Vues d'ensemble des Bouddhismes tibétain et chinois

Avatar de l’utilisateur
Dharmadhatu
Messages : 3690
Inscription : 02 juillet 2008, 18:07

Avant l'arrivée du bouddhisme, la religion Bön était généralement répandue au Tibet. Des centres d'études bön y existent encore. En tant que religion instituée, le Bön reçut une riche empreinte de la foi et de la pratique bouddhistes. Au VIIIème siècle de notre ère, le roi Lha-Tho-Ri Nyen-Tsen introduisit le bouddhisme au Tibet. A partir de ce moment, il s'est propagé régulièrement. Au cours des temps, de nombreux pandits (savants) indiens sont venus au Tibet et ont traduit les sutras, les textes tantriques et les commentaires.
Pendant le règne du roi irréligieux Lang-Dar-Ma au Xème siècle, le bouddhisme connut un recul, mais cette éclipse fut de courte durée. Il réapparut bientôt, et se répandit à nouveau, démarrant dans les provinces occidentales et orientales du Tibet; les lettrés indiens et tibétains se consacrèrent à nouveau à la traduction des textes religieux. Le nombre de lettrés bouddhistes tibétains augmenta et, de ce fait, les érudits indiens en visite se firent peu à peu plus rares.
De la sorte, dans la période tardive du bouddhisme tibétain, notre religion se développa indépendamment de l'école tardive du bouddhisme indien, tout en gardant les fondements des enseignements du Bouddha. Pour l'essentiel, le bouddhisme tibétain n'a été sujet ni à des altérations ni à des additions de la part des lamas tibétains. Leurs commentaires sont clairement identifiables en tant que commentaires, et ils se réfèrent à l'autorité des principaux enseignements du Seigneur Bouddha ou aux travaux des pandits indiens. Pour cette raison, je ne crois pas qu'il soit correct de considérer le bouddhisme tibétain comme séparé du bouddhisme indien originel, ni de le qualifier de lamaïsme.
Sa Sainteté le Dalaï Lama (Au cœur de l'éveil, p. 16-17).
http://www.dalailama.com/
Après être arrivé de l'Inde au IIème siècle de notre ère, le bouddhisme chinois s'est subdivisé en dix écoles, parmi lesquelles huit appartiennent à la tradition mahayana, et deux au hinayana. Les écoles mahayana indiennes eurent trois descendantes en Chine: les écoles des Trois Traités, de la Conscience-seule, et du Vinaya.

L'union des écoles Tiantai et Huayan

Parmi les premières formations du bouddhisme chinois, deux écoles principales contribuèrent à la sinisation du bouddhisme indien: l'école Tiantai et l'école Huayan. Chacune d'elles comportait des classifications doctrinales très systématiques et englobantes. Leurs présentations des méthodes pratiques étaient détaillées et extrêmement riches.
Ces deux écoles s'appuyaient fortement sur les sutras et shastras indiens. Je ne m'étendrai pas sur ces deux traditions, si ce n'est pour dire que le fondateur de l'école Tiantai, Maître Zhiyi, était renommé pour son exposition de l'enseignement de Nagarjuna sur les deux façons dont la réalité peut être perçue, selon les Trois Vérités. (…) Sur cette base, il a aussi systématisé tout un ensemble de pratiques de shamatha/vipashyana. Beaucoup de ces pratiques sont similaires à l'enseignement tibétain de "Lam Rim". L'école Tiantai fondait ses affirmations principales sur le "Sutra du Lotus" et le "Traité de la voie du milieu" de Nagarjuna.
L'école Huayan enseigne l'égalité, l'identité mutuelle et la globalité de toutes choses. Elle est peut-être surtout connue pour sa philosophie de la Réalité quadridimentionnelle (…).

Le Chan est une espèce de culmination de ces deux écoles, synthétisant le meilleur des deux traditions dans son enseignement principal. En outre, depuis son émergence, l'école chan a traversé plusieurs périodes de transformation. Sans entrer dans le détail de ces transformations, nous pouvons simplement dire en résumé que le développement de la pensée et de la pratique du Chan en firent l'école dominante du bouddhisme chinois. Cependant, les trois écoles - Tiantai, Huayan et Chan - sont fondées sur les enseignements des écritures primitives telles que les "Agamas" et le "Trésor de la connaissance manifeste".
Vénérable Maître Chan Sheng-yen (Au cœur de l'éveil, p. 40-43).
https://fr.wikipedia.org/wiki/Shengyan

Image

"Ces deux traditions sont réellement comme les enfants séparés d'une même mère. Comme ils ont été longtemps isolés avant d'être maintenant réunis, il est important qu'ils encouragent la compréhension mutuelle et travaillent dans cette direction." (Vén. Maître chan Sheng-yen, p. 38).

flower_mid
apratītya samutpanno dharmaḥ kaścin na vidyate /
yasmāt tasmād aśūnyo hi dharmaḥ kaścin na vidyate

Puisqu'il n'est rien qui ne soit dépendant,
Il n'est rien qui ne soit vide.

