La question du moi et du non-moi

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tirru...
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Bonsoir,

Je vous propose ici quelques pistes de réflexion sur la doctrine du non-soi ou d’Anatta, à travers une approche à la fois bouddhiste et psychanalytique.
La question du moi et du non-moi


Nina Coltart travaille avec finesse les notions d’ego et de non-ego. Revenons sur ce que signifient ces termes dans le bouddhisme, car se joue ici un des enjeux décisifs de l’enseignement du Bouddha et du rapport qu’il peut entretenir avec la psychologie.

Tout d’abord, partons du fait que le bouddhisme ne nie pas l’existence d’un moi, mais celle de son autonomie et indépendance. Ce que nous prenons pour le « moi » n’est qu’une éphémère construction d’éléments. Comme l’explique Nina Coltart, cette notion de non-moi est étrangère à l’Occident qui, depuis la pensée platonicienne et l’avènement du christianisme, affirme au contraire que chaque être humain possède une âme éternelle.

Pourtant, l’affirmation bouddhiste est beaucoup moins surprenante qu’elle n’en a l’air et trouve des échos dans notre propre tradition. Dans Vivre, Mihaly Csikszentmihalyi remarque, à partir de nombreuses enquêtes de terrain, que les moments de joie et de satisfaction de notre vie ne sont pas associés à de simples « loisirs », mais à un certain état psychologique dans lequel règne un sentiment de fluidité et de concentration où, précisément, l’emprise du «moi» s’estompe. Csikszentmihalyi donne la parole à des navigateurs en solitaire, des alpinistes, des chirurgiens comme à des représentants de nombreuses autres professions qui témoignent tous que l’expérience optimale où leur existence trouve enfin son sens se caractérise par le fait qu’ils s’oublient eux-mêmes. Lorsque je joue de la musique, fais de l’escalade, prépare un bon dîner, donne un cours à la faculté, il peut m’arriver de devenir ce que je fais de manière si profonde que je cesse de m’en sentir l’auteur. Je fais un avec mon action. Je m’abandonne à un processus qui semble me dépasser et où pourtant je suis entièrement présent. Qui n’a pas vécu cette expérience de décentrement radical où l’on se sent pourtant si pleinement humain ? Csikszentmihalyi montre phénoménologiquement comment là où il n’y a pas de moi, nous sommes plus pleinement. Le non-moi n’est pas une privation d’être, mais au contraire sa plénitude. Ce paradoxe, nous le retrouvons en vérité chaque fois que nous cherchons à faire entrer la tradition bouddhique dans les catégories que nous avons forgées et qui ne lui correspondent pas : le non-moi n’est pas la négation d’une personne vivante, mais son déploiement propre. Il y a là un point difficile à comprendre qui peut rendre ardue toute discussion sur la notion de non-moi. L’absence de soi ne signifie pas que la personne qui la vit a perdu le contrôle de son existence ou qu’elle n’est pas consciente de ce qui se passe dans son corps et dans son esprit. Il ne s’agit nullement d’adjoindre une qualification de plus à notre être - comme celle du non-moi - mais de pointer la dimension fondamentale qui est la sienne. La préoccupation constante envers nous-mêmes repose en vérité sur le fait de se sentir inquiet sans raison, de manquer de confiance en soi : « Des dizaines de fois par jour, notre soi se sent vulnérable, et, à chaque fois, il faut une certaine énergie psychique pour restaurer l’ordre de la conscience 1. » La perspective bouddhiste souligne de mille et une manières que l’ego n’existant pas de manière fondamentale, il se sent toujours menacé. La voie du Bouddha consiste à dépasser cette inquiétude en reconnaissant que l’ego n’a pas d’existence propre.

Étrange découverte ! Le non-moi est lié à un sentiment de confiance, de détente et d’estime de soi, alors que spontanément nous pensons l’inverse.

