Renaissance incompatible avec le bouddhisme?

Iskander

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J'aimerais discuter de la notion de renaissance, au sein de la vision bouddhiste. Mais avant de commencer, j'aurais deux remarques:

1 - Je ne m'intéresse pas (dans le cadre de cette discussion) à la réalité des renaissances. Je répète: ce qui m'intéresse est de savoir comment la notion de renaissance s'insère (ou pas) dans la pensée bouddhiste, et non pas de déterminer si les renaissances existent ou pas.

2 - Inévitablement au cours de ce genre de discussion, quelqu'un dira que ce qui importe est la pratique ici et maintenant, et non une discussion stérile des extrémités de la vie. Sans lui donner tort, je lui épargne à l'avance la nécessité de cette remarque, et considère que tous ceux qui répondront auront accepté de discuter, en dépit de cette mise en garde.

Maintenant allons au coeur du problème:

La pensée bouddhiste est basée sur les quatre nobles vérités, qui décrivent et traitent du problème de l'existence. Selon le bouddhisme, le problème (c'est à dire l'insatisfaction, souffrance) posé par l'existence est le résultat de l'impermanence, une des trois caractéristiques de l'existence (insatisfaction, impermanence, impersonnalité). Tout ce qui est impermanent est insatisfaisant, et tout dans l'existence étant impermanent, l'existence est source d'insatisfaction.

De ce que je comprends, l'impermanence en tant que règle générale vient du fait que contrairement à nos illusions, nous sommes - tant que nous existons - le résultat d'une coproduction conditionnée, c'est à dire que notre existence à un moment donné est le résultat de l'interaction de diverses conditions à ce même instant. Alors que nous nous voyons comme un individu/pensée/conscience, nous sommes en fait un assemblage momentané d’agrégats, un assemblage changeant destiné à se défaire. Il est de ma compréhension que tout ce qui existe est conditionné, et donc destiné à changer. Le nirvana est le non-conditionné, et en dehors de l'existence.

Une fois ceci compris, il devient difficile de voir comment la renaissance pourrait fonctionner dans ce système de pensée. Lorsque nous mourons, les agrégats qui nous composent se délient. Même si on imaginait que quelque chose reste assemblé le temps d'une autre renaissance, j'imagine qu'au fil des renaissances même ce "noyau" dur finirait par se disperser.

Au lieu de ça on dit dans le bouddhisme que quelque chose persiste au fil des renaissances. Quelque chose d'unique, unitaire, qui permet au Bouddha (dans le jataka) de se rappeller de "ses" vies antérieures au long des âges. Ce "quelque chose" semble être extrêmement permanent, puisqu'il traverse sans ciller les kalpas (billions et billions d'années), et ressemble furieusement à une âme, en dépit de tous les dénis des bouddhistes (je ne vois pas en quoi l’appeler l'ego y change quoi que ce soit).

Il me semble par ailleurs que si vraiment les renaissances existent de façon indéfinie et unitaire (l'être x devient l'être y, qui devient z), alors ce "quelque chose" (ego, âme, etc) me semble en fait être ce qu'il y a de plus permanent dans la réalité, et non pas une illusion, comme le suggère le principe d'impersonnalité. Ne devrait-on pas dès lors utiliser cette chose permanente comme référence de toute existence, chercher à communier avec notre "ego" profond et éternel, plutôt que de se forcer à ne voir en lui qu'une illusion?

Bref, il me semble qu'il y a un bug, une incohérence fondamentale entre les quatre vérités, les trois marques de l'existence, et la notion de renaissances. Si c'est le cas, il nous faudrait dès lors choisir une de ces deux visions, et rejeter l'autre.

Qu'en pensez-vous?
tyrock

Je ne pense pas que le Boudha, dans ses nombreuses vies, a toujours eu la même "âme". Cette chose, l'âme est elle-même impermanente puisqu'elle est conditionnée par les nombreuses expériences (karma) dans de nombreuses vies, elle n'est jamais pareille. Seules les vies antérieurs qui ont mené le Boudha vers l'éveil, par ses actions bénéfiques, nous sont conté, mais on peut facilement imaginer qu'il a lui aussi, traversé des vies avec une âmes plus "sombre". Si l'âme, l'ego, du Boudha était permanente il n'aurait pas pu atteindre l'éveil. Aussi, rien n'empêche un "ego"ou une "âme" nouvellement conditionné (renaissance) de "reconnaitre" un enseignement, un art ou autre, de l'appliquer et de s'améliorer, et ceci de vie en vies.
Dernière modification par tyrock le 22 novembre 2011, 18:32, modifié 2 fois.
Florent

