Essai sur les rêves
En rêve nous vivons pleinement l'action car nous ne savons pas à ce moment que celle-ci est uniquement "imaginée". Qu'elle se déroule en plein rêve ou dans la vie éveillée, nous ne faisons aucune différence sur l'impression qu'elle peut nous laisser. Lors d'un rêve, c'est seulement au réveil que l'on s'aperçoit de la "supercherie", mais à cet instant, il est déjà trop tard… Nous sommes déjà profondément imprégné de ce vécu. C'est pourquoi l'expérience nocturne est aussi importante dans le vécu d'une personne qu'elle pourrait l'être si l'action s'était effectivement déroulée dans la vraie vie. A tel point qu'il est parfois difficile de faire le tri dans nos souvenirs pour savoir si tel fait s'est produit réellement ou s'il est issu d'un rêve. Alors bien sûr, le fait d'avoir affronté un monstre au cour du rêve ne signifie pas que nous avons acquis la capacité de l'affronter dans la vie. Si le langage des rêves est symbolique, son apprentissage l'est également. Revenons un instant sur le terme "imaginée" employé au début pour décrire la nature du rêve. Ce terme n'est en fait pas tout à fait approprié. S'il est vrai que la scène est issue de notre production intérieure, il ne faut pas oublier la substance des éléments mis en jeu. Ces éléments proviennent toujours de notre expérience de la vie diurne, soit directe (on la vit) soit indirecte (on nous la raconte), parfois même subjective (elle nous est transmise : biologique). Ces différents éléments acquis, ou plutôt en passe de l'être, sont associés en rêve d'une manière tout à fait originale, certains diront de façon créative. Pour quelle raison? Pour apprendre, tout simplement. L'homme (je passe sur les animaux) est en perpétuelle leçon d'apprentissage durant sa vie. De l'instant où il nait (et même avant) jusqu'au moment où il meurt (peut-être même après?), il apprend. Nous devons continuellement intégrer (ou trier) les informations reçues, consciemment ou non, pendant nos activitées diurnes. Cette transmission de l'information peut se faire au sens littéral, ou au sens symbolique. Pour le sens littéral, pas besoin d'explication. Les choses du rêve sont ce qu'elles sont d'habitude. Pour le sens symbolique, c'est différent. Cette intégration se fait "techniquement" un peu à la façon d'un signal radio analogique. L'information (le contenu d'une émission par exemple) d'un tel signal est transmise sur ce qu'on appelle un signal porteur (ou onde porteuse) qui, comme son nom l'indique, "porte" l'information à transmettre. On dit que le signal porteur est modulé (en amplitude ou en fréquence). Si l'on associe cette technique à la struture du rêve, on peut dire que les éléments rencontrés durant la veille représentent le signal porteur de l'information (niveau quantitatif de l'élément), que l'information (niveau qualitatif de l'élément) portée représente l'apprentissage, et que la modulation représente la symbolisation des idées. En clair le rêve utilise nos souvenirs de la journée pour nous faire apprendre notre leçon. Ce n'est donc pas un hasard si nos rêves comportent tant d'éléments issue de notre journée "active". Pour quelqu'un de plus sensible aux images artistiques, prenons celle d'une sculpture : les souvenirs sont la matière, la forme la leçon. N'oublions pas que le rêve est un processus hautement synthétique. Cela veut dire, qu'un rêve peut utiliser le même support (ou souvenir) pour véhiculer en-même temps des informations littérales et des informations symboliques. Si le rêve utilise l'image de quelqu'un qui engendre de la colère en état de veille, cette image peut représenter en rêve cette personne de façon littérale, et dans le même temps la colère de façon générale. On aura compris que deux leçons peuvent être retirée de cette image, l'une de courte portée (je règle mon conflit vis-à-vis de cette personne), l'autre de portée beaucoup plus universelle (je règle ma colère en générale).
