Les 5 aspects de la conscience - par Stephen Batchelor

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Transcription Evelyne Boutron.


Je voudrais parler cet après-midi de la conscience, de ce que, dans le bouddhisme, on entend par ce mot : la conscience, l'esprit.
 Je crois qu'il y a toujours un problème dès qu'on aborde ce sujet parce qu'on commence à penser intuitivement à une conscience opposée au corps.

Dès l'enfance, dès les premiers souvenirs, on a l'impression qu'il y a une conscience, quelque chose à l'intérieur de nous-mêmes qui regarde le monde, qui écoute les sons, qui connaît, qui est la base de toutes les perceptions que nous avons et que cette conscience a une certaine permanence. Dès l'âge de 2 ou 3 ans, dès qu'on a commencé à avoir des souvenirs, on a commencé à construire l'histoire de soi-même.

Dans mon cas, l'histoire de Stephen. Elle commence à l'âge de 2 ans avec un souvenir d'être dans un avion et de regarder à travers le hublot la ville de Toronto au Canada. Dès ce moment-là, j'ai l'impression que ce même Stephen a vécu toutes les autres choses dans la vie de Stephen, de l'âge de 2 ans jusqu'à maintenant, à l'âge de 51 ans. Donc 49 ans de continuité de cette expérience, cette sensation très forte, très évidente d'être la même personne qui a vécu la vue sur Toronto depuis le hublot de cet avion jusqu'à ce moment, maintenant où je vous parle et vous dis ces mots. Qu'il s'agit de la même personne, la même intériorité, la même conscience. Il y a ce sentiment, non pas de continuité mais de permanence, de quelque chose qui n'a pas changé pendant tout ce temps-là.
Ceci est tellement évident que c'est devenu la base sur laquelle les gens ont construit des théories d'un soi éternel, d'un soi permanent qui va survivre, même au-delà de la mort. Et il se peut que toutes ces croyances en une vie intérieure, en une vie future soient fondées sur cette intuition donnée à l'intérieur de nous-mêmes de quelque chose qui ne change pas.
Le monde change mais cette capacité d'être conscient de ce qui arrive autour de nous ne change pas.

Alors, comme vous savez, le bouddhisme est très critique envers cette intuition, cette sensation, cette conviction que nous sommes toujours le même. Je crois, qu'imprégnés de cette notion d'être un être conscient, nous avons aussi cette illusion d'être quelqu'un qui ne change jamais. Mais si on réfléchit un tout petit peu, il est aussi évident que le corps a changé. Il m'est absolument impossible d'identifier mon corps de maintenant avec celui du petit garçon de 2 ans que j'étais. Et, quand je réfléchis un peu plus profondément, je me rends compte que la conscience, c'est à dire les sentiments, les perceptions, les pulsions et toutes les choses qui composent ce que j'appelle la conscience, sont aussi des choses qui changent tout le temps. Ces changements sont évidents.

Quand nous pratiquons la méditation, surtout la méditation où il n'y a rien d'autre à faire que d'observer et d'être attentif à tout ce qui se passe à l'intérieur et au dehors de nous, nous devenons de plus en plus attentifs à la fluidité des phénomènes intérieurs, des pensées, des émotions, des sentiments. Ils surgissent puis ils passent. Ils surgissent et ils passent. A partir de là, il est même impossible de croire à un soi permanent qui existe ou qui semble exister en nous-mêmes.

Ce point de vue sur la conscience donne une perspective assez importante pour ce type de pratique que nous faisons ici ensemble. Parce que dans un sens, la méditation de l'attention, Vipassana, c'est une rencontre très intime avec soi-même. On essaie simplement d'arrêter et de regarder. Et chaque fois qu'on se trouve distrait, on revient, soit à la respiration, soit à des sensations dans le corps. Mais ce qui est vraiment important et fondamental, c'est de s'arrêter et de regarder.
C'est une chose qui est facile à dire, une chose que nous pouvons facilement enseigner mais qui reste très difficile à faire. Parce que nous sommes vraiment des marionnettes dans le domaine des pulsions, des sentiments, des désirs, des peurs. Toutes ces émotions surgissent sans arrêt. On essaie alors de s'arrêter mais dès qu'on dit ça, on ressent un contre-courant de toutes les choses qui surgissent tout le temps.
Les pensées, les émotions, il est très difficile de les arrêter. Et en effet, ce n'est pas le but de cette forme de méditation. Quand on parle de s'arrêter, il ne s'agit pas de littéralement arrêter les pensées, les émotions, de trouver une sorte de neutralité, de passivité sans aucune pensée, sans aucune émotion. Encore que ce ne soit pas impossible. Si on fait certaines sortes de méditation, surtout les méditations de la concentration pure, les jhanas, oui il est bien possible de faire arrêter ses pensées et ses émotions pendant un certain temps.
Mais cela n'était certainement pas le but de ce que le Bouddha a enseigné. En effet, quand il était un tout jeune homme et qu'il a quitté son pays, la première méditation qu'il a essayée était celle de la concentration et il est devenu très habile dans cette pratique. Mais cette forme de concentration n'a pas résolu ses questions de base : trouver une réponse authentique à la question de la vie elle-même. La vie se présente à nous comme une sorte de question. Et ces réflexions sur la conscience sont aussi une réflexion sur le mystère d'être des êtres conscients.