Ārya Nāgārjuna (Madhyamakaśhāstra; XXIV, 19).
Dumè Antoni

Sans entrer dans les détails doctrinaux (ce n'est pas l'objet ici), il convient de distinguer le Chan de l'ensemble du Bouddhisme chinois. En effet, c'est seulement vers la fin du VIIIème siècle (la première référence historique date de 1029, par Li Tsoun-hsiu dans Annales de la diffusion de la lumière de la lampe) que la lignée des 28 patriarches du Zen (de Çakyamuni à Bodhydharma en passant par Mahakashyapa) a été créée de toutes pièces par les historiens du Zen/Chan afin de rassurer les fidèles chinois du Chan en rattachant leur doctrine à celle des aux autres écoles bouddhistes (mahayanistes) de l'époque. Cette question est discutée en détails dans les "Essais sur le Bouddhisme Zen" de D.T. Suzuki (tome 1). Sous cet angle, le rattachement que fait Sheng-yen du Chan aux autres écoles bouddhistes me paraît être un raccourci quelque peu discutable, non seulement en raison des "arrangements" de l'histoire, mais surtout par la Méthode et la Vue (Chan/Zen) qui ne sauraient, en aucune manière, être rattachées au Mahayana exclusivement. Le Deijo zen (Mahayana) n'est pas représentatif du Zen du 6ème Patriarche, lequel est le Saijojo zen, Zen "non sutrique" (dans le sens d'un non rattachement — qui n'est toutefois pas une négation — aux écritures). La différence de méthode (et de vue) est exprimée dans le sutra de l'estrade en comparant la gatha de Shen Xiu (école du Nord : mahayaniste et graduelle) à la gatha de Huineng (école du Sud : subitiste), même si, manifestement, Huineng se rattache à la Prajna Paramita pour exprimer sa Vue (dans sa ghata) ; Vue qui connaîtra des développements — et approfondissements — ultérieurs (car à l'époque où Huineng composa sa gatha, son éveil était imparfait).
Avatar de l’utilisateur
Dharmadhatu
Messages : 3690
Inscription : 02 juillet 2008, 18:07

jap_8 Salut Dumè,

Même si ce que dit le Vén. Maître Ch'an Sheng-yen te semble discutable, cela veut-il dire que ce qu'il affirme est faux ?

En fait pour la désignation "Bouddhisme chinois", le raccourci vient de moi car j'ai extrait son propos d'un chapitre plus vaste dans lequel il retrace l'Histoire du Bouddhisme en Chine. J'ai d'ailleurs édité pour ajouter le titre de la section d'où vient l'extrait cité au-dessus.

Personnellement, je trouve sa présentation bienvenue parce que c'est parfois compliqué d'y voir clair. C'est pourquoi j'invite le lecteur intéressé à parcourir ce livre parce que le Vénérable est quand-même décrit comme quelqu'un de valeur dans sa tradition:
Après quinze and d'étude approfondie des Ecritures et de pratique acharnée de la méditation, à l'âge de 28 ans, alors qu'il séjournait dans plusieurs monastères du sud de l'île, il connut l'expérience spirituelle la plus profonde de son existence. Son expérience fut plus tard reconnue par les maîtres des deux lignées du Chan (Zen), et il devint détenteur de la lignée de ces deux écoles du bouddhisme chinois, Linji et Caodong (Rinzaï et Soto).
Après avoir passé six ans en méditation solitaire pour approfondir sa pratique, le Vénérable Sheng-yen alla au Japon pour y passer son master et son doctorat en Lettres bouddhistes à l'Université Rissho. Depuis lors, il a publié plus de 90 livres accessibles en chinois, en anglais et plusieurs autres langues...
(Au coeur de l'éveil, p. 101-102).

C'est aussi pourquoi j'ai quand-même quelque difficulté à imaginer qu'un Maître ayant une telle valeur puisse faire des raccourcis discutables, ce qui sous-entend qu'il ne dit pas vrai...

J'ai édité pour ajouter cet autre extrait qui précède immédiatement l'autre (p. 40):
Après être arrivé de l'Inde au IIème siècle de notre ère, le bouddhisme chinois s'est subdivisé en dix écoles, parmi lesquelles huit appartiennent à la tradition mahayana, et deux au hinayana. Les écoles mahayana indiennes eurent trois descendantes en Chine: les écoles des Trois Traités, de la Conscience-seule, et du Vinaya.
Dans le Bouddhisme, on sait tous qu'il peut y avoir des points de vue divers et variés, mais cela veut-il dire pour autant que seuls certains points de vue sont vrais au détriment des autres et que du coup ça rend ces derniers faux ?

flower_mid
apratītya samutpanno dharmaḥ kaścin na vidyate /
yasmāt tasmād aśūnyo hi dharmaḥ kaścin na vidyate

Puisqu'il n'est rien qui ne soit dépendant,
Il n'est rien qui ne soit vide.

