Retraite de méditation Vipassana – Jusqu’au bout de l’ennui
Publié : 31 juillet 2017, 02:19
Cet article est le deuxième volet du récit de la retraite de méditation de dix jours que
j'ai réalisée en Inde. Pour lire le début: méditation en Inde.
Ce premier réveil à 4h du matin n’est pas aussi pénible que je pensais. Je suis curieuse de voir comment va se dérouler cette journée. Dans la nuit noire, nous nous dirigeons silencieusement vers le grand hall pour la première séance de méditation matinale, de 4h30 à 6h30. Assise en tailleur, j’attends les consignes pour commencer. Je n’ai pas de montre, et je ne vois pas d’horloge dans la salle plongée dans l’obscurité, alors difficile d’avoir une conscience précise du temps qui passe. Personne ne nous donne aucune directive, alors je reprends les consignes de la veille au soir: concentrer toute son attention sur la zone triangulaire formée par les narines et la lèvre supérieure et observer sa respiration. C’est d’un ennui terrible. Le gong de 6h30 sonne comme une libération!
Le soleil se lève et c’est l’heure du petit-déjeuner. Repas léger et végétarien. Mieux vaut manger avec bon appétit tout de même, car avec le déjeuner de 11h, ce sont les deux seuls repas de la journée. Je commence à réaliser pleinement que le programme des 10 prochains jours va être un peu aride. Tout s’articule autour des horaires de méditation (10h30 par jour), et le reste, c’est juste pour manger, faire sa toilette ou dormir. On n’a déjà pas le droit de parler, lire ou écrire, mais on n’a pas le droit non plus de faire du sport, ou du yoga, ou une quelconque autre activité.
Emploi du temps d'une retraite de méditation Vipassana
Emploi du temps d’une retraite de méditation Vipassana
Reprise de la méditation à 8h. Cette fois-ci, on a droit à des consignes: un enregistrement audio, en hindi, puis en anglais, mais en fait, ce sont exactement les mêmes qu’hier soir. Observer sa respiration et les sensations sur le triangle formé par les narines et la lèvre supérieure: l’air qui rentre et sort par les narines, les picotements sur le nez, les frémissements sur la lèvre supérieure produits par le courant d’air. Juste observer la respiration naturelle, rien d’autre. Je suis un peu décontenancée par la monotonie de l’exercice. En plus, à force d’être assise par terre, je commence à avoir un peu mal aux genoux et mal au dos. Je déplie et replie mes jambes pour tenter de trouver une meilleure position. Mon esprit a beaucoup de mal à rester concentré sur la méditation. Je me demande ce que je fabrique ici, pourquoi j’ai eu cette idée… Puis vient l’envie de dormir. Je pique du nez et lutte contre l’envie irrépressible de m’allonger. J’ai trouvé où était l’horloge dans la salle, mais c’est presque pire. Plus je regarde l’heure, moins le temps passe vite.
Il en sera ainsi toute la journée. Trois heures de méditation de 8h à 11h, puis quatre heures l’après-midi. Jusqu’au bout de l’ennui on peut dire. La pause « goûter » de 17h arrive comme une délivrance! On a droit à un thé, une banane et du riz soufflé. Ca remplace le dîner car après le déjeuner de 11h il n’y a rien d’autre à manger. Reprise de la méditation à 18h.
Une opération chirurgicale de l’esprit
Cette première journée s’achève de manière difficile. Je ne m’attendais pas à un « programme » aussi aride et monotone. Le discours du « gourou » de la méthode Vipassana, S.N. Goenka, projeté sur une télévision de 19h à 20h30 (vidéo ci-dessous), vient tout de même apporter quelques explications et mettre les choses en perspectives. Il compare la retraite de méditation à une « opération chirurgicale de l’esprit ». Sauf qu’ici, il n’y a pas de chirurgien, ou plutôt, on est soi-même le chirurgien. Le but de la méditation Vipassana est de purifier son esprit, non juste en surface, mais en profondeur, jusqu’au subconscient. L’inconfort, les douleurs, les résistances du corps et de l’esprit qu’on peut ressentir à rester assis près de 11h par jour à méditer font partie du processus. Il explique qu’il faut faire face à cela avec détermination, comme quand on se fait opérer à l’hôpital. Cette métaphore est une bonne image en tout cas. Je suis ici à l’hôpital pour purifier mon esprit, alors il va falloir que j’accepte les difficultés qui se présentent.