Cette une question que je me suis posé mainte fois sans trouver de réponse satisfaisante.La seule tradition à ma connaissance qui me satisfait est l'enseignement de la terre pure du bouddha Amida, d'emblée la renaissance y est posé comme possible et réel, même si c'est de manière implicite, , je me suis donc tourné vers cette forme là plutot qu'une autre, j'ai un peu étais voir ce qui se raconté dans les autres traditions et je dois dire que la plupart du temps on y rencontre pas mal d'incohérence.

Mon avis sur la question et que nous n'avons plus les moyens de saisir les enseignements du bouddha Shakyamuni parce que nous somme trop éloigné dans le temps de ses enseignements, donc la seule solution me semble celle de la terre pure, ou bien alors trouver un moyen pour recevoir les enseignements directement de shakyamuni, mais je pense que ça dépasse les capacités de la plupart d'entre nous.
Iskander

tyrock a écrit :Je ne pense pas que le Boudha, dans ses nombreuses vies, a toujours eu la même "âme". Cette chose, l'âme est elle-même impermanente puisqu'elle est conditionnée par les nombreuses expériences dans de nombreuses vies, elle n'est jamais pareille.
Peu importe le mot qu'on utilise pour la désigner (âme, égo, chose), il y a quelque chose en commun qui relie toutes ses vies. Ce minimum commun, semble être permanent.
Florent a écrit :La seule tradition à ma connaissance qui me satisfait est l'enseignement de la terre pure du bouddha Amida, d'emblée la renaissance y est posé comme possible et réel, même si c'est de manière implicite, , je me suis donc tourné vers cette forme là plutot qu'une autre [...] Mon avis sur la question et que nous n'avons plus les moyens de saisir les enseignements du bouddha Shakyamuni parce que nous somme trop éloigné dans le temps de ses enseignements, donc la seule solution me semble celle de la terre pure, ou bien alors trouver un moyen pour recevoir les enseignements directement de shakyamuni, mais je pense que ça dépasse les capacités de la plupart d'entre nous.
C'est une position qui me semble cohérente, et qui adresse la question posée si le pratiquent est prêt à se conformer aux contraintes que tu cites.
Zafu

Il n'y a pas de "moi" permanent, il n'y a que la continuité d'une série de causes et de conséquences.
Arrives-tu a identifier une "ame" qui aurait été la tienne à l'age de 4 ans et a retrouver cette même ame à ton age actuel ? En quoi consisterait-t-elle ? Ton âme serait le "toi" de 4 ans, celui de 12, de 30, de 60 ou de 90 ? A chaque age ton corps n'est plus le même, tes émotions non plus, tes pensées pas plus et la représentation que tu te fais du monde encore moins. En revanche à chaque seconde tu es lié à la seconde précédente qui fait que même s'il n'y a rien de permanent, il y a une continuité d'instant en instant. La renaissance est donc ce lien mais ça n'induit pas une essence propre. Je peux sur cette vie me remémorer mon enfance, trouver une continuité entre ce que je suis et ce que j'ai été mais pas un dénominateur commun (si ce n'est le code génétique). Les Jatakas procèdent de la même chose mais inter-vies.
La discussion de savoir si ce lien perdure d'une existence à une autre est un autre point mais qui ne change pas le fond du sujet (sinon en terme d'angoisse par rapport a la mort).

C'est n'est que ma compréhension des choses :)
Iskander

Zafu a écrit :Il n'y a pas de "moi" permanent, il n'y a que la continuité d'une série de causes et de conséquences.
Personnellement j'ai plus de difficultés à comprendre la permanence que l'impermanence, mais le problème se pose aussi si on part de la permanence pour aller à l'impermanence.
A chaque age ton corps n'est plus le même, tes émotions non plus, tes pensées pas plus et la représentation que tu te fais du monde encore moins. En revanche à chaque seconde tu es lié à la seconde précédente qui fait que même s'il n'y a rien de permanent, il y a une continuité d'instant en instant. La renaissance est donc ce lien mais ça n'induit pas une essence propre.
Oui, mais je ne vois pas en quoi ce lien serait permanent, lui. Je suis tout à fait convaincu que au cours de notre vie nous remplaçons plusieurs fois la plupart des atomes qui nous composent. Nous sommes donc comme une vague de matière et énergie, qui persiste dans le temps, du moins pendant quelque temps. Mais rien ne dit que cette persistance dans le temps soit elle même permanente.