Nous sommes tellement impliqués, imbriqués dans le courant de la conscience qu'il est assez rare que nous nous rendions compte que nous sommes des êtres conscients, que nous regardons les choses, écoutons les sons, ressentons des émotions dans le corps. Il est rare que nous soyons conscients que toutes ces choses arrivent et passent. Cela est pour moi la chose la plus mystérieuse qu'on puisse trouver dans la vie.

Cette forme de méditation que nous faisons, c'est une sorte de rencontre avec ce mystère primordial d'être un être conscient, d'être un être vivant, ici, d'être conscient du fait que nous sommes nés et conscients du fait que nous allons mourir. Voilà une conscience de notre impermanence, de notre contingence, nous sommes ici pour le moment mais, qui sait, peut-être dans cinq heures, peut-être demain ou dans un mois, nous ne serons plus ici. Alors la conscience, c'est aussi le fait d'être conscient de notre contingence, de notre impermanence, de la fragilité de notre passage sur cette terre.

Evidemment, la plupart du temps, nous sommes préoccupés par toutes les choses qu'il y a à faire. Nous avons des besoins, des obligations, nous avons beaucoup de choses à faire continuellement et c'est assez rare de trouver des moments où nous nous trouvons seuls, conscients d'être conscients, conscients d'être ici et maintenant. La méditation, c'est une façon d'approfondir cette expérience d'être conscient. On pourrait dire peut-être que Vipassana, ou la méditation en général, est une pratique pour être plus conscient, plus présent, plus dans ce monde, plus sur cette terre, plus dans le monde avec les autres. Mais quand vous essayez de faire ça, comme nous avons essayé de le faire ce matin, comme beaucoup d'entre vous le font régulièrement, chaque jour ou dans les retraites de méditation, chacun se rend compte en effet qu'il passe assez peu de temps à être conscient.

Comme Martine l'a expliqué ce matin avec cet exemple de la rencontre d'un ami sur le trottoir, on croise quelqu'un, on le regarde dans les yeux : il ou elle ne vous voit pas. Et certainement, nous avons tous eu cette expérience d'être physiquement présent mais mentalement absent. Toutes les choses que nous faisons régulièrement, les choses habituelles, il est très facile d'apprendre à les faire sans être conscient de les faire. Par exemple, quand on conduit une voiture, c'est tellement automatique qu'on peut même rêver au volant (pas trop quand même car on risque d'avoir des accidents). On peut faire ces voyages qu'on connaît très bien presque sans être conscient de les faire.

Alors ce que nous faisons ici, c'est le contraire. C'est être de plus en plus conscients, même durant les activités qui nous sont très habituelles. Commencer à apprécier les petits détails de l'expérience. Normalement, quand nous regardons les choses comme les fleurs ou les arbres dans le jardin, ce ne sont que des fleurs et des arbres. On se dit : oui, c'est très beau, et on pense à quelque chose d'autre. Mais quand l'esprit commence à se calmer un peu, quand on commence à être plus attentif aux choses et que ce bavardage constant dans la tête commence à diminuer, ce n'est pas simplement une expérience d'avoir moins de pensées qui est ressentie mais c'est aussi une expérience d'avoir une ouverture beaucoup plus sensible à ce qui se passe à l'intérieur et autour de soi.

C'est quelque chose qui se produit de façon assez courante pendant une retraite, pendant des séances de méditation. On sort après que la cloche ait sonné, et tout à coup on découvre que les fleurs, les feuilles, les poissons rouges dans la mare apparaissent avec une intensité particulière de couleur, de son.

Chaque petit aspect ou détail de ce que nous expérimentons est plus vif, plus présent, presque étonnant. Et je crois que dans le processus de devenir des adultes, nous avons perdu aussi cette capacité d'être étonnés, comme des petits enfants par exemple qui, des fois, habitent dans un monde presque paradisiaque. Et je crois qu'à travers la méditation, il est bien possible de retrouver cette innocence de la conscience, cette pureté de conscience qui est imprégnée de cet étonnement, d'avoir ce choc presque d'être ici, d'être vivant.

Mais quand on pose la question : qu'est-ce que la conscience ? Que veut dire réellement : connaître quelque chose, savoir quelque chose ? C'est une question à laquelle il est très difficile de répondre. On dit tout le temps : oui, je sais, oui je connais cette personne, cette chose. Mais qu'est-ce que ça veut vraiment dire ? Tout le monde sait ce que ça veut dire mais l'expliquer vraiment, c'est très difficile. La façon dont on connaît les choses est quelque chose de profondément mystérieux

Pour nous aider à aborder cette question de la conscience, le Bouddha a enseigné une doctrine où il a parlé de 5 aspects. On a toujours des listes en bouddhisme. Mais elles sont parfois pratiques et utiles. Il a compris que la conscience n'est pas une seule chose. Ce n'est pas quelque chose qui existe en soi-même mais dès qu'on commence à investiguer la nature de la conscience, on découvre que la conscience est multiple, complexe, qu'il y a beaucoup d'aspects, de fonctionnements qui viennent ensemble afin de pouvoir dire : je suis conscient. C'est un peu comme Saint-Augustin, un des pères de l'église, qui disait une fois : "Tant qu'on ne me demande pas ce qu'est le temps, je sais ce que c'est. Mais quand on me demande ce que c'est, je ne sais pas".

