Le moine nu

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yudo
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[Version française d'un texte publié sur http://www.thenakedmonk.com]

Lorsque le Bouddhisme devient sectaire


September 30, 2012

Il y a trente-cinq ans, j'étais au temple avec un moine plus jeune en train de polir les statues de bronze lorsque la conversation qui suit a eu lieu. Notre abbé était parti en tournée d'enseignement et avait invité un autre enseignant tibétain pour reprendre ses classes de philo. Cela ne se passait pas bien.

Moine ancien (moi): “Ce nouvel enseignant ne me paraît pas connaître sa matière.”

Moine plus jeune (choqué): “Mais c'est notre maître qui l'a choisi!”

Moine ancien (moi): “Oui. Je lui en ai parlé. Il m'a dit qu'ils étaient de vieux amis.”

Moine plus jeune (fronçant les sourcils): “Il doit y avoir une autre raison. Il y a une leçon pour nous là-dedans.”

Moine ancien (moi): “La leçon, c'est que certains enseignants sont meilleurs que d'autres … et peut-être que le nôtre a fait une erreur en choisissant celui-ci.”

Moine plus jeune (cesse de polir, bouche grande ouverte d'incrédulité): “Je ne peux pas l'imaginer. Je refuse de l'imaginer.” (Le jeune moine quitte ma présence en toute hâte.)

C'est ce jour-là que je me suis rendu compte que mes incessantes questions m'avaient finalement isolé de la communauté.

* * *

Cet échange en apparence trivial illustre le paradoxe qui définit le Bouddhisme tibétain: la gourou-dévotion.

Voici comment cela se passe: Vous devez considérer votre gourou comme étant un bouddha pleinement réalisé. Pour bénéficier de votre relation avec lui, vous devez considérer qu'il a toujours à coeur votre intérêt, peu importe ce qui pourra arriver. Si vous doutez, remettez en question ou rejetez cela, vous vous coupez de votre source d'avancement spirituel et souffrirez, maintenant et dans vos vies futures, d'innombrables renaissances dans l'enfer tantrique.

Votre gourou-dévotion est-elle une relation sincère ou juste une dépendance?

Il y a trente-cinq ans, alors que j'étais un chercheur spirituel désespérément en quête, j'ai suspendu mes doutes sans y penser deux fois. J'ai brûlé mes ponts avec ma famille, me suis presque perdu dans la drogue, trouvé une autre famille auprès des tibétains et fait ce qu'il fallait pour m'insérer.

Comme vous pouvez vous y attendre, cette ordonnance a ses propres dangers. Un récent documentaire sur la BBC rapportait les abus sexuels du lama tibétain Sogyal Rimpoché. Comme dans des cas antérieurs, mais moins explosifs, ceux qui voulaient parler se sont retrouvés confrontés avec un code du secret digne du Vatican qui a fait taire jusqu'au Dalaï Lama. En 1993, ce dernier a choisi de ne pas cautionner une lettre appelant les étudiants à dénoncer les enseignants qui abusent de leurs élèves.

Un danger moins public, et plus insidieux, réside dans la décision personnelle du disciple d'éviter de voir les faiblesses humaines du gourou. Lorsque les faits de la vie sont incompatibles avec la pratique spirituelle, on va droit à des désillusions amères.

Au premier contact, le Bouddhisme tibétain est un exemple accueillant de raison et de compassion. Cependant, les enseignements sont farcis d'accrétions ésotériques, mystiques, exclusives et secrètes. Au fin fond se trouve l'éthique austère et la philosophie du bouddha historique, qualifiées de ‘véhicule inférieur.’ Au-dessus se trouve le ‘grand véhicule,’ et ensuite le ‘véhicule secret,’ également appelé tantra. C'est à ce niveau qu'un gourou est indispensable.

Pas de trace historique du Bouddha enseignant les tantras


Les tantras constituent un corpus riche et abondant de pratique symbolique en liaison avec des codes éthiques stricts. Ils emploient néanmoins une iconographie sexuelle et démonique qu'il est facile de manipuler, et pas seulement par des enseignants opportunistes, mais même par les dévots qui se laissent aller à la pensée magique. Le folklore tantrique et même l'histoire tibétaine comtemporaine sont riches de démons invisibles et d'événements magiques.

La pensée magique est diffuse dans la vie religieuse tibétaine. On se réfère couramment aux lamas comme étant des bouddhas vivants, en particulier s'ils sont plus riches, plus malins, ou disposant de meilleures connexions. La culture tibétaine est profondément stratifiée. La langue tibétaine dispose même de vocabulaires différents selon qu'on parle à un superieur, à un pair ou à un inférieur. La langue de tous les jours pour "femme", est ‘basse de naissance.’

