Le poids des mots

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axiste
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Il faut que j'écrive quelques mots là dessus...

Mon grand père étaient imprimeur pendant la guerre et libraire ensuite…alors il n'y avait pas que les mots parlés qui avaient un poids à la maison, mais des bibliothèques qui étaient très très lourdes…ces livres m'ont suivis longtemps …mais je ne pouvais en lire que certains…les autres avaient un poids que je ne saurai dire…il y en avait un particulièrement qui pesait une tonne et que mon grand père m'avait donné: c'était un livre qui rendait hommage à tous les combattants morts pendant la résistance.

Il y avait la photo de mon grand père en première page parce que c'était l'échantillon qui lui était adressé, puis toutes les photos des résistants disparus…ce livre m'a suivi une bonne partie de ma vie: un jour, sentant son poids comme incommensurable, je l'ai brûlé.

J'ai eu une pensée pour tous ces gens qui me semblaient retenus dans ces pages comme dans une prison et je me rappelle que ça m'avait vraiment retournée: je l'ai brûlé dans mon jardin en Martinique…à la fin, le vent a soulevé toutes les cendres en les ramenant doucement vers moi, j'ai eu l'impression d'avoir touché quelque chose de vivant et ça faisait comme des flocons de cendres qui virevoltaient dans l'atmosphère.

J'ai aimé tous ces gens qui s'échappaient me semblait-il tout à coup, et en même temps je leur demandais pardon de bouger les choses comme cela, de les remuer et de les toucher, et pourtant au fond je savais que c'était ce que je devais faire…c'était une sorte de libération.
Ensuite il y a eu comme un grand vide tout au fond de moi…et je crois que c'est à ce moment là que j'ai commencé à me poser des milliards de questions…et puis j'ai donné plein de livres tout partout, j'ai continuer à faire le vide des mots de plus en plus….
Aujourd'hui, je n'ai plus beaucoup de livres à la maison…en général les livres circulent et je ne les garde plus. Je ne pourrais plus …il y a dans tout livre, un poids.

Je ne sais pas ce que mon grand père a imprimé pour la résistance, je crois que j'aurais aimé avoir des mots là dessus qui auraient allégé tous les autres….
Pendant cette période, mes grands parents ont vécu le sentiment de puissance conféré par l'action et le nuage d'une mort pouvant frapper à tout moment.
C'était une épée de Damoclès en fait…

Parfois, quand ils en parlaient, j'avais l'impression qu'ils auraient préféré se fondre dans le néant et retrouver la paix dans l'immobilité du rien…oui, certainement, ils auraient préféré n'être rien dans tout ça…le courant les avait emporté très très loin malgré eux et il y avait une violence inouïe en son sein…
Quand ils en parlaient, ils faisaient revivre tout cela et je sentais que ce n'était pas complètement terminé…les mots avaient pris le relais et ils livraient bataille à leur tour…pour trouver l'apaisement.
Les mots sont des échappatoires…il faut les voir mourir un à un pour franchir leur prison.

Ensuite, il faut tourner la page.
Cinq clefs pour la parole correcte :
- dire au bon moment, prononcer en vérité, de façon affectueuse, bénéfique et dans un esprit de bonne volonté."
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Flocon
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Je ne sais pas trop quoi répondre, sauf bon courage.

Une suggestion peut-être, et pardon d'avance si j'écris une sottise :
axiste a écrit :Je ne sais pas ce que mon grand père a imprimé pour la résistance, je crois que j'aurais aimé avoir des mots là dessus qui auraient allégé tous les autres….
Tu pourrais creuser, il y a probablement des moyens de le faire. Peut-être savoir ce qu'il en a vraiment été t'apaiserait-il, et te permettrait-il de tourner la page? :?:
Quand on sonde les choses, les connaissances s'approfondissent.
Les connaissances s'approfondissant, les désirs se purifient.
Les désirs une fois purifiés, le cœur se rectifie.
Le cœur étant rectifié, on peut réformer sa personne.

Kong Tseu
Katly

Oui se libérer du poids...
Le vieux monsieur, du couple chez qui je vais faire un peu de ménage, lit encore des livres sur la guerre. Comme livre de chevet, :roll: cela me faisait triste de savoir ça. Pourtant c'est un petit bonhomme plein d'humour, simple et gentil, très vif.

:shock: Tiens cela me fait rappeler ces lettres d'amour, ces poèmes enflammées dans ma corbeille que je voulais emmener brûler près de la rivière, en forêt. Et toutes les lettres que ma mère m'a envoyé durant des années ( après c'était le téléphone... ), des petits cartons entiers, je ne sais pas pourquoi, je les ai gardé, maintenant, sans doute, pour les brûler aussi.

Oui tourner la page.

Bien que j'aime écrire des poèmes, des contes, des haïkus surtout, j'aime les paroles qui s'envolent, comme des oiseaux surgissant d'un arbres, ou des papillons qui volètent et s'en vont.
L'oralité s'est perdu ?

