Déjouer les démons intérieurs par Padmasambhava

Compagnon

Matthieu Ricard, Chemins Spirituels, petite anthologie des plus beaux textes tibétains

Chapitre : Écarter les obstacles et progresser dans la pratique – déjouer les démons intérieurs.

Jatsön Nyingpo (1585-1656)

Conseils donnés par Padmasambhava à Nyang Ben Tindzin Zangpo.

Il y a autant de pratiquants du Dharma que d'étoiles dans le ciel, mais ceux qui parmi eux ignorent les obstacles tendus par les « démons » sont encore plus plus rares que le soleil et la lune. Sans ces obstacles, il serait plus facile d'atteindre la libération que d'accomplir des actes méritoires pendant une seule année. Aussi est-il nécessaire d'identifier ces démons et de les déjouer.

Au début, alors que vous êtes prisonniers dans le monde de souffrance du samsara, vous avez peut-être un peu de foi dans le Dharma, mais voici que le démon de l'attachement à la réalité grossière et celui de la paresse emportent cette foi. Haïssant vos ennemis, attachés à ceux qui vous sont chers, obsédés par l'esprit de compétition, emportés par les activités mondaines, sans plus penser à la mort vous remettez toujours à plus tard votre pratique pour vous livrer à d'illusoires occupations. Voilà ce qu'on appelle le « démon ».

Pour confronter ce démon, mettez-vous en quête d'un maître qualifié qui suscitera en vous une foi indéfectible, réfléchissez sur l'impermanence et la mort pour engendrer un courage sans faille, et délaissez les activités mineures pour vous consacrer à la grande tâche du Dharma.

C'est alors que surgira le « démon du retournement d'attitude ». Il pourra parfois prendre l'apparence d'un ami ou d'un proche qui vous dissuadera de pratiquer le Dharma et dressera devant vous toutes sortes d’obstacles dans ce but. D'autres fois, il pourra se manifester comme la crainte d'ennemis, ou l'esprit de compétition, ou encore sous forme de richesses. Il vous poussera à gaspiller votre vie. Remettant toujours votre pratique au lendemain, puis au surlendemain, vous finirez enlisés dans le marécage du samsara.

Pour soumettre ce démon, vous devrez accorder votre confiance à votre maître et aux Trois Joyaux, et prendre vous-mêmes vos décisions sans demander l'avis des autres.

Tandis que vous restez auprès de votre maître, surgit le démon qui vous fit douter de celui-ci et vous pousse à le considérer comme un égal. Le signe que ce démon s'est introduit en vous est que vous ne voyez plus les qualités du maître, mais, en revanche, percevez ses plus infimes défauts, avec des idées fausses sur ce qu'il fait dans un but particulier, et vous arrangez par ailleurs pour vous faire nourrir et donner des biens sous des prétextes spirituels. Partir pour le Dharma et prendre ainsi le chemin des enfers, c'est être emporté par le démon.

Pour vaincre ce dernier, cultivez la pensée que votre maître est le Bouddha en personne.

C'est alors qu'apparaît le « démon du retour en arrière ». Vous ne pensez qu'au sexe, à l'argent, aux affaires et aux moyens de tromper les autres et de vous enrichir. Le signe que ce démon-là s'est introduit en vous est que vous abandonnez votre pratique du Dharma, vos compagnons spirituels, vos vêtements monastiques et le reste. Vous n'avez plus envie d'écouter les enseignements et votre comportement est motivé par les attachements et les aversions du monde ordinaire. Vous avez soif d'alcool et de plaisirs sensuels, et vous vous détournez des paroles du Bouddha.

Pour soumettre ce démon là, il est important de cultiver la détermination de pratiquer le Dharma, de vous concentrer assidûment sur les enseignements profonds qui vous inspirent, de laisser tomber le sexe et toutes les activités qui vous détournent du Dharma, et de penser à la vie des maîtres du passé.

Le démon qui apparaît alors est le « démon du pratiquant blasé ». Le signe qu'il s'est introduit en vous est que vous vous enorgueillissez d'avoir reçu tel ou tel enseignement, bien que, n'en connaissant pas le sens, vous ne les comprenez pas. Vous connaissez quelques bribes du Dharma, mais vous exposez dans les villes et les villages les enseignements secrets. Chaque fois qu'on vous donne un enseignement profond, vous dites que vous l'avez déjà entendu. Être ainsi incapable d'accéder au sens ultime du Dharma, c'est être emporté par le démon.

Pour y remédier, réfléchissez encore et toujours sur les enseignements que vous avez reçus, et imprégnez vous de leur sens.

Survient ensuite le « démon de la recherche des connaissances pour le gain et les privilèges », qui prend la forme de disciples et de bienfaiteurs. Sans vous consacrer à la pratique, vous vous targuez d'être érudits, vous avez une haute opinion de vous-mêmes et vous avez soif de richesses. Se dressent alors de obstacles qui vous écarteront de la voie du Dharma.

Pour dompter ce démon-là, faites le vœu de rester longtemps dans un ermitage solitaire, et ne faites rien d'autre que pratiquer le Dharma.

