sur la colére

Avatar de l’utilisateur
Boubou
Messages : 103
Inscription : 15 juillet 2012, 08:36

Bonjour,
Est-ce que la colère n'est tout simplement pas, à la base, une énergie neutre - comme toute autre émotion - qui prend une certaine modalité d'expression et se colore différemment au gré des individus et des circonstances ?
Dans ce cas l'éradication semblerait inconcevable dans le sens où l'entend Flocon ?!

Comme dit Doumè, une fois cette énergie reconnue pour et dans sa véritable nature, elle peut servir la cause de l'éveil pour soi et autrui. Même sous forme de colère, ça c'est le propre du vajrayana je crois ?
Avatar de l’utilisateur
Flocon
Messages : 1701
Inscription : 19 mai 2010, 07:59

Je ne crois pas qu'on puisse vraiment parler d'"énergie neutre" à la base de toutes les expériences émotionnelles (positives ou négatives) : certes, l'énergie électrochimique qu'utilise le cerveau peut être qualifiée de "neutre" en elle-même, mais elle est toujours engagée dans des zones cérébrales précises, différentes selon chaque émotion.
Pour le reste, je rejoins Dumè pour penser qu'il est nocif, à terme, d'éteindre les émotions dont on ne veut pas par les processus méditatifs, si efficaces fussent-ils. Tout ce qu'on y gagne, c'est une addiction à la méditation, qui ne vaut guère mieux que l'addiction aux tranquillisants. Je parle d'expérience sur ce point. La plongée dans l'état de conscience modifié que le bouddhisme appelle "samadhi" est certes délicieuse mais elle ne m'en a pas semblé bien bénéfique pour autant (sauf comme moyen de remédiation temporaire à des soucis de santé, ce qui n'est déjà pas mal mais ne constitue, finalement, qu'une béquille dont il faut se débarrasser un jour ou l'autre). Quant à en faire une voie vers l'éveil... :?:
Quand on sonde les choses, les connaissances s'approfondissent.
Les connaissances s'approfondissant, les désirs se purifient.
Les désirs une fois purifiés, le cœur se rectifie.
Le cœur étant rectifié, on peut réformer sa personne.

Kong Tseu
Avatar de l’utilisateur
Dharmadhatu
Messages : 3690
Inscription : 02 juillet 2008, 18:07

Flocon a écrit :Pour ce qui est de la question de la colère, sans répondre à la place de Dumè, je m'interroge toujours sur la volonté présente dans certaines voies bouddhistes (pas dans toutes, à ma connaissance) de l'éradiquer intégralement. Ce qu'on appelle les "émotions négatives", colère, peur, dégoût, etc. ne sont pas des "fléaux de l'humanité" : ces émotions font partie du psychisme humain et animal, à la suite d'une évolution très longue du vivant. Ce sont des mécanismes adaptatifs indispensables à la survie. Je ne parviens pas à comprendre l'intérêt qu'il peut y avoir à les éteindre en soi, ni d'ailleurs à croire que ce soit possible vu que les cerveaux reptilien et limbique qui les produisent seront toujours actifs.
Qu'on s'attache à en moduler l'expression lorsqu'elle devient nuisible à soi et à autrui, en les inhibant partiellement et en les sublimant par l'intelligence ou la sagesse, en revanche, ne me pose pas de problème.

Je crois que ce quelque chose m'échappe à ce sujet. :?:
eveil_333 Excellente remarque ! En fait, il est important de comprendre que, sur ce point, le Bouddhisme a une vue bien différente de la science et de la psychologie occidentales actuelles:

:arrow: pour le Bouddhisme,

1) il y a la question de l'esprit, qui ne s'arrête pas au cerveau (ce qui est différent de la science),
et
2) il y a la question de la nature de l'esprit qui est claire lumière et dont les souillures sont adventices (ce qui est différent de la psychologie occidentale, quoi que, peut-être pas tant de la psychologie positive). Cette nature fondamentale de l'esprit est considérée comme la solution au samsara, et elle est souvent désignée "nature de bouddha".

Bien sûr, si nous devions accepter les points de vue matérialistes, alors il serait parfaitement contreproductif de vouloir emprunter une voie spirituelle censée nous débarrasser des vraies origines de la souffrance: les klesha (afflictions) et le karma.

