Retraite de méditation Vipassana – Jusqu’au bout de l’ennui

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tirru...
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Cet article est le deuxième volet du récit de la retraite de méditation de dix jours que
j'ai réalisée en Inde. Pour lire le début: méditation en Inde.

Ce premier réveil à 4h du matin n’est pas aussi pénible que je pensais. Je suis curieuse de voir comment va se dérouler cette journée. Dans la nuit noire, nous nous dirigeons silencieusement vers le grand hall pour la première séance de méditation matinale, de 4h30 à 6h30. Assise en tailleur, j’attends les consignes pour commencer. Je n’ai pas de montre, et je ne vois pas d’horloge dans la salle plongée dans l’obscurité, alors difficile d’avoir une conscience précise du temps qui passe. Personne ne nous donne aucune directive, alors je reprends les consignes de la veille au soir: concentrer toute son attention sur la zone triangulaire formée par les narines et la lèvre supérieure et observer sa respiration. C’est d’un ennui terrible. Le gong de 6h30 sonne comme une libération!

Le soleil se lève et c’est l’heure du petit-déjeuner. Repas léger et végétarien. Mieux vaut manger avec bon appétit tout de même, car avec le déjeuner de 11h, ce sont les deux seuls repas de la journée. Je commence à réaliser pleinement que le programme des 10 prochains jours va être un peu aride. Tout s’articule autour des horaires de méditation (10h30 par jour), et le reste, c’est juste pour manger, faire sa toilette ou dormir. On n’a déjà pas le droit de parler, lire ou écrire, mais on n’a pas le droit non plus de faire du sport, ou du yoga, ou une quelconque autre activité.
Emploi du temps d'une retraite de méditation Vipassana

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Emploi du temps d’une retraite de méditation Vipassana

Reprise de la méditation à 8h. Cette fois-ci, on a droit à des consignes: un enregistrement audio, en hindi, puis en anglais, mais en fait, ce sont exactement les mêmes qu’hier soir. Observer sa respiration et les sensations sur le triangle formé par les narines et la lèvre supérieure: l’air qui rentre et sort par les narines, les picotements sur le nez, les frémissements sur la lèvre supérieure produits par le courant d’air. Juste observer la respiration naturelle, rien d’autre. Je suis un peu décontenancée par la monotonie de l’exercice. En plus, à force d’être assise par terre, je commence à avoir un peu mal aux genoux et mal au dos. Je déplie et replie mes jambes pour tenter de trouver une meilleure position. Mon esprit a beaucoup de mal à rester concentré sur la méditation. Je me demande ce que je fabrique ici, pourquoi j’ai eu cette idée… Puis vient l’envie de dormir. Je pique du nez et lutte contre l’envie irrépressible de m’allonger. J’ai trouvé où était l’horloge dans la salle, mais c’est presque pire. Plus je regarde l’heure, moins le temps passe vite.

Il en sera ainsi toute la journée. Trois heures de méditation de 8h à 11h, puis quatre heures l’après-midi. Jusqu’au bout de l’ennui on peut dire. La pause « goûter » de 17h arrive comme une délivrance! On a droit à un thé, une banane et du riz soufflé. Ca remplace le dîner car après le déjeuner de 11h il n’y a rien d’autre à manger. Reprise de la méditation à 18h.

Une opération chirurgicale de l’esprit

Cette première journée s’achève de manière difficile. Je ne m’attendais pas à un « programme » aussi aride et monotone. Le discours du « gourou » de la méthode Vipassana, S.N. Goenka, projeté sur une télévision de 19h à 20h30 (vidéo ci-dessous), vient tout de même apporter quelques explications et mettre les choses en perspectives. Il compare la retraite de méditation à une « opération chirurgicale de l’esprit ». Sauf qu’ici, il n’y a pas de chirurgien, ou plutôt, on est soi-même le chirurgien. Le but de la méditation Vipassana est de purifier son esprit, non juste en surface, mais en profondeur, jusqu’au subconscient. L’inconfort, les douleurs, les résistances du corps et de l’esprit qu’on peut ressentir à rester assis près de 11h par jour à méditer font partie du processus. Il explique qu’il faut faire face à cela avec détermination, comme quand on se fait opérer à l’hôpital. Cette métaphore est une bonne image en tout cas. Je suis ici à l’hôpital pour purifier mon esprit, alors il va falloir que j’accepte les difficultés qui se présentent.

