A la réflexion et à la re-lecture de l'article précédent, je vais oser une comparaison identitaire entre les trois tours de roue du bouddhisme mahayana, les trois modalités réflexives de HEGEL et les perspectives de Salut du Christianisme au travers du Paradis perdu/Jardin d’Eden, du Purgatoire et du Paradis
Selon la philosophie zen et sa pratique zazen, l'opposition/complémentarité de l'Esprit/Corps, des évènements et du monde s'explicite par la dialectique du Cœur/Conscience/Phénomènes (SHIKI) de leur négation dualiste (MU – ne pas...) et de l'essence (KU – vacuité), l’ensemble déjà décrit précédemment.
Chacun comprend la symbolique de la roue liée à la rotation des existences telle que décrite par le bouddhisme hinayaniste sans que pour autant cette symbolique ne soit à prendre au premier degré. Cela serait-il que la démonstration n'en perdrait pas sa pertinence sauf, si bien évidemment, on en nie le principe.
HEGEL n'avait que faire de ces préoccupations dont la nature ne devait pas l'effleurer bien que le point de départ de son attitude soit identique à celle du Bouddha quant à la prise en compte du Réel tel qu'il se présente (Heidegger dirait : dasein, son être au monde) – C'est l'attitude en principe de chacun d'entre nous vis à vis du Monde visible des objets qui se présente et qu'aussitôt nous intégrons à nos sensations, nos manières de vivre, pour assurer naturellement notre survie et le maintien de notre être dans son Etre (Spinoza) ; c'est en ce sens que l'on peut dire que nous posons le monde d'où l'appellation de réflexion posante. C'est la plus basique que j’apparente à Shiki.
Cela fait, le devenir naturel des éléments et des rapports qu’ils nouent entre eux en lien avec le déploiement et l’influence de notre propre ego complexifient la réalité vécue au point qu’elle va se scinder en éléments contraires exacerbant les désirs et les passions amenant certains d’entre nous à s’interroger sur ce qui leur semble être la conséquence d’un déterminisme absolu qu’ils essaieront de conjurer, entre autre, par le refuge en religion. Cet enchevêtrement sans fin autrement appelé dualité que j’apparente à Mu, va suggérer un possible dépassement vers une dimension d'altérité permettant d'instituer une réflexion extérieure par l'instauration de valeurs normatives externes telles que la/les divinités nous les suggèreron ajoutant encore à la confusion. C'est la démarche intermédiaire et plus particulièrement le résultat du fonctionnement dictatorial du cerveau frontal
La dualité et la multiplicité des combinatoires qu'elle rend possible n'apportant aucun apaisement et aucune base certaine de connaissance, sera alors expérimenté un nouveau paradigme qui suppose l'identité de l'identique et du différent, l'identité de l'objet désigné d'avec le sujet désignant en bref l'Unité de principe du Monde . Encore faut-il la définir et la nommer et ce sera la notion de Vacuité liée à l'interdépendance des éléments, réflexion fondatrice dont rien ne permet de faire un point d'appui bien qu'elle en soit totalité constitutive. C'est la démarche déterminante que j’apparente à Ku.
LES MYTHES, L’ATTITUDE RELIGIEUSE
La structure ternaire de connaissance du monde est ainsi en place et il importe maintenant de constater qu'elle satisfait ou pas aux besoins de compréhension indispensable à l'intégration des humains au Monde moderne dont les marchands d'illusion nous disent pourtant qu'il répond, à lui seul, à la totalité de leurs désirs et souhaits
Les religions révélées et l'ensemble des mythes font état d'un âge d'Or que la tradition moyen-orientale assimile au Jardin d'Eden lieu de mémoire culturelle d'une époque simple où les hommes vivaient de la générosité divine sans connaître les tourments de la civilisation perçue comme souffrance. La simplicité explicitée fait état d'une humanité vivant en harmonie avec elle-même, avec les animaux et avec Dieu dans une nature où rien ne manque et d'où le conflit et la convoitise sont exclus, à tel point que le terme « Paradis » sera employé dans la bible hébraïque ainsi que dans la littérature apocalyptique et talmudique
Après la chute, la connaissance et la réification du bien et du mal, la mise à distance de la nature pour mieux l’ exploiter, l'exaltation des spécificités nationales et ethniques, l'exacerbation généralisée de la volonté de puissance vont développer un antagonisme généralisé, non seulement entre les hommes et leurs organisations politiques, sociales et religieuses mais à l'intérieur des concepts et des valeurs qui les guident et les formatent. Parallèlement la nécessité d'une autre vision du Monde va générer un ou des idéaux de Paix et de Fraternité qui se présenteront comme alternatifs à la violence constatée avec les notions d'enfer et de purgatoire supposées être un lieu de « purgation » dans l'attente d'une future salvation.