Or, les Abhidharmas considèrent que, parmi les facteurs mentaux (chaitasika), il y a des klesha (facteurs mentaux pathogènes) et je ne pense pas qu'une seule école bouddhiste puisse se mettre en porte à faux concernant les 4 Nobles Vérités en affirmant qu'il est impossible d'éliminer ces afflictions adventices (2ème Noble Vérité) et donc qu'il est inutile car impossible d'atteindre la cessation (3ème Noble Vérité). Parce que si on parle d'une "voie" (marga, la 4ème Noble Vérité), tout en considérant que cette voie ne devait pas mener à son terme ou sa destination qu'est la cessation des vraies origines, je me demande s'il s'agit bien d'une voie bouddhiste...

flower_mid
apratītya samutpanno dharmaḥ kaścin na vidyate /
yasmāt tasmād aśūnyo hi dharmaḥ kaścin na vidyate

Puisqu'il n'est rien qui ne soit dépendant,
Il n'est rien qui ne soit vide.

Ārya Nāgārjuna (Madhyamakaśhāstra; XXIV, 19).
Avatar de l’utilisateur
Flocon
Messages : 1701
Inscription : 19 mai 2010, 07:59

Oui, je comprends : peut-être est-il plus raisonnable de s'en tenir à ce que Stephen Jay Gould appelait le "non-recouvrement des magistères", et ne pas trop essayer de penser ce qui relève de la religion dans les termes de la science.
Mais je reste dubitative, sur cette question des émotions "négatives" dans le bouddhisme. :???:
Quand on sonde les choses, les connaissances s'approfondissent.
Les connaissances s'approfondissant, les désirs se purifient.
Les désirs une fois purifiés, le cœur se rectifie.
Le cœur étant rectifié, on peut réformer sa personne.

Kong Tseu
Dumè Antoni

Dharmadhatu a écrit : :arrow: pour le Bouddhisme,
1) il y a la question de l'esprit, qui ne s'arrête pas au cerveau (ce qui est différent de la science),
Je ne crois pas que la science "arrête" l'esprit au cerveau. Ou alors on parle d'une science du début du XXème et les choses ont évolué depuis. Les neurones affectent le corps entier (tous les organes en sont pourvus) ; ce sont des cellules très longues (axones) reliées par des synapses, où la science n'a jamais trouvé la moindre entité "esprit" ou même entité "ego".
2) il y a la question de la nature de l'esprit qui est claire lumière et dont les souillures sont adventices (ce qui est différent de la psychologie occidentale, quoi que, peut-être pas tant de la psychologie positive)
Eh bien ce "détail" est propre au Mahayana car dans les véhicules comme le Zen (et plus spécifiquement le Saijojo zen qui est loin d'être isolé au sein de la communauté bouddhique) les souillures ne peuvent pas affecter la nature de l'esprit qui est, par définition (depuis Huineng) :
1) libre de souillure (sila de la nature de l'esprit)
2) libre d'erreur (prajna de la nature de l'esprit)
3) libre de trouble (dhyana de la nature de l'esprit)

C'est donc une question de Vue et de Méthode.
Bien sûr, si nous devions accepter les points de vue matérialistes, alors il serait parfaitement contreproductif de vouloir emprunter une voie spirituelle censée nous débarrasser des vraies origines de la souffrance: les klesha (afflictions) et le karma.
Ce n'est pas parce qu'on fait référence à la science (quand il est question du "cerveau archaïque") que nous adoptons le point de vue "matérialiste" (était-ce là ton idée ?). Là encore, il serait bon de se mettre un peu au courant en ce sens que la science n'est ni "matérialiste", ni "spiritualiste". Je défends, quant à moi, l'idée que le Bouddhisme est une "voie scientifique" et non une "spiritualité". En faire une "spiritualité", c'est s'inscrire dans le "tout est esprit". Or, s'il existe des voies bouddhiques qui avancent que "tout est esprit", ce n'est pas le cas du Saijojo zen. Quand je dis que le Bouddhisme est une "voie scientifique", je veux dire qu'elle est une voie de la Connaissance orientée vers la fin de l'ignorance, source de tous les maux (ou presque). Mais bien sûr, la méthode scientifique n'a rien à voir avec l'une quelconque des méthodes bouddhiques, quoi que l'on observe de plus en plus un intérêt réciproque (pas toujours de bon aloi) entre la science et le Bouddhisme.
Or, les Abhidharmas considèrent que, parmi les facteurs mentaux (chaitasika), il y a des klesha (facteurs mentaux pathogènes) et je ne pense pas qu'une seule école bouddhiste puisse se mettre en porte à faux concernant les 4 Nobles Vérités en affirmant qu'il est impossible d'éliminer ces afflictions adventices (2ème Noble Vérité) et donc qu'il est inutile car impossible d'atteindre la cessation (3ème Noble Vérité). Parce que si on parle d'une "voie" (marga, la 4ème Noble Vérité), tout en considérant que cette voie ne devait pas mener à son terme ou sa destination qu'est la cessation des vraies origines, je me demande s'il s'agit bien d'une voie bouddhiste...
Il existe des voies bouddhiques "non sutriques" dont le Saijojo Zen (comme le Dzogchen) fait partie. Bien que non sutrique, le Saijojo Zen ne se met pas cependant pas en porte à faux avec les 4NV, mais sa Méthode et sa Vue font que la 4ème NV est pratiquée selon "le jeu simultané de la Triple Discipline" :
1) libre de souillure (sila de la nature de l'esprit)
2) libre d'erreur (prajna de la nature de l'esprit)
3) libre de trouble (dhyana de la nature de l'esprit)