Pour te donner un exemple, prenons un exemple plus simple, une vague dans l'eau. La vague persiste dans le temps, et elle n'est constituée d'aucun atome d'eau en particulier. Nous pouvons juste dire qu'à un moment donné cette vague implique certains atomes d'eau, et à un autre moment, elle impliquera d'autres atomes. Mais le lien entre les deux est très clair, c'est une transmission dans le temps d'énergie cinétique. Or cette transmission en elle même n'est absolument pas permanente. Avec le temps il y aura une dissipation d'énergie, transmise à l'air ou dissociée de la vague d'autres façons (chaleur, etc). Au bout du compte la dissociation est totale, et la vague a cessé d'exister. Nous avons donc une persistance dans le temps, sans pour autant avoir de permanence dans le temps.

Je ne vois donc pas pourquoi, lorsqu'on dit qu'une des trois marques de l'existence est l'impermanence, on devrait alors trouver acceptable l'idée de renaissances unitaires indéfinies dans le temps (et vice-versa, si on accepte le deuxième point, on aura beaucoup de mal à accepter que l'impermanence soit une des trois marques de l'existence).
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Dharmadhatu
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jap_8 Bonjour les amis,

J'aimerais apporter quelques précisions:
Iskander a écrit :Selon le bouddhisme, le problème (c'est à dire l'insatisfaction, souffrance) posé par l'existence est le résultat de l'impermanence, une des trois caractéristiques de l'existence (insatisfaction, impermanence, impersonnalité).
En fait, le Bouddha existe et son existence n'est pas insatisfaction. Donc la souffrance ne concerne que l'existence samsarique.
tout dans l'existence étant impermanent,
Il est de ma compréhension que tout ce qui existe est conditionné, et donc destiné à changer.
Selon le Bouddha, seuls les composés (samkhara, samskara) sont impermanents (Dhammapada). Il y a des phénomènes non causalement composés et ils sont donc permanents (non changeants d'instant en instant), comme l'espace incomposé, la vacuité, le nirvana, etc.
Le nirvana est le non-conditionné, et en dehors de l'existence.
En dehors de l'existence samsarique, mais pas de l'existence, sinon le nirvana serait un inexistant et personne ne pourrait le réaliser, n'est-ce pas ?
Au lieu de ça on dit dans le bouddhisme que quelque chose persiste au fil des renaissances. Quelque chose d'unique, unitaire, qui permet au Bouddha (dans le jataka) de se rappeller de "ses" vies antérieures au long des âges. Ce "quelque chose" semble être extrêmement permanent, puisqu'il traverse sans ciller les kalpas (billions et billions d'années), et ressemble furieusement à une âme, en dépit de tous les dénis des bouddhistes (je ne vois pas en quoi l’appeler l'ego y change quoi que ce soit).
Il y a bien une continuité, comme une cascade qui se transforme en torrent puis en fleuve. C'est le même cours d'eau, mais il est en continuel changement, il est impermanent. Comme cette continuité est la même, il est possible de désigner une identité conventionnelle en dépendance de cette continuité, tout en comprenant que fondamentalement, instant après instant, ce n'est ni tout à fait la même personne, ni tout à fait une personne différente. Sans ça, on surajoute inévitablement à ce simple "je" conventionnel une identité inhérente qui devient l'ego ou l'âme. Cette identité est permanente (pas ce en dépendance de quoi elle est désignée, c'est important) mais vide d'existence en soi; c'est pour ça que le Bouddha pouvait dire dans les Jatakas: "j'étais untel, je vivais dans telle famille, etc.."