Les deux jours suivants se suivent et se ressemblent. Réveil, méditation, petit-déjeuner, douche, méditation, déjeuner, sieste, méditation, gouter, méditation, discours, méditation, coucher. J’ai l’impression de devenir dingue ici. Les minutes et les heures passent très lentement. Je teste toutes les positions assises possibles pour trouver la moins inconfortable. Je passe beaucoup de temps à lutter contre le sommeil. Le réveil à 4h du matin rend les nuits assez courtes et je n’arrive jamais à m’endormir avant 23h. J’ai compris que l’épreuve fait partie de l’exercice. J’essaie de voir cette expérience comme un « stage commando de l’esprit ». La méditation, finalement c’est comme un sport, ou n’importe quelle autre activité exigeante: il faut « en chier » pour obtenir des résultats; dépasser ses limites pour renforcer son esprit.

L’exercice reste toujours et invariablement le même: observer sa respiration. Le 3e jour, le périmètre anatomique se restreint encore même davantage: il faut fixer son esprit sur le triangle à la base des narines et le haut de la lèvre supérieure (ça doit faire 1cm2). Et ça, pendant 10h30 assis par terre en tailleur. Je n’ai jamais vécu une telle expérience aussi pénible et ennuyeuse. J’essaie de me concentrer sur la méditation, mais j’ai plein d’idées qui m’assaillent l’esprit. J’ai envie de commencer un nouveau travail, lancer un nouveau site internet, je m’imagine me marier avec untel, avoir des enfants… Deux heures après je change d’avis, je me marie avec un autre, change à nouveau de travail… J’ai du mal à maîtriser toutes ces pensées qui affluent tel un torrent dans ma tête.

Pourtant, à force de travail et détermination, j’arrive à affiner mes sensations. Je sens la différence de température entre l’air inspiré (plus froid) et l’air expiré (plus chaud), le frémissement des poils de duvet sous le nez, les différences de sensations entre les deux narines, les picotements, les pulsations… Quand on médite, on ne pense à rien. C’est le contraire de réfléchir en fait. On est entièrement absorbé par les sensations du corps.

Au soir du troisième jour, nous apprenons lors du traditionnel discours quotidien télévisé qu’en fait tout cela n’était qu’une introduction. Une étape difficile, mais nécessaire pour renforcer et affûter notre esprit. La véritable méditation Vipassana commence demain. Je m’efforce de garder ma motivation avec patience, persévérance et détermination. A suivre: méditation, le voyage intérieur…

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chercheur
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Je trouve très jolie la formule "jusqu'au bout de l'ennui", j'ai eu un peu cette impression au départ. Puis vient un moment où on se résigne :) et on se met au travail, tant qu'à être là autant profiter au maximum de ce temps pour méditer. Et rapidement c'est devenu un plaisir pour moi de ne rien faire d'autre que méditer, occasion que l'on a rarement dans la vie mondaine...

En Inde, on a très peu de temps de méditation dans nos "quartiers", et donc on est obligé de méditer assis 10h par jour, mais on peut demander une chaise si on se le souhaite. En France, par exemple on a que 3 heures obligatoires dans le hall de méditation, certains jours 5 heures.

Pour la fatigue, moi je faisais une sieste après le repas de 11h et parfois une de 7à8h, j'avais l'impression de perdre du temps à piquer du nez, puis mon attention était moindre... L'après-midi j'avais retrouvé toute mon énergie et ma vigilance :)
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yves
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je suis surpris par la diversité des vécus toujours différent pour chaque individu... quelle richesse :)

elle n'a pas réussit à lâcher prise de l'ennui, qui n'est qu'un état de l'esprit comme la fatigue

elle n'a connu qu'un seul moment de détente et elle n'en a pas saisi la particularité car elle n'a pas compris l'équanimité