Il serait bon de ne pas (re)mettre en cause ces voies et d'admettre qu'elles sont des voies bouddhiques, même si elles ne se réfèrent pas aux Abhidharmas ou, plus exactement, les interprètent sur la base d'une Vue qui n'est pas celle des véhicules qui ne "fonctionnent" pas avec le même "carburant" (méthode).

Edit : j'ai peut-être mal interprété ta dernière phrase, la trouvant (peut-être à tort) polémique. Si je me suis trompé, je te prie de bien vouloir m'excuser.
Avatar de l’utilisateur
Flocon
Messages : 1701
Inscription : 19 mai 2010, 07:59

Dumè Antoni a écrit : Or, s'il existe des voies bouddhiques qui avancent que "tout est esprit", ce n'est pas le cas du Saijojo zen.
Mais existe-t-il de telles voies? Il m'a semblé, au fil de mes sondages dans la littérature bouddhiste et des discussions que j'ai pu avoir, que dans le bouddhisme, corps et esprit ne sont jamais séparés, et ce quelle que soit la représentation (variable selon les époques et les écoles) que l'on se fait de l'un, de l'autre et de leur relation.
Quand on sonde les choses, les connaissances s'approfondissent.
Les connaissances s'approfondissant, les désirs se purifient.
Les désirs une fois purifiés, le cœur se rectifie.
Le cœur étant rectifié, on peut réformer sa personne.

Kong Tseu
Dumè Antoni

Flocon a écrit :
Or, s'il existe des voies bouddhiques qui avancent que "tout est esprit", ce n'est pas le cas du Saijojo zen
Mais existe-t-il de telles voies? Il m'a semblé, au fil de mes sondages dans la littérature bouddhiste et des discussions que j'ai pu avoir, que dans le bouddhisme, corps et esprit ne sont jamais séparés, et ce quelle que soit la représentation (variable selon les époques et les écoles) que l'on se fait de l'un, de l'autre et de leur relation.
Il me semble que le Chittamatra est l'une de ces voies. J'avoue que je n'ai pas approfondi leur méthode ni leur philosophie (ça n'est pas une Vue), mais ce lien (certes, c'est du Wiki et il y a sans doute à prendre et à jeter) peut donner une idée :
https://fr.wikipedia.org/wiki/Chittamatra

Je précise en outre (pour info) que dans ses "essais sur le Bouddhisme Zen", D.T. Suzuki récuse (en argumentant) la compréhension de Vasubandhu (et autres fondateurs du Chittamatra) du Lankavantara sutra.
Avatar de l’utilisateur
Flocon
Messages : 1701
Inscription : 19 mai 2010, 07:59

Ah, tu as raison! J'avais entendu parler de cette école mais je l'avais oubliée. Au Japon, le courant correspondant est l'école Hossô, auquel Mishima a consacré sa tétralogie romanesque La mer de la fertilité. Merci de m'avoir rafraîchi la mémoire. :D
Quand on sonde les choses, les connaissances s'approfondissent.
Les connaissances s'approfondissant, les désirs se purifient.
Les désirs une fois purifiés, le cœur se rectifie.
Le cœur étant rectifié, on peut réformer sa personne.

Kong Tseu
Dumè Antoni

Pour revenir un peu sur la méthode "Fight Club" dont il a été question un peu plus haut dans le fil, je vous invite a regarder la vidéo ici à partir de la 7ème minute et à la fin pour avoir une idée de la façon dont ça se déroule en monastère zen (Rinzaï), encore que ça semble relativement "cool" par rapport à la version "Itinéraire d'un moine Zen venu d'Occident".
Dumè Antoni

Florent a écrit :Moi j'ai fait mon service militaire et c'est vrai au début on te teste. Mais ça n'a rien a voir avec la colère, c'est plus un fonctionnement.
Oui, ça s'appelle du bizutage et ça n'a rien à voir avec les méthodes employées en monastères zen.
Répondre