Pour répéter, le "je" est simplement désigné en dépendance d'un flot en constant changement de tout ou partie des 5 agrégats qui interagissent continuellement. Voici ce que dit Matthieu Ricard:
Tout d'abord, il faut bien comprendre que ce qu'on appelle réincarnation dans le bouddhisme n'a rien à voir avec la transmigration d'une "entité" quelconque, rien à voir avec la métempsycose. Tant que l'on raisonne en termes d'entités plutôt que de fonction, de continuité de l'expérience, le concept bouddhiste de renaissance ne peut pas être compris. Il est dit "qu'aucun fil ne passe au travers des perles du collier des renaissances." Il n'y a pas identité d'une "personne" au travers de renaissances successives, mais conditionnement d'un flot de conscience.
Personnellement j'ai plus de difficultés à comprendre la permanence que l'impermanence,
En philosophe bouddhiste, la définition de permanent est "ce qui est une base commune entre un phénomène et la non instantanéité" (tib. tcheu dang kétchikma mayin pa shithun pa). Ca veut dire que cet existant ne change pas d'instant en instant. Ensuite, il y a la permanence temporaire (rengawé takpa, comme la vacuité d'une tasse) et la permanence dans le temps (du tenpé takpa, comme la vacuité des existants en général ou comme l'espace).

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Puisqu'il n'est rien qui ne soit dépendant,
Il n'est rien qui ne soit vide.

Ārya Nāgārjuna (Madhyamakaśhāstra; XXIV, 19).
Iskander

Dharmadhatu a écrit :la souffrance ne concerne que l'existence samsarique.
Tu veux dire que les trois marques de l'existence ne concernent que l'existence samsarique? ou certains s'appliquent aussi à l'existence non samsarique, et lesquels?
Selon le Bouddha, seuls les composés (samkhara, samskara) sont impermanents (Dhammapada). Il y a des phénomènes non causalement composés et ils sont donc permanents (non changeants d'instant en instant), comme l'espace incomposé, la vacuité, le nirvana, etc.
Donc tu penses que chaque créature a en elle un phénomène non causalement composé, et qui lui est particulier.
Le nirvana est le non-conditionné, et en dehors de l'existence.
En dehors de l'existence samsarique, mais pas de l'existence, sinon le nirvana serait un inexistant et personne ne pourrait le réaliser, n'est-ce pas ?
De fait.
Il y a bien une continuité, comme une cascade qui se transforme en torrent puis en fleuve. C'est le même cours d'eau, mais il est en continuel changement, il est impermanent. Comme cette continuité est la même, il est possible de désigner une identité conventionnelle en dépendance de cette continuité, tout en comprenant que fondamentalement, instant après instant, ce n'est ni tout à fait la même personne, ni tout à fait une personne différente. Sans ça, on surajoute inévitablement à ce simple "je" conventionnel une identité inhérente qui devient l'ego ou l'âme. Cette identité est permanente (pas ce en dépendance de quoi elle est désignée, c'est important) mais vide d'existence en soi; c'est pour ça que le Bouddha pouvait dire dans les Jatakas: "j'étais untel, je vivais dans telle famille, etc.."
Je vois que tu penses que chaque créature a une identité permanente... ce que j'appelais le "quelque chose". Nous aurions donc tous en nous quelque chose d'immortel. Quelque chose de plus limité que ce qu'on entend communément par le "soi", mais quelque chose de unique, personnel, et immortel, carrément indestructible. Quelle distinction entre cette identité permanente, et la notion d'âme? Le fait que ce "quelque chose" n'est qu'une fraction de ce qu'on appelle en général un humain?

Aussi, que veux-tu dire par vide d'existence en soi? Parce que cette identité permanente me semble terriblement existente, au contraire. Est-ce que tu l'entends dans le sens de la vague, qui n'est pas un assemblage d'atomes en particulier, mais un mouvement d'atomes? Je trouve que la vague d'eau existe en elle même, même si elle n'a pas de composants matériels permanents...

