Les enseignements essentiels des maîtres de la fôret

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ShraWaKa
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LES ENSEIGNEMENTS ESSENTIELS DES MAÎTRES DE LA FORÊT
Ajahn Amaro Traduit par Jeanne Schut
dhammadelaforet.org


Ce texte est un extrait de l'Introduction, par Ajahn Amaro, du livre « Food for the Heart, the collected teachings of Ajahn Chah », dont le premier tome en français est publié par les Editions SULLY, sous le titre: "Vertu et Méditation". Nous remercions le Vénérable Ajahn Amaro de nous avoir autorisés à publier séparément, sur notre site, cette très belle introduction.

Bien que ce livre contienne de nombreuses explications très claires sur les enseignements du Bouddha, il serait peut-être bon, en particulier pour ceux qui ne sont pas familiarisés avec la façon dont le Theravada exprime les choses en général et dans la Tradition de la Forêt thaïlandaise en particulier, de commencer par souligner certains des termes, des attitudes et des concepts clés qui sont utilisés tout au long de cette anthologie.

Les Quatre Nobles Vérités

Bien qu’il existe de nombreux volumes des discours du Bouddha dans plusieurs traditions, on dit aussi que tout son enseignement est contenu dans son tout premier discours, celui que l’on a appelé « la mise en marche de la roue de la Vérité ». Le Bouddha donna cet enseignement à ses cinq anciens compagnons spirituels, dans le Parc aux Daims, près de Bénarès, peu de temps après son Eveil. Dans ce bref discours – il ne faut que vingt minutes pour le réciter – il développa la nature de la Voie du Milieu et les Quatre Nobles Vérités. Cet enseignement est commun à toutes les traditions bouddhistes et, tout comme un gland contient dans son code génétique ce qui le fera devenir un immense chêne, on peut dire que toute la myriade des enseignements bouddhistes dérive de cette matrice de sagesse fondamentale.

Les Quatre Nobles Vérités sont formulées à la manière d’un diagnostic médical dans la tradition ayurvédique : a) les symptômes de la maladie ; b) la cause ; c) le pronostic ; et d) le traitement. Le Bouddha a toujours utilisé des structures et des formes qui étaient familières aux personnes de son époque et, dans ce cas précis, c’est ainsi qu’il peignit le tableau.

La première vérité, le « symptôme », est qu’il existe dukkha, un mal-être que l’on peut ressentir comme un sentiment d’incomplétude, d’insatisfaction ou de souffrance. Il peut y avoir des instants ou de longues périodes où nous ressentons du bonheur – un bonheur grossier ou même de nature transcendante – mais il arrive un moment où le cœur ressent une insatisfaction. Celle-ci peut aller de l’angoisse extrême à l’infime intuition que la félicité que l’on ressent ne va pas durer. Toutes ces variantes portent l’étiquette de « dukkha ».

Parfois les gens lisent cette Première Vérité et l’interprètent mal, comme si le Bouddha avait déclaré de manière absolue que la réalité est dukkha dans toutes ses dimensions. On prend cette Vérité comme un jugement de valeur qui s’applique à tout, mais ce n’est pas ce qui a été dit. Si c’était le cas, cela voudrait dire qu’il n’y a aucun espoir de libération pour qui que ce soit, et la réalisation de la vérité de ce qui est – le Dhamma – n’aboutirait pas à une paix et un bonheur durables, contrairement à ce qu’a découvert le Bouddha.

Ce qu’il est donc très important de noter là, c’est qu’il s’agit de « nobles » vérités et non de vérités « absolues ». Elles sont nobles dans le sens que ce sont des vérités relatives mais que, une fois comprises, elles nous mènent à la réalisation de l’Absolu ou de l’Ultime.

La seconde Noble Vérité est que la cause de ce dukkha est le désir égoïste, tanhā en pāli, ce qui signifie littéralement « soif ». Ce désir, cet attachement avide, est la cause de dukkha. Il peut s’agir du désir de plaisirs sensoriels, du désir de « devenir » quelque chose, du désir de s’identifier à quelque chose, ou encore du désir de ne pas exister, de disparaître, d’être annihilé ou de se débarrasser de certaines choses. Il y a de nombreuses dimensions subtiles à toutes ces formes de désir.

La troisième Noble Vérité, le pronostic, est dukkha-nirodha. Nirodha signifie « cessation ». Autrement dit, ce sentiment de dukkha, d’incomplétude, peut disparaître en étant transcendé ; on peut y mettre un terme. Dukkha n’est donc pas une réalité absolue, ce n’est qu’un vécu temporaire dont le cœur et l’esprit peuvent se libérer.