Il en est un peu de même avec la conscience. Le Bouddha a lui aussi abordé cette question et il a défini 5 aspects de la conscience. Si on examine chacun de ces aspects, on commence à avoir une idée de ce que la conscience est, qui est moins complexe et moins simpliste.
Je voudrais donc cet après-midi réfléchir à ces 5 aspects de la conscience. Il ne s'agit pas d'un exercice intellectuel ou académique mais il m'a semblé que cette réflexion peut être très utile pour pratiquer la méditation.

Le contact

Ça commence avec cette idée de contact. Quand on dit je suis conscient, ça veut dire qu'au départ il y a quelque chose dans le monde ou en moi-même avec lequel je suis déjà en contact. Les bouddhistes ou la plupart des bouddhistes ne croient même pas qu'il y a une conscience qui existe indépendamment du monde, du monde extérieur et intérieur. Etre conscient, ça veut toujours dire être conscient de quelque chose. C'est une idée qu'on trouve aussi chez Husserl ou Brentano et d'autres philosophes occidentaux : l'intentionnalité de la conscience. La conscience veut toujours dire être conscient de quelque chose. Dans les enseignements de base en bouddhisme, il est très explicite que la conscience se forme seulement quand il y a un objet et un organe des sens et que ces deux choses se trouvent en contact. Par exemple, il y a un rayon de soleil qui touche le mur là-bas et avec ce reflet sur l'œil ou la rétine, on a la possibilité de dire : je vois les ombres sur ce mur. Mais il n'y a pas une conscience à l'intérieur de nous-mêmes, complètement indépendante de toutes les choses autour, qui attend que quelque chose arrive pour être consciente de cette chose. La conscience arrive ou est le produit de cette matrice des expériences des choses autour de nous et dès qu'un son arrive aux oreilles ou qu'une couleur, une forme est présente à nos yeux, à ce moment-là on peut dire : on est conscient, on sait, on connaît quelque chose. Et si le soleil n'est plus là ou s'il n'y a plus de son, on ne peut plus dire qu'il y a une conscience de l'écoute ou une conscience visuelle. Le mot contact qu'on utilise en anglais, en français, est le mot sanskrit qui se dit sparsa. Ça veut dire littéralement toucher. C'est le même mot qui est utilisé pour parler de la capacité du corps, des doigts, de la peau, à être en contact avec les autres choses. C'est l'organe du toucher. Le contact, en anglais, c'est facile à dire : we are always in touch with the world = nous sommes toujours en contact avec le monde. Cela, c'est la première condition de la conscience : être en contact avec les choses. Et bien entendu, le corps, les organes sont perpétuellement dans un état de changement. Ils ne restent pas les mêmes pendant deux moments successifs. Ils sont toujours dans un processus de choses qui changent. Et ce changement, pour nous, est perçu dès que nous nous trouvons en contact avec quelque chose d'autre.

Le sentiment

Ce contact, ce moment de contact a deux aspects qui suivent presque immédiatement après le moment de contact lui-même :
- Le premier effet est qu'on ressent ces choses. On parle ici du sentiment, le Vedana en sanskrit. C'est difficile à traduire car on manque dans nos langues du mot exact pour exprimer ça. Vedana signifie, non pas toutes les choses qu'on appellerait sentiment ou émotion mais ça se réfère à une gamme : aux deux extrémités de cette gamme, on aurait l'agonie d'un côté et l'extase de l'autre. Entre ces deux extrémités, on trouve une gamme de sentiments qui sont soit des choses agréables, soit des choses désagréables soit, pour beaucoup de nos vies, des choses qui se trouvent plus ou moins au milieu : ce n'est ni agréable, ni désagréable, c'est OK, un peu neutre, pas très intéressant. Mais on peut toujours se situer, dès qu'on est conscient de quelque chose, quelque part dans cette gamme de sentiments. Ça veut peut-être dire que la conscience est toujours colorée par le sentiment. Elle n'est pas quelque chose de neutre, c'est toujours une sorte de ressenti qui est plutôt agréable ou plutôt désagréable et parfois ni spécialement l'un ou l'autre.
Quand le Bouddha a enseigné la pratique de l'attention, il a commencé par la respiration, puis par le corps, c'est à dire le contact. Etre conscient d'un corps, c'est être conscient du contact qu'on a avec le sol ou avec les choses qu'on porte sur le corps, les vêtements, la chaleur du corps, etc. Mais au même moment, il y a aussi ce sentiment, cette sensation de plaisir, de bonheur, de souffrance, toute cette gamme dont je viens de parler. La conscience alors est toujours avec une composante affective. Et cette composante affective constitue une partie très importante pour comprendre, surtout dans le bouddhisme, ce qu'est la conscience. Et comme vous l'avez déjà sûrement remarqué, chaque fois qu'on précise un aspect de la conscience de cette façon-là, cette idée de conscience comme étant quelque chose d'indépendant, de séparé et de spécial, commence à se dissoudre.
- Le deuxième effet du contact est que le monde nous apparaît comme quelque chose d'intelligible, qui a une signification. Ça, c'est quelque chose de plus difficile à remarquer : que les choses ont une signification, un sens.