j'ouvre un sujet sur l'équanimité :D
oui à ce qui est
tout change
tout est maintenant
être tout
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Après je pense que certaines choses viennent en leur temps. Un québécois m'avait raconté que sa 1ère retraite était "bof", lutte interne, ennui, mauvaise compréhension de la technique etc.. Il en a suivie une deuxième et sa manière de voir la chose avait changé.
elle n'a connu qu'un seul moment de détente et elle n'en a pas saisi la particularité car elle n'a pas compris l'équanimité
C'est difficile aussi de déprogrammer XX années de conditionnements ! Et les conditions de la retraite sont rudes et assez stricte pour beaucoup de monde ! J'ai bien aimé lorsqu'elle se réfugie dans la pensée, comme divertissement, j'ai l'impression que c'est ce qui se passe dans mon quotidien :D

Je crois que beaucoup de gens ignorent que l'on peut aussi prendre beaucoup de plaisir assis à méditer.
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tirru...
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En même temps c'est la méthode Goënka sur laquelle j'ai quelques réserves et notamment sur le fait que l'instructeur est un enregistrement audio ou vidéo mais aussi sur les longues heures de méditations non alternées par de la marche. C'est un peu du forcing même si le but est le dépassement de soi et l'exploration de ces tréfonds. Comme pour un instrument à cordes, si elles sont trop relâchées elles ne produisent quasiment aucun son ou trop tendues, elles claquent !!! Pas évident une retraite je conçois...
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c'est la méthode Goënka sur laquelle j'ai quelques réserves et notamment sur le fait que l'instructeur est un enregistrement audio ou vidéo mais aussi sur les longues heures de méditations non alternées par de la marche.
Je crois que S.N. Goenka avait cette obsession du "pure dhamma" et que dans ce sens il a voulu que ces cours soient bien cadrés. L'instructeur audio ou vidéo c'est pour que les consignes restent toujours les mêmes et que les instructeurs ne détériorent pas ce "pure dhamma" en le mélangeant avec leur idées personnelles ou avec d'autres spiritualité. Et c'est dommage que le rôle de l'assistant instructeur ne soit pas plus expliqué ou mis en avant, on aurait presque l'impression que ce sont des images ou des pantins, alors qu'on peut quand même aller leur parler et leurs conseils peuvent être précieux.

C'est vrai que la non-alternance avec de la méditation en marche pose question. Son maitre Sayagyi U Ba Khin proposait des temps de marche en alternance. Je ne sais ni le pourquoi ni le comment de la disparation de la marche.
C'est un peu du forcing même si le but est le dépassement de soi et l'exploration de ces tréfonds.Comme pour un instrument à cordes, si elles sont trop relâchées elles ne produisent quasiment aucun son ou trop tendues, elles claquent !!! Pas évident une retraite je conçois...
Oui je crois qu'il y a un peu de ça.
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tirru...
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Le "pure dhamma" même si le terme est fort c'est l'école birmane qui le revendique et notamment celle de Mahasi Sayadaw. J'ai effectué plusieurs retraites auprès de Sayadaw birmans et je dois dire que cela n'a jamais été facile même si le planning horaire est plus souple mais néanmoins très exigeant. En fin de compte, je suis plus en faveur d'une retraite moins pénible et encore plus souple mais si pureté du Dhamma, il y a, c'est celle d'être suivi par un instructeur moine renonçant et recevoir le Dhamma de sa part...
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Pour avoir fréquenté certains centres spirituels (bouddhiste ou pas), j'ai pu remarqué que quand il n'y a pas de présence monastique certains directeurs de ces centres peuvent développer une sorte de "complexe de la robe" comme j'appelle ça.

Après je trouve intéressant que des laïcs aussi arrivent à pouvoir pratiquer intensément et devenir enseignant.

Pour en revenir au cours de méditation vipassana selon la méthode Goenka, je crois que celui-ci mettait beaucoup en avant le fait que l'on puisse changer de vie et de comportement en 10 jours. D'où sans doute l'exigence de ces cours. Après certaines personnes aiment la rigueur et la discipline, d'autres ont plus de mal...

Je crois qu'au final c'est une bonne chose la diversité des voies bouddhiques. Il y en a pour tout le monde, si j'ose dire, à condition qu'on soit sincère et motivé :) conditions de succès de toutes retraites ;)
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