Ainsi, parler de soi, de ce que nous ressentons, peut être une expression égotique visant à nous placer au centre de l’attention et à vérifier, confirmer notre existence, mais cela peut aussi bien être une manière de témoigner honnêtement de ce que nous éprouvons. Le chemin bouddhiste consiste à abandonner l’un pour l’autre. Autrement dit, le non-moi est une expérience d’une grande richesse et d’une vaste authenticité.

Ce que nous prenons pour le « moi », l’âtman des hindouistes, n’est que la combinaison physico-psychologique d’agrégats : la forme ou le corps, la sensation, la perception, les contenus mentaux et la conscience. Une composition d’éléments divers assemblés en fonction de causes et de conditions. Chacun d’eux est impermanent. Ils sont produits et disparaissent en dépendance, de sorte qu’il n’y a rien qu’on puisse trouver en eux qui soit de la nature d’une entité stable, persistante et éternelle. Je suis en fonction des circonstances où je me trouve. Les analyses de Proust sur la multiplicité de notre moi, toujours changeant et impénétrable, peuvent nous aider à percevoir ce dont il est ici question. Le Bouddha souligne le fait que le moi est comme un ruisseau de montagne : il court vite et change toujours. La croyance en une âme permanente (âtman) conduit à une forme de saisie qui entrave la libération spirituelle. En effet, nous nous éprouvons alors comme dissociés du monde et des autres. Le chemin de la guérison intérieure passe par la possibilité de dépasser cette séparation et de cesser de s’éprouver soi-même comme une entité séparée de tout ce qui est.

Un des grands débats au sein du dialogue bouddhisme-psychanalyse porte sur cette notion de moi. Un large courant, auquel appartient Nina Coltart, affirme que « pour qu’un Occidental progresse sainement sur la voie spirituelle qui le conduira à la transcendance de soi et à la perte de la “forteresse du moi”, il faut qu’il ait déjà un sentiment fort et stable de son identité personnelle, quand bien même celui-ci serait négatif. » Ce que l’on appelle « moi fort» est la composition du moi à partir des cinq skandhas, là où la psychose, selon, par exemple, les analyses de Luong Can-Liem, consiste à s’identifier à un seul agrégat. Cette thèse est d’une grande clarté. La psychologie nous permet de trouver un moi fort et bien structuré rendant possible le cheminement sur une voie spirituelle, et sans lequel on ne peut sinon que s’y égarer.

Pour un autre courant, qu’il importe d’évoquer aussi, la notion de moi fort est problématique et empêche de percevoir le sens véritable de l’ego dont parle le bouddhisme. Car en réalité l’ego n’existe pas, il n’y a rien de tel qu’un moi déterminé. Je suis toujours empreint d’une inquiétude et d’une incertitude quant à ce que je suis. Le moindre propos maladroit peut me blesser, j’ai toujours besoin de me sentir confirmé. Cette inquiétude reflète précisément l’absence réelle de l’ego. Notre confusion est une stratégie pour nous sentir exister. Et nous préférons et choisissons, certes malgré nous, la confusion, la névrose, voire la folie et la psychose, à l’ouverture incertaine du non-moi. Aussi ne s’agit-il nullement de nous constituer un moi fort, mais de remarquer le jeu constant de l’ego qui ne cesse de nous entraver, de nous détruire, en raison précisement de son inexistence. La névrose n’est qu'une ruse de l’ego pour éviter d’entrer en rapport avec la réalité et d’abandonner le souci de toute puissance. Remarquons ici que la psychanalyse n’affirme pas que le moi est le centre de la vie psychique : il n’en est qu’une instance et la santé psychique dépend de l’équilibre entre les forces et les conflits.

Quelle que soit la perspective adoptée, il importe de ne pas oublier que le bouddhisme ne vise pas à faire disparaître le moi, mais simplement à reconnaître que celui-ci, il n’existe pas ultimement, car c’est seulement par cette reconnaissance que nous pouvons être plus heureux et libres.