La perception

C'est peut-être tricher un peu, mais je voudrais lire un passage de mon livre : "Le monde est toujours présent avec intelligibilité. Même lorsque vous entendez le chant d'un oiseau que vous n'arrivez pas à identifier, vous vous dites : celui-là, cet oiseau-là, je ne le connais pas. Si un aveugle de naissance était soudain capable de voir, il n'ouvrirait pas les yeux sur le monde des voyants mais il verrait une myriade étonnante de couleurs et de formes qu'il apprendrait par la suite à reconnaître".
J'ai trouvé ces exemples très frappants car ils nous aident à comprendre ce qu'est la perception, la perception des choses.
Encore une fois, il nous paraît totalement évident quand on s'assoit ici, de voir à travers les fenêtres, une clôture, des arbres, des bâtiments comme des choses simplement données, évidentes. Et en effet, toutes les choses que nous reconnaissons, nous avons appris à les reconnaître. La perspective, la distance par exemple, ce n'est pas donné. C'est quelque chose que nous avons appris à comprendre. Et avec ces exemples de personnes qui étaient aveugles de naissance et qui, quelques années plus tard, devenues adultes, ont subi une opération médicale qui a restauré leur vision, on pourrait croire, selon Hollywood, que dès que le pansement a été enlevé, l'homme ou la femme dirait : "ah, comme ce monde est magnifique ! Enfin, je vois les choses !"etc. Mais ce n'est pas comme ça du tout. C'est très bouleversant et chaotique. Ces gens ne comprennent rien de ce qu'ils voient. C'est très pénible. Ils se sentent totalement déboussolés. Pour eux, il n'y a qu'un chaos de couleurs et de formes sans aucun sens. Ils doivent apprendre comment faire, comment construire un monde visuel intelligible. Et ce n'est pas facile. Alors que pour nous, c'est totalement évident. Une des choses les plus difficiles pour eux, c'est d'apprendre à monter un escalier. Parce que sur le plan visuel, c'est très difficile de différencier la portion plate de l'escalier de la portion verticale. Ils préfèrent souvent reprendre leur canne, fermer les yeux et refaire comme avant. Ce qui, pour eux, est beaucoup plus facile, plus évident. Un autre exemple assez simple pour nous : j'imagine qu'il y en a peu d'entre vous qui peuvent lire le chinois. Si j'écrivais sur ce mur un caractère chinois, on le trouverait peut-être assez joli mais il n'aurait aucun sens pour nous. Mais pour les Chinois, c'est immédiatement intelligible comme pour nous les titres de livres ou les mots sur les panneaux. On sait tout de suite ce que ça veut dire sans avoir à réfléchir. Le sens de ces mots paraît sortir du panneau lui-même. Si j'écrivais ici quelque chose comme "merde", tout le monde serait tout de suite choqué par ce graffiti. Le choc serait immédiat. Le sens est déjà donné à cause de notre éducation, de notre enfance qui ont donné un sens au monde. Alors le monde n'arrive pas dès le début comme quelque chose qui a du sens. Le sens est imputé, donné aux choses. Pas seulement aux choses extérieures mais également aux choses intérieures. Et ceci a beaucoup à faire avec le langage, les concepts, tous les moyens que nous avons développés en tant qu'être humains pour comprendre, différencier le monde dans lequel nous nous trouvons.
La perception, ce n'est pas la même chose que la conscience. C'est une partie, une fonction de la conscience comme le sentiment, comme le contact. Quand on s'assoit ici en méditation, on pourrait, si on le voulait, devenir attentif au contact avec les choses, aux sentiments qui surviennent à cause de ces contacts et aux perceptions qui sont présentes dès qu'on se trouve en contact avec n'importe quoi. Avec cette analyse, on déconstruit cette notion d'une conscience pure, d'une conscience donnée.