Quoique soient nombreux les dévots qui enterrent leurs doutes et leurs questions, les écritures tantriques ne l'exigent pas. Sagement, elles signalent l'aspect précaire de la relation gourou-disciple et demandent aux maîtres et aux disciples de s'inspecter mutuellement pendant plusieurs années avant de passer ce pacte ésotérique. En pratique, pourtant, les initiations ‘secrètes’ sont en libre accès. Les rituels publics de Kalachakra menés par le Dalaï-Lama sont organisés comme des concerts de rock, et le public qui y assiste y va dans les mêmes proportions. Rares sont ceux qui laissent passer l'occasion, et ils sont censés considérer le lama officiant comme un gourou tantrique.

Le nouveaux-venus au Bouddhisme tibétain sont souvent avides d'éveil, et les maîtres ont besoin d'étudiants pour soutenir leur crédibilité et leur subsistance. On pourrait se demander, “mais à quoi ressemble un bouddha parfaitement réalisé?” Mais il serait plus judicieux de se demander s'il s'agit d'une véritable relation ou juste d'une dépendance?

* * *

Il n'existe pas de document historique nous montrant le Bouddha en train d'enseigner les tantras. Pour donner de l'authenticité à ces pratiques, l'establishment tibétain les appelle enseignements ‘secrets’ du Bouddha, ayant été donné par un double dans un autre domaine d'existence au même moment où il enseignait ici sur terre. La pratique se trouve encore plus légitimée par la prétention que les tantras sont fondés sur la pratique bouddhique ‘ordinaire’. En théorie, on peut choisir à quel niveau on veut pratiquer. Cependant, les tantras sont dits permettre d'arriver à l'éveil en aussi peu qu'en trois ans, par opposition aux ‘innombrables vies’ du Bouddhisme ordinaire. Une fois pris dans les rêts de l'orbite tibétaine, rares sont les dévots qui s'en vont.

Votre idée du gourou est-elle un exemple de perception augmentée, ou juste la projection d'un idéal?

Pour eux, le tantrisme est un Bouddhisme turbo. Ils s'engagent dans une gymnastique mentale des plus élaborées afin de maintenir sa compatibilité avec le Bouddhisme ordinaire. La culture interne en est compénétrée de relations hiérarchiques, miroir de la société tibétaine. Le Bouddhisme ‘ordinaire’ et les rituels tantriques sont inséparablement entrelacés.

Le Bouddhisme ordinaire se fonde sur la pratique fondamentale de l'attention consciente. Cette forme d'entraînement mental, que des médecins progressifs utilisent aujourd'hui dans le monde entier, requiert des pratiquants de voir les choses comme elles sont, de façon dépourvue de sentimentalisme. Il aborde le stress par une approche à long-terme en nous faisant voir les manières que nous avons de penser comment les choses ‘devraient’ être. Cela peut être déstabilisant. Par contraste, les pratiquants tantriques ont besoin de considérer chacune des facettes du comportement du gourou comme étant éveillée. Qu'il soit vraiment possible ou non de réconcilier ces deux approches, pour tout le monde, à l'exception des penseurs les plus pénétrants, cela finit par avoir l'air d'être mutuellement exclusif.

La question qu'évitent à tout prix la plupart des dévots du gourou, c'est celle que pose de la façon la plus insistante l'attention consciente: notre vue du gourou est-elle un exemple de perception augmentée, ou la projection d'un idéal? Lorsqu'il ne m'a plus été possible d'isoler ces deux perspectives l'une de l'autre, j'ai perdu ma foi tantrique et j'ai migré vers le véhicule inférieur. cela fut pour moi un pas vers la réalité, au prix de beaucoup de tordage de mains, de culpabilité et de doutes personnels.

Depuis la publication de mon mémoire The Novice, j'ai reçu des douzaines de courriels de personnes confrontées au même dilemme. C'est là la trajectoire de beaucoup de ceux qui sont arrivés au Bouddhisme au travers du portail tibétain. C'est un portail accueillant, attirant et superbe. Pour les épuisés, les malheureux et les déchus spirituels, il est difficile de résister au promesses du Bouddhisme turbo. Pourtant, tôt ou tard, il nous faut tous considérer la façon dont il fonctionne pour nous.