Fabrice MIDAL, Puteaux-La Défense, juillet 2005.

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axiste
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Merci pour cet extrait qui me donne envie de découvrir ce livre. :)
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tirru...
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Bonjour Axiste,
axiste a écrit :
01 mars 2019, 21:59
Merci pour cet extrait qui me donne envie de découvrir ce livre. :)
Nina Coltart porte un regard pour le moins réaliste parfois même sévère, loin des récits à l'eau de rose qui flattent l'égo. J'ajouterai un autre extrait sur le Bouddhisme et la psychanalyse que je trouve particulièrement intéressant, voire incisif !

Je note au passage cet extrait sur le non-moi de Fabrice Midal pour lequel je reste un peu dubitatif :
Pourtant, l’affirmation bouddhiste est beaucoup moins surprenante qu’elle n’en a l’air et trouve des échos dans notre propre tradition. Dans Vivre, Mihaly Csikszentmihalyi remarque, à partir de nombreuses enquêtes de terrain, que les moments de joie et de satisfaction de notre vie ne sont pas associés à de simples « loisirs », mais à un certain état psychologique dans lequel règne un sentiment de fluidité et de concentration où, précisément, l’emprise du «moi» s’estompe. Csikszentmihalyi donne la parole à des navigateurs en solitaire, des alpinistes, des chirurgiens comme à des représentants de nombreuses autres professions qui témoignent tous que l’expérience optimale où leur existence trouve enfin son sens se caractérise par le fait qu’ils s’oublient eux-mêmes. Lorsque je joue de la musique, fais de l’escalade, prépare un bon dîner, donne un cours à la faculté, il peut m’arriver de devenir ce que je fais de manière si profonde que je cesse de m’en sentir l’auteur. Je fais un avec mon action. Je m’abandonne à un processus qui semble me dépasser et où pourtant je suis entièrement présent. Qui n’a pas vécu cette expérience de décentrement radical où l’on se sent pourtant si pleinement humain ? Csikszentmihalyi montre phénoménologiquement comment là où il n’y a pas de moi, nous sommes plus pleinement. Le non-moi n’est pas une privation d’être, mais au contraire sa plénitude.
Le non-moi (Anatta ?) est-ce vraiment l'oubli de soi-même ? cet oubli, fait-il vraiment que le moi s'estompe ?

C'est l'une des contradictions que j'ai remarqué chez les enseignants bouddhistes dont certains réclament l'attention consciente loin de l'oubli justement mais dans la vigilance : d'autres recommandent l'inverse, comme c'est la cas de Walpola Rahula (Partie en blanc !) :
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axiste
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Tout dépend vraisemblablement de ce qu’on met derrière le mot « moi », donc c’est complexe. Si l’on voit son moi comme une identité à défendre ou comme un équilibre qui constitue notre intégrité instantanée, ou si l’on y met beaucoup de saisie, et encore à quel degré s’identifie t-on au personnage Moi et sous quelles intentions, etc. Bref, il y a de quoi perdre pied. :mrgreen:

Par exemple, si l’on doit faire un discours il me semble important d’être conscient de ses intentions, par conséquent le moi est là qui a des intentions particulières. Elles peuvent être bénéfiques ( exemple avoir un discours honnête et clair, qui fait du bien à tous ou apaise...)

Donc pour moi :) le Moi n’est pas forcément négatif tant qu’il est bienveillant.

Pour autant le passage de Walpola Rahula est très éclairant, on peut tous se reconnaître en lui à certains moments de nos vies, nous avons ces expériences parfois.

Mais je vais relire en détail...à tête reposée car il y a beaucoup de choses tout partout jap_8
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davi
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tirru... a écrit :
02 mars 2019, 11:00
les enseignants bouddhistes dont certains réclament l'attention consciente loin de l'oubli justement mais dans la vigilance
As-tu un exemple de ces enseignants qui demandent à ne pas oublier le moi ? Personnellement, je ne pense pas que le moi, ou plutôt l'idée de moi, soit nécessaire.

