Conze traduit mantra par « formule », mais ceci induit complètement en erreur. Un mantra est une sorte de parole sacrée : on ne peut pas vraiment donner plus d'explication que cela.
Le mantra de la Perfection de la Sagesse est gate gate paragate parasamgate bodhi svaha. Les mantras ne peuvent pas vraiment être traduits, mais selon la traduction de Conze on peut rendre celui-ci par « Allé, allé, allé au-delà, allé complètement au-delà, Ô quel Éveil, acclamons-le tous ! » La simple signification des mots ne nous aide cependant pas beaucoup.
Le premier gate signifie : allé du conditionné, allé du monde phénoménal, du monde tel que nous le connaissons.
Le deuxième gate signifie : allé de l'Inconditionné même, du nirvana même - c'est-à-dire allé au-delà du concept selon lequel le nirvana ou l'Éveil sont distincts de ce monde et de cet état. Il ne suffit pas d'aller au-delà du conditionné ; vous devez aller au-delà de l'Inconditionné. On pourrait dire qu'il n'est pas suffisant de vaincre Satan ; il faut aussi vaincre Dieu.
Puis, paragate signifie « allé au-delà » : allé au-delà de la distinction entre conditionné et Inconditionné, entre samsara et nirvana, entre ce monde-ci et ce monde-là, entre souillé et non-souillé ; allé au-delà de toutes les distinctions dualistes, quelles qu'elles soient.
Parasamgate, « allé complètement au-delà », signifie que l'on va au-delà de la conception même de shunyata. Quand on laisse derrière soi le concept même de réalité, alors on est allé complètement au-delà.
Le mot suivant, bodhi, n'est pas du tout une assertion. Il veut dire Éveil, bouddhéité, connaissance de l'ultime. Mais le mantra ne dit pas : « Et, alors, vous réalisez la bodhi. » Il ne dit pas réellement non plus : « Ô quel éveil ! » Ce n'est pas une mauvaise traduction, mais cela n'a pas la force du seul mot bodhi, « éveil ».
Enfin, svaha est intraduisible, mais sa signification générale dans la littérature indienne est « tout est bien », « tout est favorable », « bénédiction ». Quand vous vous êtes éveillé, quand vous êtes un bouddha, alors tout est complètement favorable, tout est bien.
Voici donc le cœur ou l'essence du Soûtra du Cœur, qui est lui-même une distillation de la signification de la totalité des écritures de la Perfection de la Sagesse. « Allé, allé, allé au-delà, allé complètement au-delà. Éveil, tout est bien. » En récitant constamment ce mantra, en méditant constamment sur lui, on finit par assimiler sa signification profonde.
Dans le cas de la sadhana, de la pratique de visualisation de la Prajñaparamita, le mantra est différent. Dans ce contexte, c'est om ah dhih hum svaha, qui invoque le bodhisattva Prajñaparamita.
Mais gate gate paragate parasamgate bodhi svaha est le mantra de la sagesse elle-même, une sorte de mantra impersonnel, si l'on peut dire.
Si vous ne voulez pas méditer sur une forme particulière de bodhisattva, vous pouvez prendre ce mantra, aussi bien que n'importe quel vers ou passage de la littérature de la Perfection de la Sagesse (les comparaisons de la fin du Soûtra du Cœur iraient très bien) et réfléchir à leur signification.
En faisant cela, vous faites venir à votre esprit des vers ou des mantras qui incarnent oralement la Perfection de la Sagesse, au lieu d'en évoquer une incarnation visuelle ou formelle.
Source : http://www.centrebouddhisteparis.org/Sa ... outra.html