Pour répéter, le "je" est simplement désigné en dépendance d'un flot en constant changement de tout ou partie des 5 agrégats qui interagissent continuellement. Voici ce que dit Matthieu Ricard:
Tout d'abord, il faut bien comprendre que ce qu'on appelle réincarnation dans le bouddhisme n'a rien à voir avec la transmigration d'une "entité" quelconque, rien à voir avec la métempsycose. Tant que l'on raisonne en termes d'entités plutôt que de fonction, de continuité de l'expérience, le concept bouddhiste de renaissance ne peut pas être compris. Il est dit "qu'aucun fil ne passe au travers des perles du collier des renaissances." Il n'y a pas identité d'une "personne" au travers de renaissances successives, mais conditionnement d'un flot de conscience.
Un flot de conscience? C'est déjà pas si mal, je trouve. Il y aurait donc un flux de conscience qui traverserait les âges et l'univers de façon éternelle. D'ailleurs j'imagine que ce flux continue aussi éternellement après l'éveil, sauf qu'il ne s'encombre plus d'une matière, une existence samsarique. Et dans ce cas de figure, Bouddha était ce flux dépourvu d'illusion, mais encore attaché à son "bardas samsarique" jusqu'à sa mort.

Pour résumer, il y aurait donc un "je" samsarique (celui avec notre personnalité, notre corps physique, notre vision troublée, toujours changeant), et puis le "je" non samsarique, avec notre conscience, notre mémoire (puisque on se rappelle de nos existences passées), une "vision éveillée", et toujours le même au cours des âges, vu qu'il est permanent.

Mais dans ce cas on ne doit pas abandonner la notion du "soi", mais plutôt la réformer (mon je essentiel n'est qu'une partie de ce que je pensais être je, tout comme je pouvais penser que mes cheveux étaient partie de mon je, mais qu'après les avoir coupés je vois bien que ce n'est pas vrai. Mais pourquoi alors se donner autant de peine à démentir la notion d'ego, du soi, si finalement le jeu éxiste, mais que simplement il est une fraction de ce qu'on pense communément être le je? On devrait dire "affinez votre vision de qui vous êtes", plutôt que de dire qu'il y a une impersonalité. Je dirais plutôt qu'il y a une erreur de personnalité, une sorte de malentendu?
<<metta>>
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Dharmadhatu
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jap_8 Bonsoir Iskander,
Tu veux dire que les trois marques de l'existence ne concernent que l'existence samsarique? ou certains s'appliquent aussi à l'existence non samsarique, et lesquels?
L'existence non samsarique (celle des Eveillés) est marquée par le non-soi et l'impermanence: même si la continuité existera toujours, ses instances successives changent d'instant en instant, car il s'agit avant tout de conscience, et la conscience est un flux qui se poursuit au sein de l'impermanence (sinon pas de flux, elle serait statique).
Donc tu penses que chaque créature a en elle un phénomène non causalement composé, et qui lui est particulier.
S'il s'agit de la vacuité, oui. Sinon pas forcément.
Je vois que tu penses que chaque créature a une identité permanente... ce que j'appelais le "quelque chose". Nous aurions donc tous en nous quelque chose d'immortel. Quelque chose de plus limité que ce qu'on entend communément par le "soi", mais quelque chose de unique, personnel, et immortel, carrément indestructible. Quelle distinction entre cette identité permanente, et la notion d'âme? Le fait que ce "quelque chose" n'est qu'une fraction de ce qu'on appelle en général un humain?
Attention, j'ai bien dit que cette identité permanente (le simple "je") est une désignation conventionnellement attribuée sur la base d'une continuité d'agrégats en perpétuel changement. Cela ne peut être assimilé à l'âme qui n'est pas sensée être une simple désignation mais le référent d'une désignation. Bref, ce n'est pas un "quelque chose" qui n'est qu'une fraction de ce qu'on appelle en général un humain".
Aussi, que veux-tu dire par vide d'existence en soi? Parce que cette identité permanente me semble terriblement existente, au contraire.
Il faut faire une distinction indispensable entre "vide d'existence en soi" et "vide d'existence tout court". La souffrance est terriblement existante, on peut tous en faire l'expérience très vivace, et pourtant elle est vide d'existence en soi, d'existence inhérente, intrinsèque, ultime, ou indépendante (ce sont des synonymes).