Il m’apparaît évident que ces trois ages, périodes, tours de roue représentent un schème inconscient de compréhension et de signification du monde au sens où l’entendait JUNG. Bien qu’il se manifeste sous des formes culturelles différentes il nous appartient, au-delà des formes, d’en trouver le sens général sans pour autant amalgamer le Tao, le Yin et le Yang des taoïstes, le Père, le Fils, le Saint-Esprit des Chrétiens, le Corps absolu, le Corps de Rétribution, le Corps d’Apparition des Bouddhistes Mahayanistes, Ormuz, Ahriman et Ahura Mazdâ du Mazdéisme, la période des retraite de 3 ans, 3 mois, 3 jours des Bouddhistes tibétains, la trinité des Védas où Vishnou construit les Mondes que Shiva détruit et que Brahma fait néanmoins croître sans oublier bien entendu l’exemple précédemment cité de Zazen.
Qu’est-ce que ces constatations signifient ? Pour le croyant et quel que soit son Dieu, elles explicitent un ordre du monde créé dans des temps immémoriaux par une force extérieure à lui-même, monde soumis à un ensemble de règles qu’il se doit de respecter sous peine de damnation. S’il le respecte, un endroit merveilleux plein de félicités l’attend, quelques fois après un séjour de repentance où ses « pêchés » seront effacés pour atteindre la béatitude céleste et divine
Si on analyse le contenu des 3 tours de roue et /ou des 3 périodes hégéliennes on va remarquer que la première est marquée par une innocence fondatrice où les évènements/objets/personnes sont en relations idylliques marquées par une simple présence d’où les passions sont absentes dans la mesure où l’envie, l’orgueil, la cupidité, la concupiscence, l’appropriation… ne sont pas encore apparues. En effet, l’abondance règne et nulle envie de conquête ne se fait jour puisque chaque besoin est immédiatement satisfait dans une relation de totale osmose avec la nature, les animaux et la divinité.
La seconde va être constituée d’affrontements sans fin liés à la dualisation de l’esprit et de la matière, du maître et de l’esclave, de la vie et de la mort, de la domination de l’homme sur l’homme et la femme, de la séparation oppositionnel de l’intérieur et de l’extérieur, du tien et du mien, etc etc… le tout sous l’égide de dieux ou d’un Dieu supposés couvrir de leur sagesse les agissements désordonnés et égotistes des humains.
La troisième est l’état où les passions vont être dépassées par un effacement des catégories représentatives mises en place par le cerveau frontal permettant le libre jeu du cerveau reptilien au niveau du thalamus et de l’hypothalamus. Ce qui peut sembler une régression est en fait la condition « siné qua non » de l’attitude méditative, symbolisée ici par zazen, au-delà et en deçà des discriminations conceptuelles forgées par la dualisation imposée aux visions du monde par ledit cerveau. Cette attitude nommée Hischyrio est en fait l’accès à la non-pensée en même temps qu’elle en permet l’advenue dans notre quotidienneté, à l’immersion dans l’élan vital cosmique symbolisé par l’innocence du jeu de l’enfant mais adoubé de la Connaissance du Sage qui lui permet d’affirmer « qu’au commencement aucune chose n’est »
L’ETERNEL RETOUR
Il n’y a pas lieu de s’étonner d’une telle gradation ou, selon le cas, d’une telle régression pour ceux qui ne seront pas convaincu. Ces modalités de connaissance ne sont que libre jeu de modalités anthropologiques constitutives de l’imaginaire humain en termes de structures organisationnelles incontournables car génétiquement contenues dans l’évolution du monde. Ainsi sera remplie et comprise l’injonction de DOGEN selon laquelle « suivre la voie de bouddha, c’est s’étudier soi-même »
Mais en outre,
SHIKI SOKU ZE KU : il y a quelque chose, mais il n'y a rien
KU SOKU ZE SHIKI : il n'y a rien, mais il y a quelque chose
se réalisera et réalisera sa nature immanente et transcendante, transcendante et immanente pour l'ensemble des être sensibles.