C'est alors que s'élève le « démon des théories philosophiques ». Vous faites une discrimination partisane entre vos points de vue et ceux des autres, et le Dharma prend la forme des cinq poisons mentaux.

Comme remède, abandonnez toute jalousie envers les autres systèmes de pensée et entraînez-vous à tout percevoir impartialement de façon pure.

Une fois libres, tandis que vous méditerez sur la vacuité, apparaîtra le « démon du vide transformé en ennemi ». Rien n'existe, direz-vous, et dans vos actions vous mélangerez le bien et le mal. Vous n'aurez plus ni foi en les Trois Joyaux ni compassion pour les êtres.

Accomplissez alors davantage d'actes positifs et libérez-vous des actes négatifs. Exercez-vous à la vision pure et à la dévotion et entraînez-vous à reconnaître l'inséparabilité de la vacuité, de l'interdépendance et de la compassion.

Viendra aussi le « démon de la compassion devenue nuisible ». Vous vous hâterez prématurément de faire le bien des autres sans être vous-mêmes libérés, et vous remettre à plus tard votre pratique intérieure.

Contre ce défaut, cultivez l'esprit d’éveil sous sa forme d'aspiration et mettez temporairement moins l'accent sur l'engagement au service d'autrui.

En bref, il est dit que, tant que l'on n'a pas atteint le parfait Éveil, les obstacles des « démons » surgissent continuellement. Mais si, abandonnant toute préoccupation matérielle, vous vous adonnez tout entiers à la pratique de la voie, aucune sorte d'obstacle n'aura raison de vous.


Wikipédia :

Padmasambhava est un maître bouddhiste du viiie siècle né probablement durant le premier quart de ce siècle, dans la vallée de Swat au Pakistan aussi appelé Guru Rinpoché (« précieux maître »). Bien qu'il ait existé historiquement, on ne sait rien de lui à part qu'il participa à la construction, à la demande du roi Trisong Detsen, du premier monastère bouddhiste à Samye au Tibet, qu'il quittera en raison d'intrigues de cour.

Un certain nombre de légendes ont grandi autour de la vie et les actes de Padmasambhava, et il est largement vénéré comme un « second Bouddha » à travers le Tibet, le Népal, le Bhoutan et les états himalayens de l'Inde.

Dans le bouddhisme tibétain, il est associé à la littérature des terma, et serait une émanation d'Amitabha lié à des tertöns à qui il apparaîtrait dans des rencontres visionnaires et la pratique du gourou yoga , en particulier dans les écoles Rimé . Les membres de l'école Nyingma le considèrent comme le fondateur de leur tradition.

Matthieu Ricard déclare :

« Au Tibet, Padmasambhava, Né-du-Lotus, le plus souvent connu sous le nom de Guru Rinpoché, le « précieux maître », est révéré comme un second Bouddha. [...] Pour les Tibétains, Padmasambhava est considéré comme une manifestation du Bouddha Shakyamouni. En effet, dans la Parinirvâna, on trouve une prédiction dans laquelle Shakyamouni annonce qu'il reviendra par une naissance immaculée afin de répandre les enseignements des tantras. »

En effet, dans le Sutra des prédictions de Maghada et dans le Sutra du nirvāna, le Bouddha Shakyamouni déclare qu'il reviendra sous une forme plus puissante, quelques années après le Parinirvâna pour donner des enseignements plus élevés. Enfin, le Tantra de la personnification parfaite de la nature inégalée dit:

« Huit ans après mon passage en nirvana
Je réapparaîtrai dans le pays Oddiyana,
Portant le nom de Padmasambhava.
Je deviendrai le seigneur des enseignements du Mantra secret »

Philippe Cornu écrivit :

« Padmasambhava, que tous les tibétains nomment d'ailleurs Guru Rinpoché, « Le Précieux Guru », est bien plus que le personnage historique dont les tibétologues s'accordent à reconnaître le passage bref au Tibet au viiie siècle [...] N'est-il pas considéré comme le second Bouddha, avec la mission d'enseigner le Tantra? Padmasambhava est en vérité le symbole vivant du bouddhisme tibétain, la personnification du principe essentiel de la transmission des enseignements tantriques et du Dzogchen, c'est-à-dire le Maître par excellence. »


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davi
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jap_8 jap_8 jap_8 jap_8 jap_8 jap_8 jap_8 jap_8 jap_8
S'indigner, s'irriter, perdre patience, se mettre en colère, oui, dans certains cas ce serait mérité. Mais ce qui serait encore plus mérité, ce serait d'entrer en compassion.
Compagnon