Il y a plusieurs niveaux d'existence dépendante, et le niveau le plus grossier est celui de la dépendance par rapport à des causes et conditions, comme pour les phénomènes composés et donc impermanents.Le niveau intermédiaire est celui du tout par rapport à ses parties constituantes. Et le niveau le plus subtil est une existence dépendante d'une désignation conceptuelle. Par exemple, la vacuité est incomposée, elle est permanente, et pourtant son identité est désignée par rapport aux phénomènes dont elle est le mode d'être: quand on dit "la vacuité" en général, il s'agit d'un raccourci, mais en fait c'est toujours la vacuité de tel ou tel phénomène, ou encore de l'ensemble des phénomènes, et aussi la vacuité ou l'absence d'existence indépendante.
Je trouve que la vague d'eau existe en elle même, même si elle n'a pas de composants matériels permanents...
Si la vague existait en elle-même, elle ne dépendrait pas des atomes dont elle est le mouvement. Puisque le mouvement des atomes dépend des atomes, il est vide d'existence en soi et par soi, d'existence indépendante.
D'ailleurs j'imagine que ce flux continue aussi éternellement après l'éveil, sauf qu'il ne s'encombre plus d'une matière, une existence samsarique. Et dans ce cas de figure, Bouddha était ce flux dépourvu d'illusion, mais encore attaché à son "bardas samsarique" jusqu'à sa mort.
C'est une vue qui existe au sein du Bouddhisme, mais selon d'autres vues, le Bouddha n'avait plus aucun bardas samsarique, parmi le Trikaya, il avait un paranirmanakaya: des agrégats non contaminés. La matière n'est pas forcément samsarique, si elle est issue de souffles subtils (prana) non contaminés.
Pour résumer, il y aurait donc un "je" samsarique (celui avec notre personnalité, notre corps physique, notre vision troublée, toujours changeant), et puis le "je" non samsarique, avec notre conscience, notre mémoire (puisque on se rappelle de nos existences passées), une "vision éveillée", et toujours le même au cours des âges, vu qu'il est permanent.
C'est le même "je". Lorsqu'on envisage la continuité de la conscience en son entier, le "je" sera désigné sur la base de cette continuité tout entière. Lorsque, parmi cette continuité, on envisage une période, celle du samsara, le "je" sera désigné en dépendance de la continuité contaminée, et lorsqu'on envisage la période éveillée, le "je" sera désigné en dépendance de la continuité débarrassée de contaminations.
Mais dans ce cas on ne doit pas abandonner la notion du "soi", mais plutôt la réformer (mon je essentiel n'est qu'une partie de ce que je pensais être je, tout comme je pouvais penser que mes cheveux étaient partie de mon je, mais qu'après les avoir coupés je vois bien que ce n'est pas vrai. Mais pourquoi alors se donner autant de peine à démentir la notion d'ego, du soi, si finalement le jeu éxiste, mais que simplement il est une fraction de ce qu'on pense communément être le je? On devrait dire "affinez votre vision de qui vous êtes", plutôt que de dire qu'il y a une impersonalité. Je dirais plutôt qu'il y a une erreur de personnalité, une sorte de malentendu?
Il y a en effet un malentendu répandu: on confond le simple "je" conventionnellement désigné avec la conception erronée que nous en avons et qui le réifie (l'ego). Il y a bien un soi, mais ce soi est purement conventionnel. Le soi inhérent n'a jamais existé, ce n'était qu'une conception erronée et innée qui s'y rajoutait.

Lorsqu'on parle de non-soi, il est question de nier le soi inhérent ou indépendant. Quand on parle d'impersonnalité, il s'agit là aussi d'évoquer la vérité ultime: il n'y a jamais de personne ayant une existence ultime, jamais de personne en soi.

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michel_paix
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Bonjour,
Iskander a écrit :La pensée bouddhiste est basée sur les quatre nobles vérités, qui décrivent et traitent du problème de l'existence. Selon le bouddhisme, le problème (c'est à dire l'insatisfaction, souffrance) posé par l'existence est le résultat de l'impermanence, une des trois caractéristiques de l'existence (insatisfaction, impermanence, impersonnalité). Tout ce qui est impermanent est insatisfaisant, et tout dans l'existence étant impermanent, l'existence est source d'insatisfaction.

Il manque quelques précision... L'existence n'est pas insatisfaisante, parce que tout phénomènes composé est impermanent. J'ai trouvé que traduire dukkha par "souffrance", insatisfaction" et autre mots sont limité, j'aime bien l'image de la roue: "kha" est le moyeu d'une roue, et le préfixe "duh" indique quelque chose de défectueux. C'est a dire que dukkha est simplement quelque chose qui ne tourne pas rond, qui n'est pas bien ajusté, face a la réalité tel quel est.