L'intention

Mais la conscience est encore plus que cela. Etre dans ce monde, ce n'est pas simplement être le récepteur d'impressions, de sons, d'images, de sentiments, de perceptions mais c'est aussi se trouver dans un monde qui se présente comme un champ de possibilités. Quand on se trouve à un moment donné assis en méditation, on se trouve dans un état où le futur est présent sous forme de plusieurs possibilités. On a la possibilité de choisir, de parler, d'agir et cette capacité est quelque chose qui est toujours présente. Le monde et les autres sont une sorte d'appel : qu'allez-vous faire ? Et on a le choix, la liberté, soit de réagir d'une façon habituelle, suivre nos attachements, nos désirs, nos peurs, réagir et agir de la façon que nous connaissons, ou bien nous avons la possibilité d'agir autrement. C'est là je crois qu'on trouve le premier goût de la libération, de la liberté. Normalement, quand on parle de ces choses en bouddhisme, on pense tout de suite à une libération spirituelle, un éveil ou quelque chose comme ça. Mais je crois que la base de cette idée de libération se trouve en chaque instant : est-ce qu'on est libre, vraiment, d'agir dans cette perspective ouverte, présente et consciente ou est-ce qu'on va simplement continuer à faire les choses selon nos habitudes ? On parle beaucoup des habitudes, ici dans le bouddhisme et dans cette méditation : on s'assoit, on devient plus attentif à la respiration par exemple. Puis surgit une idée dans la tête, peut-être une idée très séduisante. Qu'est-ce qu'on va faire ? Voilà une possibilité. Le monde, c'est à dire notre esprit, notre corps, notre biologie peut-être, nous montre une possibilité. Dans la méditation, on travaille effectivement avec le moment où, soit on réagit de façon habituelle, on est séduit par cette idée et on la suit, soit on se dit : voilà une idée, elle est là mais je reste tranquille. Elle arrive, elle va passer. Et je reviens à la respiration. En agissant avec cette liberté, on peut trouver dans cette ouverture une façon de ne pas réagir de manière habituelle. C'est un entraînement à mon avis assez important pour le comportement dans la vie quotidienne.
On se trouve souvent dans la vie dans des situations, avec des personnes qu'on n'aime, des personnes qu'on n'aime pas qui nous offrent aussi des possibilités d'agir. Dans ces situations aussi, bien entendu c'est plus difficile, il y a beaucoup de pression mais en nous-mêmes, c'est le même défi : est-ce qu'on réagit ou est-ce qu'on agit d'une façon différente ? Alors cette pratique d'agir d'une façon différente, c'est quelque chose qu'on fait ici dans la méditation chaque fois qu'une idée ou une sensation surgissent et que nous nous trouvons au bord des habitudes et des réactions habituelles. Avoir la possibilité de ne pas les suivre, c'est, je crois, la libération. Rester avec l'ouverture. On ne nie pas les choses. On est beaucoup plus présent avec les sentiments, les émotions, les pensées, même les pensées et les choses les plus douloureuses. On les accepte, non pas passivement : "c'est comme ça, je ne peux rien faire". Mais par une acceptation qui dit : oui, voilà la réalité du moment. Je suis libre d'agir, non suivant des pulsions qui me poussent à faire quelque chose d'habituel, mais je suis libre de ne pas réagir d'une telle façon. Je suis libre de simplement rester avec ce qui est là, de le regarder, de le contempler, d'apercevoir que c'est peut-être quelque chose de vraiment douloureux, de ressentir ces choses au lieu de, immédiatement, me mettre en opposition avec elles et, soit de fuir dans les fantaisies ou ailleurs dans une autre pièce, soit de réagir agressivement, avec la haine, la frustration, l'irritation.
Alors si on revient à la conscience, c'est aussi un champ de possibilités, un champ de possibles. La conscience est toujours au seuil de l'action. Toujours. Le mot en sanskrit est Cetana. Normalement il est traduit comme l'intention qui, pour le Bouddha, est exactement le même mot que le karma. Le karma est un des mots les plus difficiles à comprendre dans le bouddhisme et on a beaucoup d'idées très bizarres autour de lui mais quand les disciples demandaient au Bouddha : qu'est-ce que le karma ? Il répondait toujours : "le karma, c'est le cetana, c'est l'intention. C'est quelque chose qui est toujours là, avec chaque moment de la conscience. La conscience est toujours soit en action, agissante, soit sur le seuil de l'action, sur le point d'agir. C'est constitutif de la conscience elle-même d'être en action ou sur le point d'agir. La conscience répond toujours au monde, aux choses ou aux personnes.

L'attention

Nous avons maintenant couvert le contact, le sentiment, la perception, l'intention ou la possibilité d'agir. Le 5è aspect dont parlait le Bouddha, c'est l'attention.
L'attention, c'est la capacité de la conscience de focaliser sur un objet, n'importe lequel et de rester concentré avec ça. Soit pendant deux ou trois secondes, ce qui, pour la plupart d'entre nous est normal, soit pour plus longtemps. Comme Martine disait ce matin, quand on regarde un film très intéressant, on peut rester concentré, focalisé pendant deux ou trois heures sans aucune douleur dans le corps … C'est incroyable ça ! Ma mère me demandait : comment peux-tu t'asseoir pendant des heures comme ça ? Et je lui répondais : comment peux-tu t'asseoir devant la télé comme ça pendant des heures ? Sur le fait de s'asseoir et de se concentrer, ça ne fait pas une grande différence…
L'attention, c'est certainement quelque chose de central dans la pratique. Le Bouddha a souvent utilisé un terme Manasikara qui veut dire l'attention juste, l'attention sage, l'attention appropriée. Et la pratique pour lui, c'était la pratique de l'attention appropriée. C'est à dire un entraînement à cultiver une façon de regarder, d'écouter les choses, de se concentrer, de réfléchir sur les choses.
Manasikara en sanskrit veut dire littéralement : manas, c'est l'esprit, kara, c'est l'action, l'activité de l'esprit qui est focalisée, qui concentre sur les tâches, les objets, les buts qui nous intéressent.
L'entraînement dans la méditation ou dans le dharma, c'est l'entraînement d'une certaine sorte d'attention. On est toujours attentif mais on peut être attentif de façons complètement diverses. Souvent, on est attentif à soi-même : aux choses dont on a besoin, que l'on désire, que l'on n'aime pas, etc. On pense toujours à soi-même. Je, je, moi, moi. C'est le point central d'une grande partie de notre attention. Et ça, ce n'est pas quelque chose de nécessaire. Agir ainsi n'est pas inévitable. Avec l'entraînement, la conscience s'élargit, on en vient à faire attention à des choses qui ne sont plus seulement liées à soi. Peut-être à ce que, dans le bouddhisme, on appelle l'absence de soi. On peut être attentif à ça. Regarder, contempler l'expérience de chaque moment avec cette perspective, cette optique de non-soi, de tout ce qui arrive dans l'esprit ou autour de soi, ce n'est ni moi, ni le mien et on s'entraîne alors à regarder le monde dans cette perspective au lieu d'être toujours et névrotiquement obsédé par : qu'est-ce que ça veut dire pour moi ? Qu'est-ce que je peux faire pour moi, dans cette situation-là ?
Ceci est vraiment l'esquisse d'un enseignement que j'avais initialement étudié avec Géshé Rabten en Suisse parce que les Tibétains aussi ont cette façon d'expliquer le fonctionnement de la conscience. Mais on le trouve aussi dans les textes du Bouddha en pali.
Alors, finalement, quelle est donc la relation entre ces cinq éléments : le contact, le sentiment, la perception, l'intention, l'attention et la conscience elle-même ? Géshé Rabten expliquait que, comme une main a les doigts, la peau, les os, les nerfs et le sang, il est impossible de réduire la main aux doigts, à la peau, aux os mais c'est impossible pour la main de fonctionner sans les doigts, la peau, les os, les nerfs et le sang. Alors la même relation existe entre le contact, le sentiment, la perception, l'intention, l'attention et la conscience. La conscience est l'ensemble de toutes ces parties. Ce n'est pas quelque chose qui existe séparément de ces choses mais ce n'est pas non plus quelque chose qui peut être réduit à une de ces parties. Il faut avoir ces cinq éléments ensemble et dès qu'ils fonctionnent ensemble, on peut dire : je suis conscient. Je sais quelque chose. Je connais quelque chose. On connaît et on sait quelque chose parce qu'on est en contact avec, on ressent cette chose, on perçoit cette chose, cette chose est intelligible, elle a un sens pour nous, on peut maintenant être en relation avec cette chose, on peut agir, on peut réagir, la chose donne des possibilités de saisir ou de laisser tomber. Et ça nous donne la possibilité d'être attentif. De focaliser notre attention sur cet objet. Et ces cinq fonctions ensemble produisent ce qu'on appelle la conscience. Si ces fonctions n'existent plus, la conscience n'arrivera pas.
Texte intégral:
http://www.vipassana.fr/Textes/StephenB ... rum104.htm
http://www.vipassana.fr/Textes/StephenB ... eSuite.htm
Cinq clefs pour la parole correcte :
- dire au bon moment, prononcer en vérité, de façon affectueuse, bénéfique et dans un esprit de bonne volonté."
Iskander