Si vous voulez bien, remplacez le moi par l'idée de moi, et peut-être que vous aussi vous verrez que celle-ci n'est pas nécessaire à agir. L'idée de moi agit sur l'idée des choses, tout comme dans le rêve personne n'agit sur rien de concret; toutes ces idées sont vide du soi des personnes et du soi des choses. Tout existe (rien de ce qui est vécu n'est néant), mais tout est vide de son côté (en dehors de l'esprit, rien).
S'indigner, s'irriter, perdre patience, se mettre en colère, oui, dans certains cas ce serait mérité. Mais ce qui serait encore plus mérité, ce serait d'entrer en compassion.
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Bonsoir les ami.e.s,
Axiste a écrit :Tout dépend vraisemblablement de ce qu’on met derrière le mot « moi », donc c’est complexe.
Mon idée toute simple était de mettre en perspective l'idée du Moi, ou d'égo par l'intermédiaire d'un livre qui s'intéresse à la fois au bouddhisme et à la psychanalyse et je trouvais effectivement important de souligner qu'on ne peut entreprendre de s'engager dans la voie de la méditation, qui est un outil surpuissant d'introspection, sans avoir un moi ou une identité forte et bien établie. Ce qui, au passage relève une certaine contradiction, car on ne peut à la fois ôter au moi sa force et en même temps lui donner. Dans cette confusion quasi paradoxale, j'ai entraperçu des pistes de réflexions assez utiles.

Extrait : « pour qu’un Occidental progresse sainement sur la voie spirituelle qui le conduira à la transcendance de soi et à la perte de la “forteresse du moi”, il faut qu’il ait déjà un sentiment fort et stable de son identité personnelle, quand bien même celui-ci serait négatif. »

Autre extrait : Quelle que soit la perspective adoptée, il importe de ne pas oublier que le bouddhisme ne vise pas à faire disparaître le moi, mais simplement à reconnaître que celui-ci, il n’existe pas ultimement
Davi a écrit :As-tu un exemple de ces enseignants qui demandent à ne pas oublier le moi ? Personnellement, je ne pense pas que le moi, ou plutôt l'idée de moi, soit nécessaire.
Généralement les enseignants bouddhistes nous incitent à se détacher de l'idée d'un faux moi et non pas à l'oublier, me semble t'il ! Dans les sociétés primitives, l'idée du moi indifférencié, c'est à dire d'un moi commun au groupe est une réalité. La singularité du moi était une sorte de privilège accessible au chef du groupe ou au sorcier ! Le moi est un socle qui devient aliénant lorsqu'on croit qu'il est une finalité et non un moyen d'expansion. Au fond, je crois que s'affranchir du moi c'est lui permettre de grandir, de murir, de s'élever vers sa propre négation. Ce fruit vert, puis mure ne tombe t'il pas de l'arbre à son apogée ?
Davi a écrit :Tout existe (rien de ce qui est vécu n'est néant), mais tout est vide de son côté (en dehors de l'esprit, rien).
Le néant est l'absence de potentiel, quant au vide il est l'apogée du potentiel. Il est l'espace dans lequel tout apparait, se développe et cesse.
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@Tirru

