Les 5 skandhas par Gyétrul Jigmé Norbu Rinpoché

Compagnon

Les cinq skandhas.

Gyétrul Jigmé Norbu Rinpoché

27 Novembre 1991

Pour être à même de le parcourir du début jusqu'à la fin, depuis l'état voilé de l'esprit jusqu'à l'état de l'esprit éveillé, nous devons savoir en premier lieu ce qui constitue la base, le matériau sur lequel nous allons travailler. Cela désigne un aspect qui fait partie de notre vie. Cette matière, c'est la nature de l’ego. Sans connaître cette matière sur laquelle nous devons travailler, tous les efforts sont inutiles. Sans cette connaissance de la matière de base, tout n'est que fantasme et imagination. Nous sommes très friands de fantasmes; cela peut être agréable, mais n'a rien de commun avec une pratique authentique. Parce que nous vivons dans l'imaginaire, cela change tout, et au lieu de devenir un bouddha, nous risquons de devenir un démon! L'imagination naît de l'ignorance de cette matière de base qu'est la nature de l’ego.

Les différentes religions ont en commun la notion de "chute originelle" de l'homme, et dans le bouddhisme nous nous référons au terme sanskrit "avidya" qui veut dire : "ignorance". Il n'y a pas de honte à avoir un ego : il ne s'agit pas d'une maladie incurable. Il existe un remède et les moyens de s'en sortir. Et de fait, l'illumination elle-même vient de cette matière qu'est l'ego. En tant qu’êtres humains, nous avons dès maintenant la chance de connaître ce dont il s'agit. Cessons de nous projeter dans le futur : souvent nous aimerions devenir quelque chose de mieux que ce que nous sommes. Là est tout le problème ! Chercher à devenir autre chose qui n'a rien de commun avec nous-mêmes est vraiment stupide. Essayer de fuir l'ego parce que nous le considérons comme négatif ne ferait que le durcir. Accepter de lui faire face est le moyen de la reconnaître et de créer la possibilité d'en briser le mécanisme.

D'un point de vue bouddhique, cette notion d'ego est reliée à la compréhension des cinq skandhas ou agrégats. Depuis des temps sans commencement, il n'existait rien d'autre qu'un espace ouvert. Cet espace ouvert, présent en dehors du temps, est aussi ce que l'on appelle l'état de l'esprit fondamental. En cet ouverture, en cet espace, il n'y avait pas de distinction entre moi et autre chose : cette ouverture, cet espace étaient une seule chose. De ce déploiement de l'espace est née l'aspiration à danser; au sein de la danse, cette tendance à tourner sur soi-même, et ainsi nous avons tourné plus qu'il n'était nécessaire et nous sommes devenus trop actifs.

Pour danser, il faut un(e) partenaire et nous avons saisi l'espace comme partenaire. Pour que la danse soit harmonieuse, nous avons voulu que notre partenaire s'accorde à notre tonalité, à notre musique ; ainsi nous avons solidifié l'espace. A ce moment a commencé un aspect de la dualité : il y a eu l'espace et moi, moi et l'espace sommes devenus deux choses. Et sous l'effet de l'intensité de la danse, l'esprit s'est comme évanoui. Après cet évanouissement, l'esprit s'est réveillé. Au réveil, les choses avaient changé : l'espace apparaissait comme solidifié, avec des distinctions entre sujet et objet; nous avions oublié ce qui s'était passé et avions l'idée que l'espace avait toujours existé sous cette forme solide. C'est de cette manière que nous avons refusé de voir l'état originel de l'esprit.


Quand on se réfère à cet espace et cette ouverture originels, il ne s'agit pas de se les représenter comme un paysage vaste et ouvert, à l'image d'un désert sans limites, ou d'un lac immobile. Dans cet espace immense et ouvert, était à l’œuvre une forme de conscience, que l'on appelle l'intelligence primordiale. Il y avait l'énergie, les couleurs, l'intelligence, qui elles aussi étaient devenues captives et amoindries. C'est en ce sens et en ces circonstances que nous pouvons dire que d'une certaine manière une forme de distinction entre sujet et objet existait déjà, pas de façon aussi prononcée qu'à l'heure actuelle, mais d'une manière subtile. Ainsi a commencé le premier skandha, skandha de la forme, qui est aussi une forme d'ignorance. Cette ignorance n'est pas la stupidité. Cette ignorance a une forme d'intelligence avec la tendance à contempler ses propres projections, plutôt que la réalité. C'est la définition de base de l'ignorance. on peut penser les choses de cette manière : au début existe un grand désert, un espace ouvert, sans arbre, sans montagnes, sans rien. En même temps, cet espace n'est pas vide, la clarté du soleil, de la lune et des étoiles se manifeste, ainsi qu'une intelligence au travail. Tout à coup, cela se passe comme si quelqu'un prenait conscience, comme un grain de sable qui soudain sort son cou et essaye de regarder ce qui se passe autour. Au commencement, il n'existe pas de perceptions, ni quoi que ce soit de ce genre. Tout est un : l'intelligence, l'énergie, les couleurs, l'espace. Puis surgit un observateur, et bien que ce soit toujours la même intelligence, la même énergie, les mêmes couleurs, elles ne sont plus vues de la même manière. L'observateur se dit que ce qu'il voit autour de lui doit être la réalité.

Au départ nous avons développé cet agrégat de la forme qui est aussi l'ignorance, et maintenant nous voulons le sentir. C'est comme au petit matin lorsque la brume voile le paysage, et à la mi-journée lorsque le soleil est au zénith, les formes deviennent distinctes et définies. Dans le premier skandha, existait une forme éblouissante et sans contour, et maintenant nous voulons quelque chose de défini; nous voulons sentir les choses. A ce moment est né le deuxième skandha qui est celui de la sensation.