La prise de décision est une émotion

Le tantrisme, ce n'est pas des trucs et des conneries, mais il est très largement répandu et pratiqué de façon très superstitieuse, tout à fait en contraste avec sa dignité. Sa valeur symbolique et narrative est aussi puissante que n'importe quelle mythologie grecque, mais, pour la plupart des dévots, cette comparaison est pure hérésie. Même chez ceux qui abandonnent, peu osent s'exprimer. J'ai été accusé d'apostasie et d'être un ‘faux prophète.’ Ceux qui ont dénoncé les abus sexuels de Sogyal Lakar ont reçu des menaces de mort.

Un des prérequis de la pratique bouddhique ordinaire est d'examiner ses propres motivations, et l'une des grandes pénétrations du Bouddha est que les sensations précèdent la raison, ou, ainsi que le posent les neuropsychologues, la prise de décision est une émotion. Examiner ses motivations de la sorte, questionner la raison d'accepter ou de rejeter, c'est s'exposer tout nu à la piste audacieuse qu'il avait empruntée.

Je n'accorde guère de prix aux grandes réponses à la vie, mais bien davantage aux questions. Un demi-siècle de lutte avec des systèmes de croyance m'a convaincu que la plus grande de ces questions est, “Pourquoi crois-je?” Il y a là la pénétration d'une vie. Il n'y a rien dans les tantras qui contredise cette approche critique, mais tant que vous serez dans le Bouddhisme pour le confort, la consolation et la sécurité, vous n'irez pas par là.

[Contact Stephen if you are dealing with crisis, loss of faith and the sense of disconnect. He’s been there, knows how hard it is to see the way clear and can help.http://www.thenakedmonk.com/contact/]
La responsabilité des élèves est d'empêcher le maître de se "prendre pour un maître".
Iskander

je pense que pour les convertis, là relation disciple gourou sert un vrai besoin. À partir de là, cette relation est soumise à tous les aléas des relations humaines, qui finissent souvent mal en l'absence d'esprit critique
klesha

On pourrait tout aussi bien remplacer "bouddhisme tibétain" par "zen, prêtres, catholiques, enseignant, psychiatre" tout ce qui fait intervenir une relation humaine dominant-dominé, transfert dans le cas d'une personne vulnérable comme ce monsieur avoue l'avoir été.
Sur le fond, c'est un article polémique, une histoire personnelle. Je ne sais pas combien de temps l'auteur a pratiqué le "bouddhisme tibétain" (quelle école ?) mais j'espère qu'il n'y a passé trop de temps car il en est visiblement resté au tout premier degré... Sincèrement, je n'ai pas le courage de me mettre à démonter les âneries qu'il raconte sur la relation maître-disciple, sur ses propres interprétations des "grandes pénétrations du Bouddha", etc., et bla bla bla...
Bon, c'était pas son truc, OK il y a bien d'autres voies.
Au fait Yudo, c'est quoi le but ?
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Longchen
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Je suis assez d'accord avec Klesha, la question de « l’abus de faiblesse » ne concerne pas qu’une seule catégorie de personnes, ce serait réducteur d’envisager cela ainsi : dans la réalité cela peut prendre n’importe quelle forme je pense (et l’être humain est inventif !).
Mais tous les êtres humains ne sont pas malhonnêtes, bien sûr il y en a qui le sont.
FleurDeLotus
L’instant présent 🙏
Iskander

klesha a écrit :Sincèrement, je n'ai pas le courage de me mettre à démonter les âneries qu'il raconte sur la relation maître-disciple,
c'est dommage, ça m'aurait intéressé d'entendre ton propre point de vue sur la question, surtout vu que tu sembles avoir une autre expérience.
Jean

Si on doit juger un chemin, il faut examiner les comportements des bons pratiquants, pas des mauvais. Et surtout ne pas faire des généralisations à partir des comportements des lunatiques.

Le Gourou donne les enseignements. C'est ça sa fonction principale.

Il peut servir de source d'inspiration dans le domaine spirituel comme d'autres personnes peuvent servir d'inspiration dans d'autres domaines.

Ensuite ceux qui veulent se livrer à la gouroumania, libre à eux.