Dukkha n'est pas produit dû l'impermanence, mais a pour condition le tanha [deuxième noble vérité.], le moyen de mettre fin a toute production du dukkha, c'est d'ajuster la roue [sentier octuple]. C'est justement parce que tout les phénomènes conditionné sont impermanent que la libération est possible.


De ce que je comprends, l'impermanence en tant que règle générale vient du fait que contrairement à nos illusions, nous sommes - tant que nous existons - le résultat d'une coproduction conditionnée, c'est à dire que notre existence à un moment donné est le résultat de l'interaction de diverses conditions à ce même instant. Alors que nous nous voyons comme un individu/pensée/conscience, nous sommes en fait un assemblage momentané d’agrégats, un assemblage changeant destiné à se défaire. Il est de ma compréhension que tout ce qui existe est conditionné, et donc destiné à changer. Le nirvana est le non-conditionné, et en dehors de l'existence.

Le nirvana n'est ni dedans, ni dehors. Les phénomènes conditionné sont non-né, donc ils sont nibané [nirvana].
Le samsara est mon monde a moi et toi aussi tu as ton samsara.

L'on est pas dans un samsara, donc l'on ne va pas vers le nirvana. Le nirvana est la nature ultime de toute chose, non-né. Le samsara est mon monde a moi surexposé sur la vérité d'enveloppement.


Une fois ceci compris, il devient difficile de voir comment la renaissance pourrait fonctionner dans ce système de pensée. Lorsque nous mourons, les agrégats qui nous composent se délient. Même si on imaginait que quelque chose reste assemblé le temps d'une autre renaissance, j'imagine qu'au fil des renaissances même ce "noyau" dur finirait par se disperser.

Ici je ne vois pas cela sous cette angle, la question selon moi n'est pas a savoir si un être transimgre ou pas, mais vise selon moi, plus sur "qu'est-ce qui fait le cycles sans fin de l'existence"? C'est la renaissance du tanha qui nous maintien dans le cycle des existances.

Au lieu de ça on dit dans le bouddhisme que quelque chose persiste au fil des renaissances. Quelque chose d'unique, unitaire, qui permet au Bouddha (dans le jataka) de se rappeller de "ses" vies antérieures au long des âges. Ce "quelque chose" semble être extrêmement permanent, puisqu'il traverse sans ciller les kalpas (billions et billions d'années), et ressemble furieusement à une âme, en dépit de tous les dénis des bouddhistes (je ne vois pas en quoi l’appeler l'ego y change quoi que ce soit).

La seul chose que je sais est que j'ai la capacité de me souvenir d'hier.

Il me semble par ailleurs que si vraiment les renaissances existent de façon indéfinie et unitaire (l'être x devient l'être y, qui devient z), alors ce "quelque chose" (ego, âme, etc) me semble en fait être ce qu'il y a de plus permanent dans la réalité, et non pas une illusion, comme le suggère le principe d'impersonnalité. Ne devrait-on pas dès lors utiliser cette chose permanente comme référence de toute existence, chercher à communier avec notre "ego" profond et éternel, plutôt que de se forcer à ne voir en lui qu'une illusion?

C'est un peu difficile de répondre, ici ??? En fait chaque phénomènes composé sont impermanent, et c'est justement parce que tout phénomènes composés sont impermanent que tout cela peux apparaitre, c'est précisément parce que tout phénomènes conditionné n'ont pas d'existance en eux-même, qu'il peuvent apparaitre. Donc l'on ne cherche pas du fond de notre âme éternel pour trouver un non-être, cela est illogique. C'est simplement que la nature ultime du soi, est non-soi. Donc c'est réalisé notre véritable visage et non pas ce rendre a néant.

Bref, il me semble qu'il y a un bug, une incohérence fondamentale entre les quatre vérités, les trois marques de l'existence, et la notion de renaissances. Si c'est le cas, il nous faudrait dès lors choisir une de ces deux visions, et rejeter l'autre.

Aucun bug. La renaissance du tanha "deuxième noble vérité" est ce qui maintien le cycle des existences [samsara] en constante co-production conditionné et conditionnant.

Tout phénomènes composés sont impermanent.
Tout phénomènes sont dépourvu d'un en-soi
Les phénomènes conditionné "contaminer" sont dukkha [quelque chose qui fonction pas correctement]


Qu'en pensez-vous?
C'est fait...

<<metta>>
:)
Verrouillé