Merci pour ce texte, l'intuition fulgurante que le bouddhisme a de la conscience est une des choses qui m'a le plus captivé avec cette forme de pensée, et ce texte l'explique de façon très didactique, avec quelques allusions à la production interdépendante et le non-soi.

Je pense qu'en lisant ce texte j'ai finalement compris pourquoi Bouddha n'a pas cru bon de parler de mémoire dans son analyse de la conscience. Après tout, la mémoire conditionne de façon fondamentale notre conscience, mais visiblement le Bouddha reste toujours aussi pragmatique et parle de ce conditionnement (perception) plutôt que de l'objet conditionnant. Ceci étant dit, je ne suis pas sûr que la mémoire puisse être réduite à sa fonction "perceptuelle" dans la description de son fonctionnement au niveau de la conscience.

Le texte mérite cependant quelques remarques:

1 - Je ne vois pas très bien la différence entre la façon dont Stephen Batchelor décrit Vipassana et la pratique de la méditation de concentration. Se concentrer sur la respiration ou le corps, et laisser passer les pensées qui ne sont pas la respiration ou le corps me semble être une bonne description de la méditation de concentration, non?

2 - Je ne suis pas d'accord avec l'interprétation que SB a de l'intention telle qu'exprimée par le Bouddha. Pour SB, l'intention est le choix face à plusieurs possibilités, et ce choix est in fine l'expression de la liberté, ou de la libération.

En ce qui me concerne, je pense que parler de "choix" est erroné, car cela évoque la notion de libre arbitre, qui est un concept auquel je ne pense pas que le bouddha croyait. Au contraire, toute sa doctrine et ses recommandations tendent à penser que pour le Bouddha l'idée de libre arbitre est fausse, ou du moins inadaptée pour les humains. Évidemment, ce n'est sans doute pas une coïncidence que moi même pense que le libre arbitre est une notion paradoxale, impossible dans notre univers et donc surnaturelle.

Voici un exemple qui étaye mes dires: plutôt que de faire reposer notre bonne conduite sur notre capacité à faire les bons choix lorsque plusieurs possibilités se présentent, Bouddha nous recommande de transformer notre vie pour rendre le bon choix le plus évident lorsque plusieurs possibilités se présentent: il nous dit d'avoir le moyen de subsistance juste, car il sait que notre dépendance envers notre source de subsistance conditionnera toujours nos choix. Il suffit de voir comment les habitants du village de Fessenheim s'accrochent à la centrale éponyme en dépit de sa vétusté, car leurs moyens de subsistance en dépendent. On pourrait multiplier les exemples (travailleurs dans l’industrie de l'armement, ou de l'amiante, etc). Un excellent exemple de comment notre libre arbitre n'est qu'une fabulation, et qu'en fait nos motivations sont conditionnées par justement des choses comme nos moyens de subsistance, mais pas seulement.

D'ailleurs le Bouddha ne parle pas de choix, mais d'intention, et il y a un monde de différence entre les deux (pour moi intention est un dérivé de motivation, lui même fruit des émotions, mémoires, perceptions, etc). À ce titre, il devient beaucoup plus clair pourquoi est-ce que le Bouddha considérait que karma est intention.
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Merci Iskander pour tes remarques
La pratique de vipassana développe la concentration et la vision directe dans la réalité, les deux à la fois. Par conséquent, il me semble que lorsque tu parles de méditation de la concentration tu parles d'un aspect de vipassana: vipassana inclut l'attention sur la respiration, par une méditation sur la respiration mais aussi l'observation des pensées et des phénomènes
Tu peux consulter ces liens par exemple pour en savoir plus:
http://vipassanasangha.free.fr/meditation.htm
http://dhammadana.org/vipassan/az.php

Pour l'intention je pense qu'effectivement nous avons le choix de nous libérer de nos conditionnements habituels, d'être plus libre, en observant nos réactions et nos sensations, en les acceptant totalement: ainsi, peu à peu, nous devenons plus conscient des instants de conscience qui nous traversent et des intentions qui les animent...

