La pratique de POWA

Dumè Antoni

La pratique de POWA — autrement appelée "Transfert de conscience utile au moment de la mort" est une pratique appartenant au Bouddhisme Vajrayana.

Je précise d'emblée que, sans les initiations préalables, tenter de mettre en pratique ce texte est inutile parce que le "Kaï !" qui consiste à faire s'élever le "grain principiel" (bindu) doit être prononcé d'une manière très spéciale qui n'est évidemment pas indiquée dans le texte (qui d'ailleurs ne le mentionne pas) et qui nécessite donc un enseignement direct.

Le texte est court. Il est composé de 6 feuillets (numérotés de 1 à 6) que j'ai scannés. Je donnerai ultérieurement quelques commentaires à propos de cette pratique et de la manière dont je l'aie vécue à Kagyu Ling et chez moi, par la suite. Le voici :
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Dumè Antoni

Comme promis, je vous livre mon témoignage de cette pratique.

Celle-ci s'est déroulée en février 1978 à Kagyu Ling. A cette époque, le centre était un vaste espace boisé avec le château de Plaige et quelques bungalows autour pour les retraitants. L'enseignement (collectif) avait lieu dans une des grandes salles du château et se poursuivait (individuellement) dans les bungalows.

Nous étions une dizaine de pratiquants. Le lama qui nous dirigeait était Lama Shérab secondé par deux traductrices. Les traductrices pratiquaient avec nous.

Durant la retraite (d'une semaine) nous ne devions pas parler (voeu de silence), même au réfectoire (où l'on procédait par gestes si l'on avait besoin de quelque chose).

Le texte de Powa lisible sur les feuillets ne comprend qu'un aspect de la pratique : les visualisations et récitations. La manière d'élever le Bindu (le grain "principiel" avec la syllabe HRI) dans le canal central est appuyée d'un cri, une sorte de "KAÏÏÏ...!" qui est poussé non pas avec sa gorge mais depuis le giron. Il est censé expulser le bindu vers le sommet du crâne. Lama Shérab nous dit que la manière de pousser ce cri est essentielle car d'elle dépend le déplacement du Bindu. Il nous montre à plusieurs reprises comment le pousser et nous devons faire de même. En groupe, ce n'est pas évident et c'est l'occasion de quelques fous rires. Lama Shérab nous dit que Kalou Rinpoche était capable, rien qu'en poussant ce cri, de provoquer un mouvement du corps d'un cadavre.

Il faut savoir en effet que Powa est une technique de transfert de conscience utile au moment de la mort. Son but est d'empêcher le pratiquant non seulement de sombrer dans des états infernaux, mais d'élever le "principe conscient" (c'était le terme — peut-être obsolète aujourd'hui — employé à l'époque pour parler de "l'esprit" du mourant) vers une renaissance meilleure. Dans notre pratique, cette renaissance meilleure devait se faire en "Dewatchène" qui est la Terre Pure d'Amithaba.

Une fois les initiations faites et l'enseignement divulgué, nous devions pratiquer dans nos bungalows, de jour comme de nuit, en poussant le cri aussi souvent que nécessaire. Imaginez la campagne bourguignonne en février 1978, silencieuse... avec des cris étranges dans la nuit :lol: . Les champs sont couverts de neige et il fait un froid canard. Heureusement, nos bungalows étaient équipés de petits chauffages à gaz que nous devions bien sûr éteindre en notre absence (durant les enseignements quotidiens et les repas) et la nuit pendant notre sommeil. Nous pratiquions dans la posture assise, jambes croisées, le dos bien droit. Notre corps était visualisé comme étant celui du Bodhisattva Tchenrezi (Avalokitshvara), d'un blanc laiteux transparent (le canal central et le bindu doivent être clairement visualisés), avec le Bouddha Amithaba, de couleur rouge, dans la posture adamandine (qui est la posture assise sur un chaise), les deux pieds posés sur le sommet du crâne, là où se trouve l'extrémité supérieure du canal central.

Lama Shérab vient nous rendre visite l'avant dernier soir, individuellement, dans notre bungalow. Il parle mal le français, mais sait quelques mots. Il pose la main sur notre crâne et palpe le sommet. Il doit détecter un signe, une légère protubérance, qui se développe avec le cri. S'il ne sent pas cette protubérance, il considère que la pratique a échoué et le pratiquant en reste là. Sinon, il a droit à la suite (et fin) de l'enseignement.