La quatrième Noble Vérité est celle de la Voie : comment aller de la seconde Vérité à la troisième, de la cause de dukkha à son terme. Le traitement est l’Octuple Sentier qui consiste essentiellement à développer la vertu, la concentration et la sagesse.

La loi du kamma

L’une des pierres angulaires de la vision bouddhiste du monde est l’inviolabilité de la loi de cause à effet : toute action entraîne une réaction égale et contraire. On considère que cela ne s’applique pas seulement au domaine de la réalité physique mais aussi, et c’est le plus important, aux domaines psychologique et social également. La vision pénétrante que le Bouddha a eue sur la nature de la réalité lui a montré que notre univers est un univers moral : de bonnes actions engendrent de bons résultats ; des actions malfaisantes engendrent des résultats douloureux – c’est ainsi que fonctionne la nature. Il se peut que les conséquences arrivent aussitôt après l’action ou beaucoup plus tard mais, nécessairement, un effet équivalent à la cause se produira.

Le Bouddha a également souligné très clairement que l’élément clé du kamma – « karma » en sanskrit – est l’intention. Ceci apparaît dans les premiers mots du Dhammapada, le plus célèbre et le plus aimé des écrits du Theravada :


Tous les phénomènes qui se manifestent à nous
Naissent dans notre cœur et dans notre esprit ;
Si nous parlons ou agissons avec un cœur et un esprit souillés,
La souffrance s’ensuivra aussi inévitablement
Que la roue du chariot suit la trace des sabots du bœuf qui le tire.

Tous les phénomènes qui se manifestent à nous
Naissent dans notre cœur et dans notre esprit ;
Si nous parlons ou agissons avec un cœur et un esprit purs,
Le bonheur s’ensuivra aussi inévitablement
Que l’ombre qui jamais ne nous quitte.


Cette façon de comprendre les choses, considérée comme une évidence dans la plupart des pays asiatiques, se retrouve en filigrane dans beaucoup des enseignements contenus dans ces pages. Bien que, pour les bouddhistes, il s’agisse là d’une question de foi, c’est aussi une loi que l’expérience nous permet de retrouver par nous-mêmes au lieu de l’accepter aveuglément parce qu’un maître en a parlé ou parce qu’un impératif culturel nous obligerait à y croire. Quand Ajahn Chah rencontrait des Occidentaux qui disaient ne pas croire au kamma tel qu’il le décrivait, au lieu de les critiquer, de leur dire que leur vision de la vie était incorrecte ou d’essayer de leur dépeindre les choses à sa manière, il s’intéressait à cette optique différente, demandait à la personne qu’elle lui décrive la façon dont elle concevait les choses, et il reprenait la conversation à partir de là.

Tout est incertain

Un autre des points majeurs qui réapparaît souvent dans les enseignements réunis ici concerne « les trois caractéristiques de l’existence ». Dès son second discours (l’Anattā-lakkhana Sutta) et tout au long de ses enseignements, le Bouddha a insisté sur le fait que tous les phénomènes, internes ou externes, physiques ou mentaux, avaient invariablement ces trois mêmes caractéristiques : anicca, dukkha et anattā – l’impermanence, l’insatisfaction et le non-soi. Tout change ; rien ne peut demeurer plaisant ou sûr dans la durée ; et rien ne peut être considéré comme étant vraiment à nous ou comme étant absolument qui nous sommes ou ce que nous sommes. Quand ces trois éléments ont été réellement vus et ressentis par l’expérience directe, on peut dire que la vision pénétrante des choses a été révélée.

Anicca est le premier élément de cette triade révélatrice. Ajahn Chah n’a cessé d’encourager tous ses étudiants à contempler cette impermanence ou « incertitude », disant qu’elle était la première des clés qui ouvrent la porte de la sagesse. Comme il le dit dans le texte intitulé « Comme un cours d’eau dormant » (Livre 2) : « Ce que nous appelons ici ‘incertitude’, c’est le Bouddha. Le Bouddha est le Dhamma. Le Dhamma est caractérisé par l’incertitude. Quiconque perçoit l’incertitude des choses, perçoit leur réalité immuable. Tel est le Dhamma et tel est le Bouddha. Si vous voyez le Dhamma, vous voyez le Bouddha ; si vous voyez le Bouddha, vous voyez le Dhamma. Si vous êtes conscient d’anicca, l’incertitude, vous saurez lâcher prise et ne plus vous accrocher à rien. »

Ce qui est très caractéristique de l’enseignement d’Ajahn Chah, c’est qu’il employait volontiers une autre traduction pour le mot anicca : l’incertitude. Tandis que le mot « impermanence » a peut-être une connotation plus abstraite ou plus technique, le mot « incertitude » décrit mieux le sentiment qui habite le cœur quand il doit faire face au changement.