Merci pour ton lien, je le met de côté pour le lire demain (il est tard et demain aux aurores il faut se lever... <<metta>> )

Je réédite ce matin:

Pour la question du libre arbitre,elle est complexe et je n'ai pas la prétention de répondre catégoriquement: je suppose qu'il existe et n'existe pas à la fois car nous sommes tous interdépendants mais nous devons cependant valider en nous mêmes des compréhensions relatives…le fait que nous sommes tous intrinsèquement liés et différents à la fois créé ce double mouvement là…
Ton lien quant à lui me fait penser à l'éruption de la montagne Pelée en Martinique

http://www.ina.fr/sciences-et-technique ... 02.fr.html

L'éruption de la Montagne Pelée en 1902, aurait fait peu de victimes si elle n'avait eu lieu en période électorale. Les élections législatives étaient fixées au dimanche 8 mai, et le gouverneur local, malgré les menaces évidentes du volcan dissuada les habitants d'évacuer la ville de Saint Pierre pour ne pas nuire au taux de participation…le message était clair : il n'y a pas de danger imminent…résultat, deux rescapés sur environ 30 000 habitants…

Mais oui, les moyens d'existence juste, parole juste, effort juste etc…sont importants…et l'histoire n'est souvent qu'un sempiternel recommencement...
Cinq clefs pour la parole correcte :
- dire au bon moment, prononcer en vérité, de façon affectueuse, bénéfique et dans un esprit de bonne volonté."
Iskander

axiste a écrit :Je réédite ce matin:
Je n'avais pas vu ta réedition.
Pour la question du libre arbitre,elle est complexe et je n'ai pas la prétention de répondre catégoriquement: je suppose qu'il existe et n'existe pas à la fois car nous sommes tous interdépendants mais nous devons cependant valider en nous mêmes des compréhensions relatives…le fait que nous sommes tous intrinsèquement liés et différents à la fois créé ce double mouvement là…
Je pense qu'il est très utile de clarifier ce genre de questions, car ça facilite beaucoup la gestion des rapports relationnels, et la recherche de soltutions aux conflits ou problèmes sociaux.

Prenons un exemple simple: imagine que tu élèves une souris (ou hamster, peu importe) comme animal d'estimation. Trouvant la souris un peu seule, tu veux lui procurer de la compagnie. Puisque ta souris est un mâle, tu lui trouves une femelle. Malheureusement tu te trompes de genre, et te retrouves avec deux souris mâles ensemble. L'issue de cette situation est inévitable. Les souris seront de plus en plus aggressives et l'une finira par tuer l'autre.

Ont-elles choisi ce conflit? Non, de par leur constitution, il est inévitable qu'elles se bagarrent. Il est illusoire de penser qu'on pourra les amadouer l'une envers l'autre. La seule solution pour leur permettre de cohabiter serait que les deux perdent leur capacité d'odorat, ce qui les empêcherait de se reconnaître mutuellement comme mâles, mais ce n'est pas très réaliste. La meilleure solution est vraiment de les mettre dans des cages séparées.

Je pense que c'est la même chose pour les humains: leur comportement dépend de leur conditionnement, et c'est en connaissant les mécanismes de ce conditionnement que des solutions peuvent être trouvées lors de conflits. Ce n'est pas très différent pour les conflits internes (lorsque l'individu est insatisfait de son propre comportement). Ce n'est qu'en comprenant son propre conditionnement et en agissant dessus que le comportement peut changer. Parler de libre arbitre n'est (je pense) que faire une distinction arbitraire entre conditionnements "externes" et conditionnements "internes". C'est une distinction arbitraire car nous faisons partie de l'environnement (en rapport avec la notion de non-soi bouddhiste), il n'y a pas de conditionnements internes par rapport aux externes. Le concept de production interdépendant est particulièrement utile pour lever cette distinction illusoire.