Même si il s'adresse à des moines, je trouve ce texte très précieux, non seulement il lève des lièvres que l'on a surement déjà rencontré, tout ou partie, chacun de nous, plus ou moins fréquemment et intensément, mais en plus il fournit un remède adapté à chaque situation. C'est pour cela que je trouve personnellement ce texte très précieux. C'est un "bouclier" ou une "arme" comme vous voulez ou un "outil" très bien conçu qu'il est bon d'interroger régulièrement je crois pour voir ce qui nous arrive ou pas. Quel sorte de "mal" nous saisi. Même si c'est pour faire une analyse a posteriori.
Je crois en avoir rencontré un de bien précis hier soir (ce qui fut perturbant) c'est ce qui m'a poussé à posté ce texte que j'avais l'intention de posté depuis longtemps.
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jules
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En fait, en refusant d'écouter non pas ces démons, mais ce que nous appelons des démons, réflexe courant, c'est comme si nous nous amputions de notre totalité.
Compagnon

jules a écrit :
26 mai 2017, 03:43
En fait, en refusant d'écouter non pas ces démons, mais ce que nous appelons des démons, réflexe courant, c'est comme si nous nous amputions de notre totalité.
Tu peux expliciter ? Là j'ai un peu de mal à comprendre. Tu prends le terme "démon" au sens du "daemon" qui conseillait parait-il Socrate ?
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jules
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Non, j'entendais démons ici plutôt dans le sens que chacun d'entre eux me semble être une facette différente, révélatrice et symptomatique de cette maladie qu'est la peur. Il est bon je pense d'entendre ce qu'ils ont a dire, de les accueillir en somme, car derrière cette peur qui est entendue, se trouve un ange en quelque sorte.

"Et anges deviendront tes démons" F. Nietszche
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jules
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On dit du zen par exemple, qu'il est la voie de la non peur.
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yves
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le bien et le mal ne sont que des projections

chacun a son chemin, on peut étendre la paix et la joie dans toutes choses, la masturbation, un tiramisu à la framboise ou une balade en forêt
oui à ce qui est
tout change
tout est maintenant
être tout
amour
Compagnon

@Jules : c'est étonnant mais, concernant ce que tu dis sur la peur, bien avant, de nombreuses années même avant que je ne découvre le bouddhisme et m'y investissent, j'avais développé la conviction (si on peut appeler cela ainsi) ou du moins une très forte inclination a penser que l'un des principaux levier ou moteur ou une des principales motivations profondes si ce n'est la principale était justement la peur.

Sur le fait d'écouter et accueillir ses "démons" pour voir ce qu'ils ont a dire, ce dont ils sont symptomatiques, cela rejoins aussi en partie ce que dit Thay dans le sens ou lui parle plutôt de nos souffrances en générales, il faut les écouter, leur parler, les laisser s'exprimer, les laisser dire d'ou elles viennent, car rien qu'en leur prêtant attention, c'est déjà les apaiser, car vouloir les faire taire, ne pas les écouter, c'est justement leur faire violence et les accroître, elle vont cogner plus dur la porte de notre attention et nous distraire davantage. Cela revient toujours au 4 Nobles Vérités encore : reconnaître l'existence de la souffrance quand elle est là, l'écouter, la laisser nous dire d'ou elle vient et ainsi on voit quelle est son origine et comment traiter cette origine. Ce souffrances font partie de nous. Elles sont nous. Toutefois l'approche tibétaine ci-dessus semble différente et cela ressemble plus dans le texte comme une tentative d'étouffement, de combat.

Je ne savais pas a propos du zen et de la "non peur" mais cela ne m'étonne pas du tout. Quand on lit ce qu'écrit Thay et comme il est issu du zen vietnamien, c'est évident. Il a écrit tout un petit livre très bien qui justement a pour but de traiter la peur et la mort et en fait la pire de toutes les peurs : la peur de mourir. La fausse croyance en une possible "néantisation".
D'ailleurs j'ai noté aussi bien dans le zen vietnamien en général que dans l'ordre propre à Thay ou dans l'école de la Terre Pure présente aussi au Vietnam une réelle préoccupation de l'accompagnement des personnes au moment de mourir, de veiller à ce qu'elle ai une "bon état d'esprit", à dissiper leur souffrance, leur peur au moment de la mort. Tout comme d'ailleurs le Bouddha tenta à la fin dans ses derniers instant non pas de dissipé ses propres craintes (il n'en avait plus besoin) mais de soulager la peine de ses disciples présents tristes à l'idée de le perdre.

@Yves : même si c'est dit de manière je suppose un peu provocante, on peut en théorie mettre de la pratique en tout, mais je crois qu'il faut vraiment savoir ce que l'on fait exactement et trouver des intentions vraiment adéquat, vraiment pure pour mettre de la pratique dans certains plaisirs sensuels comme le sexe. C'est pas impossible mais vraiment un terrain délicat. C'est un terrain tellement fertile à l'attachement, au renforcement de l'ego... et je suis très très bien placé pour le savoir, d'expérience personnelle, vous pouvez me faire confiance. Un état d'esprit inadéquat lors de l'expérience sexuelle qu'elle soit solitaire ou avec au moins 1 partenaire peut être terriblement dévastateur pour les bénéfices tirés au quotidien habituellement quand on s'investi dans la pratique. Cela peut perturbé plusieurs heures ou jours après.
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yves
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l'attachement qu'on peut avoir à l'image de soi se baladant dans une forêt peut-être très forte :D
oui à ce qui est
tout change
tout est maintenant
être tout
amour
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