Les deux jours suivants se suivent et se ressemblent. Réveil, méditation, petit-déjeuner, douche, méditation, déjeuner, sieste, méditation, gouter, méditation, discours, méditation, coucher. J’ai l’impression de devenir dingue ici. Les minutes et les heures passent très lentement. Je teste toutes les positions assises possibles pour trouver la moins inconfortable. Je passe beaucoup de temps à lutter contre le sommeil. Le réveil à 4h du matin rend les nuits assez courtes et je n’arrive jamais à m’endormir avant 23h. J’ai compris que l’épreuve fait partie de l’exercice. J’essaie de voir cette expérience comme un « stage commando de l’esprit ». La méditation, finalement c’est comme un sport, ou n’importe quelle autre activité exigeante: il faut « en chier » pour obtenir des résultats; dépasser ses limites pour renforcer son esprit.
L’exercice reste toujours et invariablement le même: observer sa respiration. Le 3e jour, le périmètre anatomique se restreint encore même davantage: il faut fixer son esprit sur le triangle à la base des narines et le haut de la lèvre supérieure (ça doit faire 1cm2). Et ça, pendant 10h30 assis par terre en tailleur. Je n’ai jamais vécu une telle expérience aussi pénible et ennuyeuse. J’essaie de me concentrer sur la méditation, mais j’ai plein d’idées qui m’assaillent l’esprit. J’ai envie de commencer un nouveau travail, lancer un nouveau site internet, je m’imagine me marier avec untel, avoir des enfants… Deux heures après je change d’avis, je me marie avec un autre, change à nouveau de travail… J’ai du mal à maîtriser toutes ces pensées qui affluent tel un torrent dans ma tête.
Pourtant, à force de travail et détermination, j’arrive à affiner mes sensations. Je sens la différence de température entre l’air inspiré (plus froid) et l’air expiré (plus chaud), le frémissement des poils de duvet sous le nez, les différences de sensations entre les deux narines, les picotements, les pulsations… Quand on médite, on ne pense à rien. C’est le contraire de réfléchir en fait. On est entièrement absorbé par les sensations du corps.
Au soir du troisième jour, nous apprenons lors du traditionnel discours quotidien télévisé qu’en fait tout cela n’était qu’une introduction. Une étape difficile, mais nécessaire pour renforcer et affûter notre esprit. La véritable méditation Vipassana commence demain. Je m’efforce de garder ma motivation avec patience, persévérance et détermination. A suivre: méditation, le voyage intérieur…
Source
j'ai réalisée en Inde. Pour lire le début: méditation en Inde.
Ce premier réveil à 4h du matin n’est pas aussi pénible que je pensais. Je suis curieuse de voir comment va se dérouler cette journée. Dans la nuit noire, nous nous dirigeons silencieusement vers le grand hall pour la première séance de méditation matinale, de 4h30 à 6h30. Assise en tailleur, j’attends les consignes pour commencer. Je n’ai pas de montre, et je ne vois pas d’horloge dans la salle plongée dans l’obscurité, alors difficile d’avoir une conscience précise du temps qui passe. Personne ne nous donne aucune directive, alors je reprends les consignes de la veille au soir: concentrer toute son attention sur la zone triangulaire formée par les narines et la lèvre supérieure et observer sa respiration. C’est d’un ennui terrible. Le gong de 6h30 sonne comme une libération!
Le soleil se lève et c’est l’heure du petit-déjeuner. Repas léger et végétarien. Mieux vaut manger avec bon appétit tout de même, car avec le déjeuner de 11h, ce sont les deux seuls repas de la journée. Je commence à réaliser pleinement que le programme des 10 prochains jours va être un peu aride. Tout s’articule autour des horaires de méditation (10h30 par jour), et le reste, c’est juste pour manger, faire sa toilette ou dormir. On n’a déjà pas le droit de parler, lire ou écrire, mais on n’a pas le droit non plus de faire du sport, ou du yoga, ou une quelconque autre activité.
Emploi du temps d'une retraite de méditation Vipassana
Emploi du temps d’une retraite de méditation Vipassana
Reprise de la méditation à 8h. Cette fois-ci, on a droit à des consignes: un enregistrement audio, en hindi, puis en anglais, mais en fait, ce sont exactement les mêmes qu’hier soir. Observer sa respiration et les sensations sur le triangle formé par les narines et la lèvre supérieure: l’air qui rentre et sort par les narines, les picotements sur le nez, les frémissements sur la lèvre supérieure produits par le courant d’air. Juste observer la respiration naturelle, rien d’autre. Je suis un peu décontenancée par la monotonie de l’exercice. En plus, à force d’être assise par terre, je commence à avoir un peu mal aux genoux et mal au dos. Je déplie et replie mes jambes pour tenter de trouver une meilleure position. Mon esprit a beaucoup de mal à rester concentré sur la méditation. Je me demande ce que je fabrique ici, pourquoi j’ai eu cette idée… Puis vient l’envie de dormir. Je pique du nez et lutte contre l’envie irrépressible de m’allonger. J’ai trouvé où était l’horloge dans la salle, mais c’est presque pire. Plus je regarde l’heure, moins le temps passe vite.