Le lendemain, lama Shérab nous dit que les signes sont apparus chez nous tous. Il considère que c'est de bon augure et nous indique la manière de renaître en Déwatchène. Il décrit la Terre d'Amithaba comme une lieu de bonheur extrême, avec de bons fauteuils et de bons lits pour se reposer, et d'excellent mets. Il a un sourire malicieux quand il nous décrit Déwatchène car il sait que chacun se fait une idée personnelle de la Terre Pure, voire aucune idée du tout (ce qui était mon cas).

La suite et la fin de l'enseignement consiste à réciter un grand nombre de fois le mantra de longue vie : OM AMIDEOUA AYOU SIDDHI HOUNG

Mais surtout, chez soi, en quittant le monastère, le mantra d'Amithaba : OM AMEDEOUA HRI doit être récité 100 000 fois.

Comme tous les pratiquants, je dispose d'un mala, chapelet contenant 108 grains. Je me sers du mala pour compter le nombre de récitations du mantra d'Amithaba, dans la posture assise, avec les visualisations appropriées : Tchenrezi avec le canal central et le bindu et Amithaba au sommet du crâne.

Cette récitation me prend un peu plus d'un mois d'une pratique quotidienne, chez moi. A cette époque, je vis avec ma jeune épouse qui a aussi pris refuge avec Kalou Rinpoche mais n'a pas souhaité faire Powa. A la fin de la récitation des 100 000 mantras d'Amithaba, il se passe quelque chose d'indescriptible, d'une puissance inouïe. Je ne vais pas entrer dans les détails, mais à cette époque, je pratiquais régulièrement le hatha yoga (avec André Van Lysbeth pour enseignant). J'avais lu, dans la Hatha Yoga Pradipika, la phrase suivante d'un yogi : "Un yogi n'a pas besoin d'une femme ; celle-ci est en lui". J'avais du mal, jusqu'alors, à imaginer une telle chose, et je supposais que les yogis refoulaient leurs désirs sexuels. En fait, depuis cette expérience, j'ai compris.
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davi
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Merci pour ce partage Dumé.
S'indigner, s'irriter, perdre patience, se mettre en colère, oui, dans certains cas ce serait mérité. Mais ce qui serait encore plus mérité, ce serait d'entrer en compassion.
Dumè Antoni

Je t'en prie, Davi. Je dois quand même préciser que cette pratique, pour merveilleuse qu'elle fût pour moi, n'a pas été libératrice, loin s'en faut. Au contraire, elle me séparait des autres, et de ma famille surtout (mon épouse) et je comprends à présent aussi ce que signifie "la caverne aux démons" quand on s'adonne à des samadhi délicieux. Aussi ai-je décidé d'abandonner la pratique du BT — qui ne pouvait plus se poursuivre pour moi sans entrer dans l'univers monastique du BT — pour une pratique plus en accord avec mes engagements dans ma vie sociale et maritale, sans doute avec moins de couleurs, moins de kundalini, moins d'ouverture de chacras... mais plus en phase avec moi-même et l'idée que je me fais du Bodhisattva.

Cela étant, je ne veux pas non plus noircir le tableau. Cette pratique m'a appris aussi à comprendre que tout ce qu'on dit à propos du samadhi est vrai. Que la kundalini et les chacras, ce n'est pas qu'une vue de l'esprit. C'est d'une puissance inouïe. Mais qu'on ne confonde pas ce que j'ai vécu avec l'Eveil bouddhique. André Van Lysbeth, avec qui je pratiquais le Hatha Yoga, m'avait dit, quand je lui fis part de mon expérience, que c'était juste l'ouverture d'un chacra. Au fond, pour le yogi expérimenté qu'il était, rien que de très banal.
Dumè Antoni

Je dois rajouter, par rapport à ce qui précède, que la pratique du samadhi (dans ses formes tantriques mais pas seulement) peut être addictive, au même titre qu'une drogue puissante et qu'essayer de s'y adonner sans être encadré par un maître compétent peut s'avérer dévastateur au plan psychologique (ce qui n'est pas anodin). C'est pourquoi Powa fait partie des pratiques "secrètes" et qu'il y a toujours un danger à les mettre en oeuvre seul dans son coin, sans contrôle.
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