Imaginez une personne qui était dans la confusion et qui après des années de pratique arrive à des états de conscience de paix, de clarté. C'est normal que cette personne exprime sa reconnaissance vis vis de la personne qui l'a sortie de la confusion. C'est un comportement normal, pas hystérique.
tongra

Jean a écrit :Si on doit juger un chemin, il faut examiner les comportements des bons pratiquants, pas des mauvais. Et surtout ne pas faire des généralisations à partir des comportements des lunatiques.
Jean, une question m'a toujours taraudé : qu'est-ce qu'un bon ou un mauvais pratiquant ?
klesha

Si tu veux Iskander. J'ai effectivement, comme bien d'autres, une expérience très différente mais...
1. j'aimerais que yudo nous dise pourquoi il aborde ce sujet
2. je ne répondrai pas tout de suite car en ce moment, là où je vis, loin de la France, je gère l'effondrement d'un parking souterrain... Mais je répondrai dans les jours qui viennent et d'autres le feront certainement
3. je citerai, pour montrer à quel point c'est nul, des articles de ce genre sur le zen et d'autres traditions
Jean

Il y a aussi le fait de suivre un enseignement d'une certaine tradition et de lire les livres d'une autre tradition. Trés souvent la personne dit que cette autre tradition, il faut être un âne pour la suivre.

Si une personne pratiquait pendant 10 ans, 20 ans une tradition et pendant 10 ans, 20 ans cette autre tradition ce qu'il dirait serait beaucoup plus intéressant.

Il y a le mot "secret" dans le Bouddhisme Tibétain dont certains se servent pour valoriser leur ego et d'autres se servent pour dévaloriser la tradition.

Dans le bouddhisme Tibétain il y a les pratiques extérieures, intérieures, secrètes, très secrètes

Secrètes veut dire profondes, intimes. Si on a un peu étudié le Bouddhisme Tibétain, on connait cette signification. Parler de ces pratiques "secrètes" sans en connaître le sens véritable est la preuve que l'étude du Bouddhisme tibétain a été superficielle.

les pratiques extérieures : par exemple les prières, les rituels, les prosternations, les mouvements de yoga

pratiques intérieures : observation de la respiration, méditation analytiques, méditation sur la compassion etc

pratiques sécrètes ou intimes ou profondes . les pratiques avec visualisations , les Yidams, les énergies, les 6 Yogas de Naropa

pratiques très secrètes ou très intimes, ou très profondes : Rigpa, le Mahamoudra soutrique ou Tantrique

Si une personne dit que par exemple les 6 yogas de Naropa (pratique "secrète") c'est de la rigolade pour débile, cela veut dire soit qu'elle n'a fait que lire des bouquins là dessus (et encore a-t-elle lu les bons bouquins?) Car même si elle avait peu pratiqué ces yogas (avec un enseignant compétent), elle se serait aperçu de leur efficacité. Donc cette personne pontifie avec condescendance et mépris sur quelque chose qu'elle ne connait pas. C'est aussi absurde que de dire que la vodka ou la téquila ne saoulent pas. Affirmer cela est la preuve que la personne n'en a jamais bu.

c'est aussi malhonnête.

C'est vrai que dans le Bouddhisme Tibétain, (et dans bien d'autres traditions) il y a des Lamas et des pratiquants "shmillblicks", mais aussi il y a des lamas et des pratiquants aux comportement exemplaires. Pourquoi généraliser sur l'aspect négatif pour dévaloriser cette tradition.

Certains ont l'impression qu'en dévalorisant, ils valorisent eux-mêmes. Et ils peuvent enfin entonner "We are the champions".
Jean

Tongra a écrit :
Jean, une question m'a toujours taraudé : qu'est-ce qu'un bon ou un mauvais pratiquant ?
C'est une question de candide! Tu as du déjà aller dans un centre spirituel ou rencontrer des groupes "spirituels".

Un mauvais pratiquant ;: un lunatique, un dogmatique, un hystérique, un torquemada, une personne qui se sert du chemin spirituel comme une parure avec des comportements stéréotypes qui se voudraient signes de réalisation, un superstitieux, une personne souffrant du syndrôme de "Grand Initié", une personne qui pourrit la vie des autres avec sa pratique, etc

Un bon pratiquant est simple, tranquille, discret, sympathique, sincère, humain et il fait ce qu'il peut, il ne prétends rien et avec les années qui passent, ces qualités augmentent conjointement à une clarté d'esprit et une ouverture du coeur de plus en plus grandes....Tout un programme!!!

je me fiche qu'un tel pratiquant ait ou non expérimenté la vacuité ou ait ou non réalisé l'Eveil. mais mon intuition me dit qu'il n'en est pas loin. Ce n'est qu'une opinion intuitive personnelle! je ne bâtirai pas un dogme là dessus! En tout cas, j'aimerai bien être ami avec une telle personne.
Dernière modification par Jean le 02 octobre 2012, 20:17, modifié 1 fois.
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