Dans la traduction du Sutta (Dhamma,cakka Pavattana Sutta )je note le passage suivant qui semble répondre un peu aux interrogations qui sont faites sur ce fil:
6.1.2
Les principaux objectifs du développement des relations d’objets sont la constance de l’identité et de l’objet, c’est-à-dire un sens sain de soi et une relation saine avec les externes (les personnes et les choses). Dans des circonstances «normales», nous sommes susceptibles d'être attachés à une idée (à propos de nous-mêmes ou des autres) et le développement personnel est fondamentalement stagnant.
En d'autres termes, la normalité est un état de développement arrêté: le mondain est comme s'il était fou (ummattako viya hi puthujjano, MA 1:25). «De plus, ajoute Engler, cela peut être considéré comme une condition pathologique dans la mesure où elle repose sur des tests de réalité erronée, une neutralisation inadéquate des besoins, un manque de contrôle des impulsions et une intégration incomplète de soi et de l'objet monde. ”
En termes plus simples, nous sommes mentalement sous-développés, voire malsains, si nous ne parvenons pas à comprendre le monde extérieur, ou si nous ne comprenons ni ne comprenons nos forces et nos limites par rapport aux autres et aux choses ou nous ne parvenons pas à ressentir une harmonie entre nous et notre environnement.
Ici, le sens de soi n’est pas à annihiler, mais c’est plutôt les attachements qui posent problèmes dans la compréhension du monde et pour nos fonctionnements dans ce monde il me semble
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davi
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tirru... a écrit :
04 mars 2019, 01:29
Davi a écrit :Tout existe (rien de ce qui est vécu n'est néant), mais tout est vide de son côté (en dehors de l'esprit, rien).
Le néant est l'absence de potentiel, quant au vide il est l'apogée du potentiel. Il est l'espace dans lequel tout apparait, se développe et cesse.
C'est issu du Theravada ça ? :D
Axiste a écrit :Ici, le sens de soi n’est pas à annihiler, mais c’est plutôt les attachements qui posent problèmes dans la compréhension du monde et pour nos fonctionnements dans ce monde il me semble
Bien sûr le moi existe, mais il existe telle une fonctionnalité, à la suite d'un conditionnement. A partir du moment où le conditionnement cesse, qu'est-ce que devient ce moi ?
tirru a écrit :Généralement les enseignants bouddhistes nous incitent à se détacher de l'idée d'un faux moi et non pas à l'oublier, me semble t'il !
Mon avis est qu'une fois "le faux moi" éradiqué il ne reste rien du moi, tout simplement parce qu'il est inutile de recourir à un tel moi quel qu'il soit ! Si je décide qu'un ensemble de livres est une collection, très bien, mais il n'y a aucune collection en dehors de cette désignation qui m'est personnelle; éventuellement je peux la partager avec un autre si ça l'intéresse. Si je décide qu'une suite de pointillés est une ligne pointillée, très bien aussi. Il n'y a qu'à suivre la ligne. Si je décide qu'un assemblage d'agrégats est un moi, pourquoi pas. Ça n'en reste pas moins une désignation conceptuelle; et les désignations conceptuelles, ça n'existe que pour l'esprit.
Le Non-Soi
Par Ajahn Chah

93. Une vieille dame très pieuse arriva un jour en pèlerinage à Wat Pah Pong depuis sa province voisine. Elle dit à Ajahn Chah qu’elle ne pourrait pas rester longtemps car elle devait rentrer s’occuper de ses petits-enfants et, comme elle était âgée, elle demanda s’il pouvait lui donner un bref enseignement sur le Dhamma. Ajahn Chah lui répondit avec virulence ! : « !Écoutez donc !! Il n’y a personne ici — que ça !! Pas de propriétaire ! : personne qui soit vieux, qui soit jeune, qui soit bon ou mauvais, faible ou fort. Juste ça et c’est tout — différents éléments de la nature qui suivent leur cours, tous vides. Personne qui est né et personne pour mourir !! Ceux qui parlent de naissance et de mort parlent le langage des enfants ignorants. Dans le langage du coeur, du Dhamma, il n’existe rien de tel que la naissance ou la mort.! »

94. Le véritable fondement de l’enseignement est de voir le soi comme étant vide. Mais les gens viennent étudier le Dhamma pour faire grandir leur image d’eux-mêmes, ils ne veulent donc pas faire l’expérience de la souffrance ou de la difficulté. Ils veulent que tout soit agréable. Peut être veulent-ils transcender la souffrance, mais, tant qu’il y a un soi, comment peuvent-ils s’y prendre !?