L'état de rêve est sans doute différent de celui de veille, mais il ne lui est pas inférieur. Une grande différence que l'on peut faire, c'est qu'en état de veille, nous interagissons avec notre environnement physique. On voit bien que si, par exemple, nous traversons la route devant un camion étant éveillé, les conséquences n'en seront pas les mêmes. Autre grande différence, les capacités d'actions dans le rêve semble incomparablement moins limitées que dans la vie éveillée. En fait les événements oniriques se déroulent principalement sur le plan mental. Je dis principalement car l'état physiologique du rêveur est tout de même affecté (respiration, pouls, activité cérébrale, etc.). La vie d'éveil nécessite par contre un minimum d'interactions vitales avec l'extérieur: respirer, manger, etc. On pourrait penser que le rêveur n'a pas besoin de corps physique pour s'exprimer. Ce serait oublier qu'un rêveur a obligatoirement besoin d'un corps physique pour pouvoir rêver… Si le rêveur a besoin d'un état de veille pour pouvoir vivre son rêve, l'inverse semble vrai également. Des expériences sur la privation des rêves ayant conclues en ce sens. De plus, la nature ne s'embarrassant pas de choses inutiles, il serait téméraire de penser que les rêves ne servent à rien. Et si l'on répond qu'ils ne sont qu'un sous-produit stérile de quelques désordres physiologiques, il suffit de s'intéresser un minimum à eux pour comprendre qu'ils sont bien autre chose. La complexité de certains scénarios, les émotions qu'ils laissent au réveil, les créations qu'ils permettent, sont là pour asseoir leur légitimité. Les rêves font partie d'un processus d'intégration de la personnalité qui semble agir en sous-main, au niveau de l'inconscient. D'après C.JUNG, ce processus pourrait même se poursuivre à l'état de veille. Se déroulant presque à l'insu de notre conscience, ce processus se laisse entrevoir pendant nos aventures nocturnes. On se doute alors que l'intérêt porté à nos rêves pourrais permettre d'accélérer grandement ce processus.
Chacun de ces deux mondes possède une vision différente de la réalité. Si l'état de veille permet de vivre dans le monde qui nous entoure, il est surtout accès sur le qui-vive. Il est orienté naturellement sur l'extérieur pour assurer notre survie (quête de nourriture, sécurité). En sommeil, l'esprit dispose de la sérénité nécessaire pour accéder à ses plus grandes facultés afin de répondre aux questions et résoudre les problèmes. Lorsque l'état de veille s'occupe de récolter les données, l'état de rêve permet de les arranger pour notre plus grand apprentissage. Si la veille permet également cet arrangement, le rêve, lui, permettrait plutôt l'alchimie. Quand l'un, la veille, préfère l'analyse, l'autre, le rêve, se spécialise dans la synthèse. La sagesse populaire dit que la nuit porte conseil. Qui oserait la contredire ?!
Comme l'on associe systématiquement la conscience à l'état de veille, on a tendance à associer par suite l'inconscience à l'état de rêve. Mais est-ce si catégorique ? En effet, lorsque l'on agit à l'état de veille, se déclare-t-on à chaque fois que l'on est conscient ? Certainement non, car ce serait purement invivable. Or ce comportement est le même en état de rêve. Lorsque l'on agit en rêve on ne se demande pas non plus si l'on rêve ou non. La prise de conscience de l'état dans lequel on se trouve n'est, dans aucun des deux cas, une habitude. C'est sans doute la raison pour laquelle il est si difficile en rêve de s'apercevoir du caractère illusoire des situations. Si l'on va un peu plus loin, l'état de veille pourrait être conçu lui-même comme un état d'illusions. C'est ce que nous révèlent certains enseignements orientaux, le bouddhisme notamment, qui nous apprennent à reconnaître le caractère illusoire de nos désirs et de nos peurs, et à parvenir à la Vrai conscience des choses. Ça fait rêver !
J'ai écris ce texte il y a 25 ans environ; c'était quand je m'intéressais beaucoup aux rêves et avant de virer bouddhiste...