Bon courage Axiste. loveeeee
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axiste
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Merci pour vos réponses
Tu pourrais creuser, il y a probablement des moyens de le faire. Peut-être savoir ce qu'il en a vraiment été t'apaiserait-il, et te permettrait-il de tourner la page?
En fait, à l'époque, ils ne détaillaient pas vraiment les choses… c'était difficile d'en parler. J'aurais aimé entendre ces mots de leur part, qu'ils puissent exprimer vraiment.
Maintenant, replonger dans tout ça, je ne sais pas…je pense que ce serait tourner une page très lentement.
Parfois je ressens la souffrance de mes ancêtres et elle est moi. …je regarde en détail et je comprends un peu mieux les cadres qui se retiennent parfois, ça éclaire quand je regarde cela sans juger et en l'acceptant totalement. Il me faut faire de l'espace pour ça. C'est sans doute ce que je fais aussi en me vidant des mots…
Alors ça se transforme. Je deviens plus spacieuse vis à vis de tout ça, c'est comme si je me disais: ok, je sais qu'il y a tout ça en moi, je prends tout, j'accepte tout, et je regarde plus profondément…sans juger. Et l'acceptation possible est une sorte de paix en elle même.
Cela se fait avec la prise de conscience de ressentis que je n'entendais pas auparavant…c'est comme si, en les entendant dans mon corps j'arrivais en même temps à les évacuer peu à peu…enfin, c'est surtout une question d'écoute, d'accueil et d'acceptation je crois…
Peut-être un jour je souhaiterai rechercher autrement,mais je ne sais pas...
L'oralité s'est perdu ?
Je crois bien souvent oui...
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Flocon
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axiste a écrit :Parfois je ressens la souffrance de mes ancêtres et elle est moi.
Oui, ça nous arrive à tous et c'est très douloureux. Je te souhaite encore une fois beaucoup de courage -et bonne chance, si un jour tu fais une démarche de recherche. :)
Quand on sonde les choses, les connaissances s'approfondissent.
Les connaissances s'approfondissant, les désirs se purifient.
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Kong Tseu
ted

axiste a écrit :J'ai eu une pensée pour tous ces gens qui me semblaient retenus dans ces pages comme dans une prison et je me rappelle que ça m'avait vraiment retournée: je l'ai brûlé dans mon jardin en Martinique…à la fin, le vent a soulevé toutes les cendres en les ramenant doucement vers moi, j'ai eu l'impression d'avoir touché quelque chose de vivant et ça faisait comme des flocons de cendres qui virevoltaient dans l'atmosphère.
Est-ce qu'on éteint un incendie en coupant la sirène qui sonne l'alerte ? :cool:
Katly

Le poids des mots, un paquet à porter, encore le temps du chemin, les regarder danser dans les flammes et les cendres flotteront dans la forêt.

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Légèreté de marcher sans le poids des mots.
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axiste
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Est-ce qu'on éteint un incendie en coupant la sirène qui sonne l'alerte ? :cool:
Sans doute pas Ted...ce devait plutôt être ...couper la sonnette et puis ensuite regarder mieux...
Le livre n'était qu'un livre, sauf qu'il était très chargé...de ce que je ne voulais tout d'abord pas voir.
Mais tout change... on apprend et on regarde mieux.

@flocon
oui, ça nous arrive à tous et c'est très douloureux. Je te souhaite encore une fois beaucoup de courage -et bonne chance, si un jour tu fais une démarche de recherche. :)
Je crois que je le ferai peut-être, ce pourrait être quelque chose de très positif finalement jap_8
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ted

axiste a écrit :Ensuite, il faut tourner la page.
C'est parce que des gens se sont battus, pour qu'on soit libre, qu'on peut tourner la page maintenant.
Est-ce une raison pour les oublier ?
Faut-il raser les monuments aux morts ?
Supprimer les fêtes nationales ?
Ne pas entretenir la mémoire de leur courage ?
Devons-nous nous contenter de profiter paisiblement de ce monde tranquille qu'ils nous ont laissé en se battant jusqu'à la mort et en pensant sans doute à nous leurs descendants ? à qui ils n'ont pas souhaité un avenir de captivité ?

En même temps, dans une optique bouddhiste, si tu n'as créé aucune souffrance autour de toi par cet acte, ça ne peut pas être un acte akusala je crois.
Si tu as eu besoin de ça pour trouver un équilibre au présent...
De toute façon, d'après ce que j'ai compris, il y a d'autres exemplaires ? Ton grand-père avait le sien, c'est ça ?
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axiste
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Ne me fait pas dire ce que je n'ai pas dit Ted... :roll:
Tourner la page c'est arrêter de souffrir, pas oublier.
Ce qui n'est pas la même chose.
Oui bien entendu, il y avait plein d'autres exemplaires, chacun après la guerre ayant été remercié...
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