95. C’est tellement facile une fois que l’on a compris. Si simple et si direct !! Quand des choses agréables se présentent, comprenez qu’elles sont vides. Quand des choses désagréables se présentent, voyez qu’elles ne vous appartiennent pas ! ; elles passent. Ne vous liez pas à elles comme si elles étaient vous, ne vous voyez pas comme les possédant. Si vous pensez que ce papayer est à vous, pourquoi n’êtes-vous pas blessé quand on le coupe !? Si vous pouvez comprendre cela, vous êtes sur la bonne voie, la voie de l’enseignement du Bouddha, de l’enseignement qui mène à la Libération.

96. Les gens n’étudient pas ce qui est au-delà du bien et du mal. C’est pourtant cela qu’il faudrait étudier. Ils disent ! : « !Je vais être comme ceci, je vais être comme cela.! » Mais jamais ils ne disent ! : « !Je ne vais rien être du tout parce qu’en réalité il n’y a pas de ‘je’.! » Cela, ils ne l’étudient pas.

97. Une fois que vous comprenez le non-soi, le fardeau de la vie disparaît. Vous êtes en paix avec le monde. Quand on voit au-delà du soi, on n’est plus attaché au bonheur et on peut être vraiment heureux. Apprenez à lâcher prise sans lutter, simplement lâcher prise, pour être exactement comme vous êtes — sans saisie, sans attachement, libre.

98. Tous les corps se composent des quatre éléments ! : la terre, l’eau, l’air et le feu. Quand ces éléments sont réunis pour former un corps, nous disons que c’est un corps masculin ou féminin ! ; nous lui attribuons un nom pour l’identifier plus facilement. Mais en réalité il n’y a personne ! : seulement de la terre, de l’eau, de l’air et du feu. Ne vous enthousiasmez pas pour un corps, ne soyez pas orgueilleux d’un corps. Si vous y regardez de près, vous n’y trouverez personne.

http://www.buddhaline.net/Le-Non-Soi
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axiste
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Merci Tirru et Davi pour vos regards, j’aime beaucoup ce texte d’Ajahn Chah love2
Si je reprends des morceaux de textes cités auparavant, voilà ce qu’ils m'évoquent:
Tout d’abord, partons du fait que le bouddhisme ne nie pas l’existence d’un moi, mais celle de son autonomie et indépendance. Ce que nous prenons pour le « moi » n’est qu’une éphémère construction d’éléments
- Souvent, alors que nous ne sommes jamais seuls, nous nous sentons seuls. Parce que la construction de notre être nous échappe la plupart du temps, on se voit comme solide(donc seul, isolé )alors que nous sommes fluides ( donc ouverts, changeants, libres), et nous sommes traversés par toutes les choses. Ces choses très éphémères nous font réaliser que nous mourrons à chaque instant. Mais nous ne sommes pas que ces choses auxquelles nous nous identifions et qui n’ont aucune consistance. Nous sommes juste comme profondement vides de nous mêmes, en cela on peut dire qu’il n’y a pas de soi, et alors nous recherchons l’immobilité ...à l’extérieur ( la stabilité dans l’espace et le temps) au lieu de la trouver au présent ( dans l’instant intemporel), ce qui nous rend insatisfaits et agités, en quête perpétuelle...Alors que seul l’instant est véritablement possible et réel. Nous ne pourrons jamais nous trouver à l’extérieur. La réalité est vécue, expérimentée, elle est forcément spirituelle.