Ārya Nāgārjuna (Madhyamakaśhāstra; XXIV, 19).
Avatar de l’utilisateur
davi
Messages : 1129
Inscription : 28 février 2016, 11:38

Effectivement il peut y avoir des angles de vue qui diffèrent et bien que les vues concernent le même objet, l'objet peut sembler différent à qui le regarde selon son angle, cela dit, d'une manière générale.
S'indigner, s'irriter, perdre patience, se mettre en colère, oui, dans certains cas ce serait mérité. Mais ce qui serait encore plus mérité, ce serait d'entrer en compassion.
Dumè Antoni

Dharmadhatu a écrit :Même si ce que dit le Vén. Maître Ch'an Sheng-yen te semble discutable, cela veut-il dire que ce qu'il affirme est faux ?
Ce que je "déplore", c'est l'amalgame des différentes vues et méthodes. Ainsi, dans la lignée artificielle des patriarches du Zen, des personnalités (par exemple) comme Nagarjuna, Vasubandhu ou Ashvaghosha, pour des raisons strictement doctrinales (ou plutôt de vue), ainsi que Vashasita, Punyamitra et Prajnatara pour des raisons plus obscures (les historiens ne sont pas tous d'accord sur ces derniers ajouts), n'ont pas grand chose à voir avec le Zen.

Cela étant, je ne discute pas les qualités de Sheng-yen. Je ne le connais pas (je ne sais que penser, pour être clair, de la succession de Xu Yun...)
Dans le Bouddhisme, on sait tous qu'il peut y avoir des points de vue divers et variés, mais cela veut-il dire pour autant que seuls certains points de vue sont vrais au détriment des autres et que du coup ça rend ces derniers faux ?
Je pense que ce n'est pas une question de point de vue, mais de volonté de conciliation de points de vue dans un esprit d'unité qui ne me paraît pas toujours à propos. Un peu comme celui d'avoir voulu rattacher le Chan au Bouddhisme chinois pour rassurer des fidèles. L'histoire semble se répéter, on dirait...
ted

Je me rends compte tout doucement, qu'il y a des éveillés dans chaque école. Et que ce sont eux qui orientent l'enseignement dans telle ou telle direction. jap_8

Ca paraît peut-être évident pour beaucoup depuis longtemps, mais est-ce qu'on mesure les implications ? :oops:
Ca fait du bouddhisme une discipline extrêmement riche en évolution, non dogmatique, qui colle aux disciples en épousant leurs manques.

Ca evacue, en conséquence, toute critique envers un maître éveillé qui serait faite sur la base de l'enseignement qu'il donne ou des pratiques qu'il transmet : l'éveillé sait ce qu'il fait.
Avatar de l’utilisateur
davi
Messages : 1129
Inscription : 28 février 2016, 11:38

Oui Ted mais est-ce que cela signifie que toutes les écoles mènent à l'éveil ? Peut-être certaines font avancer, lever des obstacles, franchir des paliers mais ne sont pas suffisantes à elles-seules pour parvenir au résultat final qui est la bouddhéité ?
S'indigner, s'irriter, perdre patience, se mettre en colère, oui, dans certains cas ce serait mérité. Mais ce qui serait encore plus mérité, ce serait d'entrer en compassion.
Dumè Antoni

Ted a écrit :Je me rends compte tout doucement, qu'il y a des éveillés dans chaque école. Et que ce sont eux qui orientent l'enseignement dans telle ou telle direction. jap_8
Ce que tu dis me parait archi faux et à la limite dangereux. Il est possible que je t'aie mal compris ; auquel cas, je voudrais bien que tu reformules ou précises ta pensée.
ted

Dumè, bé non... C'est assez clair ce que j'ai dit... qu'est ce qui te chiffonne ? :)
davi a écrit :Oui Ted mais est-ce que cela signifie que toutes les écoles mènent à l'éveil ? Peut-être certaines font avancer, lever des obstacles, franchir des paliers mais ne sont pas suffisantes à elles-seules pour parvenir au résultat final qui est la bouddhéité ?
Si l'enseignement est balisé par un éveillé, oui, elles mènent toutes à l'éveil même si la méthode nous semble nouvelle ou étrange.
ted

Bien sûr, si l'enseignement semble vraiment étrange, faut-il s'assurer que le maître est bien éveillé. Mais c'est au cas par cas.
La critique automatique d'un maître sous prétexte qu'il adapterait ses enseignements à l'époque ou à son public, ne me semble pas recevable.
Répondre