Il en sera ainsi toute la journée. Trois heures de méditation de 8h à 11h, puis quatre heures l’après-midi. Jusqu’au bout de l’ennui on peut dire. La pause « goûter » de 17h arrive comme une délivrance! On a droit à un thé, une banane et du riz soufflé. Ca remplace le dîner car après le déjeuner de 11h il n’y a rien d’autre à manger. Reprise de la méditation à 18h.
Une opération chirurgicale de l’esprit
Cette première journée s’achève de manière difficile. Je ne m’attendais pas à un « programme » aussi aride et monotone. Le discours du « gourou » de la méthode Vipassana, S.N. Goenka, projeté sur une télévision de 19h à 20h30 (vidéo ci-dessous), vient tout de même apporter quelques explications et mettre les choses en perspectives. Il compare la retraite de méditation à une « opération chirurgicale de l’esprit ». Sauf qu’ici, il n’y a pas de chirurgien, ou plutôt, on est soi-même le chirurgien. Le but de la méditation Vipassana est de purifier son esprit, non juste en surface, mais en profondeur, jusqu’au subconscient. L’inconfort, les douleurs, les résistances du corps et de l’esprit qu’on peut ressentir à rester assis près de 11h par jour à méditer font partie du processus. Il explique qu’il faut faire face à cela avec détermination, comme quand on se fait opérer à l’hôpital. Cette métaphore est une bonne image en tout cas. Je suis ici à l’hôpital pour purifier mon esprit, alors il va falloir que j’accepte les difficultés qui se présentent.
Les deux jours suivants se suivent et se ressemblent. Réveil, méditation, petit-déjeuner, douche, méditation, déjeuner, sieste, méditation, gouter, méditation, discours, méditation, coucher. J’ai l’impression de devenir dingue ici. Les minutes et les heures passent très lentement. Je teste toutes les positions assises possibles pour trouver la moins inconfortable. Je passe beaucoup de temps à lutter contre le sommeil. Le réveil à 4h du matin rend les nuits assez courtes et je n’arrive jamais à m’endormir avant 23h. J’ai compris que l’épreuve fait partie de l’exercice. J’essaie de voir cette expérience comme un « stage commando de l’esprit ». La méditation, finalement c’est comme un sport, ou n’importe quelle autre activité exigeante: il faut « en chier » pour obtenir des résultats; dépasser ses limites pour renforcer son esprit.
L’exercice reste toujours et invariablement le même: observer sa respiration. Le 3e jour, le périmètre anatomique se restreint encore même davantage: il faut fixer son esprit sur le triangle à la base des narines et le haut de la lèvre supérieure (ça doit faire 1cm2). Et ça, pendant 10h30 assis par terre en tailleur. Je n’ai jamais vécu une telle expérience aussi pénible et ennuyeuse. J’essaie de me concentrer sur la méditation, mais j’ai plein d’idées qui m’assaillent l’esprit. J’ai envie de commencer un nouveau travail, lancer un nouveau site internet, je m’imagine me marier avec untel, avoir des enfants… Deux heures après je change d’avis, je me marie avec un autre, change à nouveau de travail… J’ai du mal à maîtriser toutes ces pensées qui affluent tel un torrent dans ma tête.
Pourtant, à force de travail et détermination, j’arrive à affiner mes sensations. Je sens la différence de température entre l’air inspiré (plus froid) et l’air expiré (plus chaud), le frémissement des poils de duvet sous le nez, les différences de sensations entre les deux narines, les picotements, les pulsations… Quand on médite, on ne pense à rien. C’est le contraire de réfléchir en fait. On est entièrement absorbé par les sensations du corps.
Au soir du troisième jour, nous apprenons lors du traditionnel discours quotidien télévisé qu’en fait tout cela n’était qu’une introduction. Une étape difficile, mais nécessaire pour renforcer et affûter notre esprit. La véritable méditation Vipassana commence demain. Je m’efforce de garder ma motivation avec patience, persévérance et détermination. A suivre: méditation, le voyage intérieur…
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