A partir de ce processus de la sensation, s'engage la manière de créer une relation avec ce que l'on sent, comme le rapprochement entre le fait d'avoir faim et le fait d'avoir de la nourriture pour combler cette faim. Ceci correspond au troisième skandha, celui de la perception. Prenons l'exemple d'une tasse de thé : au début, elle est simplement là dans un espace libre et sans concept, puis c'est comme si l'esprit paniquait et devait attribuer une place à cet objet, l'analyser, le faire rentrer dans une catégorie; ensuite vient le fait de vouloir boire ce thé. A chaque fois que nous voyons un objet qui nous fascine, nous tentons de le posséder ou de le contrôler. Si cet objet nous déplaît, nous mettons tout en œuvre pour l'éviter. Si celui-ci se révèle être un adversaire plus fort que nous et qui nous menace, nous refusons tout contact et tentons de fuir. Si nous sommes contraints à lui faire face, nous essayons de lui rentrer dedans, ou bien nous l'ignorons tout simplement; et la plupart du temps, c'est ce que nous faisons. Là intervient le quatrième skandha, celui des volitions.

Plus le processus d'analyse s'intensifie, plus les catégories se diversifient dans toutes les directions de l'espace et du temps. Ainsi, nous créons le monde. Le cinquième skandha, celui des consciences se développe, un peu à l'image d'un poste de contrôle ou d'un quartier général. Avec ce cinquième skandha, l'ego est complet. Ces cinq skandhas produisent alors le monde imaginaire des six mondes ou six classes d’êtres. La physiologie de l'ego se crée de cette manière, graduellement. Au départ, ce ne sont pas des entités solides, mais les schémas se complexifiant progressivement; créent un monde solide.

Lorsque au cinéma, nous regardons un film : les images individuelles se succèdent à une telle rapidité que se crée l'illusion du mouvement, et ainsi nous prenons ces objets en train de se mouvoir comme réels. Mais ce ne sont que des images.

Tous ici, nous sommes dans ce même état d'esprit lorsque nous sommes à la recherche d'une spiritualité pour atteindre l'illumination. Il est très important de comprendre ce matériau de base sur lequel nous travaillons, c'est à dire les mécanismes de l’ego. Ainsi nous apprendrons comment nous comporter sur le chemin spirituel... La spiritualité n'est pas une sorte de voyage fantastique dans lequel on se jetterait aveuglement. C'est le fait de comprendre de manière concrète ce qu'est la réalité qui fait que le voyage spirituel peut commencer.



Qui est : Gyétrul Jigmé Norbou Rinpotché

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Maître bouddhiste tibétain, issu de la lignée Ripa et réincarnation de Gyeling Yonten Lhundrub Gyatso Rinpotché, né en Inde en octobre 1968. Fils du tertön Namkha Drimed Rinpotché et de Khandro Chimé Dolkar, arrière-arrière-petit-fils de Shakya Shri et frère de Tenzin Nyima Rinpotché et Khandro Tseyang Palmo. Il vit en Orissa (Inde).

Gyétrul Jigmé Rinpotché est détenteur de deux lignées, qui incluent toutes les deux la lignée Nyingma Ripa, une lignée héréditaire ou dungjud, dont il est héritier. Il est également à la tête de la lignée Péma Lingpa du monastère Gyeling Orgyan Mindrolling de Pémako.

Gyétrul Jigmé Rinpotché a été reconnu à l'âge de trois ans par Kyabjé Dudjom Rinpotché, détenteur de la lignée Nyingma, en tant que réincarnation de Gyeling Yonten Lhundrub Gyatso Rinpotché. Il a étudié à Darjeeling, où il a appris l'anglais, puis à l’Institut Supérieur d’Etudes et de Recherches Ngagyur Dojo Ling à Bouddhanath au Népal, institut fondé par Dudjom Rinpotché. Il a reçu en 1993 un doctorat en études du Bouddhisme Tantrique et Sutrique.

Les premiers maîtres spirituels de Gyétrul Jigmé Rinpotché ont été Dudjom Rinpotché, et son père et maître-racine Namkha Drimed Rabjam Rinpotché. Il a reçu les enseignements des maîtres de la tradition Drukpa Kagyu, particulièrement ceux de la lignée Shakya Shri : le 12e Gyalwang Drukpa Rinpotché et Kyabjé Thuksay Rinpotché.

Maître spirituel en Orissa depuis septembre 1993, il y réalise également un travail humanitaire. Il a ainsi fondé le projet «Eau Pure», pour lequel il a reçu l'approbation du Dalaï-Lama et du gouvernement tibétain en exil. Il dirige aussi la mise en place d’un programme de prévention et de traitement de la malaria, la direction d’un programme de soutien aux orphelins, aux personnes âgées, à la scolarité des enfants et des moines en Orissa.

Gyétrul Jigmé Rinpotché donne des enseignements en Europe depuis 1996. Il a fondé les centres Padma Ling, un réseau d’enseignements du Dharma, en Suisse, France, Allemagne, Espagne, Angleterre, Japon et Guyane française.

Dirigeant les monastères de Ripa en Inde et au Népal, et diffusant ses enseignements en Occident au travers de ses centres Padma Ling et des Fondations Ripa, Gyétrul Jigmé Rinpotché participe aussi au développement de la communauté tibétaine en exil.

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