La patience par Ajahn Sumedho

sérénité

La Patience

Par Ajahn Sumedho

Traduit par Hervé Panchaud

Savoir endurer patiemment est la vertu suprême.
Dhammapada 184

La patience est une vertu très prisée dans le monde bouddhiste, alors qu’elle est peu valorisée dans la société matérialiste où sont mises en exergue l’efficacité et la rapidité à obtenir ce que l’on convoite. Avec toutes ces choses jetables qui sont produites aujourd’hui, dès que nous ressentons le désir ou le besoin de quelque chose, nous pouvons l’obtenir rapidement et, si ce n’est pas le cas, nous en sommes irrités et contrariés, et nous nous plaignons... "Ce pays va à vau l’eau", entendons-nous souvent dire, n’est-ce pas ? Les gens se plaignent parce qu’il y a des grèves, que le service n’est pas assez rapide, que leurs désirs ne sont pas satisfaits assez vite, et qu’ils doivent donc attendre et faire preuve de patience.

Voyez comment, durant une méditation assise, dès qu’une douleur survient dans une partie de votre corps, vous devenez impatient et cherchez de façon systématique à échapper à cette douleur. Si vous avez de la fièvre ou si vous tombez malade, voyez comme vous en voulez à votre organisme pour tous les ennuis et les complications qu’il provoque, et comment vous cherchez à éliminer cette douleur au plus vite.

La patience est sans doute la vertu la plus importante à développer pour celui qui pratique la méditation parce que, s’il n’a pas de patience, le développement spirituel lui sera absolument impossible. Il pourrait se dire : "Je vais choisir la pratique du Zen qui conduit à la connaissance instantanée, et ne pas m’embarrasser avec le Theravada qui demande un temps si long de pratique. Je veux l’éveil immédiat pour n’avoir pas à attendre et à faire toutes ces choses ennuyeuses qui prennent tant de temps et auxquelles je ne veux pas me consacrer. Peut-être que je pourrais prendre des cours, que je pourrais avaler une pilule miracle ou me connecter à une machine qui me ferait connaître l’éveil instantané".

Je me souviens, quand le LSD commença à être connu, les gens disaient que c’était le chemin le plus rapide pour atteindre l’Éveil : « Il vous suffit d’avaler ce comprimé et vous comprendrez tout ! Inutile d’aller vous enfermer dans un monastère ou de vous compliquer la vie en vous faisant ordonner moine. Prenez cette pilule et vous aurez l’Éveil. Allez à la pharmacie ou chez le dealer du coin … vous n’avez pas à vous engager à quoi que ce soit ! »

Ne serait-ce pas merveilleux s’il n’y avait que cela à faire ? Mais, après quelques "trips" sous LSD, les gens ont commencé à comprendre que les expériences d’"illumination" disparaissaient et qu’ils se retrouvaient ensuite dans une situation encore plus désastreuse qu’avant. Aucune patience.

Dans un monastère, l’entraînement à la patience fait partie de notre mode de vie. Dans un monastère de forêt du nord-est de la Thaïlande, vous avez toutes les chances de devenir patient parce que la vie y est fastidieuse et que vous devez l’endurer. Vous devez pouvoir supporter toutes sortes d’expériences physiquement déplaisantes, comme le paludisme et la saison chaude. La saison chaude dans le nord-est de la Thaïlande est la chose la plus morne et désespérante que j’aie pu connaître dans ma vie. Dès le matin, au réveil, on se dit : "Encore un autre jour" – tout semble si morne. " Une autre journée chaude, un jour sans fin de chaleur, avec les moustiques et la sueur." Un jour sans fin – l’un après l’autre.

Et puis l’on se dit que c’est là une occasion sensationnelle de développer la patience ! Vous entendez parler de centres de méditation en Amérique où l’on expérimente de nouvelles voies pour atteindre la Connaissance ; des endroits où vous pourriez vous impliquer dans des relations interpersonnelles enrichissantes et faire nombre de choses fascinantes qui vous mèneraient à l’Éveil. Et vous restez assis là, en pleine saison sèche, par un jour brûlant et morne, qui semble ne pas vouloir finir, un jour où chaque heure est une éternité à vous dire : "Mais qu’est-ce que je fais ici ? Je pourrais être en Californie, avoir une vie passionnante, faire des choses fascinantes et parvenir à l’Éveil d’une manière plus rapide et plus définitive que dans ce coin perdu de Thaïlande". Vous recevez des lettres d’amis américains, impatients, qui ont fait le tour du monde, qui ont rendu visite à tous les maîtres et tous les gourous de la terre. "Mais qu’est-ce que je fais ici, à tremper mes habits de sueur et à me faire dévorer par les moustiques ?"

