Parce que le langage de dzogchen est le langage de la réalisation son expression peut sembler, parfois, un peu "imagée". La raison est simplement de ne pas amener le lecteur vers de mauvaises compréhensions, de fausses pistes.
Enfin, pour une bonne compréhension, les pratiques tantriques du Guhyasamajatantra sont considérés comme secondaire dans le terma enseigné par Namkhai Norbu Rinpoché. Elles ne font pas partie de dzogchen en tant que tel. Ce point est souvent sujet à débat ... que je ne veux pas ouvrir, seulement exposer.

Comme une myriade de rêves est inclus dans le sommeil,
étant des manifestations naturelles vides et sans véritable existence,
de même les phénomènes de l'univers, qu'ils soient du samsara ou du nirvana, sont embrassés par l'esprit.
Ils se manifestent en l'esprit, la vaste étendue, mais n'ont pas de substance.
- Longchen Rabjam - The Precious Treasury of the Way of Abiding - Gnas lugs mdzod -

Serge
ted

Bonjour

J'ai entendu dans l'émission Sagesses bouddhistes que Chögyal Namkhai Norbu découvrait encore actuellement des termas. Est-ce que ces nouveaux termas sont accessibles à tous ? Par webcast par exemple ?

<<metta>>
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