La clarification de la notion de libre arbitres est surtout importante pour une réforme complète du système judiciaire et carcéral, qui est très souvent source de problèmes, plutôt qu'une aide au bon fonctionnement de la société (voir les petits délinquants qui prennent de la bouteille avec des vétérans du grand banditisme suite à leur séjour en prison).
Ton lien quant à lui me fait penser à l'éruption de la montagne Pelée en Martinique
Tout à fait, face à la peur et l'incertitude, les gens s'accrochent à ce qu'ils ont. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle les gens vivent dans des zones dangereuses, et que les ordres d'évacuation sont si mal respectés, au point où il faut envoyer la police ou l'armée pour évacuer les plus récalcitrants. Un bon exemple de ceci sont les gens restés dans la zone d'évacuation de Fukushima, que les autorités n'ont jamais réussi à convaincre de partir, et qu'elles sont obligées de visiter régulièrement pour savoir si elles se portent bient ou ont besoin d'aide.
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axiste
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Je pense qu'il est très utile de clarifier ce genre de questions, car ça facilite beaucoup la gestion des rapports relationnels, et la recherche de soltutions aux conflits ou problèmes sociaux.
Oui, il me semble aussi que le libre arbitre n'est pas tellement par rapport aux évènements mais a à voir surtout avec notre manière de les appréhender.
Alors ensuite la différence entre l'intérieur et l'extérieur va s'abolir ou s'amenuiser peu à peu: un changement de regard change notre attitude en profondeur et cela n'a plus de frontières…je suis d'accord là, c'est une notion qu'il faut clarifier.
Parler de libre arbitre n'est (je pense) que faire une distinction arbitraire entre conditionnements "externes" et conditionnements "internes". C'est une distinction arbitraire car nous faisons partie de l'environnement (en rapport avec la notion de non-soi bouddhiste), il n'y a pas de conditionnements internes par rapport aux externes. Le concept de production interdépendant est particulièrement utile pour lever cette distinction illusoire.
Donc oui.
Pour les souris, pas de déconditionnement facile…alors la séparation devient la solution la plus évidente: après, elles se retrouvent isolées…
Nous sommes un peu semblables: nous souffrons, nous nous séparons.
Heureusement, nous avons une conscience réflexive et la possibilité de nous observer pour sortir de nos conditionnements. Et donc de voir les limites que nous avons apposées sur les choses pour nous protéger, parce que nous avions peur, parce que nous n'étions pas très conscients…c'est un retournement du regard, et c'est très long à faire: d'abord, comprendre les conditionnements, le non soi, déconstruire le passé qui est une fiction en ce sens qu'il n'est que le résultat de ce que nous avons cru à l'époque avec notre conscience plus limitée…nous pouvons dans le présent porter un regard beaucoup plus vaste sur ces choses et même éprouver une sorte de compassion par rapport à nous mêmes, nos erreurs, nos hésitations, notre ignorance…c'est une sorte de pardon que l'on se fait à soi même…tout cela prend du temps, mais qu'est-ce que le temps véritablement ? Peut être des mouvements dans la conscience aussi…bref, une fois que nous nous sommes pardonnés, nous pouvons accepter les choses telles qu'elles sont et pardonner aux autres…
L'idée ne nous viendrait pas de nous mettre en colère contre les souris n'est-ce pas ? Parce que l'on comprend qu'à l'instant t où elles se bagarrent, elles n'ont pas le choix…
Il en va de même avec nous et les autres…
Pour le système carcéral, il y a eu des expériences de vippassana en Inde

Cela m'a d'ailleurs interpellée et je me suis dite que j'allais essayer de faire de la sophro en prison, mais pour l'instant je n'ai pas finalisé l'idée, je regarde...
Tout à fait, face à la peur et l'incertitude, les gens s'accrochent à ce qu'ils ont.
Oui, le truc qui m'a le plus sidérée lors de mon passage en Martinique, c'est la peur qui se communiquait lorsqu'il y avait un cyclone d'annoncé: ruée totale sur les denrées alimentaires de base …plus de piles et de lampes électriques, ni de charbon de bois, ni …ni…
En fait, le plus effrayant à gérer c'était de ne pas être entrainé soi même par ce mouvement qui était comme un courant destructeur: cela a été aussi très formateur pour tester mon propre comportement face à la peur.
De même, après un tremblement de terre, le chaos total: embouteillage, énervement, klaxons, et peurs dans les écoles…cette peur divise et unit à la fois, c'est très surprenant de se voir dans tout ça…


En fait, j'observais beaucoup et je régissais plus lentement: comme si je décomposais les mouvements physiques et mentaux pour mieux les adapter, pour mieux les ajuster…alors un grand calme qui naissait là en moi…comme un profond regard sur les choses…
Par contre, là où ça a été un peu plus difficile, c'était lors de la grève du 5 février: là, on sentait la violence monter et la tension j'avais plus de mal à la dissocier de moi… On était un peu dans une ambiance de film, avec des hélico qui survolaient Fort de France, des destructions et du vandalisme dans les magasins, des bruits de grenades lacrymogènes tous les soirs à la nuit tombante…et lorsque nous allumions la télévision, comme les médias locaux étaient contrôlés, les émissions et les opinions passaient en boucle pour attiser le conflit et nous finissions par tout éteindre …
il y avait une exacerbation à FDF de cette tension qui ne se ressentait pas dans les campagnes…les seules fois où je me suis échappée de cette ambiance durant ce mois de février 2009, c'était pour m'étaler sur une plage et oublier le monde. Plus de pensées, rien que le bruit des vagues et le contact du sable…et c'était le bonheur, un bonheur vraiment total.
En fait, l'esprit collectif est quelque chose de très puissant, et lorsqu'il devient incontrôlable, on ne sait pas où il va s'arrêter…alors on se met à vivre dans l'instant, parce que sinon la peur nous rattrape et ça devient invivable. Cela doit être terrible de connaître la guerre…ça m'a rétrospectivement fait basculer en pensées sur les deux dernières guerres mondiales et sur le vécu de nos ainés…j'ai vu un autre film se dérouler dans ma compréhension des choses, plus spacieux celui là, parce que plus compassionnel… donc certainement plus lucide aussi, plus complet.
Idem pour le Japon, nous n'avons pas le juste regard…
Quelquefois, je me dis vraiment qu'il faut faire un grand silence et devenir plus religieux …dans le sens où au lieu de refouler les sons du monde il faudrait comprendre leurs échos pour y répondre en profondeur…ce n'est pas ce que nous faisons la plupart du temps...
Tout est tellement relatif...
Cinq clefs pour la parole correcte :
- dire au bon moment, prononcer en vérité, de façon affectueuse, bénéfique et dans un esprit de bonne volonté."
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