C’est alors que vous vous rappelez : "Je dois développer la patience. Si, dans cette vie, je peux apprendre à être patient, je n’aurai pas vécu en vain. Etre seulement un peu plus patient, ce sera déjà bien. Je ne vais pas aller en Californie pour m’investir dans ces groupes de rencontre fascinants, essayer ces thérapies modernes et participer à ces expériences scientifiques ... Je vais rester là et apprendre à être patient avec ces moustiques qui me piquent les bras … apprendre la patience au long de cette morne saison sèche qui semble vouloir durer toujours."

Souvent, je me disais aussi : "Mon esprit est trop vif, trop brillant ; c’est pour cela qu’il est traversé par un si grand nombre de pensées". Comme j’avais toujours voulu avoir une personnalité intéressante, je m’étais formé dans ce sens, cherchant à acquérir toutes sortes d’informations inutiles et d’idées stupides afin de passer pour quelqu’un de passionnant et de divertissant. Mais tout ceci est futile et vain dans un monastère du nord-est de la Thaïlande ; ce n’est qu’une habitude mentale qui tourne sans cesse dans la tête quand on est seul, sans personne à charmer, et cela n’a plus rien de fascinant.

Au lieu de chercher à devenir charmeur et fascinant – je voyais bien combien c’était inutile – j’ai commencé à observer les buffles d’eau, me demandant ce qui pouvait bien se passer sous leur crâne. Il n’y a pas de créature au monde à l’apparence plus stupide que le buffle d’eau de Thaïlande. C’est une grosse créature lourdaude à l’air morne. "Voilà ce qu’il me faut ! Je vais m’asseoir dans mon kouti et rester là, à transpirer en essayant d’imaginer quelles peuvent être les pensées d’un buffle d’eau." Alors je m’asseyais et je tentais de recréer dans mon esprit l’image d’un buffle d’eau jusqu’à devenir plus stupide, plus terne et plus patient, délaissant cette personnalité intéressante, intelligente et fascinante ...

Apprendre seulement à être plus patient avec les choses telles qu’elles sont en nous-mêmes – nos blocages, nos pensées obsessionnelles, notre esprit inquiet – et telles qu’elles sont à l’extérieur. C’est comme ici, à Chithurst : combien d’entre vous sont-ils vraiment patients ici ? J’entends certains se plaindre de devoir travailler trop dur, ou bien de manquer de temps, d’avoir trop de ceci ou pas assez de cela : trop de monde, pas assez d’intimité ... C’est ainsi que l’esprit fonctionne, n’est-ce pas ? On peut toujours imaginer un endroit où l’on serait mieux. Mais la patience, cela signifie que vous devez prendre les choses comme elles sont, là, maintenant. Combien d’entre vous seraient prêts à méditer tout au long d’une saison chaude dans le nord-est de la Thaïlande ? A passer toute une année à souffrir d’une maladie tropicale, patiemment, sans désirer vouloir rentrer à la maison et retrouver une mère qui prendrait soin de vous ?

Nous avons encore l’espoir que l’Eveil fera de nous une personne plus intéressante que le commun des mortels : « Si je pouvais atteindre l’Eveil, je pourrais certainement être content de moi à nouveau ! » Mais la sagesse du Bouddha est une sagesse faite d’humilité ; il faut beaucoup de patience pour devenir un sage comme le Bouddha. La sagesse du Bouddha n’est pas une forme de sagesse très spectaculaire – ce n’est pas comme être un physicien nucléaire, un psychiatre ou un philosophe. La sagesse du Bouddha rend très humble parce qu’elle sait que tout apparaît et disparaît, et que rien n’est personnel. Elle sait donc que, quoi qu’il se produise dans le corps et l’esprit, il s’agit d’un phénomène conditionné, et que tout ce qui apparaît, disparaît. Et elle reconnaît le Non-conditionné comme étant Non-conditionné.