...
le non-moi n’est pas la négation d’une personne vivante, mais son déploiement propre. Il y a là un point difficile à comprendre qui peut rendre ardue toute discussion sur la notion de non-moi. L’absence de soi ne signifie pas que la personne qui la vit a perdu le contrôle de son existence ou qu’elle n’est pas consciente de ce qui se passe dans son corps et dans son esprit. Il ne s’agit nullement d’adjoindre une qualification de plus à notre être - comme celle du non-moi - mais de pointer la dimension fondamentale qui est la sienne. La préoccupation constante envers nous-mêmes repose en vérité sur le fait de se sentir inquiet sans raison, de manquer de confiance en soi : « Des dizaines de fois par jour, notre soi se sent vulnérable, et, à chaque fois, il faut une certaine énergie psychique pour restaurer l’ordre de la conscience 1. » La perspective bouddhiste souligne de mille et une manières que l’ego n’existant pas de manière fondamentale, il se sent toujours menacé. La voie du Bouddha consiste à dépasser cette inquiétude en reconnaissant que l’ego n’a pas d’existence propre.
- ce serait important en effet de se mettre d’accord sur la signification des mots, le non-moi ne voulant pas dire que nous n’existons pas, mais que nous n’existons pas par nous mêmes. Et ce non moi n’exclut pas le(s)moi (s)qui nait(ssent) et meurent à chaque instant. La question reste, qui est conscient de chaque combinaison psycho-physique qui change à chaque instant?
Étrange découverte ! Le non-moi est lié à un sentiment de confiance, de détente et d’estime de soi, alors que spontanément nous pensons l’inverse.
- existence en confiance, détente et dans estime de soi.
Ainsi, parler de soi, de ce que nous ressentons, peut être une expression égotique visant à nous placer au centre de l’attention et à vérifier, confirmer notre existence, mais cela peut aussi bien être une manière de témoigner honnêtement de ce que nous éprouvons. Le chemin bouddhiste consiste à abandonner l’un pour l’autre. Autrement dit, le non-moi est une expérience d’une grande richesse et d’une vaste authenticité.
- Si on ne peut parler de soi, de ce que nous éprouvons, ça peut entrainer une négation de ce qui est, de ce que nous ressentons. Or, nous ressentons. Nous sommes des êtres sensuels. Nous avons ces cinq sens et notre mental.
Donc nous pouvons nous sentir limités par nos sens, comme s’ils nous
enfermaient dans une boite...qui serait un peu notre corps. Or, c’est dans ce
corps que se trouve le monde. Donc, une fois encore revenir à soi.

Ce qui trompe notre entendement, ce sont les mots que nous employons...il y a
bien « soi » dans « revenir à soi », et pourtant ce lieu là n’existe pas, enfin ce n’est pas
un lieu, il est vécu, expérimenté...en esprit.
Je suis en fonction des circonstances où je me trouve.
- Il y a un Je à chaque instant, mais quelque chose relie tous ces je.
Quelle que soit la perspective adoptée, il importe de ne pas oublier que le bouddhisme ne vise pas à faire disparaître le moi, mais simplement à reconnaître que celui-ci, il n’existe pas ultimement, car c’est seulement par cette reconnaissance que nous pouvons être plus heureux et libres.
...peut-on nier la réalité conventionnelle ?

Pour fonctionner dans le monde ?
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Floch
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axiste a écrit :
04 mars 2019, 22:02
...peut-on nier la réalité conventionnelle ?
Pour fonctionner dans le monde ?
Pour moi, il n'y a pas à nier la réalité conventionnelle, seulement savoir que ce "moi" est l'image qu'on se fait de nous. Si on nie la réalité conventionnelle, il me semble qu'on ne puisse plus observer et faire l'expérience.
« L'importance de l'enseignement des deux vérités est bien révélé par Nagarjuna lorsqu'il dit que l'enseignement du Bouddha est entièrement basé sur les deux vérités, la vérité conventionnelle et la vérité ultime [...] La vérité ultime est ce qui amène à la libération et la vérité conventionnelle est ce qui aide à comprendre la vérité ultime. C'est pour cela que les enseignements du Bouddha sont dits être basés sur les deux vérités. »
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