Accent sur la Vision Juste et la vertu

Quand on lui demandait ce qu’il considérait comme les points essentiels de l’enseignement, Ajahn Chah répondait souvent que l’expérience lui avait montré que tout progrès spirituel dépend de la Vision Juste et de la pureté de conduite. A propos de la Vision Juste, le Bouddha a dit un jour : « Tout comme l’embrasement du ciel à l’aurore annonce le lever du soleil, la Vision Juste précède tous les états bénéfiques. »

Etablir la Vision Juste implique, tout d’abord, que l’on ait une « carte » fiable de l’esprit et du monde et, en particulier, une bonne compréhension de la loi du kamma. Ensuite, cela signifie considérer son vécu à la lumière des Quatre Nobles Vérités et, par conséquent, être en mesure de transformer ce flot de perceptions, de pensées et d’humeurs en carburant pour développer la vision pénétrante. Les quatre Vérités deviennent les quatre points cardinaux qui orientent notre compréhension et, par conséquent, guident nos actions et nos intentions.

Ajahn Chah considérait sīla, la vertu, comme le grand protecteur du cœur et encourageait tous ceux qui s’engageaient sérieusement dans la quête du bonheur et d’une vie bien vécue, à suivre sincèrement les préceptes – qu’il s’agisse des cinq préceptes des laïcs 1 ou bien des huit, dix ou deux-cent-vingt-sept préceptes adoptés dans la communauté monastique selon le niveau d’ordination. L’action et la parole vertueuses mettent automatiquement le cœur en harmonie avec le Dhamma et deviennent ainsi le fondement de la concentration, de la vision pénétrante et, finalement, de la Libération.

Sous de nombreux aspects, sīla est le corollaire extérieur de la qualité intérieure de la Vision Juste et il existe une relation de réciprocité entre elles : si nous comprenons la loi de causalité et que nous voyons la relation entre l’avidité et la souffrance, il est probable que nos actions seront harmonieuses et mesurées ; de même, si nos actions et nos paroles sont empreintes de respect, d’honnêteté et de non-violence, nous créons les causes pour que la paix soit en nous et il nous sera beaucoup plus facile de voir les lois qui gouvernent l’esprit et son fonctionnement, de sorte que la Vision Juste se développera plus facilement.

L’une des conséquences particulières de cette relation dont Ajahn Chah parlait régulièrement, comme dans le texte intitulé « Convention et Libération » (Livre 2) est la vacuité intrinsèque de toutes les conventions – comme par exemple l’argent, la religion ou les coutumes de la société – et, en même temps, la nécessité de les respecter pleinement. Cela peut paraître paradoxal mais, pour lui, la Voie du Milieu consistait justement à résoudre cette sorte de contradiction. Si nous nous attachons aux conventions, elles nous alourdissent et nous limitent mais, si nous essayons de les défier ou de les nier, nous nous retrouvons perdus, en conflit, désorientés. Il voyait qu’avec une attitude correcte, les deux aspects pouvaient être respectés d’une manière naturelle, libératrice et non forcée ou restrictive.

C’est probablement à cause de sa profonde vision intérieure dans ce domaine qu’il pouvait être à la fois extrêmement orthodoxe et austère en tant que moine bouddhiste, et tout à fait détendu et libre par rapport à toutes les règles qu’il observait. Pour beaucoup de ceux qui l’ont rencontré, il semblait être l’homme le plus heureux du monde – fait peut-être assez ironique pour quelqu’un qui n’avait jamais eu de relations sexuelles de sa vie, n’avait pas d’argent, n’écoutait jamais de musique, était toujours disponible aux autres dix-huit à vingt heures par jour, dormait sur un mince matelas de paille, avait du diabète, avait subi différentes formes de malaria, et riait quand on disait de son monastère qu’on y mangeait « la plus mauvaise nourriture du monde » ! [...]



1 Les Cinq Préceptes sont des directives de base pour s’entraîner à la parole juste et à l’action juste : s’efforcer de ne tuer aucun être ; s’efforcer de ne pas voler ; s’efforcer d’avoir un comportement sexuel responsable ; s’efforcer de ne pas mentir ni médire ; s’efforcer de ne pas utiliser de produits intoxicants qui créent la confusion dans l’esprit.


© Edition SULLY, 2010, pour la traduction française.
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Source dhammadelaforet.org
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