Mais est-il si intéressant ou fascinant de connaître le Non-conditionné ? Essayez d’imaginer ce qu’il pourrait y avoir d’intéressant dans la connaissance du Non-conditionné ! On peut se dire : "Je voudrais connaître Dieu ou le Dhamma ; ce sera incroyablement fascinant – le bonheur, l’extase." Alors vous cherchez, par le biais de la méditation, à faire ce type d’expérience. Vous vous dites que cette excitation vous rapproche du but. Mais le Non-conditionné n’est pas plus excitant que l’espace de cette salle. L’espace de cette salle est-il intéressant à regarder ? Pas pour moi : il est assez semblable à l’espace d’une autre salle. Les choses se trouvant dans cette pièce peuvent être plus ou moins intéressantes – ou bonnes ou mauvaises, belles ou laides – mais l’espace ... qu’y-a-t-il à en dire ? Il n’y a rien que vous puissiez penser ou dire à son sujet. Il n’a pas d’autre caractéristique que d’être … spacieux. Et pour pouvoir être véritablement "spacieux" soi-même, il faut être patient.

Comme vous ne pouvez vous saisir de rien, vous reconnaissez l’espace au fait que vous ne vous emparez pas des objets de la pièce. Quand vous lâchez prise, quand vous cessez vos obsessions, vos jugements, vos critiques et vos évaluations sur les choses et les gens présents dans cette pièce, vous commencez à faire l’expérience de son espace. Mais cela nécessite une bonne dose de patience et d’humilité. Ce sont notre orgueil et notre fierté qui sont à l’origine de nos opinions : si nous aimons ou pas cette représentation du Bouddha, la gravure qui est disposée derrière, la couleur des murs ; ou encore si nous trouvons inspirants ces portraits d’Ajahn Mun et d’Ajahn Chah. Mais là, nous restons assis dans l’espace, tout simplement. Le corps commence à devenir douloureux, nous devenons agités, ou bien somnolents mais nous persévérons, nous observons et écoutons. Nous écoutons l’esprit – les plaintes de l’esprit, les peurs, les doutes et les inquiétudes – non pas pour parvenir à des conclusions fascinantes sur nous-mêmes en tant que personnes, mais pour arriver à la connaissance toute simple que tout ce qui apparaît, disparaît.

La sagesse du Bouddha n’est rien d’autre : connaître le conditionné en tant que conditionné, et le Non-conditionné comme Non-conditionné. Les bouddhas reposent dans l’Inconditionné et, sauf en cas de nécessité, ne se laissent plus absorber par quoi que ce soit. Ils ne sont plus trompés par les phénomènes conditionnés, et ne sont attirés que par l’Inconditionné, l’espace et la vacuité – plus par les phénomènes impermanents qui emplissent l’espace.

Pendant la méditation, maintenant, alors que vous prenez conscience de la vacuité de l’esprit, de toute l’étendue de l’esprit, vos attachements et vos répulsions habituels, vos peurs, vos doutes et vos inquiétudes relatifs à tout ce qui est conditionné diminuent. Vous commencez à comprendre que ce ne sont que des choses qui apparaissent et disparaissent, qu’il n’y a pas de soi, rien qui mérite que l’on s’enthousiasme ou que l’on se lamente : les choses sont comme elles sont. Nous pouvons permettre aux phénomènes d’être simplement, car ils vont et viennent – comme leur nature est de disparaître, nous n’avons pas à les faire disparaître. Nous devons être suffisamment libres, patients et endurants afin de laisser les choses suivre leur cours naturel. De cette manière, nous pouvons nous libérer des tensions, des conflits et de la confusion de l’esprit ignorant qui passe tout son temps à évaluer et sélectionner, pour essayer de retenir ceci et rejeter cela.

Je vous prie de réfléchir à ce que je viens de vous dire, et de prendre tout le temps nécessaire pour supporter ce qui paraît insupportable. Ce qui semble insupportable est supportable si vous savez être patient. Sachez être patient avec les autres et avec le monde tel qu’il est, au lieu de vous appesantir sur ce qui ne va pas et sur ce que vous feriez si vous pouviez changer les choses. Souvenez-vous que le monde est comme il est, ici et maintenant – il ne peut être différent. La seule chose que nous puissions faire, c’est être patients avec le monde tel qu’il est. Cela ne veut pas dire que nous approuvions tout, et que nous l’aimions ainsi. Cela signifie simplement que nous pouvons vivre en paix avec lui, plutôt que continuer à nous plaindre et à nous rebeller, causant davantage de friction et de confusion, lesquelles viennent s’ajouter à la confusion née du fait que nous croyons à la réalité de notre propre confusion.

Ajahn Sumedho


Le Dhamma de la Forêt


http://www.buddhaline.net/spip.php?article1577
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